L’Église catholique dans l’Amérique coloniale : que personne ne vienne parler de liberté !
Le premier amendement de la Constitution américaine (1787) établit qu’aucune religion ne peut être entravée légalement. Mais on oublie souvent que l’histoire du peuple américain a connu une longue époque coloniale (1600-1775) durant laquelle l’anticatholicisme fut si puissant qu’on peut parler de véritable « persécution ». Notamment les emplois publics ou donnant autorité étaient interdits aux catholiques. Le plus étrange, à première vue, est que les historiens catholiques eux-mêmes minimisent cette période répressive. La raison s’en trouve peut-être dans la volonté de se faire enfin accepter dans une société largement protestante. Il fallait pour cela minimiser les différences et faire de la « séparation de l’Église et de l’État » un bien, au moment où la papauté y voyait un principe néfaste. De là cette lettre de Léon XIII au cardinal Gibbons, en 1889, condamnant « l’américanisme ». Condamnation restée d’autant plus inopérante que la perte des États pontificaux allait bientôt rendre le Vatican financièrement dépendant, notamment, des catholiques américains.

L'Amerique-coloniale
Cet article est repris de Let None Dare Call it Liberty : The Catholic Church in Colonial America, in traditioninaction.org, aimablement communiqué et traduit par Claude EON.
On n’a accordé que peu d’attention à l’implacable hostilité envers les catholiques de nos 13 colonies britanniques dans la période qui a précédé la Révolution américaine. Au lieu de cela, les historiens ont préféré se concentrer seulement sur l’histoire de l’expansion de la petite communauté catholique de 1785, ne comptant pas d’évêque et à peine 25 prêtres, pour devenir la puissante organisation que nous voyons aujourd’hui déployée de l’Atlantique au Pacifique.
Montrer ce progrès du catholicisme est légitime et bon. Mais éviter d’exposer la persécution que l’Église de la période coloniale pré-révolutionnaire a subi donne une vue incomplète ou partiale de l’histoire. Cette vision ignore l’histoire originelle de nos ancêtres catholiques. Ce serait comme écrire l’histoire de l’Église seulement à partir de l’édit de Milan, lorsque l’Église émergeait des catacombes, en prétendant qu’une glorieuse mais terrible période de martyre n’avait jamais eu lieu.
Une vision optimiste en désaccord avec la réalité.
Cette situation d’omission générale du catholicisme de la période coloniale (1600-1775) dans le milieu catholique ne devrait pas surprendre, en raison des récits optimistes écrits par des historiens catholiques aussi renommés que John Gilmary Shea, Thomas Maynard, Theodore Roemer et Thomas McAvoy[note]Theodore MAYNARD, The Story of American Catholicism, 2 vol., New York, 1941 ; Theodore ROEMER, The Catholic Church in the United States, St. Louis, Londres, 1950 ; John Gilmary SHEA, The History of the Catholic Church in the United States, 4 vol., New York, 1886-1892.[/note]. Ces historiens, dont les œuvres ont servi de socle aux manuels catholiques d’histoire jusqu’à une date récente (lorsqu’un révisionnisme historique est venu les remplacer), ne reconnaissent que brièvement et minimisent une période de répression et de persécution des catholiques.
Ce qu’ils ont souligné est ce qu’on pourrait appeler l’étape « positive » de l’histoire catholique coloniale qui a commencé avec la révolution américaine. Cette période a été enjolivée par l’idée chimérique que la liberté de religion était fermement établie et que l’anticatholicisme profond et solidement enraciné s’était dissous dans la nouvelle atmosphère de tolérance et de liberté pour tous. En fait, cela ne s’est jamais produit.
Les racines d’un mauvais œcuménisme.
Je me propose ici de dissiper le mythe d’une Amérique qui, dès son origine, se serait faite la championne de la liberté de religion. En réalité, pendant la période coloniale régnait un anticatholicisme virulent, et les harcèlements et persécutions des catholiques s’appuyaient sur une législation limitant leurs droits et leur liberté.
Il est important que les catholiques le sachent afin de comprendre comment cette persécution a marqué la mentalité des catholiques américains dans leur histoire originelle et engendré un comportement libéral caractérisé par deux phases différentes d’accommodement au protestantisme :
Premièrement, avant et surtout après la révolution américaine, certains catholiques adoptèrent un esprit de tolérance envers la culture et le genre de vie protestants, afin d’être acceptés dans la société. Je prétends que cet accommodement existe encore de nos jours.
Deuxièmement, pour entrer dans le domaine politique et éviter les soupçons d’être monarchistes ou « papistes », les catholiques de l’Amérique coloniale étaient disposés à accepter l’idée révolutionnaire de la « séparation de l’Église et de l’État » comme un grand bienfait, non seulement pour leur pays, mais aussi pour l’Europe catholique. Les autorités civiles et religieuses en Amérique proclamaient ouvertement la nécessité d’abandonner les « conceptions médiévales » supposées archaïques face aux conditions actuelles et à la démocratie.
Pour ces raisons, quelque cent ans après la révolution américaine, le pape Léon XIII adressa au cardinal Gibbons sa fameuse lettre Testem benevolentiæ (22 janvier 1889), accusant et condamnant la complaisance envers le protestantisme et l’adoption par les catholiques américains des principes du naturalisme. Il appela cette attitude coupable l’ « américanisme ».
Ainsi, l’américanisme fut-il essentiellement une expérience religieuse, un précurseur du mauvais œcuménisme inventé dans notre pays, alors qu’en même temps le modernisme se développait en Europe avec des tendances et des idées analogues. La présentation partiale de l’histoire de l’Amérique coloniale par tant d’auteurs contribue à maintenir cet esprit œcuménique erroné. J’espère que montrer la haine historique du protestantisme envers le catholicisme – comme je me propose de le faire – servira à mettre fin à ce comportement américaniste, libéral ou moderniste, chez les catholiques de notre pays.
Une longue histoire d’anticatholicisme.
Bien que le catholicisme ait été un facteur influent dans les établissements français de l’Ohio et de la vallée du Mississippi et, plus tard, dans les régions espagnoles de Floride, du sud-ouest et de Californie, les catholiques étaient incontestablement minoritaires dans les 13 colonies initiales. Comme on le voit dans le premier rapport sur l’état du catholicisme de John Carroll en 1785, les catholiques n’étaient qu’une poignée. Il estimait prudemment à 25 000 la population catholique de ces colonies. Sur ce total, 15 800 résidaient dans le Maryland[note]Ndlr. Colonie fondée en 1632 par un aristocrate catholique, lui-même fils de George CALVERT, premier baron de Baltimore qui avait été ministre d’État sous Jacques Ier et s’était démis de sa charge pour se convertir au catholicisme. Le Maryland fut ainsi nommé en l’honneur d’Henriette-Marie de France, la fille d’Henri IV. La colonie se proposait d’accueillir les catholiques persécutés en Angleterre. Lord Baltimore fut le premier catholique à jouer un rôle dans les entreprises coloniales anglaises. La capitale du Maryland s’appelle Baltimore.[/note], environ 7 000 en Pennsylvanie et 1 500 à New York.
Considérant que, selon le premier recensement fédéral de 1790, la population s’élevait à 3 939 000 habitants, les catholiques étaient moins de 1 %, donc sûrement pas une force importante dans ces 13 colonies britanniques[note]Thomas T. McAVOY, A History of the Catholic Church in the United States,Londres, Notre-Dame, 1969, p. 50-51.[/note]
Après plusieurs pages consacrées à la colonie catholique de lord Baltimore au Maryland, les livres d’histoire catholiques ont tendance à commencer l’histoire du catholicisme aux États-Unis avec l’année critique, tant pour la nation que pour le catholicisme : 1789.
En effet, 1789 marque à la fois la formation du nouveau gouvernement sous la Constitution et l’établissement d’une structure pour l’Église catholique américaine. Le premier événement fut l’élection de George Washington en avril et le second la nomination par le Pape de Son Excellence John Carroll comme premier évêque de Baltimore, en novembre.
L’histoire de l’Église catholique en Amérique, cependant, a des racines beaucoup plus profondes et moins triomphales. La plupart des Américains savent que l’esprit des habitants des colonies de la Nouvelle Angleterre était hostile au catholicisme. Mais peu connaissent la vigueur et la persistance de cet esprit entretenu pendant toute la période coloniale. Peu de catholiques savent que, dans toutes les colonies sauf trois d’entre elles, les catholiques étaient soumis à des mesures pénales d’un genre ou d’un autre pendant cette période. Dans la plupart des cas, l’Église catholique avait été proscrite très tôt, comme en Virginie où l’acte de 1642 proscrivant les catholiques et leurs prêtres donna le ton pour le reste de la période coloniale.
Même dans le Maryland, supposé tolérant, les choses avaient bien changé pour les catholiques dans les années 1700. À cette époque, le code pénal contre les catholiques comportait des serments de contrôle destinés à les écarter de certains postes, une législation empêchant les catholiques d’exercer certaines professions (comme celles de juriste), et des mesures avaient été prises pour leur interdire d’hériter ou d’acheter des terres. En 1718, le droit de vote fut retiré aux catholiques du Maryland, suivant ainsi l’exemple des autres colonies, et les parents pouvaient même être condamnés à une amende s’ils envoyaient leurs enfants à l’étranger pour y recevoir une éducation catholique.
Dans la décennie précédant la révolution américaine, la plupart des habitants des colonies auraient été d’accord avec Samuel Adams lorsqu’il déclara (en 1768) : « J’ai vraiment cru, et je le crois encore, qu’il y a beaucoup plus à craindre de l’expansion du papisme en Amérique que du Stamp Act[note]Ndlr. Loi votée par les Communes en 1765 pour instituer dans la colonie un timbre fiscal (payant) sur tous les documents ou contrats, livres, journaux, etc., au profit du budget anglais. Fit partie des éléments déclencheurs de la Révolution.[/note], ou que de n’importe quel autre acte destructeur des droits civils[note]Ibid., p. 387.[/note]. »
La haine anglaise de l’Église romaine.
La civilisation et la culture qui posèrent les fondations des colonies américaines étaient anglaises et protestantes. La poursuite aux XVIe et XVIIe siècles de la révolution religieuse anglaise est donc essentielle pour comprendre les aspects religieux de la colonisation américaine. Des explorateurs furent envoyés vers la fin du XVe siècle par un roi catholique, Henry VII, mais l’installation effective fut différée. Ce n’est qu’en 1607, sous Jacques Ier, qu’une installation permanente fut réalisée à Jamestown, en Virginie. À cette époque, le divorce de l’Église anglicane avec Rome était déjà consommé.
L’anticatholicisme en Angleterre avait été attisé par des livres tels que le Book of Martyrs de John Fox, illustrant certains des près de 300 protestants brûlés entre 1555 et 1558 sous le règne de la reine Marie Ire. Cette tradition avait été intensifiée par les rumeurs de la conspiration des Poudres de 1605, lorsqu’un groupe de catholiques fut supposé avoir voulu attenter à la vie du roi Jacques ; mais le complot, découvert à temps, avait échoué.
La politique internationale était également impliquée. La France et l’Espagne, ennemies de l’Angleterre, étaient catholiques. En 1570, le pape saint Pie V excommunia Élisabeth Ire et déclara ses sujets libérés de leur allégeance, ce qui alimenta la propagande anglaise disant que les sujets catholiques nourrissaient des sentiments de trahison[note]James HENNESEY, S. J. American catholics : a History of the Roman Catholic Community in the United States, New York/Oxford, 1981, p. 36-37.[/note].
Au XVIe siècle, les Anglais commencèrent leur longue, violente et cruelle tentative de soumission des catholiques d’Irlande[note]Peter MANCALL, Envisioning America : English Plans for the Colonization of North America 1580-1640, Boston/New York, 1995, p. 8-11.[/note].

Les Anglais étaient capables de « résoudre » n’importe quel problème de conscience en se convainquant eux-mêmes que les Gaéliques irlandais, papistes catholiques, étaient un peuple grossier et déraisonnable. Forts de leur croyance d’avoir affaire à un peuple celte (et non anglo-saxon…) de culture inférieure, les protestants anglais s’imaginaient dispensés de toute restriction éthique normale. Ils conservèrent cette attitude vis-à-vis des colons américains[note]« The Ideology of English Colonization : from Ireland to America », in Colonial America, Essays in Politics and Social Development, New York, Éd. Stanley N. Katz & John M. Murrin, 1983, p. 47-68.[/note].
À ces facteurs, il faut ajouter le rôle de la secte puritaine. Ses relations avec les catholiques dans l’Amérique coloniale représentèrent l’apogée du préjugé protestant envers le catholicisme.
Bien que l’Église anglicane eût remplacé l’Église de Rome, pour beaucoup de puritains l’Église d’Élisabeth était encore trop chargée de pratiques et de croyances romaines. Pour diverses raisons, ces puritains quittèrent leur patrie pour fonder de nouvelles colonies en Amérique du nord. Un exode puritain majeur vers la Nouvelle Angleterre commença en 1630 et, en une décennie, près de 20 000 hommes et femmes avaient émigré et s’étaient installés au Massachusetts et dans le Connecticut[note]Jay P. DOLAN, The American Catholic Experience : A History from Colonial Times to the Present, New York, 1985, p. 70-71.[/note]. Ils furent les principaux responsables de la haine virulente du catholicisme dans les colonies américaines.
L’âge pénal : 1645-1763
On trouve la preuve de cette attitude anticatholique dans les lois votées par les législatures coloniales, les sermons prêchés par les ministres et divers livres et brochures publiés aux colonies ou importés d’Angleterre[note]Une utile collection de citations et de sources a été rassemblée par sœur Mary Augustina RAY dans son livre : American Opinion of Roman Catholicism in the Eighteenth Century, New York, 1936.[/note]. Par exemple, bien qu’aucun catholique n’eût habité la Baie du Massachusetts pendant les 20 premières années, ou plus, de l’existence de la colonie, cela n’empêcha pas le gouvernement puritain de promulguer une loi anti-prêtre en mai 1647, menaçant de mort « tout jésuite, prêtre de séminaire, missionnaire ou autre ecclésiastique nommé ou ordonné par n’importe quelle autorité, pouvoir ou juridiction, provenant, contestée ou prétendue, du Pape ou du Siège de Rome[note]Id., p. 27.[/note] ».

Lorsque la Géorgie, la treizième colonie, fut créée en 1732 par une charte du roi George II, sa garantie de liberté religieuse suivait le modèle arrêté : la pleine liberté religieuse était promise à tout futur colon « sauf aux papistes » c’est-à-dire aux catholiques[note]Francis CURRAN, S.J., Catholics in Colonial Law, Chicago, 1963, p. 54.[/note].
Même le Rhode Island, célèbre pour sa politique supposée de tolérance religieuse, introduisit une clause anticatholique imposant des restrictions aux fidèles romains dans le premier code de lois de la colonie publié en 1719. Ce n’est qu’en 1783 que cet acte fut révoqué[note]Patrick CONLEY & Mattew J. SMITH, Catholicism in Rhode Island, the Formative Era, Providence, 1976, p. 7-9.[/note].
Pour voir comment ce préjugé contre les catholiques romains était gravé même chez les jeunes, observez ce « poème de John Rogers » dans l’abécédaire de Nouvelle Angleterre : «Abhorrez cette fieffée putain de Rome et tous ses blasphèmes ; Ne buvez pas à sa coupe maudite ; n’obéissez pas à ses décrets. »
Cette période de mesures pénales contre les catholiques dans les colonies dura au-delà de la révolution américaine.
Quelqu’un se souvenant des leçons de ses classes d’histoire catholique pourrait objecter : mais qu’en est-il des exceptions à la règle dans les trois colonies de Maryland, New York et Pennsylvanie, où la tolérance envers les catholiques existait pendant la période coloniale ? De nouveau, cette impression vient d’une réécriture très optimiste et libérale de l’Histoire plutôt que de la réalité vraie.
Le catholicisme au Maryland
Examinons maintenant « l’expérience du Maryland », après que Charles Ier eut accordé une charte généreuse à un éminent catholique converti de l’anglicanisme, lord George Calvert, pour la colonie américaine du Maryland. Calvert mourut peu après, mais son fils Cecil put donner suite au projet. Dans la nouvelle colonie, la tolérance religieuse pour tous ceux qui se disaient chrétiens fut garantie par Calvert jusqu’en 1654. Cette année-là, les puritains de Virginie réussirent à renverser la décision de Calvert, bien que celui-ci eût reconquis le pouvoir quatre années plus tard. Le dernier soulèvement politique majeur eut lieu en 1689, lorsque la « Glorieuse Révolution » de Guillaume et de Marie alluma une nouvelle révolte anticatholique au Maryland et que le gouvernement du second lord Baltimore, Charles Calvert, fut renversé.
Par conséquent, en 1692, le fameux Acte de tolérance religieuse du Maryland fut officiellement abrogé et l’Assemblée érigea l’Église d’Angleterre en religion officielle de l’État, financée par des impôts. Des restrictions furent imposées aux catholiques pour le culte public, et les prêtres pouvaient être poursuivis pour avoir dit la messe.
Bien que les catholiques eussent réussi en général à conserver leur statut social, on leur déniait le droit de vote ou de participer autrement au gouvernement de la colonie que leurs ancêtres avaient pourtant fondée[note]John Tracy ELLIS, «Catholics in Colonial America», in Benedictine Studies, Baltimore, 1965, p. 315-359.[/note]. Cette histoire réduite ici à l’essentiel est la véritable histoire de la fameuse liberté religieuse du Maryland colonial.
La Loi de tolérance religieuse de 1649, instituant la tolérance pour toutes les religions dans le Maryland initial, a généralement été interprétée comme une conséquence du fait que Cecil Calvert était catholique.
Les histoires catholiques américaines expliquent habituellement la fondation du Maryland par l’ardent désir de Calvert d’établir un havre pour les catholiques anglais persécutés. D’un autre côté, des interprétations protestantes présentent Calvert comme un opportuniste audacieux, motivé par les plus bas mobiles pécuniaires[note]Alfred Pearce DENNIS, « Lord Baltimore’s Struggle with the Jesuits, 1634-1649 », in Annual Report of the American Historical Association, 1900, 2 vol., Washington, 1901, t. Ier, p. 112.
C. E. SMITH, Religion under the Barons Baltimore, Baltimore, 1899.[/note].
Des travaux récents donnent une analyse beaucoup plus cohérente de la psychologie derrière la tolérance religieuse que Calvert accorda. En fait, Calvert suivait simplement une longue tradition des catholiques anglais, qui avaient tendance à demander seulement la liberté de prier en privé comme ils l’entendaient et à être aussi inoffensifs que possible envers les protestants[note]Kenneth CAMPBELL, The Intellectual Struggle of the English Papists in the 17th Century : the Catholic Dilemma, Lewiston, Queenston, 1986.[/note].
Une directive du premier Lord propriétaire en 1633 stipulait, par exemple, que les catholiques ne devaient « souffrir qu’aucun scandale ni tort » fût fait à aucun protestant, qu’ils devaient pratiquer tous les actes de la religion catholique de façon aussi privée que possible et qu’ils devaient rester silencieux durant les discours publics traitant de religion[note]Solange HERTZ, The Star-Spangled Heresy : Americanism. How the Catholic Church in America became the American Catholic Church, Santa Monica, 1992, p. 32.[/note].
En fait, dans les premières années de la colonie du Maryland, les seules poursuites pour délits religieux concernèrent des catholiques qui avaient irrité des protestants à propos de leur religion.
En pragmatiste réaliste, Calvert comprit qu’il devait être tolérant en matière religieuse afin que sa colonie, qui ne fut jamais de majorité catholique, pût prospérer. Ce fut cette attitude de conciliation et de compromis que les Calvert importèrent dans la colonie du Maryland. En outre, les Calvert mirent en pratique la séparation de l’Église et de l’État, que d’autres catholiques anglais avaient seulement théorisée.
Le catholicisme à New York
Ni les Hollandais ni les Anglais ne furent heureux lorsque le duc d’York se convertit au catholicisme en 1672. Sa nomination du colonel Thomas Dongan, d’origine catholique irlandaise, comme gouverneur de la colonie de New York, fut suivie par le passage d’une charte de libertés et de privilèges pour les catholiques. Mais l’épée à double tranchant du préjugé anglo- hollandais contre les « Romains » se dégagerait bientôt du fourreau dans lequel elle était brièvement rentrée.
Après la « Glorieuse Révolution » de 1688, Jacob Leisler, un anticatholique virulent, répandit des rumeurs de complots « papistes » et de fausses histoires d’attaque imminente des Français et des Indiens contre les colonies anglaises, rumeurs selon lesquelles les catholiques de New York étaient complices de leurs coreligionnaires français. Leisler prit le titre de commandant-en-chef et, à la fin de l’année, avait renversé Dongan et pris le poste de lieutenant-gouverneur de la colonie par la même occasion. Son gouvernement lança des ordres pour arrêter tous les «papistes» supposés, abolir les franchises des catholiques et révoquer tous les catholiques titulaires d’offices[note]ELLIS, op. cit., p. 344-46 ; p. 367-8.[/note]. Après 1688, le gouvernement était si hostile aux catholiques, écrit l’historien catholique John Ellis, « qu’il est douteux qu’aucun soit resté à New York[note]Id., p. 363.[/note] ».
Ce fait rend d’autant plus incongrue la sévérité des mesures qui continuèrent d’être prises contre les catholiques, comprenant par exemple la loi draconienne de 1700 prescrivant l’emprisonnement à vie des jésuites et des messagers « papistes ». Ce fort préjugé anticatholique persista même durant la période fédérale. Lorsque New York rédigea sa constitution en 1777, la ville accorda la tolérance pour toutes les religions, mais les fidèles du catholicisme romain n’eurent pas droit à la pleine citoyenneté. Cette loi ne fut pas abolie avant 1806[note]Id., p. 360-370.[/note]. Le mythe de la tolérance religieuse envers les catholiques de New York se fonde donc sur la brève période de 16 ans, de 1672 à 1688, quand un catholique fut gouverneur de la colonie.
Le catholicisme en Pennsylvanie
En raison de la large tolérance distinguant les colonies Quaker de William Penn, l’histoire des catholiques en Pennsylvanie est la plus positive de toutes les 13 colonies originelles. La position de William Penn sur la tolérance religieuse procura une liberté mesurée aux catholiques de Pennsylvanie. Le cadre gouvernemental de 1701, sous lequel la Pennsylvanie sera gouvernée jusqu’à la Révolution, comprenait une déclaration de liberté de conscience pour tous ceux qui croyaient en Dieu. Cependant, la contradiction entre le plaidoyer de Penn pour la liberté de conscience et son inquiétude croissante devant l’essor d’une religion, le catholicisme romain, finit par porter des fruits amers.
Pour remplacer les clauses libérales assurant une liberté de conscience presque illimitée et une tolérance envers ceux qui croyaient au Christ, les fonctionnaires devaient remplir les conditions de l’Acte de Tolérance de 1689 accordant aux dissidents leurs propres lieux de culte, des professeurs et des prédicateurs, mais sous réserve de la prestation de certains serments d’allégeance.
Cet Acte ne s’appliquait pas aux catholiques, considérés comme potentiellement dangereux puisqu’ils étaient loyaux envers le Pape, chef d’une puissance étrangère. Les offices publics étaient ainsi pratiquement interdits aux catholiques[note]Sally SCHWARTZ, « A mixed multitude » : The Struggle for Toleration in Colonial Pennsylvania, New York, Londres, 1987, p. 17-19 & 31-34.
Joseph J. KELLEY, Jr., Pennsylvania : the Colonial Years 1681-1776, New York, Garden City, 1980, p. 15-16.[/note].
Malgré le gouvernement plus restrictif imposé par Penn après 1700, les catholiques furent attirés par la Pennsylvanie, surtout après le début de la période pénale du Maryland voisin. Malgré tout, le nombre de catholiques immigrants en Pennsylvanie était relativement faible comparé à celui des protestants émigrant du Palatinat et de l’Irlande du Nord. Un recensement effectué en 1757 donnait un total de 1365 catholiques en Pennsylvanie. Dans une colonie estimée entre 200 000 et 300 000 habitants, l’hostilité envers les quelques catholiques vivant dans cette colonie témoigne pour le moins d’un préjugé historique[note]ELLIS, op. cit., p. 370-380.[/note].
Malgré les rumeurs incessantes et plusieurs crises (p. ex. le prétendu complot « papiste » de 1756), aucune mesure extrême ne fut prise ni aucune loi promulguée contre les catholiques. Une bonne mesure de la prospérité de l’Église en 1763 peut être attribuée aux fermes des jésuites des missions Saint-Paul à Goshehoppen (202 ha) et Saint-François-Régis à Conewago (49ha), qui contribuèrent substantiellement au soutien des entreprises missionnaires de l’Église[note]Joseph L. J. KIRLIN, Catholicity in Philadelphia, Philadelphia, 1909, p. 18.[/note]. On a appelé l’histoire des jésuites celle de l’Église catholique naissante des colonies, car aucun autre organisme du clergé catholique, séculier ou régulier, n’apparut sur le terrain plus d’une décennie après la Révolution[note]Thomas HUGHES, The History of the Society of Jesus in North America : Colonial and Federal, t. Ier, Londres, New York, Bombay & Calcutta, 1907, 2de édit. 1970.[/note].
Relâchement de l’anticatholicisme pendant la période révolutionnaire.
Cet épisode de persécution intense du catholicisme prit fin durant la période révolutionnaire (1763-1820). Pour diverses raisons, l’ouverture des hostilités et le gain de l’indépendance forcèrent les protestants américains à tempérer, au moins officiellement, leur hostilité envers le catholicisme. Avec le relâchement des mesures pénales les visant, les catholiques poussèrent un grand soupir de soulagement, réaction légitime bien normale.
Toutefois, au lieu d’adopter un comportement conforme à la pureté de leur sainte foi, beaucoup de catholiques adoptèrent un style de vie ignorant ou minimisant les points de doctrine que le protestantisme attaquait. Ils fermèrent aussi les yeux sur le mal de l’hérésie protestante et de sa mentalité. Une telle attitude s’explique par le désir naturel d’obtenir le succès social et économique ; c’était néanmoins une attitude honteuse eu égard à la gloire de Dieu et à la doctrine selon laquelle l’Église catholique est la seule vraie religion.
La persistance et l’intensification de cette attitude catholique libérale engendrèrent une sorte de camaraderie entre catholiques et protestants comme tels. Ainsi, une première ébauche de mauvais œcuménisme s’instaura, où l’opposition doctrinale entre les deux religions était sous-évaluée et la satisfaction affective d’être, comme catholiques, acceptés dans une société majoritairement protestante, surévaluée.
Ces facteurs psychologiques aident à comprendre la première phase de l’implantation, chez nos ancêtres catholiques, de cette hérésie que le pape Léon XIII appela « américanisme ».