Revue du CEP numéro 14

Table des matières

Les illusions de la science Dominique Tassot 1

SCIENCE ET TECHNIQUES 8

Les dérives de la « science officielle » 8

De la croyance dans les sciences (1ère partie) 10

La représentation impossible à se représenter 17

Les « Expéditions pamphiliennes » 20

Tissages, tapis, tapisseries Irène Archawski 21

La présence dominatrice de l’artiste Wilhelm Furtwängler (1886-1954)1 22

A quoi et à qui sert « l’art » cubiste ? 22

___L’art et la transfiguration à venir 22

HISTOIRE 22

Lettre d’Adam Sedgwick à Darwin 22

Une convocation chez le Major Le Serviteur de Dieu Alexandre 22

Défense du Christianisme, par Marc Duchêne 22

SOCIETE 22

Histoire canadienne 22

Confession d’un psychothérapeute Dr William Coulson 22

Retour sur l’Ennéagramme Dominique Tassot 22

Droit de réponse 22

BIBLE 22

REGARD SUR LA CREATION 22

L’architecture des cristaux 22

Albert de Lapparent2 22

Rois Mages Paul Claudel 22

Les illusions de la science Dominique Tassot

 

Résumé : Le scientisme, cette prétention des savants à pouvoir tout connaître et tout expliquer, s’est nourri d’un juste émerveillement devant la précision des mesures faite en astronomie et en physique. A la suite de Galilée, on crut pouvoir transposer aux équations de la science la certitude des démonstrations mathématiques. Cette confusion entre précision et certitude est une première illusion que les difficultés théoriques rencontrée par la science contemporaine n’ont pas encore dissipée. Une seconde illusion, propre aux « sciences humaines » vient de l’oubli du péché originel. On préfère Rousseau à Moïse, et c’est ainsi une anthropologie fausse qui fonde la plupart des théories et des méthodes psychologiques ou pédagogiques. Quand ces illusions se seront dissipées, nul doute que les scientifiques appelleront d’eux-mêmes les claires et certaines indications données à leur intention par l’Auteur de la Révélation.

 

On a connu, surtout au siècle dernier, un scientisme triomphal dont l’arrogance fait sourire aujourd’hui : tout ce qui est excessif est insignifiant. En 1885, Marcelin Berthelot déclarait : « Le monde est aujourd’hui sans mystère« [1]: il ne réclamait plus que quelques dizaines d’année pour achever la science !… On put vérifier aussitôt qu’il se trompait, victime d’une illusion par extrapolation des progrès gigantesques réalisés devant ses yeux par la chimie et l’électricité. Le scientisme contemporain a le discours plus modeste mais la présomption aussi forte. Simplement, les illusions ont changé.

Certes la quantification des phénomènes, la découvertes des lois mathématiques sous-jacentes, la prédiction exacte – par un simple calcul – de faits inobservés, tout cela constituait une prodigieuse démonstration de la puissance de l’esprit humain, de l’adéquation entre la raison humaine et les objets de la nature inerte, de la possibilité d’un progrès technique affectant tous les aspects de la vie pratique, bref l’avènement de la civilisation moderne.

 

 

Le progrès matériels ne demandait qu’à survenir : il suffisait que les savants y adonnassent leur intelligence car la science, cumulant les découvertes nouvelles avec les acquis du passé, ne pouvait que progresser.

On crut même, de bonne foi, que la nature humaine irait en se perfectionnant. Dans L’Homme, Descartes, à l’encontre des 120 ans de la Bible (Genèse 6:3), portait notre espérance de vie à 500 ans. Condorcet, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences un siècle plus tard, écrira dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1794) : « Mais les facultés physiques, la force, l’adresse, la finesse des sens, ne sont-elles pas au nombre de ces qualités dont le perfectionnement individuel peut se transmettre ?

L’observation des diverses races d’animaux domestiques doit nous porter à le croire, et nous pourrons le confirmer par des observations directes faites sur l’espèce humaine« [2].

Comme Darwin, encore un siècle plus tard, Condorcet confondait l’orientation donnée par de patientes générations d’éleveurs (sous l’effet d’une sélection répétée portant sur un ou deux caractères), avec un perfectionnement général des êtres vivants.

Et l’homme faisant lui-même partie de la « Nature », la vie morale recevrait, elle aussi, les fruits automatiques de cette élévation progressive. A la veille de la Terreur, où lui-même sera proscrit et n’osera quitter son refuge de la rue Servandoni, l’utopie tragique de Condorcet lui fait encore écrire ; « Le degré de vertu auquel un homme peut atteindre un jour est aussi inconcevable pour nous que celui auquel la force du génie peut être portée. Qui sait par exemple, s’il n’arrivera pas un temps où nos intérêts et nos passions n’auront sur les jugements qui dirigent la volonté pas plus d’influence que nous ne les voyons en avoir aujourd’hui sur nos opinions scientifiques ; où toute action contraire au droit d’un autre sera aussi physiquement impossible qu’une barbarie commise de sang-froid l’est aujourd’hui à la plupart des hommes« .[3]

En 1855, quatre années donc avant le parution du livre de Darwin, le philosophe Herbert Spencer confirmait cette immersion de la moralité sociale dans le grand tout de la nature en cours de perfectionnement : « Loin d’être artificielle, la civilisation est une partie de la nature, tout comme le développement d’un embryon ou l’éclosion d’une fleur. Les modifications qu’a subies l’homme et qu’il subit encore sont l’effet d’une loi qui sous-tend toute la création organique… Aussi sûrement qu’une passion se développe lorsqu’on y cède et diminue lorsqu’on la réfrène, aussi sûrement qu’une conscience morale négligée devient inerte, et celle qu’on écoute active, aussi sûrement qu’il y a une efficacité dans l’éducation et la culture, et une signification à des termes comme habitude, coutume, pratique, aussi sûrement les facultés humaines seront formées jusqu’à l’adaptation parfaite à l’état social, aussi sûrement les choses que nous appelons mal et immoralité disparaîtront, aussi sûrement l’homme doit devenir parfait. »[4]

Pour Spencer, le progrès n’est pas un accident, c’est une nécessité, une loi d’airain qui nous permet d’envisager l’avenir avec une assurance raisonnée, et d’accepter les imperfections passagères du présent en pensant à cet avenir radieux qui s’offre à l’humanité enfin consciente de son évolution.

Or cette vision optimiste du « progrès » butte aujourd’hui sur deux grands obstacles. L’un dans la science elle-même et sa méthode, l’autre dans la nature humaine.

La grande illusion de Galilée, celle qui l’a rendu si persuasif et si convainquant, celle qui met les philosophes et les théologiens à genoux devant la « révélation de la science« [5], c’est la confusion entre précision et certitude. La précision obtenue dans la quantification des phénomènes est époustouflante, qu’il s’agisse de mesurer des grandeurs physiques ou d’analyser des traces d’éléments chimiques. Cette précision concerne aussi bien l’agir que le connaître : les moteurs sont usinés si finement qu’on n’a plus besoin de les « roder » ; on identifie sur le Linceul de Turin, à l’emplacement des talons, des poussières de serpentine (la roche dont étaient taillés les pavés de Jérusalem) ; les principales constantes physiques sont mesurées avec une exactitude de 10 ou 15 décimales !…

Et pourtant bien des phénomènes nous échappent même si nous les quantifions finement.

Durant un siècle, les passagers des « chemins de fer » ont été bercés par le choc des roues d’acier sur chacun des joints séparants les rails, tous les 15 ou 18 mètres. Il fallait bien laisser un espace permettant aux rails de se dilater sous l’effet de la chaleur !… Sans joints de dilatation, croyait-on, la déformation du rail ferait sauter les tire-fonds et dérailler les trains. On en était d’autant plus certain que la dilatation des corps longs est connue avec une grande précision, et tous les élèves de lycée en font aisément l’expérience… Aujourd’hui, on roule paisiblement sur des rails soudés de 300 mètres de long… et la dilatation se fait toujours, mais dans l’épaisseur du rail.

Ainsi les êtres ne suivent pas nos lois (celles que l’homme a découvertes) : ce sont nos lois qui doivent suivre les êtres ; et ces derniers se conforment aux lois posées par le Créateur.

L’article du physicien Max Thürkauf montre bien comment la science échoue à percer le mystère du monde. Et le perfectionnement des mesures et expériences aurait plutôt pour effet d’augmenter la perplexité des savants devant l’objet qu’ils s’efforcent de connaître. Sous un mode humoristique, dans un autre domaine, Alexandre Vialatte a bien vu comment précision et certitude sont presque antinomiques : « Je confesse que je crois peu aux chiffres précis. L’imprécis est beaucoup plus juste. Quand on me dit qu’une commune rurale compte 3001 habitants, je sais d’avance que c’est faux : depuis qu’on les a comptés, il est mort un grand-père, il est né sept enfants, la fille du boulanger est partie avec le facteur, et l’agent de recensement s’est aperçu trop tard qu’il avait fait figurer deux fois sur ses papiers les jumeaux du Café de la Gare, tellement il avait peur d’oublier l’un des deux en se figurant que c’était l’autre.

On se saurait être exact que par l’imprécision. L’imprécis a beaucoup moins de prestige mais bien plus de rigueur scientifique. »[6]

Dès lors qu’il ne s’agit plus seulement de mesurer, mais de comprendre ce que l’on a mesuré, le mystère de l’être subsiste : les théories modernes de la lumière – onde ou corpuscules – nous laissent presque plus démunis pour expliquer la couleur des objets, que les physiciens du Moyen-Age (qui en faisaient une propriété intrinsèque de chaque corps).

Après l’illusion de la certitude par la précision, un second obstacle surgit devant l’optimiste naïf du scientisme : le Péché originel avec ses séquelles.

Tant que les sciences humaines se feront un présupposé méthodologique d’écarter la vision chrétienne de l’homme, créé à l’image de Dieu, réduit par la Chute à un état désordonné mais racheté par la grâce de Jésus-Christ, il est inévitable que ces disciplines tirent des conclusions erronées à partir de leur prémisse fausse. L’étude approfondie sur la jeunesse de CambridgeSomerville a montré que les adolescents délinquants non conseillés avaient un taux de rechute plus faible que les autres[7]!…

Dans la rubrique « Société », la « confession » du Docteur William Coulson, disciple du psychologue Carl Rogers, montrera comment ce catholique de bonne volonté a vu se dissoudre la Congrégation des Sœurs du Cœur Immaculé de Marie, simplement par l’effet des séances de psychothérapie.

Qu’il s’agisse de psychologie, de linguistique, de sociologie, a fortiori de pédagogie, la vision évolutionniste – avec son singe soudain promu à la conscience de soi sous le soleil du Rift africain – ne peut produire que des théories contraires aux lois posées par le Créateur au cœur de l’homme. Par l’effet du péché mais aussi de la grâce, chacun de nous est inévitablement – et à la fois – plus trouble et plus sublime que la psychologie positive ne peut le deviner.

Ni saint Paul ni les Pères du désert n’ont attendu Freud pour discerner dans les profondeurs de l’âme des forces supérieures à notre volonté. Simplement, ne prenant pas l’homme pour un ressort mû par les lois de la Mécanique, ils n’eurent pas la naïveté de croire que la libération des pulsions, en supprimant la tension, allait pacifier l’homme au point de lui procurer un repos véritable. Ils virent au contraire la nécessité d’une ascèse opposée (« age contra« ) et d’une souffrance acceptée voire appelée (« Le serviteur n’est pas plus grand que son maître« ) pour vérifier cette vérité paradoxale que la joie passe souvent par la Croix, ce qui suffirait à prouver que le bonheur vécu vient d’un don gratuit sans lien nécessaire avec les efforts humains.

On se plaît donc à penser que des religieuses en recherche auraient avantageusement trouvé chez Barsanuphe, Evagre le Pontique ou saint Grégoire, les règles de discernement qu’elles réclamèrent de Carl Rogers .

Car la clé du Mal ouvre la porte à l’intelligence du Bien ; surtout, elle nous fait prendre du recul par rapport à ce Moi envahissant dont l’exaltation par les psychologues met en péril le sens de l’existence. Le christianisme n’est pas un outil de confort psychique : il décrit un drame cosmique ; il y fixe à chacun son rôle irremplaçable.

Le christianisme n’est pas un message de sagesse ou un système éthique (ou plutôt il est tellement plus, qu’on le détruirait en l’y réduisant), il narre l’Incarnation de Dieu dans l’Histoire et nous enseigne comment y tenir notre place en imitant cet homme bien déterminé, et non un modèle abstrait. Alors tout prend sens, tout devient signe, et le Royaume s’ouvre à tous ceux qui en accueillent la grâce.

Que peut une « science de l’Homme » dès lors qu’elle néglige ces vérités décisives concernant son origine, sa fin et les moyens d’y parvenir ?

Prenant donc conscience de ces limites de la science – l’incertitude persistante dans les sciences de la nature ; le mystère inépuisable d’un homme marqué par la Chute et gratifié par la Rédemption – le moment est peut-être arrivé d’un

« réenchantement » du monde.

Cantonnant à sa juste place le savoir mathématique et l’aspect quantifiable des phénomènes, le champ s’ouvre derechef aux autres dimensions des êtres, à leur poésie intime, leur couleur et leur charme, à leur manière de nous parler du Créateur. La fraternité profonde qui nous relie aux cristaux, aux végétaux, aux animaux et aux anges n’était que masquée par le superbe isolement des « philosophes » faisant de la raison humaine leur idole.

Certes Dieu a « tout réglé avec nombre, poids et mesure » (Sagesse 11;20), mais ce n’est pas le tout de chaque chose et de chaque être qu’il a ainsi posé. Toujours demeure le « secret du Roi », qu’il Lui appartient, à Lui seul, à Son rythme et selon Sa grâce, de nous révéler. Plus forte est la lampe, plus grande nous apparaît la caverne. Ainsi, à mesure même qu’elle progresse, la science appelle toujours plus la Révélation.

 

 

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SCIENCE ET TECHNIQUES

 

 

Lettre à l’Académie royale des Sciences de Suède Alexandre Grothendieck

 

Présentation : Sous le titre « le Mathématicien français Alexandre Grothendieck refuse le Prix Crafoord« , Le Journal « Le Monde » avait publié la lettre exposant les motifs d’un refus tout à fait inhabituel. Ce texte n’ayant pas reçu l’écho qu’il nous semble mériter, nous reproduisons ici in extenso avec son « chapeau » cet article du mercredi 4 mai 1988, et nous nous honorons d’être rejoints par A. Grothendieck dans la dénonciation d’une « science officielle » qui n’est plus toujours la vraie science.

 

Le mathématicien français Alexandre Grothendieck, qui obtint en 1966, la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel en mathématiques, vient de refuser le prix Crafoord que l’Académie royale des Sciences de Suède avait décidé de lui décerner (Le Monde daté 17-18 avril). Ce prix, d’une valeur de 270 000 dollars (1,54 millions de francs) qu’il devait partager avec l’un de ses anciens élèves, le Belge Pierre Deligne, récompense depuis 1982 des chercheurs travaillant dans le domaine des mathématiques, des sciences de la Terre, de l’astronomie et de la biologie. Le géophysicien français Claude Allègre en fut le lauréat 1986. Dans le texte qui suit et qui est adressé au secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Sciences de Suède, M. Alexandre Grothendieck explique les raisons de son refus.

 

Les dérives de la « science officielle »

 

Je suis sensible à l’honneur que me fait l’Académie royale des Sciences de Suède en décidant d’attribuer le prix Crafoord pour cette année, assorti d’une somme importante, en commun à Pierre Deligne (qui fut mon élève) et à moi-même.

Cependant je suis au regret de vous informer que je ne souhaite pas recevoir ce prix (ni d’ailleurs aucun autre), et ceci pour les raisons suivantes :

  1. Mon salaire de professeur, et même ma retraite à partir du mois d’octobre prochain, est beaucoup plus que suffisant pour mes besoins matériels et pour ceux dont j’ai la charge ; donc je n’ai aucun besoin d’argent. Pour ce qui est de la distinction accordée à certains de mes travaux fondamentaux, je suis persuadé que la seule épreuve décisive pour la fécondité d’idées ou d’une vision nouvelle est celle du temps. La fécondité se reconnaît par la progéniture et non par les honneurs.
  2. Je constate par ailleurs que les chercheurs de haut niveau auxquels s’adresse un prix prestigieux comme le prix Crafoord sont tous d’un statut social tel qu’il ont déjà en abondance et le bien-être matériel et le prestige scientifique, ainsi que tous les pouvoirs et prérogatives qui vont avec. Mais n’est-il pas clair que la surabondance des uns ne peut se faire qu’aux dépens du nécessaire des autres ?
  3. Les travaux qui me valent la bienveillante attention de l’Académie royale datent d’il y a vingt-cinq ans, d’une époque où je faisais partie du milieu scientifique et où je partageais pour l’essentiel son esprit et ses valeurs. J’ai quitté ce milieu en 1970 et, sans renoncer pour autant à ma passion pour la recherche scientifique, je me suis éloigné intérieurement de plus en plus du milieu des scientifiques.

Or dans les deux décennies écoulées l’éthique du métier scientifique (tout au moins parmi les mathématiciens) s’est dégradée à un degré tel que le pillage pur et simple entre confrères (et surtout aux dépens de ceux qui ne sont pas en position de pouvoir se défendre) est devenu quasiment une règle générale, et il est en tous cas toléré par tous, y compris dans les cas les plus flagrants et les plus iniques.

Sous ces conditions, accepter d’entrer dans le jeu des prix et récompenses serait aussi donner ma caution à un esprit et à une évolution, dans le monde scientifique, que je reconnais comme profondément malsains, et d’ailleurs condamnés à disparaître à brève échéance tant ils sont suicidaires spirituellement , et même intellectuellement et matériellement.

C’est cette troisième raison qui est pour moi, et de loin, la plus sérieuse. Si j’en fais état, ce n’est nullement dans le but de critiquer les intentions de l’Académie royale dans l’administration des fonds qui lui sont confiés. Je ne doute pas qu’avant la fin du siècle[8] des bouleversements entièrement imprévus vont transformer de fond en comble la notion même que nous avons de la « science », ses grands objectifs et l’esprit dans lequel s’accomplit le travail scientifique. Nul doute que l’Académie royale fera alors partie des institutions et des personnages qui auront un rôle utile à jouer dans un renouveau sans précédent, après une fin de civilisation également sans précédent…

Je suis désolé de la contrariété que peut représenter pour vousmême et pour l’Académie royale mon refus du prix Crafoord, alors qu’il semblerait qu’une certaine publicité ait d’ores et déjà été donnée à cette attribution, sans l’assurance au préalable de l’accord des lauréats désignés. Pourtant, je n’ai pas manqué de faire mon possible pour donner à connaître dans le milieu scientifique, et tout particulièrement parmi mes anciens amis et élèves dans le monde mathématique, mes dispositions vis-à-vis de ce milieu et de la « science officielle » d’aujourd’hui.

Il s’agit d’une longue réflexion, Récoltes et Semailles, sur ma vie de mathématicien, sur la création (et plus particulièrement la création scientifique) en général, qui est devenue en même temps, inopinément, un « tableau de mœurs » du monde mathématique entre 1950 et aujourd’hui. Un tirage provisoire (en attendant sa parution sous forme de livre), fait par les soins de mon université en deux cents exemplaires, a été distribué presque en totalité parmi mes collègues mathématiciens, et plus particulièrement parmi les géomètres algébristes (qui m’ont fait l’honneur de se souvenir de moi). Pour votre information personnelle, je me permets de vous en envoyer deux fascicules introductifs, sous une enveloppe séparée.

De la croyance dans les sciences (1ère partie)

Pr. Max Thürkauf[9]

 

Résumé : Il est indéniable que le matérialisme régnant depuis plus d’un siècle a porté un coup tragique à tout ce qui élève l’homme au-dessus de lui-même : poésie, beaux-arts, etc… Il est moins noté que la science elle-même, pourtant le drapeau et l’orgueil du matérialiste, constitue l’affirmation vivante du primat de l’esprit sur la matière. Plus exactement Max Thürkauf démontre comment la « matière » des physiciens repose sur une pure croyance immatérielle et qu’elle échappe à toute représentation objective. On sait de mieux en mieux comment faire. On comprend de moins en moins ce qu’on fait et ce qu’un dispositif expérimental donne à connaître de la réalité. Car le mesurable n’est qu’un aspect des choses.

 

Dans la nature, il n’y a pas de chimie ni de physique, il y a des lois pour l’étude desquelles l’être humain pratique depuis environ quatre cents ans une activité tout à fait particulière : celle de mesurer. Il est évident qu’ainsi il appréhende tout ce qui est mesurable dans le monde, et tout aussi évident que ce qui n’est pas mesurable n’est pas pris en compte par les différents instruments qu’il utilise. Le sophisme du matérialisme – à savoir l’affirmation que le monde est uniquement constitué de matière – repose sur la croyance selon laquelle, parce que durant des générations, en se servant des instruments de mesure physico-chimiques, on n’a rien trouvé d’autre que des grandeurs d’ordre physico-chimique, la preuve est faite qu’il n’existe rien d’autre que la matière.

La chimie et la physique ne sont pas filles de la matière, mais relèvent de domaines de l’esprit engendrés par la pensée humaine au moment où il s’agit d’exploiter les mesures obtenues.

Seul ce qui peut être systématiquement reproduit en laboratoire peut, dans les sciences de la nature d’aujourd’hui, se prévaloir d’être scientifiquement démontré.

On comprend aisément que, les expériences menées devenant de plus en plus complexes, le nombre des hypothèses et, de ce fait, la part de croyance dans les sciences augmente.

Etant donné qu’au cours de l’étude des sciences de la nature modernes, on enseigne et on apprend à la perfection à penser en termes physico-chimiques, mais que, en comparaison, on réfléchit fort peu sur la physique et la chimie, les physiciens et les chimistes d’aujourd’hui savent très bien comment faire une chose, mais ne savent guère ce qu’ils font. Pour une carrière scientifique ou encore technologique (et cela revient de plus en plus au même), le comment, le « savoir-faire », est capital et non ce qui est fait. L’abandon de ce dernier point provient de deux causes : tout d’abord, celui-ci nécessite pour le moins autant sinon plus de travail de réflexion que le comment ; ensuite la question de ce que l’on fait peut susciter des scrupules qui empêchent la réalisation du comment. Or, cela signifie que le succès technique sera retardé et, par là même, également le bénéfice économique, voire militaire (ce qui, là encore, tend à une seule et même chose). L’estimé philosophe Joseph Pieper traduit par une formulation concrète la différence si lourde de conséquences qui existe dans les sciences de la nature entre le comment et le ce qui est fait : « Lorsqu’un chimiste ou un physicien répond à la question « Qu’est-ce que la chimie ? » ou « Qu’est-ce que la physique », il fait de la philosophie. »[10] On voit bien maintenant ce qui manque aux sciences de la nature modernes et ce qui, par son absence, les fait devenir de plus en plus un objet de croyance : la philosophie.

Démocrite a seulement pensé les atomes ; nous, nous les avons pensés et « fabriqués« . Le véritable instrument de connaissance des modernes sciences de la nature, ce sont les mains de l’homme, dirigées par son esprit ; jusqu’à la Renaissance, elles servaient uniquement d’instruments d’exécution qui permettaient de transformer la nature en culture. Depuis Galilée et les hommes de sciences de son époque, les mains de l’homme représentent aussi bien des instruments d’exécution que des instruments de connaissance.

A partir du savoir et de la matière, elles créent quelque chose d’immatériel : la science de la matière, la science de la nature. On pourra soulever ici l’objection que nous n’avons pas fabriqué les atomes, parce qu’ils sont le propre de la matière et qu’ils existent dans la nature indépendamment de l’homme. Il s’agit là encore d’une question de croyance scientifique, car les atomes ne peuvent être perçus par les sens. Tout ce qui est perceptible, c’est un grand nombre de phénomènes qui peuvent s’expliquer de manière plausible par les atomes. Mais il demeure qu’un nombre bien plus grand de réalités ne peuvent être expliquées par les atomes, par exemple la vie et ses diverses formes. L’ensemble des hypothèses émises pour tâcher de comprendre l’être vivant correspond également à des questions de croyance et non à des faits scientifiquement prouvés.

Les atomes utilisés à l’époque des « pères » de la bombe atomique se sont révélés, dans le cadre de la recherche récente, bien différents de ce qu’on avait cru. Il fut pourtant possible de faire une bombe véritable avec des atomes qui n’en étaient pas vraiment. On objectera qu’il s’agit en l’occurrence non d’atomes à proprement parler, mais de modèles d’atomes. Précisément, ceci met en lumière l’aspect de croyance de la physique atomique : la matière, sous les mains des chercheurs de la matière, se transforme en esprit.

A une époque où l’on considère que tout est faisable, même les penseurs les plus pénétrants restent impuissants face à ceux qui font avec succès. Les penseurs ne peuvent être compris que de ceux qui pensent. Ceux qui font ont peu de temps pour penser. Les matérialistes doivent construire eux-mêmes, dans une hâte fébrile, le sol sur lequel ils s’appuient. Lorsqu’ils s’arrêtent, ils s’enfoncent dans l’inconsistance de leur vision du monde. Le manque de temps, le surmenage sont des symptômes de la maladie de l’esprit de notre époque, c’est-à-dire du matérialisme. Celui qui a le temps de penser se fait soupçonner de ne servir à rien par la congrégation de ceux qui croient dans les sciences. Et leurs soupçons vont dans le sens de la vérité : ce qui est le plus chargé de sens dans le monde est en fait sans but, parce que tout but utilitaire tue ce qui est par soi-même, c’est-à-dire l’amour.

Ceux qui croient dans les sciences exigent des preuves pour croire en Dieu, mais pas pour leurs propres croyances, car ils tiennent celles-ci pour la substance même des sciences ; les psychologues matérialistes réclameront une définition de l’amour et tueront ce dernier rien que par cette démarche de pensée utilitariste.

Cela démontre la sécheresse de cœur de ces psychologues. Les profondeurs du monde ne sont pas définissables et ne peuvent faire l’objet d’une science : il s’agit en fait de Dieu et du divin. Pour comprendre cela, il n’est nul besoin de croire dans les sciences – il est seulement nécessaire de croire en Dieu.

Le matérialisme scientifique considère les perceptions sensorielles comme des réactions subjectives du système physiologique encéphale – organes sensoriels à des énergies modulées de différentes formes et émises par une matière objectivement existante. Il s’agit là de ce que Démocrite pensait déjà et qui, traduit dans la langue des matérialistes d’aujourd’hui, peut se formuler de la façon suivante : dans le monde objectif de la physique, il n’y a pas de couleurs ; seules existent les ondes électromagnétiques qui, selon leur fréquence et grâce à tout le fonctionnement du système oculaire, produisent les couleurs dans la sphère optique de l’encéphale, ces couleurs n’étant donc que des impressions subjectives. Ou bien encore : dans la « réalité » – ce qui, pour les matérialistes, est justement ce monde objectif de la physique – il n’existe pas de musique, pas de langage, il existe uniquement des vibrations acoustiques qui, selon leur fréquence et grâce à tout le fonctionnement du système auditif, engendrent dans la sphère otologique du cerveau la musique et le langage, lesquels ne sont là encore, que des impressions subjectives. Et ainsi de suite pour toutes les autres formes de perception sensorielles. Lorsque cette vision du monde est prise au sérieux, lorsqu’elle est mise en application, il ne faut pas s’étonner que le monde devienne de plus en plus gris, que la musique se transforme en bruit et la poésie en bredouillages. Que l’on compare seulement l’art moderne avec les œuvres d’art de la Renaissance : les archéologues, plus tard, ne pourront probablement plus reconnaître les « morceaux » d’art d’aujourd’hui en tant qu' »œuvres » d’art.

 

Les adeptes de la formule « vie = chimie + physique » sont renvoyés à un cercle vicieux, la substance même du credo des matérialistes : le primat de la matière. Ce sophisme réside dans une méconnaissance du monde de l’esprit. Selon le primat de la matière, l’esprit est un produit de la matière présentée sous la forme de l’encéphale humain. Comme le cerveau fait partie intégrante du sujet, son produit, donc justement l’esprit, est nécessairement quelque chose de subjectif. Cette conclusion est également admise par les matérialistes. Il s’agit en effet de cet esprit qui, grâce au système de connexion entre l’encéphale et les organes des sens , produit dans notre conscience – d’une façon inconnue même des matérialistes –, à partir des choses matérielles du monde, ces impressions qui n’existent pas dans le monde objectif. Or, ce même esprit subjectif – et donc sans existence objective – doit être en mesure d’identifier le monde objectif des matérialistes et de reconnaître en même temps aussi bien sa propre subjectivité que la subjectivité des perceptions sensorielles. En résumé, on peut exprimer ainsi le cercle vicieux du matérialisme : en tant que produit du cerveau marqué par l’empreinte du sujet, l’esprit est quelque chose de subjectif (qui disparaît en même temps que le cerveau), mais qui doit être en mesure de penser un monde objectif en faisant abstraction de lui-même et qui, par cette sublimation, parvient à reconnaître à la fois sa propre subjectivité et la subjectivité des perceptions sensorielles.

Or l’être humain ne peut percer le mystère du monde que si, dans ses interrogations, il commence par la cause première de toutes les sciences, c’est-à-dire l’homme, dans lequel sujet et objet sont indissociablement liés. Ou pour s’exprimer comme Angelus

Silesius[11] :

« L’énigme du monde ne t’interroge pas,

Toi-même, tu es l’énigme

Qui, du fond de ton cœur,

Parle au tréfonds de ton âme. »

 

Je voudrais maintenant décrire deux expériences importantes pour la physique moderne et représentatives de l’essence de nombreuses autres expériences destinées à répondre à la question de la nature de la lumière. Voici la première : si l’on fait passer de la lumière à travers une très petite ouverture, il se produit un phénomène que les physiciens appellent la diffraction de la lumière. Il s’agit de l’apparition périodique de zones claires et de zones sombres sur un panneau situé derrière l’ouverture. La périodicité spatiale de la diffraction peut être plausiblement expliquée par un modèle périodique, à savoir la périodicité spatiotemporelle d’une onde. C’est pourquoi, en physique, on parle des ondes électromagnétiques de la lumière. Personne ne sait ce qu’elles sont en réalité. On retiendra qu’au cours d’une expérience de ce type le phénomène primaire, ici la lumière, donne, par interaction avec un appareil, naissance à un phénomène secondaire (la diffraction) qui correspond à la représentation que l’on se fait des ondes. On notera que l’explication vaut pour le phénomène secondaire et non pour la lumière en tant que telle. A souligner que seul le phénomène primaire – la lumière – et le phénomène secondaire – le dessin de la diffraction – peuvent être perçus par les sens. On ne peut voir une onde lumineuse ; elle ne relève pas du monde sensible, elle est du domaine de l’esprit : c’est un modèle de pensée abstrait. En terme de théorie de la connaissance, l’énoncé correct de cette expérience serait le suivant : un phénomène primaire, la lumière, engendre, par interaction avec une petite ouverture, un phénomène secondaire que l’on peut, de façon plausible, expliquer par un modèle ondulatoire.

Et maintenant, la seconde expérience : si l’on met cette même lumière – ou plus exactement la lumière en provenance d’une même lampe – en interaction avec un autre appareil, une cellule Compton par exemple, on voit apparaître un phénomène secondaire qui ne peut absolument pas être expliqué par le modèle ondulatoire et qui même le contredit. L’effet Compton (comme disent les physiciens pour désigner ce phénomène, du nom de celui qui l’a découvert) n’est pas une continuité périodique, mais se présente comme une discontinuité marquée par des à-coups (quantiques). Si l’on attribue maintenant à la lumière un caractère corpusculaire, si l’on se l’imagine comme étant constituée de minuscules particules, donc quelque chose de discontinu que l’on appelle quanta lumineux, l’effet Compton, de type discontinu, peut être plausiblement expliqué par ce modèle discontinu de la lumière.

Il est tout aussi impossible de voir les quanta lumineux que les ondes lumineuses. Dans les deux cas, il s’agit de purs concepts et donc d’objets du monde de l’esprit. En termes de théorie de la connaissance, l’énoncé correct de l’effet de Compton doit être : la lumière engendre, par interaction avec une cellule Compton, un phénomène secondaire que l’on peut, de façon plausible, expliquer par un modèle corpusculaire. Les processus complexes entrant en jeu dans les appareils de la physique moderne, qui permettent d’observer non seulement des phénomènes secondaires, mais aussi des phénomènes au troisième, au quatrième degré et au-delà encore, rendent difficile une élucidation au niveau de la théorie de la connaissance. Ainsi est-il compréhensible que l’on renonce à ce genre de travail de l’esprit au profit des effets sans cesse nouveaux qui se présentent dotés, bien souvent, d’un grand pouvoir de fascination et, dans certains cas, d’une utilité pratique. La question cardinale des sciences modernes reste aujourd’hui encore : « L’expérience fonctionne-t-elle ou non ? » Les succès techniques du savoir relatif au « comment l’on fait » chassent la philosophie du « qu’est-ce que l’on fait » dans le domaine d’une croyance non réfléchie, et plus précisément dans le domaine de la croyance dans les sciences

 

La représentation impossible à se représenter

 

Si, en physique et en chimie, il est encore possible de se représenter un certain nombre de modèles (qui sont, en fait, une succession de représentations imaginées par les scientifiques), le postulat de la physique selon lequel la lumière est un phénomène aussi bien ondulatoire que corpusculaire reste purement et simplement impossible à se représenter, même pour la physicien le plus génial. On cherche à atténuer l’embarras que cela suscite en disant que la lumière « se comporte » aussi bien comme une onde que comme un corpuscule. Or, ce sont les personnes, les sujets, donc les physiciens, qui ont la capacité d’adopter tel ou tel comportement, et non la lumière.

Si on parle aux physiciens de l’impossibilité de se représenter ce phénomène, il n’est pas rare de s’entendre répondre que la physique actuelle n’a précisément plus besoin de la représentation. Ce genre de contorsion intellectuelle en matière de théorie de la connaissance fait oublier que c’est toujours une représentation précise qui a été à l’origine de ces modèles impossibles à se représenter.

Les sciences de la nature étudient le monde sensible et ce dernier a pour propriété essentielle d’être concrètement évident. Etant donné l’augmentation du nombre des calculs justes en euxmêmes, mais faux du point de vue philosophique, l’inconséquence d’une évidence à la fois acceptée et niée se trouve masquée. Penser ne se limite pas à raisonner en termes de mathématiques. La majeure partie du monde ne peut être appréhendée par les mathématiques. Pourtant, on cherche aujourd’hui à tout calculer ; la foi dans les sciences implique aussi la croyance en la possibilité de calculer toute chose. Cette croyance apparaît solidement enracinée parce qu’il n’existe pas de preuve mathématique de l’insuffisance de la mathématique dans les domaines du monde qui ne se laissent pas réduire à cette dernière. Et, en fin de compte, l’inverse est également impossible, à savoir que, sans recourir aux mathématiques, on ne peut prouver quelque chose de mathématique. Le mensonge à l’origine de tous les mensonges de notre temps a nom le matérialisme. Si celui-ci est en mesure d’alimenter autant de mensonges, c’est qu’il se rend crédible avec une vérité partielle qu’il proclame comme étant la vérité totale, à savoir la matière. Au sein du matérialisme, il peut y avoir des calculs qui sont justes, mais, par rapport au monde dans son ensemble, ils deviennent faux. Dans les sciences matérialistes, la justesse augmente de façon proportionnellement inverse à la vérité. Aussi ces sciences deviennent-elles de jour en jour plus adaptées à des fins et plus dépourvues de sens. Le produit scientifique le plus adapté à une fin et en même temps le plus dénué de sens est la bombe atomique. L’une des sources de cette tragédie est la négation de l’objectivité des perceptions sensorielles. En faisant abstraction de toute représentation intuitive et concrète, le physicien moderne se voit pour ainsi dire placé dans la situation de l’amoureux décrit par Frank Wedekind dans Liebestrank (Le philtre d’amour), ce malheureux auquel l’on a dit qu’il ne pourrait se rendre maître du cœur de sa bien-aimée que si, en buvant le breuvage magique, il ne pensait sous aucun prétexte à un ours.

Au lieu de considérer les représentations des modèles de pensée pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire aussi bien comme des moyens d’expliquer les phénomènes produits par interaction avec des appareils, que comme des moyens de construire des appareils, on veut voir dans les phénomènes et les appareils, la preuve de l’existence objective des modèles. Erwin Chargaff, l’homme qui a découvert la capacité de réplication de l’acide désoxyribonucléique, la substance clé de la génétique moderne, ne s’y trompe pas lorsqu’il dit : « C’est une erreur fréquente dans le domaine des sciences de la nature que de prendre la conclusion à laquelle on est parvenu pour la preuve de l’existence des prémisses d’où l’on est parti. »[12]

Etre capable d’expliquer ne signifie pas nécessairement être capable de comprendre. La physique moderne explique la lumière sans la comprendre. La remarque acerbe d’Hermann Hesse, pour lequel les scientifiques sont des êtres qui expliquent tout et ne comprennent rien, ne s’explique pas, mais elle se comprend.

(Suite et fin dans le numéro 15)

 

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Les « Expéditions pamphiliennes »

 

Saint Pamphile (3ème siècle) aimait à distribuer des livres qu’il avait lui-même recopiés. A son imitation, les « Expéditions pamphiliennes » ont entrepris de rééditer nombre d’ouvrages essentiels pour l’intelligence de la foi et de la crise du monde contemporain. Citons notamment les ouvrages de Mgr Gaume, de Jean Guiraud, de l’Abbé Lémann et la « Chaîne d’Or« , ce commentaire détaillé des quatre évangiles rédigé par saint Thomas, à la lumière des Pères de l’Eglise.

Pour nous qui avons perdu l’usage du grec et du latin, ces 17 petits volumes constituent un merveilleux condensé de toutes les richesses de la pensée chrétienne sur les évangiles.

Catalogue sur demande aux « Expéditions pamphiliennes » (B.P. 51, 67044 Strasbourg Cedex)

Tissages, tapis, tapisseries Irène Archawski

 

Présentation : Irène Archawski connaît bien l’art de la broderie, souvent relégué au second plan par les spécialistes des « beaux arts ». Au colloque du CEP en 1999, elle avait présenté une splendide collection de costumes traditionnels hongrois. Elle nous invite ici à suivre son regard lors de récentes expositions de tissus, tapisseries et vêtements. Avec l’apparition des textiles artificiels, avec le remplacement de l’objet artisanal par l’objet industriel dans l’usage courant, un art populaire peut-il se maintenir et apporter à la modernité cette âme des choses –outils, meubles ou habits – qui maintenait dans la vie quotidienne des anciens un contact avec le beau ?

En contre-point à ces réflexions de bon sens que suscite souvent l’art moderne, on a fait suivre cet article de trois citations significatives de Wilhelm Fürtwängler, Lady Queenborough et Henri Charlier.

 

L’année 2000 a été enrichissant pour moi, en ce qui concerne ces arts. Ces expériences m’ont laissé dans l’esprit des sentiments contradictoires, allant du pur délice jusqu’à la perplexité quant à la voie à suivre dans l’avenir.

En février j’eus l’occasion de visiter le Sud marocain, pays des Berbères. Je fus enchantée par la vue des paysages variés, des déserts de sable et de pierres, des montagnes majestueuses qui montaient parfois à près de 3000 mètres.

Dans les villes, j’ai visité les souks et les magasins ; j’ai pu ainsi voir ce qui se faisait dans cette région en matière de tissage.

Il y avait des tapis noués et d’autres faits en kilim[13]. La beauté des dessins et le choix des couleurs en faisaient parfois de véritables chefs-d’œuvre, même si de nos jours les Berbères utilisent souvent des laines teintées chimiquement. Ces tapis étaient plutôt épais. On en trouve néanmoins de fins. Ceux-ci – très chers – sont tissés avec des fils de soie.

 

 

On me vantait partout « une nouveauté ». Il s’agissait de tapis noués, dont le dessin comportait une partie tissée en kilim et une autre brodée avec des fils synthétiques brillants, appelés « soies synthétiques ».

Je trouvai ces tapis spectaculaires mais peu pratiques avec leur épaisseur inégale : les pieds risquaient de s’accrocher à la haute laine nouée et d’abîmer les parties en kilim ou en broderie.

On nous a aussi présenté des tapis accrochés aux murs et décorés par des motifs géométriques au point de croix sur fond uni. Utilisés comme tentures, ils constituent une décoration agréable à l’œil. Cependant, leurs motifs étant sur la surface et non fondus dans le tissage, ils ne peuvent pas servir de tapis car leur beauté et par conséquent leur valeur aurait vite disparu si la broderie était usée par les pas.

A Agadir, un ami m’a amenée dans une grande coopérative artisanale d’Etat. Là se voit le véritable art du tapis du Sud marocain. Les pièces nouées ou tissées en kilim, les couleurs vives bien choisies et les beaux motifs centraux ou en rayures répétées donnaient envie d’acheter !… Nous avons opté pour un tapis berbère qui, sur un beau rouge profond, présente des motifs en bandeaux, séparés par des plages d’uni. Mais, dans ce magasin somptueux (et à ma grande surprise), plusieurs tapis de haute valeur manquaient d’une finition digne de ce nom. Après la dernière lisière en uni, les fils de chaîne[14] étaient simplement coupés, sans être fixés. A la longue, on risque l’effilochage même du dessin !

Malgré cette imperfection (que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays), j’ai été ravie de connaître un échantillon de la culture du Sud marocain, un témoignage du goût artistique et de la vitalité de ce peuple foncièrement sain.

Entre le 21 janvier et le 18 mars eut lieu à Paris une exposition très attendue :

 

 

 

Arts des Indiens d’Amérique du Nord

 

J’oserais dire que c’était la perfection. Les propriétaires de cette collection privée et les organisateurs avaient choisi les pièces les plus réussies et les plus représentatives de chaque ethnie indienne de cet immense pays. Les élégants salons de la Fondation Mona Bismarck offraient des espaces suffisamment grands pour la mise en valeur des objets exposés. Les notes bien rédigées et intelligemment disposées aidaient à comprendre la signification des pièces, spécialement celles destinées au culte religieux.

Les artistes ont utilisé tous les matériaux naturels imaginables, mêmes les plus insolites comme le boyau de phoque !

Etant spécialement intéressée par le textile, je regardais, émerveillée, les vêtements de fête pour femmes ou enfants ou les sacs d’homme. Ces pièces étaient ornées par des broderies faites avec des petites perles multicolores. Des dessins d’une beauté remarquable, une réalisation parfaite et une finition irréprochable les caractérisaient. Et que dire des armes, des ornements pour chevaux et des instruments de musique décorés de diverses manières, ainsi que des magnifiques parures de plumes pour guerriers indiens !..

Quelques tissages, surtout des tentures, étaient également exposés. Avec leur couleurs chaudes : crème, ocre, rouge-roux, et aussi le gris et le bleu profond, avec leurs grands motifs simples et souvent symboliques, elles dégageaient une sérénité majestueuse à laquelle je fus très sensible.

Cette exposition très réussie nous a permis de connaître quelques aspects de la vie de ces peuples lointains, à travers des objets d’usage quotidien, embellis par un art parvenu à un très haut niveau de perfection.

Deux autres expositions récentes, centrées sur le travail du fil m’ont amenée dans un monde très différent. L’une :

« Parcours de fil – Exposition d’art textile contemporain » eut lieu à L’Abbaye de Maubuisson à Saint Ouen.

L’autre :

 

 

« Biennale Arelis 2000. L’art de la fibre, la fibre de l’art » avait pour cadre la Cité Internationale des Arts à Paris.

Dans ces deux expositions de l’art du tissage contemporain, très riche d’enseignements pour moi, j’ai retrouvé des caractères communs :

  • une grande originalité de thèmes ;
  • une variété presque infinie des matières utilisées ; – une virtuosité technique générale.

 

La laine, matériau de base classique, semble délaissée en faveur de matières nouvelles ou insolites, comme des lanières de papier journal ou des sacs en plastique, des tuyaux en plastique transparent ou multicolore, des fibres végétales brutes, des rubans d’étoffes, des fils synthétiques ou de fer, etc…

Beaucoup d’artistes ont préféré des gros fils aussi bien pour la chaîne que pour la trame[15] , sans se gêner pour les changer au besoin. Les grands formats dominaient l’ensemble, sans toutefois exclure les petits. Des tentures avaient parfois des parties rigides qui sortaient du fond lisse pour s’y réintégrer plus haut ; ailleurs elles formaient « des cascades ». Certains de ces tissus se présentaient sous forme de sculptures. D’autres, réalisés par des fils hétéroclites et brillants évoquaient des bijoux aux formes insolites ou des cristaux fantastiques. La signification de ces œuvres était quelque fois difficile à déchiffrer, les noms et titres semblaient sans liens avec le donné visible.

A l’évidence, tous les artistes étaient virtuoses de leur art et surtout de la technique choisie. Ce dernier aspect semblait même constituer la raison d’être de certaines œuvres.

J’ai saisi l’occasion d’un exposition au Musée Galliéra sur « La mode féminine entre 1960 et 2000. Mutations » pour faire une excursion dans ce domaine spécifique de l’art du textile.

Ce musée excelle dans l’organisation d’expositions bien choisies et bien présentées, comme ce fut encore le cas cette foisci.

Les créations les plus significatives de tous les grands couturiers de France se trouvaient là, montrant l’évolution des mentalités, le foisonnement d’idées, les exigences du marché et la recherche de nouveaux matériaux.

Au fur et à mesure que l’on avançait de 1960 à 2000, les créateurs de mode s’éloignaient de plus en plus des formes naturelles du corps féminin, et même de l’idée de le vouloir vêtir, jusqu’à ne plus le considérer que comme un simple support ou un prétexte leur permettant des envolées dans le fantastique jusqu’aux frontières du bizarre. Ils utilisaient, transformaient ou même inventaient de nouveaux matériaux qui, eux, exigeaient la création des formes souvent extraordinaires. Si mes yeux pouvaient être charmés par la nouveauté de ces coupes, couleurs et volumes, par la grande variété de toucher qu’offraient le plastique, le résidu de charbon, le nylon surchauffé ou « bulbé », il me venait quelques doutes quant à la possibilité réelle d’utiliser ces vêtements.

Pour compléter ce panorama des textiles contemporains, j’ai encore visité les stands des artisans à la foire de Paris.

J’y ai vu des tentures faites de tissus matelassés avec application de motifs romantiques ou évoquant ceux des patchworks : elles n’étaient pas vilaines bien que, pour les placer au mur, il ait fallu leur faire un cadre un peu spécial.

Il y avaient là des stands de vêtements « modernes » destinés aux jeunes « branchés ». L’étoffe de base, tissée à la main, avait des formes soulignées par des motifs en cuir, en plastique, ou en tissu, appliqués à la machine.

J’ai également trouvé d’autres vêtements entièrement tissés à la main, doublés, très bien coupés et finis, arborant des couleurs chatoyantes et mélangées avec goût. J’ai vu un autre stand proposant des vestes et des manteaux très élégants faits d’un tissu tricoté à la machine et agrémenté de vraies fourrures. Les prix de tous ces vêtements étaient bien calculés, donc abordables pour toutes celles qui cherchaient à avoir une belle pièce d’une originalité de bon aloi, sans être toutefois « tape à l’œil ».

En sortant de cette exposition et me souvenant des visites précédentes, tous ces objets et les idées qu’ils suscitaient dans mon esprit tourbillonnaient dans ma tête.

  1. Qu’est-ce qui caractérise l’art populaire et l’art (« urbain ») tout court ? Où se trouve la frontière entre les deux ?
  2. Quelle est la différence entre l’artisanat et l’art ? Est-ce une question d’utilisation pratique et d’absence (apparente) d’utilité ?
  3. Est-il vrai que l’artiste est le maître absolu de son œuvre ou doit-il se plier aux règles de son art ?

Pour moi, une œuvre d’art devrait manifester l’harmonie entre le Beau, le Bien et le Vrai.

  1. L’artiste méconnu qui fabrique un objet en l’embellissant d’après sa culture, son goût et son adresse, met l’accent sur le côté utilitaire. Il s’efforce en même temps à le rendre beau pour son plaisir, et pour celui des utilisateurs. Il choisit des matériaux et outils adéquats et il travaille en respectant les formes, les techniques. L’œuvre ne sortira de ses mains, qu’une fois achevée. Il me semble qu’il produit ainsi un véritable objet d’art, même si son niveau est modeste.

L’artisan qui vit de ses productions, n’agit pas autrement, sauf que – dans une certaine mesure – il conforme ses vues personnelles au goût de ses futurs clients. Il recherche, lui aussi, un équilibre entre les trois exigences de l’Art (beau, bien, vrai) et tout son travail est basé sur le respect des règles qui font ressortir la nature intrinsèque de l’objet à créer.

  1. Cet artisan, peut-il ou non être classé parmi les artistes ? Les artistes de tous les temps ont désiré marquer leurs œuvres du sceau de leur personnalité et à y imprimer leur vision du monde, leurs idées et sentiments, c’est-à-dire leurs « messages ».

Le but est atteint et le bonheur de l’artiste est à son comble quand il s’aperçoit que cette œuvre (qu’il aimait dès sa conception et tout au long de son travail) est comprise et aimée par le public. Celui-ci, à son tour, aime l’artiste à travers sa création. Une sorte de miracle se produit alors, une communion joyeuse et profonde entre les esprits, rare mais d’autant plus précieuse. C’est un moment béni, qui laisse dans les âmes un souvenir heureux et durable.

Mais, pour passer le message au public, il faut que le langage (technique, matières, formes, dimension, couleurs) ne soit pas trop loin de la réalité commune, qu’il reste intelligible.

L’artiste doit donc se plier à cette exigence, – sauf s’il veut s’enfermer dans un « club d’initiés » où l’on tourne en rond et passe son temps à se gausser d’un public méprisé qui « ne comprend rien »…

  1. Une question se pose alors : certains objets dont les titres ésotériques interdisent toute appréciation ; qui ne procurent aucune satisfaction esthétique ; qui – réalisés en niant les règles de l’art – sont malfaisantes ; ces « créations » inutiles et inutilisables qui masquent difficilement l’insuffisance de métier et d’idées de leurs fabriquants, méritent-elles encore d’être appelés « œuvres d’art »?

Il existe encore d’autres entraves entre l’artiste et le public :

  1. – La virtuosité technique comme fin en soi ; (l’œuvre peut être admirée pour cela mais, vide de contenu, elle nous laisse de marbre) ;
  2. – L’imagination débridée qui fait évader l’artiste dans une abstraction aride, hors de portée du commun des mortels et où il se ferme aux autres dans une solitude pénible, inhumaine.
  3. – La recherche crispée du nouveau à tout prix, de l’insolite,

l’obéissance servile au dernier diktat de la mode.

  1. – L’exposition d’objets d’art à l’état de « brouillons ».

Le désir normal de l’artiste d’explorer de nouvelles voies, techniques et possibilités, est un moteur de progrès. Mais les essais, recherches et études, s’ils témoignent bien de l’évolution, du cheminement de son travail à l’atelier, n’intéressent que les spécialistes. Ces pièces ne devraient donc pas être exposées au public et elles ne peuvent pas être considérées au même titre que les œuvres d’art achevées.

Ces idées personnelles n’auront peut-être pas l’approbation de tous. Elles ont pour but de lancer un débat ouvert et amical pour tracer ensemble une voie pratiquable à l’avenir pour ce bel art du tissage qui doit demeurer art populaire autant qu’art véritable.

 

 

 

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La présence dominatrice de l’artiste Wilhelm Furtwängler (1886-1954)1

 

 

 

L’art moderne, raisonné et non inspiré, ne sait d’où il vient ni où il va ; tel un rappel du chaos originel il saisit le spectateur par le choc de forces élémentaires incontrôlables. Coupé de ses racines, traqué par le rythme inhumain de la vie moderne, hanté par la nouveauté à tout prix, et non plus par la vision intérieure des choses, l’homme a préféré penser plutôt que prier, tout soumettre à son style et d’abord la matière brute, plutôt que de tirer son génie d’être le fervent copiste des œuvres de Dieu.

L’œuvre d’art raconte quelque chose. Et le premier caractère de l’art moderne est qu’il ne raconte rien. Pour qu’il naisse, il faut que l’art de la fiction meure. Le sujet doit disparaître parce qu’un nouveau sujet paraît, qui va rejeter tous les autres : la présence dominatrice de l’artiste lui-même. Le paysage moderne deviendra de moins en moins un paysage, car la terre en disparaîtra. C’est dans le portrait, devant leur propre visage, que beaucoup d’hommes, même parmi ceux qui aiment la peinture, prennent conscience de l’opération magique qui les dépossède au bénéfice du peintre.

Et ainsi la volonté d’annexion du monde prit la place immense qu’avait tenu la volonté de transfiguration. Les formes éparses du monde, qui avaient convergé vers la foi ou vers la beauté, convergent vers l’individu.

 

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1 Chef d’orchestre allemand, célèbre pour son interprétation magistrale des symphonies classiques et romantiques.

A quoi et à qui sert « l’art » cubiste ?[16]

Lady Queenborough[17]

 

Dans une exposition cubiste, un amateur intrigué par une toile demande : mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Et le peintre de répliquer : « La vraie question n’est pas celle du sens ; la question est de savoir quel est l’effet sur l’observateur ! »

Consciemment ou non, cet artiste disait vrai. Les psychiatres nous disent que cette école de charlatans insidieuse est simplement le produit d’une politique d’interruption des idées menant à l’incohérence totale et à la folie. L' »art » cubiste est un effort pour produire certains effets psychiques par l’illusion optique. La beauté n’a rien à voir ici. L’école cubiste ne doit pas être mise sur le terrain de l’art. Elle relève de la médecine et de la psychiatrie.

Et cette « lubie » dévastatrice par « l’idée interrompue » s’étend à la musique, à la littérature et à toute autre forme d’effort humain.

Un esprit positif ne peut pas être mis sous contrôle. Pour les dessins de la domination occulte, il faut donc que les esprits soient rendus passifs et négatifs afin de pouvoir les contrôler. Des esprits travaillant consciemment à un but déterminé forment un pouvoir ; et le pouvoir s’oppose au pouvoir, pour le bien ou pour le mal. Le plan de domination mondiale serait ruiné par la seule connaissance de ce principe, mais il demeure malheureusement méconnu.

___L’art et la transfiguration à venir[18]

Henri Charlier

 

« La Création, elle aussi, nous dit saint Paul (Romain 8, 21-23), doit être affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Car nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière gémit et souffre les douleurs de l’enfantement.« 

Ces paroles de saint Paul sont très mystérieuses, mais la nature l’est aussi. La lumière de Dieu nous guide sans tout éclairer. D’après saint Paul, la nature entière attend quelque chose qui dépend de la volonté de l’homme. Il n’y a aucune raison de limiter le sens de ce texte ou de l’affaiblir en le prenant pour une simple figure de rhétorique. Les arbres sont malades, les animaux souffrent sans qu’il y ait d’autre explication naturelle qu’une lutte pour la continuation de la vie ; c’est-à-dire qui oblige d’admettre une fin transcendante à la matière inorganique elle-même. La vie s’arrête-t-elle aux végétaux ? La vie des cristaux, les mouvements des molécules métalliques, est-ce une vie ? Bien différente de la nôtre, mais vie tout de même ? N’est-ce pas une certaine organisation ? Le texte de saint Paul nous dit que l’état actuel de la nature sur la terre est passager et comme anormal et que l’homme peut détourner les créatures de leur vraie fin pour satisfaire aux désirs de sa volonté dépravée. Esclave de ses passions, l’homme rend la nature esclave. L’homme est donc associé à l’oeuvre de cette création continue qui mène le monde à sa fin voulue de Dieu. Dieu lui donne pour cela l’intelligence et la liberté. Or l’homme dans l’erreur ne peut être libre ; il est soumis sans le savoir à ce qu’il ne comprend pas. L’homme qui fait de ses passions la règle de sa vie est le moins libre et le moins heureux de tous. L’homme ardent et volontaire qui semble un champion du mal n’est qu’un homme manquant d’amour et qui ne sait où placer ses désirs. C’est un malheureux.

Ainsi Dieu nous aide, sa grâce sauve notre liberté. Ces grâces surnaturelles nous font entrer dans la connaissance que Dieu a de Lui-même et de son œuvre.

Au dernier jour, une terre nouvelle remplacera celle-ci : elle sera faite de celle que les hommes auront amenée par leur travail en un certain état. La science nous a donné des ouvertures sur la constitution de la matière ; elle ne cessera de nous en ouvrir d’autres. Rien d’étonnant pour l’intelligence dans cette transformation rapide de notre monde telle que nous la décrit saint Paul ; elle semble être liée à une catastrophe astronomique. Quel sera ce nouvel état de la matière ? Il nous est bien impossible de le savoir, mais c’est « un état de gloire » nous dit saint Paul. Ainsi, le plan de l’achèvement du monde est entre les mains des penseurs, savants, philosophes, artistes, et des ouvriers et du laboureur. C’est d’ailleurs, toujours par l’intermédiaire d’un art que le savant, ou l’homme politique, ou le paysan agissent sur le monde. Mais les beaux-arts et la poésie échappent mieux que les autres œuvres de l’esprit à la fascination de la quantité. Ils vont droit à l’essentiel, à l’amour, à la liberté dont dépend le bonheur de l’homme et le droit achèvement du monde. Enfin ils ne séparent pas le vrai de cet état du vrai qui est la promesse, le gage et le germe de la transfiguration à venir.

Le six août de l’an 29, Notre Seigneur, prenant avec lui sur le Mont Thabor Pierre, Jacques et Jean, se transfigura devant eux ; c’est-à-dire ouvrit leurs yeux à l’éclat véritable de la nature humaine unie à Dieu. Mais Notre-Seigneur jouissant de la vision béatifique, cette gloire que les apôtres voyaient pour la première fois n’était pas un accident ajouté pour quelques minutes au corps de Jésus. Il était au contraire surprenant qu’on ne la vit point depuis la Nativité. Ce jour-là c’est un voile qui fut levé.

Ainsi les beaux-arts décèlent les assises naturelles de la gloire future dans la beauté de la création, les beautés de l’Amour, l’harmonie providentielle des âmes, des corps et des choses. Suivant la révélation de saint Paul, ils préparent le monde à la liberté de la gloire. L’art, surtout l’art chrétien, est chargé de lever le voile qui cache à l’esprit les grandeurs de l’esprit. Son œuvre n’est pas une simple imitation faite par jeu ; elle n’est pas non plus un pur symbole idéaliste, mais, pour l’accomplissement de nos destinées, elle est une transfiguration.

 

 

 

HISTOIRE

« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. » (Marcel François)

 

Lettre d’Adam Sedgwick[19] à Darwin [20]

 

Résumé : Sedgwick, ancien président de la Geological Society, enseignait la géologie à Cambridge, lorsque le jeune Darwin y étudiait en vue, tout d’abord de devenir pasteur. Un été, ils avaient parcouru ensemble les montagnes d’Ecosse. Trente ans plus tard, il était bien placé pour pressentir où menaient la thèse darwinienne d’une évolution machinée par la sélection naturelle et mue par le hasard : la réduction de l’homme à ses pulsions animales et l’anéantissement de toute authentique civilisation.

 

Cambridge, 24 décembre 1859

Mon Cher Darwin,

 

Je vous écris pour vous remercier de votre livre sur l’Origine des Espèces. Je l’ai reçu, ce me semble, dans les derniers jours de la semaine passée, mais il est possible qu’il soit arrivé quelques jours plus tôt, et qu’il ait été oublié parmi mes paquets de livres, car il s’écoule souvent quelque temps avant que j’ouvre les paquets, lorsque je suis paresseux ou occupé.

Dès que j’eus ouvert votre livre, je me mis à le lire et, après un grand nombre d’interruptions, je l’ai terminé Mardi.

Voici l’emploi de ma journée d’hier : 1° j’ai dû préparer ma leçon ; 2° assister à une réunion de mes confrères, afin de discuter la proposition finale des commissaires parlementaires ; 3° faire ma leçon ; 4° entendre la conclusion de la discussion, et la réplique du collège à la suite de laquelle, selon mes désirs, nous avons accepté la proposition des commissaires ; 5° dîner avec un vieil ami à Clare College ; 6° assister à la réunion hebdomadaire du Ray Club : j’en suis sorti à 10 heures du soir, fatigué comme un chien et à peine capable de grimper mon escalier. Enfin j’ai parcouru le Times, afin d’être au courant de ce qui se passe dans ce monde agité.

Je ne vous raconte pas ceci pour remplir un vide (bien que je croie que la nature en a réellement horreur), mais afin de vous prouver que je vous envoie ma réponse et mes meilleurs remerciements aussitôt que j’ai l’opportunité de ce faire : encore celle-ci est-elle limitée. Si je ne vous savais doué d’un bon caractère et de l’amour de la vérité, je ne vous dirais pas que (en dépit du grand savoir, de l’accumulation des faits, des vues remarquables sur la corrélation des diverses parties de la nature organisée, des suggestions admirables sur la diffusion, à travers les régions étendues, d’une foules d’êtres organisés alliés les uns aux autres), j’ai lu votre livre avec plus de peine que de plaisir. J’ai admiré sans restriction certaines parties, d’autres m’ont fait rire jusqu’à en avoir mal aux côtes ; j’en ai lu d’autres avec une profonde tristesse parce que je les crois erronées, d’autres encore m’ont causé un réel chagrin, parce que je les crois entièrement fausses et très nuisibles.

Après avoir pris au début la route qui mène à toute vérité physique solide, vous avez trahi la vraie méthode inductive[21]., et vous avez enfourché une machine aussi folle que la locomotive de l’évêque Willkins qui devrait, selon lui, nous transporter dans la lune.

Bon nombre de vos vastes conclusions sont basées sur des assertions qui ne peuvent être ni prouvées ni réfutées4 : : pourquoi alors les exprimer dans le langage et la disposition propres aux inductions philosophiques ? Quant à votre grand principe, la sélection naturelle, qu’est-ce sinon une conséquence secondaire de faits primaires supposés ou connus ? Développement serait un terme préférable, parce qu’il se rapproche davantage de la cause du fait. Car vous ne niez pas la causation.

J’appelle (dans l’abstrait) causation, la volonté de Dieu ; et il m’est facile de prouver qu’il agit pour le bien de ses créatures. Il gouverne aussi par des lois que nous pouvons étudier et comprendre. Agir d’après la loi et en vertu des causes finales, voilà en somme votre principe tout entier. Vous parlez de la sélection naturelle comme si elle opérait consciemment sous l’influence de l’agent qui choisit. Ce n’est qu’une conséquence du développement5 présupposé, et de la lutte subséquente pour l’existence. Vous établissez admirablement ce côté de la nature, qui, il est vrai, a été admis par tous les naturalistes, et que les personnes douées de sens commun ne sauraient nier. Nous admettons tous le développement comme un fait historique ; mais d’où provient-il ? Arrivés à ce point, nous sommes arrêtés net dans la langue aussi bien que dans la logique. Il y a dans la nature une composante morale ou métaphysique à côté de la part physique.

 

ce reproche que formulera Béchamp à l’encontre du transformisme : « On suppose toujours, et de supposition en supposition on finit par conclure sans preuves » (Sur l’état présent des rapports de la science et de la religion au sujet de l’origine des êtres vivants organisés, Lille, Quarré, 1877, p.9)

  1. Selon l’épistémologie actuelle, inspirée de Karl Popper, la « réfutabilité » est un critère nécessaire permettant de qualifier une théorie de « scientifique ». A l’évidence il ne peut s’appliquer au darwinisme, théorie « purement langagière – non mathématisée » selon les termes du mathématicien René Thom (« Pour ou contre Darwin« , science n°1, n°4, p.57)
  2. On dirait aujourd’hui « l’évolution », mais Darwin n’employait pas le mot dans ce sens.

L’homme qui nie cela s’enfonce dans les marais dela folie. La couronne et la gloire de la science organique, c’est qu’au moyen des causes finales elle unit l’ordre matériel à l’ordre moral, et elle ne nous permet cependant pas de confondre ces deux ordres dans notre première conception des lois, ni dans notre classification de ces lois , que nous considérions l’un ou l’autre de ces côtés de la nature. Vous avez ignoré ce lien, et il me semble même, si je vous comprends bien, que tous vos efforts, dans deux ou trois cas capitaux, tendent à le briser.

S’il était possible d’anéantir ce rapport (Dieu soit loué, cela ne se peut !), il en résulterait pour l’humanité, selon moi, un mal qui pourrait la rabaisser à l’état de brute et l’enfoncer à un degré de dégradation plus grand que tous ceux qui nous ont été signalés par les annales de l’histoire. Prenons le cas des cellules des abeilles. Si votre développement produisait la modification successives de l’abeille et de ses cellules (ce qu’aucun mortel ne peut prouver), la finalité tiendrait bon en tant que cause dirigeante sous l’influence de laquelle les générations successives ont agi et se sont graduellement perfectionnées.

Il y a dans votre livre certains passages, comme ceux auxquels j’ai fait allusion (il en est d’autres presque aussi mauvais) qui ont très vivement choqué mon sens moral. Je crois que, dans vos hypothèses sur la descendance organique, vous attribuez trop d’importance aux preuves géologiques, et pas assez lorsque vous parlez des anneaux brisés de l’arbre généalogique de la nature. Mais j’ai noirci presque tout mon papier et il me faut aller à mon amphithéâtre. Pour finir donc, j’ajouterai que le chapitre final me déplaît fort, non comme résumé, – car à ce point de vue je le trouve bon,- mais je n’en aime pas le ton de confiance triomphante avec lequel vous en appelez à la jeune génération (j’ai déjà reproché ce ton à l’auteur des Vestiges), ni la prophétie de choses qui ne sont point encore dans le sein du temps, et qui ne se trouveront jamais que dans l’imagination fertile de l’homme (si nous nous en rapportons à l’expérience accumulée du sens humain et aux inductions de la logique).

 

Et maintenant, pour terminer, un mot sur un fils de singe qui est en même temps un de vos vieux amis : je dirai que je suis mieux, beaucoup mieux que l’année dernière. J’ai fait mes leçons trois fois par semaine (autrefois j’en faisais six), sans trop de fatigue ; mais la perte de ma mémoire, de mon activité, l’amoindrissement de ma puissance de production me prouvent que mon corps terrestre s’affaiblit et s’incline lentement vers la terre. Mais j’ai des visions du futur. Elles font partie de moimême, aussi bien que mon estomac ou mon cœur, et leur réalisation, c’est la jouissance intense de tout ce qu’il y a de meilleur et de plus grand.

Mais ceci à une seule condition, c’est que j’accepte avec humilité la révélation de Dieu faite par ses œuvres et sa parole, et que j’agisse de mon mieux pour me conformer à cette connaissance ; ce à quoi lui seul peut m’aider. Si nous agissons tous deux ainsi, nous nous retrouverons au ciel.

Je vous écris précipitamment, mais avec un esprit d’affection fraternelle : ainsi donc, pardonnez-moi les phrases que vous n’aimerez pas, et croyez-moi, en dépit de nos divergences sur quelques points du plus profond intérêt moral, votre vieil ami du fond du cœur.

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Une convocation chez le Major Le Serviteur de Dieu Alexandre

 

Présentation : Après avoir narré deux épisodes caractéristiques de la vie de P. Arsenié durant son deuxième séjour au Goulag (cf. Le Cep n°12 et n°13), l’auteur conclut cette série par les entretiens de P. Arsenié avec le chef du camp, le major Abrassimov, récemment dégradé et relégué par Staline dans la lointaine Sibérie. On y mesure la fragilité de la frontière qui, dans l’empire totalitaire, sépare l’enceinte barbelée du camp (la « zone ») et l’ensemble du territoire soviétique, cerné par le rideau de fer et que les anciens déportés appelaient « la grande zone ».

 

Le surveillant vient fréquemment pour faire des histoires à tous propos, pendant que Père Arsénié nettoie le baraquement vide et surveille les poêles. Il se montre aujourd’hui particulièrement féroce : il frappe Père Arsénié au visage, jure de façon odieuse et essaie de l’épouvanter. Et le soir, Père Arsénié reçoit une convocation à comparaître devant le major.

Chacun sait qu’être convoqué la nuit est de mauvais augure. Des rumeurs circulent qu’un nouveau major a été nommé chef du camp spécial. Cela terrifie tous les prisonniers. Un appel au « secteur spécial » n’est pas une bonne chose. Cela signifie habituellement que les officiers du camp vont essayer de vous faire admettre quelque chose, ou bien veulent faire de vous un « collaborateur secret » (un mouchard). Si vous refusez, il vous battent sauvagement. Les prisonniers sont toujours battus durant les interrogatoires. La seule fois où ils ne vous battent pas, c’est lorsqu’ils vous annoncent la prolongation de votre sentence. Les prisonniers craignent le secteur spécial. Environ 25 personnes y travaillent. Beaucoup de travailleurs du secteur spécial boivent abondamment. Ils savent comment interroger, comment torturer. « Vous admettrez tout », disent-ils.

Père Arsénié est reçu par un jeune lieutenant. Cela commence comme d’habitude : prénom, nom patronymique, nom de famille, le chef d’accusation accompagné de cris : « Nous connaissons tout ! ». Ensuite, des menaces. Après, l’on entend toujours : « Maintenant, reconnaissez que vous diffusez de la propagande dans le camp ! »

Père Arsénié répond à toutes les questions habituelles ; il est à présent silencieux, il prie. Le lieutenant jure, bat la table avec le poing, menace et se lève soudain, lui disant : « Nous te conduisons chez le major, tu parleras ! » et, tout en maudissant, il quitte le local. Il revient dix minutes plus tard pour conduire Père Arsénié chez le major, le chef du secteur spécial. Père Arsénié, connaissant les lois du camp, comprend que cela n’augure rien de bon.

« Laissez-nous! » dit le major en prenant le dossier de Père Arsénié. Le lieutenant s’en va. Le major se lève, ferme soigneusement la porte, retourne à son bureau, s’assied et commence à consulter le dossier. Père Arsénié est debout et prie :

  • « Seigneur, aie pitié de moi, pécheur« . Le major, ayant fini de parcourir le dossier, lui dit d’une voix claire et agréable :
  • « Asseyez-vous, Piotr Andreyevitch. C’est moi qui vous ai appelé ici« . Père Arsénié s’assied, répétant silencieusement :
  • « Seigneur, aie pitié de moi ! Je mets ma confiance en Toi« , pensant à cet instant : « Cela va commencer maintenant. »

Le major ayant à nouveau examiné le dossier de Père Arsénié et contrôlé la photographie, déboutonne sa veste en retire un petit morceau de papier. Il le donne à Père Arsénié en lui disant :

  • « C’est pour vous, de la part de Véra Danilovna. Elle vit et est en bonne santé. Lisez-le ! »

« Cher Père Arsénié« , lisait-on, « la miséricorde de Dieu est infinie. Il vous a gardé en vie. N’ayez peur de rien ! Gardez confiance. Continuez à priez pour nous pécheurs. Dieu a préservé beaucoup d’entre nous. Priez pour nous. Véra« .

Cette lettre le surprend. La moniale Véra est son enfant spirituel le plus proche. C’est bien son écriture. Il ne peut y avoir aucun doute sur l’auteur de cette lettre. Il le sait parce qu’il était convenu que, s’ils pouvaient s’écrire, ils devraient faire une faute d’orthographe dans le mot « prier ».

« Seigneur, je Te remercie pour ce don de me faire connaître comment se portent mes enfants, je Te remercie pour Ta Miséricorde ! » pense Père Arsénié. Le major lui prend ensuite la lettre des mains pour la brûler. Tous deux sont silencieux. Père Arsénié est abasourdi et très ému. Il ne comprend pas ce qui se passe.

Le major est silencieux parce qu’il comprend l’état de choc dans lequel se trouve Père Arsénié. Il regarde la personne lui faisant face, un vieil homme avec une fine barbe, la tête rasée, vêtu d’une vieille veste en coton rapiécée et d’un pantalon rembourré usé.

Ayant étudié le dossier du Père Arsénié, le major sait qu’il s’agit d’un cas « sérieux ». La famille du prisonnier compte un savant réputé, et lui-même, diplômé de l’Université de Moscou, est connu en Union Soviétique comme à l’étranger en tant que brillant historien de l’art. Il est l’auteur d’études renommées sur l’art et l’architecture de l’ancienne Russie. Il est actuellement hiéromoine, pasteur d’une importante communauté religieuse qui ne s’est pas dispersée comme les autorités l’avaient espéré, même après l’arrestation du Père. Ce vieil homme debout devant lui, il y a longtemps, quand il vivait librement dans le monde, a su comment combiner une foi profonde et un esprit scientifique sérieux. Dans ses livres, il a parlé de la beauté de son pays et demandé à ses lecteurs de l’aimer. Maintenant le major voit que tout cela est mort dans l’homme assis en face de lui. Il a été écrasé et brisé. La mort est sur lui. C’est à la demande de son épouse -que le major aimait sans restriction et à qui il prêtait toujours attention – et à la demande de Véra Danilovna (d’un grand secours à son épouse et à sa fille par le passé), qu’il est amené à passer une lettre à un prisonnier, acte fort dangereux.

Véra Danilovna est médecin et il se fait que la vie de plusieurs personnes proches du major a été sauvée par son dévouement et par ses soins. Dans un camp où chacun surveille l’autre dans l’espoir d’informer l’administration à tout propos, il est extrêmement dangereux pour le major d’agir ainsi. Mais il y a encore une autre raison pour laquelle il désire établir un contact avec Père Arsénié.

Père Arsénié prie avec une telle intensité qu’il semble séparé du monde qui l’entoure, mais soudainement il lève les yeux vers le major et lui dit :

– « Je vous remercie de m’avoir apporté cette lettre. Je vous remercie au nom du Seigneur ! »

Le major fixe les yeux du Père Arsénié; et il découvre maintenant qu’il a devant lui, non pas un vieil homme décrépit, mais une personnalité extraordinaire que les années passées au camp n’ont pas brisée.

Au contraire, elles ont renforcé la puissance de son esprit. Les yeux de Père Arsénié brillent avec une lumière et une puissance que le major n’a jamais vues. Et dans cette force et cette lumière, on peut voir une douceur infinie et une connaissance profonde de l’âme humaine.

Le major pressent aussi qu’il suffit que Père Arsénié regarde quelqu’un ou dise quelque chose pour que tout soit dit. Les yeux de Père Arsénié peuvent percevoir les moindres retranchements de l’âme d’une personne et lire ses pensées. Sa foi a une puissance sur les autres et semble rayonner visiblement de sa personne. Le major comprend que cet homme ne va pas lui demander pourquoi lui, le nouveau chef désigné de ce camp, a osé lui passer ce mot.

Père Arsénié fixe quelque chose au-dessus et juste à côté du major. Il se lève, fait à plusieurs reprises le signe de la Croix, et s’incline devant quelqu’un. Le major se lève également, car il voit en ce moment, non pas un vieil homme dans une veste rapiécée et un pantalon usé, mais un prêtre revêtu des ornements sacerdotaux accomplissant l’office des prières à Dieu.

Le major hausse les épaules devant cet événement inattendu et incompréhensible, et se rappelle alors quelque chose qu’il a oublié depuis longtemps. Il se rappelle le temps de sa petite enfance où sa mère avait l’habitude de l’emmener prier dans une petite église de campagne en bois, les jours de grande fête. Immédiatement, un sentiment délicieux et doux s’empare de son âme. Père Arsénié s’assied et le major voit à nouveau devant lui un vieil homme épuisé, mais dont les yeux irradient encore de lumière.

Le major lui dit : « Piotr Andreyevitch ! Ils m’ont envoyé travailler ici. J’ai découvert que vous y étiez. De passage à Moscou, je l’ai raconté à Véra Danilovna. J’ai décidé de vous apporter ce message. Je désire également vous demander d’aider un homme qui vit dans votre baraquement, je… » et le major s’interrompt brusquement.

« Je comprends, je comprends ! Bien sûr, j’aiderai Alexandre Pavlovitch Avsenkov. Je lui transmettrai ce que vous me confierez. Je comprends que c’est difficile pour vous ici, Serge Petrovitch ; vous n’êtes pas habitué à votre nouveau travail. Il est très difficile de s’habituer à cette vie ».

« Tant de choses affreuses se produisent ici ! Soyez aussi compatissant que vous le pourrez, et cela sera déjà une aide pour les prisonniers.« 

-« Oui, c’est difficile ! C’est difficile partout maintenant, c’est la raison pour laquelle j’ai abouti ici. Mon cœur pleure quand je vois ce qui se passe autour de moi. Les gens sont suivis, ils se dénoncent mutuellement, des instructions secrètes sont données et elles se contredisent. Je fais ce que je peux, mais c’est à peu près inutile. Je suis honteux de l’admettre, mais j’ai peur pour moimême ».

« Le surveillant Pupkov n’arrête pas d’envoyer des rapports à votre sujet ; de toute évidence, il ne vous aime pas. Nous le remplacerons par quelqu’un de plus convenable. C’est pénible pour vous, Piotr Andreyevitch, mais comme je l’ai dit, je ne peux pas vous aider beaucoup. Je vais quand même essayer. Je vous ferai venir par l’intermédiaire de Markov, celui qui vient de vous interroger. C’est un homme difficile, plein de suspicion. Je lui demanderai de vous surveiller spécialement et, après vos interrogatoires, de vous conduire chez moi. Ne vous inquiétez pas, la surveillance spéciale ne sera pas retranscrite dans votre dossier ».

« Dites à Alexandre Pavlovitch que le Général Abrossimov a été dégradé au rang de major. Beaucoup de gens en haut lieu se souviennent encore d’Alexandre Pavlovitch Avsenkov, mais il est extrêmement difficile de l’aider. Plusieurs se sont rendus chez Staline pour demander son relâchement, mais il a seulement dit : « Laissez-le au camp pour un temps ! » Entre-temps, l’homme qui occupe le poste d’Avsenkov essaie de se débarrasser de lui pour de bon, afin de rester en place. Alexandre Pavlovitch connaît beaucoup de choses, c’est un véritable idéaliste, il est franc et sans détours. Ce genre de personnalité est détestée dans les rangs. Ils veulent qu’il soit fusillé, mais Staline n’a pas donné l’ordre final. C’est ainsi que les subordonnés de Staline essaient de se débarrasser de lui de façon non officielle par l’intermédiaire de criminels du camp. Une rumeur circule qu’il a été demandé à Ivan le Brun[22] de se débarrasser de lui d’une façon ou d’une autre ».

« Veuillez transmettre à Alexandre Pavlovitch ce mot de sa femme. Cela lui apportera un soutien moral.

Aidez-le. Dites-lui de se méfier de Savushkine ; il essaie de trouver des accusations à monter contre lui. Il vit également dans votre baraquement« .

« Bien. Maintenant, vous devez signer le compte-rendu de notre entretien. Je le retranscrirai plus tard« . Père Arsénié signe une feuille blanche et dit : « Retranscrivez ce que vous devez. » Le major se lève, se dirige vers Père Arsénié et, le prenant par les épaules, dit : « S’il vous plaît, souvenez-vous de moi ! ».

Empli d’impressions et d’émotions et louant Dieu sans cesse, Père Arsénié retourne vers son baraquement et se couche sur son lit, fatigué de tout ce qu’il vient de vivre.

Tous les prisonniers dans le baraquement ont poussé un soupir de soulagement. Il semblait que Père Arsénié ne reviendrait jamais. En se couchant, il récite les prières et des psaumes d’actions de grâces pour remercier Dieu en répétant : « Seigneur, je Te glorifie dans Tes œuvres. Je Te remercie de m’avoir montré Ta Miséricorde. Aie pitié de moi, Seigneur!« 

Il existe une règle au camp : après que quelqu’un a été interrogé ne l’approchez pas. Ne lui demandez rien. La personne racontera si elle le désire. Si vous insistez quand même pour demander, vos camarades peuvent devenir suspicieux. Ils peuvent penser que vous craignez que votre nom soit apparu durant l’interrogatoire.

Père Arsénié n’a pas dormi cette nuit-là ; il s’est réjoui de la miséricorde de Dieu. Père Arsénié Le glorifie et prie la Mère de Dieu. Au matin, il se lève et commence son travail quotidien avec un cœur léger.

Le matin, Pupkov entre rapidement dans le baraquement, regarde autour de lui et dit : « Ainsi, pope, ils ne t’ont pas achevé hier ? Ils le feront ! » Et il s’en va en riant.

Dans la soirée, quand les prisonniers sont rentrés chez eux, Père Arsénié dit à Avsenkov :

  • « Je ne sais pas briser ces bûches seul, elles ne seront pas prêtes à temps. S’il te plaît, aide-moi ! » Il reste à peu près une heure avant l’appel au rôle.

Les projecteurs illuminent déjà en avant et en arrière sur le sol. Le ciel devient noir et Père Arsénié dit à Avsenkov :

  • « Je te passerai les bûches, entre-temps prends ce mot, lis-le et avale-le. Je te raconterai tout plus tard. » Etonné, Avsenkov demande :
  • « Quel mot ?« 

Père Arsénié lui glisse alors le mot que le major lui avait remis. Avsenkov le saisit et commence à trancher les bûches avec le cognée en bois. Ensuite, comme pour vérifier une bûche sous la lumière, il commence à lire le mot. Il le lit une fois, deux fois et les larmes coulent le long de son visage. Père Arsénié chuchote :

  • « Avale ce billet et essaie de te maîtriser. »

Pendant le travail, Père Arsénié parvient à lui raconter ce qu’Abrossimov a dit : qu’il a été dégradé de général à major, que les amis d’Avsenkov désirent aider, mais que cela leur est extrêmement difficile , et qu’il y a des manœuvres pour se débarrasser de lui.

  • « Piotr Andreyevitch, Père Arsénié ! Je ne crois pas en Dieu, mais maintenant je commence à croire. Je dois simplement croire. J’ai reçu une lettre de ma Katia, de mon épouse, et il y a là un mot d’un ami qui m’est cher, une personne importante. Il désire aider tout en sachant que si quelqu’un trouve ce billet, ce sera la fin pour lui. Il y a encore des gens honnêtes et sincères même en dehors des camps ; ils ne sont pas tous enfoncés dans la saleté. Katia me dit qu’elle prie Dieu pour moi. Elle prie probablement bien, parce qu’ici vous m’aidez. Vous gardez mon cœur au chaud, vous ne me laissez pas seul avec mes pensées. Et pas seulement moi. Vous aidez tant de gens. Regardez ce qui s’est passé avec Sazikov, un homme aussi cruel et aussi redoutable, voilà maintenant qu’il est plus doux : il vous écoute et a confiance en vous pour tout. Vous ne vous apercevez même pas de cela, moi si. Je crois maintenant : votre Dieu fait tout à travers vos mains. Je ne sais si je deviendrai jamais un vrai croyant, mais je sais maintenant, je vois que Dieu existe ! »

Ils transportent les bûches. Dès que Sazikov [23]les voit, il saute de son lit et commence à les aider.

Plus tard, Père Arsénié rapporte sa conversation avec le major à Sazikov et le fait que Moscou a l’intention de se débarrasser d’Avsenkov entre les mains des criminels.

Père Arsénié appelle Sazikov non Ivan mais Séraphim, son véritable nom. Il ne se soucie pas que Sazikov puisse rapporter cette conversation, parce qu’il a beaucoup changé.

  • « C’est une situation inhabituelle« , dit Sazikov ; « oui, nous aiderons. Nous protégerons Alexandre Pavlovitch. C’est un homme bon, un homme digne. Nous le protégerons, ne vous inquiétez pas. Nous avons des manières parmi nous. Je le dirai à mes gens. Nous le protégerons. »

 

La vie continue

 

L’hiver touche à sa fin et voici le printemps. De plus en plus de prisonniers sont malades et meurent. L’hôpital du camp est tellement plein que les malades doivent rester dans leur baraquement. Père Arsénié est très faible, mais il accomplit ses tâches comme auparavant. Le temps devient plus chaud, mais humide aussi – les baraquement doivent être chauffés comme en hiver afin que les murs et les habits ne moisissent pas.

Epuisé, pratiquement incapable de marcher, Père Arsénié continue à aider tout le monde autant qu’il le peut. Son aide est toujours chaleureuse et touche profondément les gens. Il n’attend pas qu’on l’appelle. Il semble toujours savoir où son aide est nécessaire et, après l’avoir donnée, il s’en va silencieusement, n’espérant jamais être remercié.

Comme promis, le major a remplacé le surveillant Pupkov. Le nouveau n’est pas très loquace, il est sévère mais juste. Les prisonniers commence à l’appeler « l’impartial ». Strict à propos des règles à observer – et particulièrement exigeant pour la propreté – il ne frappe jamais les gens et ne jure que rarement.

Maintenant, l’été très court achève sa boucle tortueuse. Des nuages de moustiques créent l’inconfort et encore la maladie à travers le camp.

 

 

Les baraquements ne doivent plus être chauffés, mais Père Arsénié, en considération de son âge, n’a pas été envoyé aux travaux de terrassement. Son travail consiste à nettoyer le baraquement et ses alentours et à vider les fosses des latrines.

Père Arsénié a été convoqué au secteur spécial à deux reprises. La première fois, il a été interrogé par Markov sans être envoyé chez le major. Après le second interrogatoire, le major, visiblement soucieux et nerveux, lui dit :

– « C’est une époque difficile. Les règlements sont plus stricts, chacun surveille son voisin. Je suis un personnage important, ils me craignent tous ; mais je suis incapable de vous aider. Je n’ai pas de personnes fiables sous mes ordres. Je ne sais pas quand j’aurai l’occasion de vous revoir à nouveau. J’ai peur. Ni vous, ni Alexandre Pavlovitch ne quittez jamais mon esprit. Donnez-lui ce message, et dites-lui que l’on pense à lui à Moscou. Maintenant signez le procès- verbal de notre entretien. Je l’ai écrit avant que vous ne veniez. »

Père Arsénié passe le message à Avsenkov, ce qui lui remonte à nouveau le moral.

 

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(Ce récit rapporté par Avsenkov, Abrossimov, Sazikov et a été complété de quelques notes laissées par le Père Arsénié.)

 

 

 

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LES DESSOUS DE LA

PREHISTOIRE

 

 

Le

Néandertalien

de la

ménagerie à

l’imagerie

Dr Pierre-Florent

Hautvilliers

 

 

Résumé : Après l’avoir évoqué dans différents numéros du Cep, l’auteur revient encore sur l’homme de Néandertal suite à l’exposition proposée en 2000 par le Musée national de Préhistoire des Eyzies de Tayac (Dordogne). Il apporte plusieurs précisions intéressantes sur les raisons qui ont poussé les préhistoriens à réhabiliter et à réhumaniser cet Homo neandertalensis.

 

Nous avons signalé dans le numéro 11 du Cep cette exposition sur l’homme de Néandertal, qui visait à le réhabiliter, et dans sa représentation, et dans sa civilisation.

Bien que toujours considéré comme distinct du Cro-Magnon, l’ancêtre de l’homme moderne, l’homme de Néandertal commence à être reconnu comme un « homme » à part entière, doté d’un aspect humain et possédant sa propre civilisation et ses rites funéraires. Il n’est donc plus cette espèce de brute sortant de l’animalité dont une imagerie grotesque nous abreuvait jusqu’à la nausée depuis un siècle, en particulier depuis les années 1950.

Dans un premier temps, on pourrait croire à un élan de sincérité de la part des organisateurs de cette exposition (dont le titre exact est : « Néandertal vu par Cro-Magnon) qui entre maintenant dans sa deuxième année, avec pour objectif de faire passer l’information (de la réhabilitation humaine de l’homme de Néandertal) le plus largement auprès du public et des touristes, en sortant l’exposition du musée et en la rendant gratuite.

Cependant, pas de publicité ; on reste discret : il faut passer devant le « local d’information sur les sites préhistoriques » de la région pour apercevoir l’affiche qui vous invite à visiter l’exposition située dans une salle annexe.

Voici le texte de cette affiche :

 

« L’évolution de l’imagerie de l’homme de Néandertal du XIXème siècle à nos jours« .

 

Le Néandertalien est certainement un des hominidés dont l’image a le plus évolué.

Il a été considéré :

  • comme Homme-singe ou Homme-sauvage,
  • comme le premier homme fossile presque identique aux hommes modernes,
  • enfin comme premier homme fossile bien distinct de l’homme moderne.

Mais c’est essentiellement l’imagerie réductrice d’un être primitif et brutal qui reste la plus fréquente dans l’esprit du public. La communauté scientifique a donc un travail important de diffusion des connaissances actuelles. »

En fait, en parcourant l’exposition, munis de la feuille explicative, on constate que cette exposition n’est guère motivée par le soucis de démentir les erreurs d’interprétation des restes humains néandertaliens, mais par la nécessité de remanier, dans le cadre évolutionniste (sans alternative possible) , la lignée humaine mise à mal par la découverte, dans les années 1970, d’hominidés datés de 3 millions d’années.

Or, la paléontologie humaine n’est toujours pas en mesure de trouver des intermédiaires entre l’homme et le singe sur toute une période de 500.000 ans. Devant ce vide, le Néandertalien permet seul d’assurer un pont évolutif entre l’Homo-erectus et le CroMagnon. Mais à deux conditions : reculer son origine dans le temps, et l’humaniser pour en faire l’intermédiaire cherché, au lieu du point de départ qu’il avait été.En repoussant l’apparition du Néandertalien de –150.000 à – 600.000 ans on résout aussi le problème posé par l’analyse génétique (cf. Le Cep n°6) le Néandertalien n’ayant pas évolué sur cette période.

Quant à l’aspect de notre Néandertalien, les paléontologistes tiennent le raisonnement suivant : puisque l’on a trouvé des « Homo erectus » contemporains des australopithèques, lesquels sont datés officiellement autour de 3 millions d’années, l’homme de Néandertal – qui est beaucoup plus jeune – est forcément bien plus humain que ce qui était affirmé depuis longtemps ! Il ne peut plus être cet sorte d’homme-singe que se plaisait à présenter le professeur Boule au début du XXème siècle.

En fait, on assiste à un reclassement de l’homme de Néandertal (de sa place supposée d’une ascendance simiesque rapprochée, qu’il cède à un Homo erectus africain), avec nécessité d’un « lifting », d’une modernisation de sa silhouette et de son visage ! On le redresse, on allonge un peu ses jambes, son profil devient plus humain. Il perd définitivement son allure d’homme-singe, pour devenir un « homo-cousin » pour nous. Curieusement, aucune découverte, aucun nouvel ossement, aucun nouveau montage d’articulation des membres inférieurs du Néandertal, ne justifie de remettre en cause l’allure simiesque imposée depuis un siècle… seulement une analyse génétique nous le classe maintenant comme un « cousin » qui se serait éteint il y a quelques 35.000 ans.[24]

Il ne s’agit pas de reconnaître une erreur de conception de la paléontologie humaine, encore moins d’un « mea culpa », mais d’une nouvelle stratégie, d’une adaptation tactique. Cela prouve bien l’omniprésence d’une l’idéologie sous-jacente qui dicte l’interprétation scientifique.

Si donc l’homme de Néandertal s’humanise, c’est pour pouvoir mieux faire accepter une évolution de l’homme à partir de l’Australopithèque ! Curieux tour de passe-passe qui consiste à donner à l’Homo erectus ce que l’on a pris au Néandertal !

Autrement dit, un bobard en remplace un autre !

 

 

 

Sous cette soudaine apparence de sincérité, se cache un aveu indirect : tout le corps scientifique avait trompé son monde depuis près d’un siècle, au minimum2.

C’est vers les années 1970 qu’il se serait rendu compte de ses erreurs, à partir des découvertes des australopithèques (dont Lucy est le porte parole remarquable…), et c’est seulement maintenant, trente ans plus tard, que, timidement il essaie de rétablir partiellement la vérité, en déclarant que cela serait long et difficile à cause de l’image rétrograde qu’en possède le public [25]… Mais qui est à l’origine de cette imagerie grotesque ?.. Qui l’a vulgarisée avec complaisance depuis si longtemps ?.. Les paléontologues et les préhistoriens d’alors n’en sont-ils pas complices et responsables ?

 

 

2 Il est vrai qu’avant les années 1950, il y avait en fait sous ce vernis scientifique de préhistoire, qui comporte des noms connus, un amateurisme affligeant que personne ne pouvait apercevoir ou contrôler tant le milieu était solidaire et fermé. Nous pourrions citer des témoignages de personnes ayant eu de hautes responsabilités dans le domaine de la préhistoire, il y a 20 à 30 ans, qui se sont insurgées contre des pratiques de fouilles sans aucune de rigueur ou qui ont voulu publier des monographies d’outillages préhistoriques avec une interprétation allant à l’encontre de ce qui était alors enseigné mais à laquelle on se range maintenant. Ces personnalités, par leur franc parler, avaient vu leur avenir professionnel fortement compromis.

L’autre aveu de cette hypocrisie se trouve dans le fait qu’on ne trouve pas un seul reproche, ni même une seule allusion aux travaux « orientés » par l’idéologie évolutionniste du Professeur Boule, de son école et de ses contemporains et sur les erreurs d’interprétations des paléontologistes humains avec leurs reconstitutions aberrantes accompagnées d’une image avilissante de l’homme de Néandertal[26].

C’est en fait une fuite en avant qui présente l’évolutionnisme, quelle que soit la variante, comme étant la seule interprétation possible de la préhistoire, alors que sur le plan scientifique, cette théorie, -qui n’est qu’une théorie-, est battue en brèche par toutes les découvertes en science fondamentale. Le mur de l’évolutionnisme se lézarde, son écroulement s’annonce, et dure sera la chute.

Bien que d’une manière timide, l’Homme de Néandertal est enfin reconnu comme un « homme » à part entière ; il est vrai que les faits sont têtus et que l’on ne peut pas toujours les escamoter ou les contourner.

Mais, si cette exposition a le mérite d’être courageuse, on n’y remarque pas l’évidence de la sincérité, mais plutôt d’une certaine hypocrisie : pas de changement de stratégie, mais une adaptation tactique.

 

 

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Défense du Christianisme, par Marc Duchêne

 

Ce livre est un essai d’apologétique pour la période troublée que nous traversons, œuvre d’un laïc fidèle qui propose une synthèse engagée pour la défense d’une religion divine et humaine à la fois.

Outre les considérations théologiques et ecclésiologiques propres à l’auteur (avec lesquelles on sera ou non d’accord, mais qui ont le mérite de la clarté : Marc Duchêne est un ancien ingénieur qui va jusqu’au bout de son raisonnement), on notera la place décisive faite à la théorie de l’évolution. Marc Duchêne ne doute pas de l’historicité de la Bible et fait une utile recension des exégètes qui ont réagi contre la dérive moderniste. Il donne aussi en annexe un résumé des « Trente thèses contre l’évolutionnisme théiste » exposées par une philosophe thomiste américaine, Paula Haigh.

(Editions Blanc, 5 rue Picot, 83000 Toulon, 150 FF)

 

 

 

 

 

 

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SOCIETE

« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant.« 

(P. Le Prévost)

 

 

Histoire canadienne

 

Un jour, un vieux professeur de l’Ecole nationale d’administration publique (ENAP) fut engagé pour donner une formation sur la planification efficace du temps à un groupe d’une quinzaine de dirigeants de grosses compagnies nord-américaines. Ce cours constituait l’un des cinq ateliers de leur journée de formation. Le vieux prof n’avait donc qu’une heure pour « passer sa matière ».

Debout, devant ce groupe d’élite (qui était prêt à noter tout ce que l’expert allait enseigner), le vieux prof les regarda un par un, lentement, puis leur dit : « Nous allons réaliser une expérience« .

De sous la table qui le séparait de ses élèves, le vieux professeur sortit un immense pot Mason d’un gallon (pot de verre de plus de 4 litres) qu’il posa délicatement en face de lui. Ensuite, il sortit environ une douzaine de cailloux à peu près gros comme des balles de tennis et les plaça délicatement, un par un, dans le grand pot. Lorsque le pot fut rempli jusqu’au bord et qu’il fut impossible d’y ajouter un caillou de plus, il leva lentement les yeux vers ses élèves et leur demanda :

« Est-ce que ce pot est plein ? ».

Tous répondirent : « oui ! ».

Il attendit quelques secondes et ajouta : « Vraiment ? »

Alors, il se pencha de nouveau et sortit de sous la table un récipient rempli de gravier. Avec minutie, il versa ce gravier sur les gros cailloux puis brassa légèrement le pot. Les morceaux de gravier s’infiltrèrent entre les cailloux… jusqu’au fond du pot.

Le vieux professeur leva à nouveau les yeux vers son auditoire et redemanda : « Est-ce que ce pot est plein ? ». Cette fois, les brillants élèves commençaient à comprendre son manège.

L’un d’eux répondit : « Probablement pas ! » « Bien ! », répondit le vieux professeur.

Il se pencha de nouveau et, cette fois, sortit de sous la table une chaudière de sable. Avec attention, il versa le sable dans le pot.

Le sable alla remplir les espaces entre les gros cailloux et le gravier. Encore une fois, il demanda : « Est-ce que ce pot est plein ? »

Cette fois, sans hésiter et en chœur, les brillants élèves répondirent :

« Non ! »

« Bien ! », répondit le vieux professeur.

Et comme s’y attendaient ses prestigieux élèves, il prit le pichet d’eau qui était sur la table et remplit le pot jusqu’à ras bord. Le vieux professeur leva alors les yeux vers son groupe et demanda : « Quelle grande vérité nous démontre cette expérience ? »

Pas fou, le plus audacieux des élèves, songeant au sujet de ce cours, répondit : « Cela démontre que même lorsque l’on croit que notre agenda est complètement rempli, si on le veut vraiment, on peut y ajouter plus de rendez-vous, plus de choses à faire« .

« Non« , répondit le vieux professeur, « ce n’est pas cela. La grande vérité que nous démontre cette expérience est la suivante : si on ne met pas les gros cailloux en premier dans le pot, on ne pourra jamais les faire entrer tous, ensuite« . Il y eut un profond silence, chacun prenant conscience de l’évidence de ces propos.

Le vieux professeur leur dit alors : « Quels sont les gros cailloux dans votre vie ? »

« Votre santé ? »

« Votre famille ? »

« Vos ami(e)s ? »

« Réaliser vos rêves ? »

« Faire ce que vous aimez ? »

« Apprendre ? »

« Défendre une cause ? »

« Vous relaxer ? »

« Prendre le temps… ? »

« Ou… toute autre chose ? »

 

« Ce qu’il faut retenir, c’est l’importance de mettre ses gros cailloux en premier dans sa vie, sinon on risque de ne pas réussir… sa vie. Si on donne priorité aux peccadilles (le gravier, le sable), on remplira sa vie de peccadilles et on n’aura plus suffisamment de temps, précieux, à consacrer aux choses importantes de la vie.

 

Alors n’oubliez pas de vous poser à vous-même la question : « Quels sont les gros cailloux dans ma vie ? Ensuite, mettez-les en premier dans votre pot (vie)« .

D’un geste amical de la main, le vieux professeur salua son auditoire et lentement quitta la salle.

 

Bonne méditation !

Confession d’un psychothérapeute Dr William Coulson

 

Présentation : Le témoignage, triste mais plein d’enseignements, qu’on lira ci-dessous est extrait de la revue de l’Action Familiale et Scolaire[27]. Il reproduit la majeure partie d’un article américain publié dans « The latin Mass »[28] et traduit par M. Christian Bhavsar.

Le docteur William Coulson était un disciple de l’influent psychologue américain Carl Rogers, dont il a contribué pendant des années à appliquer la thérapie « non directive »3 .

En 1964, il devenait chercheur à l’Institut des Sciences du comportement (Western behavioral Sciences Institute) de Rogers à La Jolla (Californie), où ce fut, dit-il, sa tâche « de mobiliser des éléments propres à faciliter l’invasion de la communauté féminine IHM« [29] et ensuite de quelques deux douzaines d’ordres, dont les soeurs de la Pitié, les soeurs de la Providence et les Jésuites.

Ce ne fut qu’en 1971 qu’il commença à s’interroger sur sa croyance en la psychothérapie, quand les effets destructeurs de celle-ci sur les ordres religieux – et en général sur l’Eglise et la société – lui sautèrent aux yeux.

Ayant abandonné ses pratiques lucratives d’alors, le Dr Coulson consacre maintenant sa vie à donner des conférences à des groupes catholiques et protestants sur les dangers de la psychothérapie. Il est aussi le fondateur et directeur du Research Council on Ethnopsychology

Lui et son épouse Jeannie ont sept enfants. Dans cet interview par le Dr William Marrra, le Dr Coulson discute de son rôle dans la destruction d’ordres religieux et de son revirement ultérieur.

W.M. L’histoire commence par votre éducation universitaire, n’est-ce-pas ?

 

William Coulson – Eh oui ! je suis entré à l’université NotreDame à la fin des années 50 pour un doctorat en philosophie, et j’ai écrit ma thèse sur la théorie de la nature humaine selon Carl Rogers. Il y avait à l’époque une intéressante controverse pour savoir si Rogers, qui était sans doute le psychologue américain le plus éminent de sa génération, croyait que tout homme était foncièrement bon.

Ainsi, je voulus comparer Rogers avec Burrhus F. Skinner, le fameux behavioriste, et avec Sigmund Freud, le fondateur de la psychanalyse.

  • Arrêtons-nous ici. Etiez-vous catholique à l’époque ?
  • Oh, oui !
  • Et l’Université Notre-Dame était-elle catholique ?
  • Notre-Dame était catholique ! J’ai reçu une bonne formation en philosophie thomiste.
  • Ne vous est-il pas venu à l’esprit que, catholique croyant, vous ne pouviez pas adopter l’idée que l’homme est fondamentalement bon ?

Le péché originel n’avait-il aucun sens pour vous ?

  • Il ne m’appartenait pas de critiquer la théorie de Rogers. Je voulais me pénétrer de ce qu’il enseignait ; et après avoir lu tout ce qui me tombait sous la main, je le touchai à l’université du Wisconsin.
  • Je vois.
  • A cette époque, Rogers était à l’Institut psychiatrique de l’université du Wisconsin. Il avait obtenu une subvention des Instituts Nationaux de la Santé Mentale pour tester sa théorie du conseil non directif.
  • Maintenant, traduisez-nous cela en langage courant.
  • A l’Université de Chicago, où Rogers a accompli son oeuvre la plus significative, il avait découvert que les jeunes gens qu’il conseillait n’avaient pas en fait besoin qu’il leur donne des réponses, mais qu’ils détenaient en eux-mêmes des réponses.

Après coup, je comprends qu’il s’agissait là de jeunes brillants et bien élevés, car sinon ils n’auraient pu être admis à l’Université. Ils étaient capables de comprendre les choses, mais non de s’écouter penser, tant ils avaient toujours été sensibles à des gens qui leur disaient ce qu’il devaient faire.

Ainsi Rogers avait l’idée que pour soigner ces névrosés, nous devions les renvoyer à leur source interne d’autorité – autrement dit les adresser à leur conscience.

Notez l’hypothèse que les gens ont en fait une conscience !

(…).

  • Et donc, pour un thérapeute, il était sensé dire : « Eh bien, qu’en pensez-vous ? Utilisez vos propres convictions de fond » !
  • Mais Rogers n’aurait pas été directif au point de dire : « Appliquez vos convictions propres à la loi éthique ». Il aurait plutôt dit : « Je pense avoir l’impression que ce que vous dites est… ». C’est devenu une caricature depuis, bien sûr; cela fait rire mais c’était réellement le style de Rogers. Cela marchait. Il pouvait s’effacer devant les gens et les laisser en présence de leur conscience.

Vous voyez, en tant que catholique pratiquant, je pensais que c’était très orthodoxe : que Dieu était accessible à quiconque avait une éducation honorable, que chacun pouvait s’écouter, pour ainsi dire, et entendre Dieu lui parler. Je partageais l’idée de William James que la conscience peut donner accès au Saint-Esprit.

  • Qui était Rogers en tant que personne ?
  • Un être humain terrifiant. Nous avions coutume d’en faire un sujet de plaisanterie, néanmoins. Par exemple, quand j’eus l’occasion de lui serrer la main et d’exprimer ma joie de faire enfin sa connaissance, je dis : « Très heureux de vous rencontrer ». Alors il me regarda et dit : « C’est ce que je vois ». Evidemment, dans une conversation classique, on échange les amabilités d’usage : « C’est également un plaisir pour moi ». Mais Rogers pensait peut-être que je pouvais utiliser un peu de thérapie.

Cela marche, vous savez ; on y succombe assez facilement. Nous avons corrompu un tas d’ordres religieux sur la côte Ouest dans les années 60 en incitant les religieuses et les prêtres à parler de leur détresse.

  • Parlez-nous en. Ce peut être la confession franche du psychologue catholique William Coulson.

(…)

  • Une fois arrivé au Wisconsin, je m’associai à Rogers dans son étude de psychothérapie non directive pour gens normaux. Nous avions l’idée que ce qui était bon pour les névrosés était bon pour les gens normaux. Eh bien, les gens normaux du Wisconsin ont prouvé combien ils l’étaient, en refusant de jouer, dès qu’ils ont compris ce que nous voulions. Personne ne désirait essayer. Ainsi, nous passâmes en Californie.
  • Ce devait être le bon choix.
  • Je m’attendais à cette réflexion. Ce fut ma première erreur que de chercher des gens normaux en Californie. Mais nous trouvâmes les soeurs du Coeur Immaculé de Marie, les IHM. Elles consentirent à nous laisser pénétrer dans leurs écoles et travailler avec leur faculté normale et avec leurs étudiants normaux, donc à influencer le cours de la vie de famille catholique normale. Ce fut un désastre.
  • De quelle année parlez-vous en gros ?
  • 1966 et 1967. Il existe un livre sinistre, intitulé « Religieuses lesbiennes-Révélations« , qui étudie une partie de notre impact sur les IHM et les autres ordres qui firent des expériences analogues à ce que nous appelions « sensibilité » ou « rencontre « . Dans un chapitre du livre, une ex-religieuse du Coeur Immaculé décrit l’été 1966 quand nous réalisâmes l’étude-pilote dans son ordre.
  • « Nous » signifie vous et Rogers ?
  • Rogers, moi et par intermittence 58 autres, car nous étions 60 opérateurs. Nous avons inondé le système de philosophie humaniste. Nous l’appelions la thérapie pour gens normaux. Les IHM avaient quelques 60 écoles quand nous débutâmes ; à la fin il en restait une. Elles étaient environ 560 religieuses au commencement. Moins d’un an après nos premières interventions, 300 demandaient à Rome de les relever de leurs voeux. Elles ne voulaient plus être sous l’autorité de personne, sauf celle de leur impérial moi.

Suit un exemple de conduite scabreuse à laquelle la thérapie « non directive » a conduit deux religieuses IHM. L’une d’elles éprouve quelque remords et va trouver un prêtre. Mais celui-ci est déjà passé entre les mains de l’équipe Rogers… et renvoie la religieuse à sa conscience.

  • Mais pour atténuer votre culpabilité, Dr Coulson, les psychologues ne savent pas ce qu’ils font quand on en vient à ce qu’il y a de plus profond dans l’homme ; et on pourrait penser que l’Eglise catholique, elle, avec 2000 ans d’expérience, sait de quoi il retourne. Ce prêtre partage la culpabilité avec vous.
  • Si seulement il avait tout de suite traité le mal !… Mais il s’exprime comme Rogers : « Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? » et non pas  » qu’est-ce que cela signifie pour moi ? » ou pour Dieu ? Le prêtre ne savait plus où il en était dans son rôle de confesseur. Il le considérait comme personnel et il se consultait lui-même pour conclure : « Je suis dans l’incapacité de vous juger ».

Mais ce n’est pas cela la confession. Il ne s’agit pas du prêtre en tant que personne, prenant une décision pour le « patient », mais bien plutôt de ce que Dieu dit. En réalité Dieu a déjà jugé ce cas. Le prêtre aurait dû répondre : « Vous avez bien raison de vous sentir coupable » ; et ajouter : « Allez et ne péchez plus ». Au lieu de quoi, il lui a dit que c’était à elle de décider.

  • Bon, pourquoi avez-vous choisi d’abord l’ordre des IHM ? Ou bien vous ont-elles choisi ?
  • Eh bien, elles nous poussaient vraiment. Avant tout, elles étaient progressistes. Une parente éloignée d’un des collaborateurs de Rogers au Wisconsin était membre de la communauté.

A cette époque, nous étions à l’Institut des sciences du comportement de l’Ouest (WBSI) à La Jolla, qui est un faubourg de San Diego. En tant que catholique, je fus chargé d’exploiter cette relation. Je pris la parole à la conférence californienne des supérieures générales des ordres religieux féminins et je montrai un film de Carl Rogers faisant de la psychotérapie.

  • Et la réputation de Rogers avait déjà grandi?
  • Oh, oui. Rogers avait grande réputation. Il était ancien président de l’Association américaine de psychologie ; il avait remporté sa première récompense officielle « Distinguished Scientific Contribution Award ». Et le WBSI servait aussi d’accueil occasionnel à Abraham Maslow, l’autre grande figure de la psychologie humaniste.
  • Qu’entendez-vous par psychologie humaniste ?
  • Eh bien, on l’appelle aussi psychologie de la troisième force. Maslow s’y référait comme étant la Psychologie 3. Il voulait par là s’opposer à Freud, qui personnifie la Psychologie 1, et à Skinner et Watson, représentant le behaviorisme qui est la Psychologie 2.

Nous, catholiques, qui nous trouvions impliqués là, pensions que cette troisième force tiendrait compte des données catholiques. Autrement dit, elle tiendrait compte du fait que chaque personne est précieuse, que nous ne sommes pas tous aussi corrompus que Freud le voudrait, ni, comme une table rase, disponibles pour être conditionnés au gré des behavioristes ; mais nous avons plutôt -en tant que créatures humaines- vocation à la gloire éternelle, puisque nous sommes les enfants d’un Créateur qui nous aime et qui a, pour chacun d’entre nous, un dessein merveilleux.

  • Cela pouvait être séduisant même pour les catholiques qui pouvaient écarter les deux autres psychologies d’un revers de mains. Poursuivez maintenant l’histoire des IHM.
  • Comme je viens de le dire, elles étaient assez progressistes, mais certaines religieuses de la hiérarchie s’inquiétaient quelque peu de l’impact de la psychologie séculière venue de La Jolla. Aussi, je rencontrai presque toute la communauté, qui s’était rassemblée dans un gymnase de la High School du Coeur Immaculé à Hollywood, un jour d’avril 1967. Je déclarai: « Nous avons déjà réalisé l’étude-pilote. Maintenant, nous voulons vous intégrer dans le système de l’auto-exploration non-directive.

C’est ce que nous appelons groupe de rencontre, mais si le terme ne vous plaît pas, donnons-en un autre. Nous l’appellerons « groupe de personnes ».

Ainsi, elles nous donnèrent leur approbation et leur confiance, ce dont je suis en partie responsable, car elles pensaient : « Ces gens-là ne sauraient nous faire du mal : le coordonnateur du projet est catholique ». Rogers cependant était le principal artisan, le cerveau du projet et sans doute était-il anti-catholique ; à l’époque, je ne le comprenais pas, probablement parce que je l’étais moi aussi.

 

 

Tous deux nous avions une prévention contre la hiérarchie. J’étais en phase avec Vatican II et je pensais : « Je suis l’Eglise ; je suis aussi catholique que le Pape. Le Pape Jean XXIII n’a-t-il pas voulu qu’on ouvrît les fenêtres pour prendre l’air ? Nous voici ! ». Nous nous mîmes au travail et, en un an, ces religieuses voulurent renoncer à leurs voeux.

  • Comment avez-vous fait, seulement avec des conférences ?
  • Oui, il s’agissait de conférences et nous avons organisé des ateliers pour leur faculté, uniquement pour les volontaires. Nous ne voulions forcer personne à ce processus, ce qui soulignait avec éclat combien nous étions bons.
  • Mais, au départ, vous avez eu une session plénière pour la communauté.
  • Il s’agissait de ma conférence. Je leur dis ce que nous voulions faire et leur montrai un film sur un groupe de rencontre, qui semblait très digne. Les gens de ce film paraissaient meilleurs à la fin de la session qu’au début ! Ils étaient plus ouverts, moins trompeurs, ils ne cachaient plus les opinions qu’ils avaient les uns des autres ; s’ils ne s’aimaient pas, ils étaient portés à le dire, et de même s’ils ressentaient une attirance mutuelle.

Rogers et moi fîmes une cassette résumant ce projet ; je parlai de certains effets à court terme et j’affirmai que quand des gens font ce qu’ils veulent profondément faire, ce n’est pas immoral. Eh bien, nous n’avions pas attendu assez longtemps. Le livre sur les religieuses lesbiennes, par exemple, n’était pas encore sorti, nous n’avions pas encore reçu de rapports sur l’épidémie de cas de séduction en psychothérapie, qui devint virtuellement monnaie courante en Californie. Nous avions entraîné des gens qui n’avaient pas la discipline innée que son éducation fondamentalement protestante donnait à Rogers. Ils pensaient qu’être eux-mêmes signifiait laisser libre cours à la libido.

Maslow ne nous avait pas mis en garde là-contre. Il croyait au mal, mais nous non. Il disait que notre problème tenait à notre erreur totale sur le mal. C’est une citation du journal de Maslow, qui survint trop tard pour nous arrêter. Son journal sortit en 1979 et nous avions alors accompli nos ravages.

Maslow considérait comme dangereuse notre façon de penser et d’agir comme s’il n’y avait dans le monde ni paranoïdes, ni psychopathes, ni salopards pour provoquer le gâchis.

Nous créâmes un modèle réduit de société utopique, le groupe de rencontre. Tant que Rogers et ceux qui craignaient son jugement restèrent présents la situation fut correcte, car personne ne faisait de sottises en présence de Rogers. Il gardait les gens dans l’axe ; c’était une force morale. Les gens en fait consultaient leur conscience et il semblait que tout allait pour le mieux.

  • Mais, une fois ces 560 religieuses démolies dans leurs groupes de rencontre, combien de temps a-t-il fallu pour que le mal se déclare ?
  • Eh bien, dans l’été 1967 les IHM devaient tenir leur chapitre. Comme tous les ordres religieux, elles avaient été incitées à réévaluer leur mode de vie et à le mettre davantage en conformité avec les charismes de leur fondateur. Ainsi elles étaient mûres pour nous. Elles étaient mûres pour une introspection profonde avec l’aide de psychologues humanistes. Nous avons détruit leurs traditions, nous avons détruit leur foi.
  • Sur les 560 (religieuses IHM), combien en reste-t-il ?
  • Il y a des soeurs à la retraite dans la maison-mère de Hollywood ; il y a un petit groupe de féministes radicales qui animent un autre centre de théologie dans une boutique de Hollywood (…).
  • Mais quant à l’ensemble de l’ordre, le Coeur Immaculé de Marie – qui faisait naguère marcher toutes ces écoles – qu’en est-il ?
  • Il reste quelques soeurs à Wichita, auxquelles j’ai rendu visite et qui reviennent à leur tradition de religieuses enseignantes, et il y en a quelques autres qui font de même à Beverley Hills. En tout et pour tout, cela doit faire deux douzaines, en dehors desquelles toutes les autres se sont dispersées.
  • Et le campus du collège ?
  • Il a été vendu. Il n’y a plus de Collège du Coeur-Immaculé… Il a cessé de fonctionner à cause de nos bons offices. Une mère, qui retirait sa fille avant la fermeture, disait : « Vous savez, au collège d’Etat elle perdra la foi tout aussi bien, mais gratis ».

Nous avions un contrat de trois ans, mais nous avons arrêté l’étude au bout de deux ans, parce que nous étions alarmés des résultats. Nous avions pensé rendre les IHM meilleures qu’elles n’étaient et nous les avions détruites.

  • Avez-vous exécuté ce genre de programme ailleurs ?
  • Nous avions mis en oeuvre des programmes similaires pour les jésuites, les franciscains, les soeurs de la Charité de la Providence et les soeurs de la Merci. Nous avons vu des douzaines d’organisations catholiques, parce que – comme vous vous en souvenez – dans l’enthousiasme d’après Vatican II, tout le monde voulait se mettre à jour, tout le monde voulait se rénover ; et nous offrions un moyen de rénovation, sans avoir à se soucier d’étudier. Nous disions : « Nous allons vous aider à faire votre introspection. Après tout, Dieu n’est-Il pas dans votre coeur ?

N’est-il pas suffisant d’être vous-même et ainsi ne serez-vous pas bon catholique ? Et si cela n’arrive pas, c’est que peut-être vous n’auriez pas été non plus bon catholique dans votre premier état ». Eh bien, au bout d’un moment, il ne restait plus beaucoup de catholiques.

  • Bien. Vous avez mentionné que les ordres religieux avaient reçu mandat de Vatican II de se rénover selon l’esprit originel de leur fondateur, ce qui eût été merveilleux.
  • Oui.
  • Par exemple, l’esprit originel des jésuites, c’était saint Ignace de Loyola…
  • Assurément. A propos de saint Ignace, j’ai apporté une lettre que Carl Rogers reçut, après que nous ayons fait un atelier à l’université jésuite durant l’été 1965.

Un des jeunes jésuites, sur le point d’être ordonné, écrivit ceci pour avoir côtoyé Rogers pendant cinq jours dans un groupe de rencontre :

« Cela semblait la splendide naissance à une existence nouvelle. C’était comme si tant des choses que j’estimais en parole m’étaient maintenant devenues véritables en fait. Il est extrêmement difficile de décrire l’expérience. Je n’avais pas saisi combien j’était inconscient de mes sentiments les plus profonds, ni combien ils pouvaient être précieux pour autrui.

 

C’est seulement quand je commençai à exprimer ce qui se levait quelque part au plus profond de moi-même et quand je vis des larmes aux yeux d’autres membres du groupe – parce que j’exprimais quelque chose de si véritable pour eux aussi – c’est donc seulement là que j’ai commencé à sentir réellement que j’étais membre à part entière de la race humaine. Jamais de toute ma vie avant cette expérience de groupe, je ne m’étais expérimenté moi-même aussi intensément ; et alors avoir ce moi ainsi ratifié et aimé par le groupe , lequel à ce moment était sensible et réagissait à l’expression de mon conditionnement, fut comme si je recevais un cadeau… »

  • « Réagissait à l’expression de mon conditionnement ? »
  • « Mon conditionnement ». Mais qu’est-ce donc que son conditionnement?.. Eh bien, son conditionnement, c’est entre autres sa doctrine catholique. Car si vous faites votre introspection et que vous trouvez le Credo, par exemple, il se peut qu’on vous dise : « Oh, vous n’êtes que le petit garçon à sa maman, n’est-ce pas ? Vous faites juste ce que l’on vous a appris à faire. Ce que je veux entendre, c’est ce qui sort de votre moi réel« .

La preuve d’authenticité, selon le modèle de la psychologie humaniste, c’est d’aller contre tout ce à quoi vous avez été éduqué, d’appeler tout cela artifice, conditionnement, et de dire ce qu’il y a au plus profond de vous-même. Cependant ce qu’il y a au plus profond de vous-même consiste en convoitises inassouvies, dont les convoitises de la chair. Nous avons provoqué une épidémie de dévergondage parmi le clergé et les thérapeutes.

  • Et cela semble justifié par la psychologie, qui est censée être une science. Or les documents de Vatican II ne sont jamais lus, mais contiennent de belles et profondes affirmations.

Il s’y trouve aussi des naïvetés, dont cette assertions que la théologie devrait tirer profit des idées de la science sociale contemporaine. Je ne sais plus de quel document il s’agissait, mais il vous donnait carte blanche.

  • C’est juste. Je vais vous dire ce que Rogers en était arrivé à voir et il arriva à le voir assez vite, car il aimait vraiment ces femmes. Je vais le citer d’après un enregistrement que lui et moi réalisâmes en 1976 :

« J’y ai perdu mon intuition. Eh bien, je suis monté dans cette galère et regardez où elle nous amène ; je ne sais même pas où cela nous conduit. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui va s’ensuivre. Et je me suis réveillé le lendemain matin si déprimé que je pouvais à peine le supporter. Et alors j’ai compris ce qui était faux. Oui, j’ai démarré cette chose et maintenant regardez où elle nous amène. Où va-t-elle nous amener ? Ai-je lancé quelque chose qui serait faux sous quelques aspect fondamental, et qui va nous fourvoyer dans des sentiers que nous regretterons ? ».

  • Il faut porter à son crédit que lui du moins avait des remords de conscience ; tandis que les autres ordres – comme les jésuites – même quand ils ont vu que les IHM avaient presque disparu, ont quand même invité la même équipe à opérer chez eux.
  • Oh ! oui. Mais en réalité, nous avons commencé avec les jésuites avant de le faire avec les soeurs. Nous avons tenu notre premier atelier avec les jésuites en 1965. Rogers reçut deux doctorats d’honneur d’universités jésuites. Ils pensaient que nous étions des sauveurs. Je ne sais si vous vous le rappelez, mais en 1967 les jésuites eurent une grande conférence à Santa Clara, où l’on parla beaucoup de la « troisième voie ».
  • Vous en étiez aussi ? Cela touchait au style de vie.
  • Oui, le style de vie. Nous n’intervenions pas directement comme consultants à cette conférence, mais nous influencions l’opinion.
  • Qu’est-ce que la troisième voie ?

Les deux premières voies sont le mariage loyal et le célibat loyal. Mais, à ce moment là, se présentait cette voie humaine, bien trop humaine comme je le vois aujourd’hui. L’idée était que les prêtres pouvaient fréquenter l’autre sexe. Un prêtre par exemple me donna cette définition de son célibat : « Il signifie que je n’ai pas à épouser la fille ».

  • Seul un jésuite a pu dire cela.
  • Dans le cas d’espèce, ce n’était pas un jésuite. Je pense que les jésuites seraient capables de rebondir parce qu’ils avaient de si puissantes traditions propres, et que si Dieu veut, ils veulent.

Un livre intéressant sur toute cette question s’intitule « Les jésuites réformés« , du père Joseph Becker. Il passe en revue l’effondrement de la formation jésuite entre 1965 et 1975.

La formation jésuite s’est virtuellement désagrégée et le père Becker discerne bien l’influence des rogériens. Il cite nombre de maîtres des novices jésuites qui prétendaient que l’autorité au nom de laquelle ils agissaient – ou n’agissaient pas – était Carl Rogers. Avec ces doctorats d’honneur, je pense qu’ils voulaient le créditer de la manière de vivre jésuite.

  • Mais pensez-vous qu’il y avait des effets bénéfiques à court terme? Vous semblait-il que vous alliez plutôt dans le bons sens ?
  • Eh bien, les prêtres et les soeurs sont devenus plus disponibles pour les gens avec qui ils travaillaient : ils étaient moins éloignés…

Mais nous n’avions pas de doctrine du mal. Comme je l’ai dit, Maslow a vu que nous n’avions pas réussi à comprendre la réalité du mal dans la vie humaine.

Quand nous avons suggéré aux gens qu’ils pouvaient se fier à leurs impulsions, ils ont compris que nous voulions dire qu’ils pouvaient se fier à leurs mauvais élans, lesquels n’auraient pas été vraiment mauvais.

Mais ils étaient vraiment mauvais. Ce fut un nouveau coup pour Rogers dans les années 1970, lorsque des rumeurs se mirent à circuler sur un groupe, qui avait essaimé du nôtre. A l’époque nous étions devenus le Centre pour les études de la personne à La Jolla, après être sorti du WBSI; et au même moment un autre groupe en essaima, qui s’appelait Centre pour la Thérapie de la Sensibilité (Center for Feeling Therapy) à Hollywood. Eh bien, des accusations furent portées contre les gens de ce dernier – dont l’un des trois fondateurs était, pour mémoire, un jésuite qui avait défroqué – et parmi les griefs que l’Etat de Californie fut à même de retenir, il y avait le meurtre de bébés.

A onze reprises, des femmes – devenues enceintes tandis qu’elles se trouvaient à l’intérieur de ce Centre – furent contraintes d’avorter. L’Etat de Californie les accusa de ce crime.

  • Etait-ce le cas Roe contre Wade ?[30]

 

-Non, cela s’est produit après Roe, mais l’ordre des médecins de l’Etat considéra qu’il était contraire à l’éthique que ces hommes aient forcé des femmes à avorter, alors qu’elles voulaient garder leurs bébés.

  • Et c’était un résultat de la thérapie psychologique de la sensibilité?
  • Oui. L’idée sous-jacente est que vous ne pouvez pas être à l’écoute de vous-même, si vous entendez le bébé pleurer. Si le bébé a besoin d’alimentation ou si vous êtes distrait par ce qu’il fait, alors vous ne serez plus capable de vous occuper de vousmême. La psychothérapie humaniste, celle qui virtuellement envahit l’Eglise d’Amérique et qui domine tant de formes d’éducation aberrantes – comme pour le sexe et le drogue – considère que la source la plus importante d’autorité réside en vous, que vous devez être à l’écoute de vous-même. Eh bien, si vous portez un bébé sous votre coeur, débarrassez-vous en ! Les femmes qui entraient au Centre de Thérapie de la Sensibilité avec des enfants, étaient forcées de les faire adopter. La seule personne autorisée à avoir un bébé, fut le fondateur principal de l’institution. Tous les autres bébés furent tués ou envoyés ailleurs, au motif qu’il fallait rester en prise avec le moi impérial. – Quelle est votre expérience en éducation sexuelle ?
  • Nous avons retiré nos propres enfants des écoles catholiques quand elles ont commencé à se corrompre.
  • Même quand vous étiez encore psychologue rogérien ?
  • Oui, ma femme Jeannie a tout le temps gardé son bon sens. La situation n’était pas aussi grave qu’aujourd’hui et nous l’avons vu venir. Les enfants auraient reçu une éducation expérimentale s’ils étaient restés dans ce contexte ; ils n’auraient pas reçu une éducation catholique.

Qui prend le dessus dans l’éducation expérimentale ?

Si vous mettez un groupe d’enfants en cercle pour discuter de leurs expériences sexuelles, qui va avoir les histoires les plus intéressantes à raconter ? L’enfant le plus expérimenté.

Dans quelle direction l’influence va-t-elle s’exercer ? Elle va s’exercer – et le recherche le confirme tant et plus – elle va s’exercer de ceux qui sont expérimentés vers ceux qui ne le sont pas.

Le bilan net de l’éducation sexuelle, dans le style de rencontre rogérienne, se traduit par encore plus d’expérience sexuelle.

  • Je pense que nombre de ceux qui lisent ceci commencent à comprendre les ravages causés aux enfants par les soi-disants professionnels.

Comment diriez-vous que Carl Rogers et ses disciples ont influencé l’éducation en général et l’éducation catholique en particulier ?

  • Le message de base dit que l’éducation – l’éducation en classe- est une variante de la psychothérapie de groupe.

En 1969, il écrivit un livre intitulé « Freedom to learn » (« Liberté d’apprendre »), qui fut désigné comme la Bible de l’éducation humaniste.

Il préconise « une exploration dans le moi de sentiments de plus en plus insolites et inconnus et dangereux, cette exploration se révélant possible seulement parce que l’individu comprend peu à peu qu’il est accepté sans conditions ».

Eh bien, ceci permet d’expliquer en bonne partie ce qui se passe dans les retraites pour jeunes catholiques de notre époque, et dans l’éducation sexuelle catholique, quand les enfants s’assoient en rond et discutent de leurs sentiments. Ils explorent ce que Rogers a honnêtement caractérisé comme des sentiments de plus en plus dangereux.

  • Et les maîtres de retraite ne dirigent plus, ils facilitent .
  • Assurément.

(…)

Witz[31] a suggéré que nous devrions ajouter ou intégrer à la psychologie, des valeurs anciennes comme le devoir, l’honneur et la responsabilité. Est-ce possible ? Ou bien s’agit-il de modes de pensée incompatibles par nature ?

  • Aujourd’hui la psychologie est avant tout la psychologie thérapeutique; et en ce sens il y a incompatibilité.

 

Car en thérapie vous ne voulez jamais dire à une personne ce qu’elle devrait être, en particulier sous l’angle moral, ou sinon elle ne vous révélera jamais combien les choses sont noires dans cette perspective.

Je ne doute pas que Paul Witz, homme brillant, capable et pourvu de sens moral, puisse faire ce qu’il suggère comme nécessaire, c’est-à-dire intégrer les concepts moraux traditionnels dans la thérapie.

Mais je vois la thérapie comme fondamentalement opposée à la vie civilisée.

Supposez que vous demandiez à un pianiste compétent ce qu’il fait avec ses doigts. Au cours de la réponse, la musique cesse, puisqu’il ne sait pas ce qu’il fait avec ses doigts.

Et pour analyser, il faut que la musique s’arrête. Si la civilisation est une sorte de musique, elle s’arrête quand chacun est sous thérapie. Malheureusement, nous supposons maintenant que tout un chacun a besoin de thérapie. Même Maslow le disait dans une interview de 1968 pour Life. Il est étonnant qu’aussi tard dans sa carrière il ait encore émis de telles affirmations, alors que la lecture de son journal montre qu’il n’y croyait pas. Il savait combien cette suggestion était nocive.

  • Je vois bien ce que vous voulez dire en parlant d’arrêter la musique, mais pourquoi n’y-a-t-il pas là aussi une objection contre la tradition catholique de l’examen de conscience, de la confession, du conseil d’un bon directeur spirituel ?
  • C’est parce que cet examen de conscience se fait avec référence constante à ce que nous savons être bon. Il ne s’agit pas de quelque chose à inventer, mais de quelque chose qui est connu depuis presque 2000 ans. L’examen est guidé par ce que j’appellerais l’équipement catholique.

La liste que j’avais coutume de consulter en jeune catholique des années 1950 me disait par avance ce que je devais chercher.

Je connaissais les péchés véniels et mortels en long et en large, non parce que j’avais découvert cette connaissance à travers ma propre expérience, mais parce que j’en avais été doté par l’Eglise, qui avait à coeur mon meilleur bien.

Je pouvais donc m’incliner devant cette connaissance externe. Les jeunes catholiques d’aujourd’hui n’ont pas l’avantage d’avoir appris comment mettre en oeuvre l’équipement. Ils ne savent pas prier le rosaire. S’ils allaient à une messe en latin, ils ne sauraient pas tourner les pages du missel. Ils ne comprennent pas que les listes de péchés mortels et véniels sont sérieuses et ne prêtent pas à sourire.

  • N’y a-t-il pas en psychologie humaniste une hypothèse, du genre moderniste ou teilhardienne, selon laquelle la nature humaine s’est altérée, de sorte que les valeurs anciennes, les modèles anciens ne sauraient s’appliquer ?
  • Je ne pense pas que la psychologie humaniste suppose quelque altération de la nature humaine, mais ce serait plutôt l’idée de John Dewey, selon laquelle – puisque nous vivons des temps de changement social rapide – ce que nous avons toujours fait est précisément ce que nous ne devrions plus faire.
  • Assurément.
  • Or, le plus étrange est que nous vivons sur les termes de la théorie de Dewey depuis presque cent ans maintenant. Nous vivons dans un passé à la Dewey et non dans notre propre présent

(…).

 

 

 

 

 

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Retour sur l’Ennéagramme Dominique Tassot

 

Dans un article sur le satanisme aux Etats-Unis, (Le Cep n°12), Malachi Martin lançait une mise en garde contre la méthode ennéagramme. Nous avions cru utile de signaler en note que cette méthode se répandait en France, notamment dans les milieux catholiques sous l’influence du livre du P. Pascal Ide, le seul dont nous disposions. Nous ajoutions, un peu vite, que « le mot « grâce » nous semblait absent de ce gros livre de 450 pages ». … Bientôt deux lecteurs manifestèrent leur réprobation. Le premier pour dire qu’il n’avait pas lu ce livre mais que d’autres ouvrages du P. Ide lui avaient beaucoup apporté ; le second avait apprécié « Les neufs portes de l’âme » et plusieurs proches y avaient trouvé le moyen d’un progrès personnel.

L’Evangile nous demande de juger l’arbre à ses fruits et nous ne voudrions à aucun prix faire obstacle à un bien véritable, même si l’apparence pouvait y induire. Car l’ennéagramme fut introduit en Occident par le mage Gourdjieff (1877-1949) qui lui-même aurait découvert cette « pierre philosophale » (la comparaison est de lui) dans la doctrine du soufisme. Il y a là – le P. Ide voudra bien l’admettre – de quoi nourrir chez le lecteur chrétien un minimum de circonspection. Car le soufisme n’est pas qu’une mystique éthérée : c’est aussi une constellation de confréries à quatre degrés d’initiation. Les derviches, nombreux à Salonique, jouèrent un rôle décisif dans l’organisation, d’abord secrète, du mouvement « Jeune Turc », et par là dans le génocide des Arméniens chrétiens en 1915. C’est parce qu’il connaissait bien le danger des confréries plus ou moins secrètes, que le gouvernement d’Ankara finit par interdire officiellement le soufisme, comme les bolchéviques interdirent la franc-maçonnerie.

Le P. Ide objectera sans doute qu’il ne considère du soufisme que la pure doctrine mystique, celle qui – d’une certaine manière – s’oppose au Coran, rempli de prescription principalement matérielles et niant le péché originel. Certains auteurs considèrent, en revanche, que c’est la tradition coranique qui a doté le soufisme d’un substrat théologique juif et chrétien[32]. D’autres n’hésitent pas à l’identifier à un gnosticisme[33] et la référence au nombre 9 évoque invinciblement le néo-platonisme de Plotin, philosophe mais aussi adversaire de l’Eglise.

Devant ce panorama indécidable, admettons que l’ennéagramme est d’abord une typologie permettant à chacun, par comparaison, d’appréhender les ressorts de son comportement et par là de progresser, la grâce aidant.

Et il faut reconnaître à ces 9 « types », bien analysés et décrits, une réelle pertinence. Mais est-il vrai qu’on puisse aussi facilement ne retenir que la « méthode » pratique et rester libre de toute autre influence ? Le P. Ide évoque les Pères et les Docteurs discernant chez les Anciens les outils intellectuels dont se servira la théologie médiévale. A contrario, Lénine ou Mao ont su adapter les « exercices » de saint Ignace pour former les cadres de leur révolution…

Certes le New-Age, où fleurit l’ennéagramme, n’est pas plus hostile à l’Eglise que ne l’étaient Marx et Lénine. Mais les théologiens qui, depuis les années 1960, ont fondé leur pensée sur une analyse marxiste de la société représentent peut-être plus une déviation qu’un prolongement du message chrétien[34].

L’exemple d’Aristote appelle encore une double remarque. D’une part, né en 384 avant Jésus-Christ, le grand disciple de Platon est indemne de tout sentiment antichrétien ; tandis que le mot soufisme viendrait de l’arabe « soûf » (laine), « parce que les premiers soufis affectèrent de se vêtir d’un manteau de laine blanche à l’imitation des moines et des ascètes chrétien« [35]. Connaissant le Christ, n’avaient-ils pas une manière plus directe de l’imiter ?.. D’autre part, si les cardinaux qui ont eu à juger Galilée s’étaient appuyés un peu plus sur l’autorité de l’Ecriture (qui n’affirme pas incorruptibles les cieux) et un peu moins sur celle d’Aristote, « l’affaire Galilée » aurait pris une toute autre tournure, pour le plus grand bien de la science comme de l’exégèse.

Le P. Ide affirme avoir dégagé l’ennéagramme de tout ésotérisme et de tout psychologisme. Nous prenons acte de cette affirmation. En réduisant ainsi l’ennéagramme à une typologie et à une méthode, nous ne sommes plus dans le domaine de la doctrine, mais dans la pratique. Saint Paul nous invite à « éprouver tout, retenant ce qui est bon« . C’est pourquoi, invitant ainsi les lecteurs juger par eux-mêmes, nous publions intégralement le texte suivant que le P. Pascal Ide nous a demandé d’insérer :

 

Droit de réponse

 

Au titre du droit de réponse, je souhaiterais brièvement relever deux points de l’article paru dans le numéro du Cep où vous consacrez une note à mon ouvrage, Les neuf portes de l’âme (Paris, Fayard, 1999).

  1. Le premier concerne directement les critiques adressées à mon livre. La rédaction française croit y relever deux manques qui le ferait régresser du christianisme vers l’humanisme (et, à en croire le texte non pas de la note mais de l’auteur de l’article, vers le « pélagianisme »).

Le premier est la « méconnaissance du péché originel », or, tout un paragraphe lui est consacré et rattache explicitement l’ennéagramme au péché originel en passant par les péchés capitaux (pages 197 à 201 ; j’en reparle à plusieurs reprises, notamment dans les annexes 2 et 4). On peut ne pas être en accord avec mon interprétation, mais du moins ne peut-on dire que j’ignore cette doctrine à laquelle, bien entendu, comme catholique, j’adhère en totalité.

Le second manque est le mot « grâce » dont, le recenseur dit qu’il « semble […] absent« . Or, une lecture superficielle et hâtive montre que le terme est présent largement plus de dix fois (l’ordinateur permet de le repérer facilement), le plus souvent dans l’expression « grâce de Dieu ». D’ailleurs, toutes les pages du chapitre 5 font explicitement appel à des moyens surnaturels (pages 248 à 260), comme les vertus théologales qui sont aussi souvent mentionnées dans les conseils concrets données dans le chapitre 6. En outre, l’ouvrage parle longuement (tout le chapitre 4) du péché comme « acte libre » qui « détourne l’homme de sa vraie fin qu’est Dieu » (page 177) ce qui suppose une vision explicitement chrétienne de la faute.

Je m’inquiète de devoir souligner des reproches aussi injustes et faire des rectificatifs aussi élémentaires : le recenseur a-t-il seulement parcouru l’ouvrage ou projette-t-il sur lui son rejet plus général de l’ennéagramme, ce qui préjuge mal de son objectivité ?

  1. Je voudrais aussi réagir à l’exposé plus général de l’auteur de l’article sur l’ennéagramme, car il est implicitement appliqué à mon livre. Cet exposé appelle quatre mises au point.

Tout d’abord, il est vrai qu’une des origines de cette méthode est ésotérique. Mais c’est oublier tout le travail de purification opéré par les psychologues américains et notamment les jésuites. Je me suis longuement attaché à ce travail de discernement au sein du livre et dans les annexes. Opérer ce discernement pour garder ce qui est bon fut le travail constant des Pères et des Docteurs notamment à l’égard du paganisme (Platon, Aristote, les stoïciens) dont la pensée ne contenait pas que des germes de vérités.

Ensuite, l’auteur parle de son expérience américaine de l’ennéagramme. Celle-ci est très marquée par l’ésotérisme et le New Age. Le contexte culturel français est bien différent , comme en témoigne la lecture de la petite vingtaine d’ouvrage parus sur le sujet : ils sont beaucoup plus influencés par une tendance psychologique dont j’ai d’ailleurs aussi tenté de me démarquer, car elle est trop réductrice.

En outre, il est dit dans l’article que « chaque être humain correspond à un et un seul de ces types. Mais chacun reste indéfiniment auto-perfectible à l’intérieur de son type de personnalité« . Il n’y a pas plus entier contre-sens, puisque le propre de l’ennéagramme est justement d’ouvrir la personne aux autres potentialités et ressources présentes en elle, autrement dit aux autres types qu’elle porte. Donc, loin d’enfermer, l’ennéagramme libère et ouvre. C’est ce qu’en montre la pratique. Bien évidemment, il existe des mésusages. J’en connais. Et quelle méthode les évite tous ?

Enfin, l’accusation de pélagianisme tombe à faux : l’ennéagramme est une méthode humaine, psychologique et éthique à la fois. Reste qu’il peut aider la vie spirituelle : loin de nier la grâce, il n’est pas incapable de préparer à mieux la recevoir, notamment à mieux discerne ses passions, ses péchés-citadelles, ses idoles et à lutter contre eux. Jean Vanier qui utilise depuis longtemps cette méthode pour les assistants de l’Arche, me disait tout récemment : « Certain affirment que l’ennéagramme nie le mystère de la Croix. L’expérience montre que c’est tout le contraire« .

P. Pascal Ide

 

Soucieux de ne pas entretenir une polémique stérile nous apporterons seulement deux commentaires :

  1. une chose est l’emploi du mot « grâce » au détour de l’une ou l’autre page ; autre chose est l’importance attribuée au concept. La question implicite – et cette question demeure posée – était la suivante : sans rompre avec la théorie de l’évolution et avec ses répercussions sur l’exégèse et la théologie, est-il possible d’attacher au péché originel et à la grâce salvifique toute la portée (cosmique, sociale et personnelle) que leur attribue la doctrine des apôtres ?
  2. Malachi Martin évoquait la méthode pratiquée aux Etats-Unis dans les années 1980. Il la voyait constituer une menace pour la foi et un facteur prédisposant (précisément par son ouverture) à la possession démoniaque. Jusqu’à présent tout ce que nous avons lu de Malachi Martin nous a paru bien documenté. Ayant fait sa thèse sur les manuscrits de Qumram, un temps secrétaire du cardinal Bea à l’Institut Biblique, cet ancien jésuite américain était bien placé pour connaître et juger les efforts de ses confrères pour « christianiser » l’ennéagramme. Historien, mais aussi chauffeur de taxi et romancier, il faisait preuve d’une grande largeur d’esprit. Son bref essai « Le peuple que Dieu s’est choisi » (DMM, 1989) est remarquable de finesse théologique et de clarté. Malheureusement le débat n’aura pas lieu avec l’auteur de l’article, mort depuis 3 ans : il n’est plus là pour trancher et nous dire s’il aurait maintenu ses objections face à la méthode ennéagramme telle que revue par le P.

Ide à la lumière des péchés capitaux.

__________________

 

Le P. Ide nous invite à bien distinguer sa méthode avec les interprétations ésotérisantes (de loin les plus répandues puisqu’elles sont dans la droite ligne des maîtres fondateurs). De fait, à lire attentivement son livre, force est de reconnaître que les neuf types de comportement ainsi décrits forment une panoplie de références psychologiques, une technique comparative d’analyse de soi, sans aucun lien autre qu’historique avec une quelconque tradition orientale ou occidentale.

La nature humaine, avec ses variations, reste un universel que partagent tous les fils d’Adam. Tous ont fini par utiliser les chiffres encore dits « arabes » et la numérotation à base 10, parce que tout ont 10 doigts pour compter. L’acupuncture ne laisse pas de soulager aussi bien des européens, même si la sensibilité relative des différents points du corps peut varier d’un rameau humain à l’autre. Les techniques de compostage ont leur utilité sur tous les sols, même si elles ont souvent été étudiées par des praticiens influencés par l’anthroposophie de Rudolf Steiner (biodynamie). Certes, à la différence de ces exemples, nous sommes ici dans un domaine dont la « technique » n’est qu’un aspect opératoire, et dont la nature touche au plus profond de la vision que l’homme porte sur lui-même. Nous n’avons ni les moyens ni le désir d’approuver ou de désapprouver la méthode ennéagramme telle que la propose le P. Ide. La critique de Malachi Martin s’appliquait à une pratique américaine ésotérique dont le P. Ide s’est efforcé de se dégager. Son discernement chrétien l’amène aussi à se démarquer de l’ennéagramme « à la française » dont il réprouve la tendance « psychologisante ». Dès lors qu’il continue d’employer le même mot pour désigner des choses différentes, il est inévitable que les réserves générales que les uns ou les autres peuvent faire sur l’ennéagramme, rejaillissent sur sa propre méthode.

Certes nous voulons éviter le reproche d’avoir dissuadé à tort des personnes que la méthode aurait aidées à progresser ; c’est l’objet de cette mise au point. Mais nous ne pouvons toutefois laisser ignorer qu’on n’entre pas en ennéagramme (comme en psychanalyse) sans franchir un pas irréversible.

Le discernement chrétien est demandé à tous : la personne humaine est trop précieuse et trop délicate pour être traitée mécaniquement. La méthode n’est neutre ni vis à vis de la foi, ni vis à vis de la personnalité. Le P. Ide suggère au candidat de se faire suivre par un guide expérimenté (« coaching« ). Il précise (p.13) : « Connaître l’ennéagramme n’est pas engranger une information nouvelle, c’est entrer dans une démarche qui n’est pas anodine et dont on ne sort pas indemne. Il est impossible de comprendre l’ennéagramme de l’intérieur sans changer.« 

Sous l’influence de la culture ambiante, la plupart associent au changement, quel qu’il soit, une connotation positive. Mais il n’en va pas ainsi dans une perspective chrétienne car « tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mattieu : 13 ; 52)

Telle est la perspective équilibrée dans laquelle le P. Ide estime s’être placée[36], et que l’on peut souhaiter à ceux qui tenteront l’aventure.

 

BIBLE

 

 

Le livre de Jonas a-t-il été écrit par Jonas ?

Dom Jean de Monléon osb

 

Résumé : Le Livre de Jonas devait inévitablement faire les frais de la « haute critique », et les exégètes sont presque unanimes à le classer parmi les paraboles, prenant ainsi le contre-pied de dix-neuf siècles de commentateurs chrétiens, lesquels crurent tous en la vérité historique de ce récit. L’auteur examine ici les 4 arguments par lesquels la critique (en l’occurrence celle de la Bible dite de Jérusalem) voudrait prouver que ce Livre n’a pas été écrit par le prophète du même nom, donc au VIIIème siècle avant Jésus-Christ, mais trois siècles plus tard, après la destruction de la ville. On verra la facilité avec laquelle ces arguments littéraires peuvent être renversés, ce qui démontre le préjugé d’incrédulité à l’œuvre derrière le paravent de la science des textes.

 

Le livre de Jonas, tel qu’on peut le lire aujourd’hui parmi les autres écrits prophétiques de la Bible, est certainement l’un des plus parfaits chefs-d’œuvre de la littérature universelle. Sous la séduction d’un style merveilleusement alerte et vivant, il nourrit l’âme d’enseignements dont la profondeur dépasse toute science humaine. Cette aventure extraordinaire, contée avec une simplicité, une fraîcheur et une finesse exquise en dit plus long, dans ses quatre minuscules chapitres, qu’un long traité de théologie, sur la nature de Dieu, sa Toute-Puissance, son omniprésence, sa Providence, sa Volonté de sauver tous les hommes, la crainte que nous devons avoir de sa justice, la confiance que nous devons toujours garder en sa bonté.

Cependant, devant l’épisode invraisemblable qui lui sert de thème, une question se pose inévitablement à l’esprit : est-ce de la vérité ou du roman ?

 

 

L’odyssée de cet homme qu’une baleine avale en pleine mer, pour le déposer trois jours plus tard, sain et sauf, au point précis où l’appelle sa mission de prédicateur, la foi nous oblige-t-elle à la prendre au pied de la lettre ? Ou pouvons-nous la tenir pour une simple fiction ? Pendant des siècles, et jusqu’à ces toutes dernières années, aucun membre de la hiérarchie catholique n’aurait osé soutenir officiellement cette seconde hypothèse, et présenter comme douteuse la véracité de cette histoire. Mais aujourd’hui, les choses ont bien changé, et les manuels courants, comme les doctes ouvrages des spécialistes, ou les cours officiels des Facultés catholiques sont d’accord pour affirmer que le récit de Jonas n’est qu’une fiction pieuse, une allégorie, semblable à celle de l’enfant prodigue, ou du bon Samaritain, « un enseignement voilé sous les formes d’une parabole ». Certains se montrent même agressifs, et nous préviennent sévèrement, qu’il est irrévérencieux envers un écrivain inspiré de prétendre en faire un historien malgré lui.

Quelles peuvent être les raisons qui ont amené les maîtres de la science biblique à abandonner la position traditionnelle de l’Eglise, pour se replier sur un terrain où l’on ne rencontrait jusqu’à maintenant que les incroyants et les non catholiques ? Consultons sur ce point l’ouvrage qui peut être tenu pour le plus représentatif de l’enseignement actuel en matière d’Ecriture Sainte, à savoir la Bible, dite de Jérusalem.

Et d’abord, se demande-t-elle, dans quel « genre littéraire » fautil classer le livre de Jonas ? « Sommes-nous en présence d’un récit historique, ou d’une fiction didactique ? » Sans doute, concède-telle, « la première manière de voir a été de beaucoup la plus commune dans l’Eglise« . Sur quoi, elle effleure rapidement les arguments dont cette opinion peut se prévaloir. Mais manifestement, ses sympathies vont vers l’autre. Le livre de Jonas, à ses yeux, n’est « qu’une fiction didactique » ; c’est là, déclare-telle, « la solution vers laquelle s’oriente de plus en plus l’exégèse, même l’exégèse catholique« .

Pourquoi cela ?… De très sérieuses raisons, que l’on peut grouper en deux chefs, nous conduiraient à le croire :

 

 

1° Le livre de Jonas n’a pas été écrit par Jonas ;

2° L’aventure qui y est contée est par trop invraisemblable pour qu’on puisse l’admettre aujourd’hui.

Jusqu’à maintenant, la tradition unanime, tant des Juifs que des Chrétiens, identifiait le Jonas qui fut avalé par un poisson et qui convertit Ninive, avec le personnage du même nom, que mentionne le IVème livre des Rois[37], et qui prophétisa sous le règne de Jéroboam, roi d’Israël, c’est-à-dire entre 788 et 748 avant JésusChrist.

Mais la critique moderne n’accepte plus cette identification. Elle affirme sans restriction que le livre de Jonas n’a pas été écrit par le prophète qui porte ce nom, mais trois siècles au moins après la mort de celui-ci. Et voici les motifs qui l’obligent à modifier la croyance antique. La B.J. en énumère quatre :

1° L’auteur, dit-elle, parle de Jonas à la troisième personne, ce qui est contraire à l’usage des prophètes.

2° Il n’est pas concevable qu’il ait fait de lui-même une critique aussi mordante.

3° Ce qu’il dit de Ninive montre qu’il écrit après la chute de cette ville : manifestement elle n’est pour lui qu’un souvenir lointain, tellement lointain qu’elle prend à ses yeux des proportions colossales, « historiquement invraisemblables« . Or, Ninive ayant été détruite en 612, il est évident que la prophétie ne peut remonter plus haut..

4° Enfin, la langue de l’auteur et les indices philologiques montrent que l’ouvrage a dû être composé au Vème siècle, au temps d’Esdras et de Néhémie.

Examinons l’une après l’autre ces quatre propositions.

1° Si l’on ne peut admettre que Jonas soit l’auteur de la prophétie qui porte son nom, sous le prétexte qu’il parle de luimême à la troisième personne, il faut accorder, pour le même motif, que Moïse n’est pas l’auteur du Pentateuque ; que ni Josué, ni Esdras, ni Daniel, ni Jérémie, n’ont écrit les livres qu’on leur attribue généralement.

 

Toutes choses que les critiques accepteront d’ailleurs, d’un cœur léger ; mais aussi – ce qui est peut-être plus gênant – il sera prouvé que saint Jean n’est pas l’auteur du quatrième Evangile, puisqu’il y est question, à la troisième personne, du « disciple que Jésus aimait » ; que saint Matthieu n’a rien de commun avec le publicain Lévi, puisqu’il en parle comme d’un tiers ; que ce n’est pas saint Paul qui fut ravi au troisième ciel, puisque l’Apôtre attribue lui-même cette extase à un homme qu’il connaît, etc…

Rappelons en outre ici que l’usage de parler d’eux-mêmes à la troisième personne, a été constamment imité par les mystiques, soucieux de s’effacer et de « cacher le secret du Roi ».

2° Dans « la peinture mordante que l’auteur fait de lui-même« , les Pères de l’Eglise, loin de voir une raison de douter de son authenticité, ont vu, eux, au contraire, une garantie de sincérité.

Voici comment s’exprime à ce sujet le plus célèbre des commentateurs grecs de Jonas, Théophylacte, archevêque d’Acride, en Bulgarie.

« Tout ce qui est dans cette prophétie, dit, est digne d’admiration, rien cependant ne l’est autant que le caractère (Tοηθοσ), c’est-à-dire : le comportement moral) du prophète, qui s’y montre tellement équitable et tellement « vrai », qu’il dit tout, ouvertement, sans dissimulation. Il met à nu ses défauts, sa désobéissance, sa fuite, sa pusillanimité. Il n’a pas honte d’étaler toutes ces choses ; bien plus, il les a écrites pour notre instruction. Ainsi en ont agi les saints, parce qu’ils cherchaient non leur propre avantage, mais l’intérêt de tous, afin de les sauver tous[38]« .

3° Le caractère « lointain – très lointain – du souvenir de la splendeur de Ninive« , que notre critique attribue à Jonas, est fondé uniquement sur le fait que, pour parler de cette ville, le narrateur a employé – une fois ! – le prétérit hébraïque. Il a dit que Ninive était une grande ville. Donc elle ne l’est plus, quand il écrit ; donc il écrit après la ruine de la ville, c’est-à-dire après 612 ; donc sa prophétie ne remonte sûrement pas aux années voisines de 780 et au règne de Jéroboam !

Il est vrai que, par un raisonnement analogue, nous pourrions affirmer que Béthanie avait changé de place à la fin du 1er siècle de notre ère, et qu’à la même époque, le jardin de Gethsémani n’existait plus. Saint Jean ne nous dit-il pas que Béthanie était à 15 stades de Jérusalem ? et qu’il y avait au-delà du Cédron, un jardin où Jésus entra ?

En réalité, l’emploi du prétérit se justifie fort bien ici pour rendre le récit plus vivant et plus actuel. Mais surtout il est destiné à nous faire entendre qu’avant les événements qui vont être racontés, Dieu cherchait le moyen de ramener dans le droit chemin la grande ville égarée. C’est ainsi que l’ont entendu les commentateurs grecs, Théodoret[39] et Théophylacte[40] en particulier : Ninive, expliquent-ils, était une grande ville, non pas seulement devant les hommes, mais devant Dieu, (comme le précise justement le texte massorétique) ; en ce sens , qu’à cause même du nombre de ses habitants, Dieu s’en préoccupait d’une façon spécialement attentive. Il le dira lui-même à Jonas un peu plus tard : « Et moi je ne pardonnerais pas à Ninive, la grande ville, dans laquelle il y a plus de cent-vingt-mille habitants ? »[41]

On ne voit pas très bien, non plus pourquoi « les proportions colossales de Ninive », annoncées par le texte sacré, sont « historiquement invraisemblables« , quand au contraire tous les témoignages positifs de l’histoire, aussi bien ceux qui nous viennent des auteurs de l’antiquité, que ceux qu’ont apportés les fouilles modernes, confirment pleinement les données de l’Ecriture.

Que nous dit celle-ci en effet ? Qu’il fallait trois jours pour faire le tour de la ville ; or, les écrivains anciens qui ont parlé de

Ninive sont unanimes à dire que cette capitale était prodigieusement grande ; qu’elle était plutôt une agglomération de villes enfermées dans une même muraille, qu’une seule cité, (quelque chose d’analogue, pour l’époque, à ce que sont aujourd’hui le groupement Lille-Roubaix-Tourcoing, ou celui de Mézières-Charleville, avec cette différence toutefois qu’au lieu d’être des centres industriels c’étaient au plus haut point des villes résidentielles).

Les habitations en étaient entourées de parcs, de bois et d’immenses jardins, qui expliquent ces dimensions énormes.

L’historien grec Diodore de Sicile, qui vivait au premier siècle avant J.C., rapporte que Ninus, auquel il en attribue la fondation, « ayant surpassé, dit-il, tous ses ancêtres en gloire et en actions d’éclat, résolut de créer une ville si grande que non seulement elle n’eût point d’égale, mais qu’elle ne pût jamais en avoir. Elle présentait la forme d’un rectangle, et son circuit était de 480 stades« [42]. Notons ce dernier chiffre : le stade mesurant 185 mètres de longueur, 480 stades font à peu près 90 kilomètres. Si l’on compte qu’un homme à pied parcourt normalement dans sa journée trente kilomètres (telle était en particulier l’étape réglementaire de l’armée romaine), 480 stades représentent trois jours de marche, et le chiffre donné par Diodore s’accorde exactement avec celui du texte sacré.

En outre, les allégations de cet écrivain ont été confirmées par les fouilles entreprises, depuis un siècle environ, sous la direction de Layard et d’Oppert, pour retrouver la cité disparue. Ces travaux ont fait ressortir que Ninive-la-Grande comprenait en effet quatre villes : Ninua, Resen, Chalé et Rechoboth-Ir, en plein accord avec ce que rapportent les histoires profanes. Et il est facile de constater sur les plans qui ont été dressés[43], que les emplacements découverts, ou présumés, de ces quatre agglomérations, s’inscrivent parfaitement dans un rectangle de 90 kilomètres de tour, comme le disait Diodore.

Comment ne pas admirer cette merveilleuse concordance où la science humaine authentique vient nous garantir l’exactitude de la révélation ?

4° Le quatrième argument enfin mis en avant par la B.J. pour affirmer la composition tardive du Livre de Jonas, est celui des critères internes : « La langue de l’auteur, déclare-t-elle, et ses idées théologiques, prouvent clairement que ce ne peut être un écrivain du VIIIème siècle« .

Nous nous bornerons à rappeler sur ce point que le procédé qui consiste à rejeter les données de la Tradition au nom des caractères intrinsèques d’un livre est formellement désapprouvé par l’Eglise. Voici comme s’exprime à ce sujet le Pape Léon XIII, dans l’Encyclique Providentissimus :

« Par malheur, et pour le grand dommage de la religion, il a paru un système, qui se pare du nom honorable de haute critique, et dont les disciples affirment que l’origine, l’intégrité, l’autorité de tout livre, ressortent, comme ils disent, des seuls caractères intrinsèques. Il est évident, au contraire, que, dans les questions relatives à l’histoire, touchant à l’origine et à la conservation de n’importe quel ouvrage, les témoignages de l’histoire ont plus de valeur que tous les autres, et ce sont eux qu’il faut rechercher et examiner avec le plus de soin. Quant aux caractères intrinsèques, ils ont, la plupart du temps, moins de poids, en sorte qu’on ne peut guère les invoquer que pour confirmer la thèse. Si l’on agit autrement, il en résultera de grands inconvénients et l’on arrivera à ce résultat que chacun dans l’interprétation, s’attachera à ses goûts et à ses préjugés. Ainsi la lumière que l’on cherche ne viendra pas sur l’Ecriture, aucun avantage n’en résultera pour la doctrine, mais on verra se manifester avec évidence cette note caractéristique de l’erreur, qui est la variété et la diversité des opinions.« 

 

 

 

 

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REGARD SUR LA CREATION

« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil

quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Romains, 1 : 20)

 

 

L’architecture des cristaux[44]

Albert de Lapparent2

 

Résumé : Les si curieuses associations que forment les cristaux ne peuvent s’expliquer que par le besoin de conquérir, à l’aide d’une symétrie plus élevée, une résistance plus complète à l’égard des causes extérieures de destruction ; phénomène téléologique au premier chef, puisqu’il se réalise en des objets chez lesquels il n’est permis d’admettre ni instinct, ni calcul, ni tâtonnements, ni dispositions transmises par héritage. C’est donc une preuve manifeste de l’Intelligence créatrice que nous donnent les cristaux de staurotide, de gypse, de christianite, de diamant, et bien d’autres encore.

 

A travers les phénomènes de la nature, éclate de manière constante l’application du principe de la moindre action, si conforme à l’idée que nous pouvons nous faire d’une Suprême Sagesse ordonnatrice.

Le principe prévaut sans conteste en Mécanique où on le formule de la manière suivante : une particule matérielle en mouvement, soustraite à l’influence de toute force, mais assujettie à demeurer sur une surface déterminée, prendra toujours, pour se rendre d’un point à un autre, une ligne géodésique de la surface, c’est-à-dire le chemin le plus court entre les deux points.

Certains esprits ne dissimulent pas que cet énoncé les choque, parce qu’il paraît donner à penser que la particule « semble connaître le point où on veut la mener, prévoir le temps qu’elle mettra à l’atteindre en suivant tel ou tel chemin, et choisir ensuite le plus convenable. »[45]

Pour nous, qui ne saurions être soupçonnés d’attribuer à la particule un tel discernement, il nous plaît, au contraire, de mieux apercevoir à travers cet énoncé la marque de l’infaillible sagesse avec laquelle toutes choses ont été combinées.

Dans le domaine de la physique, il n’est pas de chapitre où la règle de la moindre action se manifeste avec plus d’éclat que celui de la réflexion et de la réfraction de la lumière. On sait que, quand un rayon lumineux tombe obliquement sur une surface réfléchissante, il est renvoyé de telle sorte que le rayon incident et le rayon réfléchi, tous deux contenus dans un plan perpendiculaire à la surface, soient inclinés du même angle sur le miroir.

Or si l’on pose ce problème : étant donnés deux points quelconques hors d’un plan, quelle est la condition pour que la lumière, partie de l’un, arrive à l’autre par le chemin le plus court, après avoir, au préalable, touché le plan ? On trouvera immédiatement que ce chemin doit être une ligne brisée, suivant exactement le parcours indiqué par la loi expérimentale, dite loi de Descartes. Que la lumière soit un projectile, comme le croyait Newton, ou un ébranlement se propageant dans l’éther, suivant la théorie des vibrations, ou encore un phénomène électromagnétique, peu importe ; c’est toujours une question de minimum : minimum de chemin parcouru ou minimum d’énergie dépensée ; en un mot, application de la règle de moindre action.

Il en est de même lorsque la lumière, après avoir cheminé dans le vide ou dans l’air, rencontre un corps transparent, tel qu’une lame de verre ou de cristal. Pour aller d’un point, situé dans le premier milieu, à un autre, pris dans le second, la lumière pourrait suivre la ligne droite qui les joint. Mais, comme elle se propage beaucoup moins vite dans le second milieu, il y a intérêt à ce que son parcours y soit réduit. Le calcul indique que, pour réaliser le maximum de vitesse, il faut qu’il y ait, entre ce qu’on appelle les sinus des angles d’incidence et de réfraction, un rapport constant, précisément égal au rapport des vitesses dans les deux milieux ; c’est exactement ce que vérifie l’expérience.

Ainsi les deux lois fondamentales de la propagation de la lumière auraient pu être déterminées d’avance, sans aucun recours à l’observation, par cette seule condition qu’il y eût, dans toute hypothèse, le minimum de travail dépensé.

De tous les exemples qu’on peut invoquer pour montrer la généralité du principe de la moindre action, il en est peu dont la signification soit plus claire que celle des arrangements si souvent réalisés par les cristaux. C’est d’abord la fréquence bien constatée des formes les plus simples, qui justement correspondent au maximum de cohésion, c’est-à-dire de stabilité, pour les faces ainsi produites. Ainsi, dans le système cubique, le cube, l’octaèdre, le dodécaèdre à faces losanges l’emportent incomparablement sur les formes plus compliquées. De même, dans tous les systèmes, les combinaisons de clivages ou de propriétés optiques correspondent presque toujours aux solutions les plus simples, parmi celles que la symétrie autoriserait à prévoir.

Mais ce qui est surtout frappant, c’est ce qu’on pourrait appeler l’ingéniosité déployée, par les assemblages de cristaux, pour réaliser une stabilité supérieure à celle que leur système semblait autoriser. Tel cristal, comme la staurotide ou croisette de Bretagne, qui devrait se présenter sous la forme d’un prisme allongé, à base de losange, a coutume d’associer deux de ces prismes à angle droit, de manière à former une croix presque parfaite, qui donne à l’ensemble une même résistance suivant deux directions rectangulaires.

 

 

Fig. 1. Staurotide. a) prisme simple, b) cristal maclé en croix.

Tel autre, comme le gypse ou sulfate de chaux, qui n’a qu’un seul plan de symétrie, se macle, suivant l’expression usitée, de manière que l’ensemble arrive à en posséder trois.

 

Fig. 2. Gypse. a) macle en fer de lance, b) macle à 2 plans de symétrie,

c) macle à 3 plans de symétrie.

 

Un exemple encore plus instructif est celui de la christianite[46], qu’on rencontre dans les vacuoles de quelques laves. Cette espèce, qui ne possède qu’une symétrie peu élevée, commence par grouper plusieurs individus en une colonne prismatique ayant la section d’une croix grecque et terminée par un toit pyramidal. Cela fait, deux colonnes semblables s’associent à angle droit, comme dans la staurotide ; après quoi une troisième identique vient s’implanter perpendiculairement aux deux précédentes, en les traversant de part en part. A ce moment, le cristal a réalisé cet idéal, qui consiste à offrir une égale résistance dans les trois directions de l’espace.

Une troupe, assaillie par une force capable de l’envelopper, se forme en carré, parce que de cette façon elle ne peut être attaquée à revers ; et cette disposition suffit, l’assaut ne pouvant venir d’en haut.

 

 

 

 

 

Obligée de prévoir d’autres attaques, la christianite y pourvoit par sa disposition en double croix grecque, semblable à l’instrument que les couvreurs ont l’habitude de suspendre à une corde afin d’avertir qu’une toiture est en réparation

 

 

Fig. 3. Christianite. a) macle simple, b) en croix grecque, c) croix assemblées dans les 3 directions

Mais ce n’est pas assez. Dans un solide, tout angle rentrant est une cause de faiblesse, en multipliant les surfaces d’attaques. Or, de ces angles rentrants, la christianite renferme visiblement trop. Alors on la voit se ramasser en quelque sorte sur elle-même, en contractant ses trois colonnes vers leur rencontre commune. Enfin un moment vient où les six pyramides terminales[47], amenées au contact, se soudent exactement les unes aux autres, transformant l’assemblage en un solide régulier à douze faces, de tous les polyèdres cristallins celui qui présente, sans cesser d’avoir des faces planes, la forme la mieux rassemblée, la plus voisine d’une sphère.

Un art égal se trouve déployé dans l’assemblage de deux cristaux de diamant. Individuellement, par sa symétrie, le diamant n’a droit qu’à la forme de la pyramide à quatre faces, dite tétraèdre régulier.

Mais cette pyramide a des arêtes bien saillantes et des angles bien pointus, danger sérieux pour une substance dont la merveilleuse dureté n’exclut pas une grande fragilité sous le choc.

Aussi deux tétraèdres de diamant commencent-ils par s’associer, en se plaçant exactement à angle droit l’un par rapport à l’autre. Puis les huit pointes se trouvent simultanément abattues par des troncatures triangulaires équilatérales ; après quoi le raccourcissement des tronçons restants rapproche les huit triangles, jusqu’au moment où ils se touchent, engendrant un octaèdre parfait ; et c’est à peine si, à la loupe, on verra se dessiner le long des douze arêtes comme un sentiment de gouttière, où se révèle l’artifice employé.

Fig. 4. Diamant. a) macle commune, b) massif (courbe).

 

Ce n’est pas tout ; il arrive souvent que les faces de la pyramide octaédrique se chargent d’une série de facettes en escalier, dont les contours se fondent les uns dans les autres.

Ainsi le cristal devient courbe et ne présente plus aucun élément sur lequel puissent mordre les agents usuels de destruction.

Si des combinaisons aussi savantes, au lieu d’être réalisées dans le monde minéral, se rencontraient, comme les faits de mimétisme, parmi les individus du règne organique, il se trouverait sans doute quelque disciple de Darwin pour en trouver la raison dans la loi de survivance des êtres les mieux doués , transmettant par hérédité les qualités qui leur ont assuré la victoire. Mais ici, où il s’agit de cristaux, qui pourrait parler d’instinct, de survivance ou d’hérédité ? Et alors, comment se refuser à y voir l’intervention de ce Législateur, qui assure à chaque espèce les conditions de meilleure résistance, en vertu du principe de moindre action, et même lui permet de conquérir, par d’habiles dispositions, beaucoup plus de stabilité que sa nature propre n’en semblait comporter !

C’est qu’en effet il ne s’agit pas ici de faits exceptionnels et isolés. Mallard a montré que tous les groupement de cristaux, qualifiés du nom de macles, rentraient dans la même règle. Tous s’accomplissent de telle sorte, que l’ensemble des individus groupés réalise une symétrie plus élevée que chacun des composants ; et naturellement cette conquête marche de pair avec une plus grande résistance vis-à-vis de l’extérieur.

A ces manifestations si frappantes de l’ordre et de l’harmonie s’ajoute un autre enseignement, qu’il nous paraît bon de recueillir en passant.

Par une dérogation fréquente à la loi chimique des proportions définies, l’expérience nous apprend que deux corps différents peuvent, dans certains cas, cristalliser ensemble en toutes proportions. C’est la propriété que les chimistes désignent sous le nom d’isomorphisme, et qui se manifeste quand les corps ainsi susceptibles de s’associer ont des compositions chimiques semblables et des formes individuelles très voisines ; tels sont les sulfates de fer, de magnésium et de zinc ; tels aussi les carbonates de calcium, de magnésium, de manganèse et de fer, etc., etc. , Ainsi se forment des cristaux très nets, mais de composition complexe.

 

 

 

Il en est, comme les sulfates précités, qu’on peut produire à volonté dans les laboratoires, en vérifiant que, pour une quantité invariable d’acide sulfurique, il est loisible de faire intervenir les proportions respectives qu’on veut des oxydes de fer, de zinc et de magnésium, sans que cela trouble en rien la limpidité ni la netteté des cristaux, dont les angles seuls présentent une très légère variation, en rapport avec la nature du composants qui prédomine.

L’explication de l’isomorphisme paraît extrêmement simple : deux particules non identiques sont néanmoins admises dans le même édifice, parce qu’elles diffèrent assez peu pour que leur coexistence ne trouble pas la symétrie générale. Cet arrangement met donc en évidence ce que nous nous permettrons d’appeler la tolérance de la nature. Un architecte intransigeant, ayant résolu d’exécuter une construction avec des cubes de pierre, les refuserait impitoyablement sur le chantier si, à la vérification, il ne trouvait pas toutes les arêtes rigoureusement égales, ni tous les angles exactement droits. Au lieu de cela, un constructeur plus tolérant se contentera de demander que les différences ne dépassent pas une certaine limite ; et alors, par d’heureuses combinaisons de ces cubes un peu défectueux, en corrigeant les inégalités des uns par les défauts en sens contraire des autres, il saura donner à sa construction un aspect d’ensemble assez correct pour que nul n’y trouve à redire.

Ainsi, oserions-nous conclure, a procédé le Souverain Architecte. Par là, il nous a donné une leçon dont il y aurait profit à nous inspirer, même dans d’autres domaines que celui de l’architecture. Si ce n’est pas tout à fait employer le minimum d’efforts, ce serait du moins manifester le minimum d’exigences, et éviter entre les hommes le plus possible de frottements. D’ailleurs, puisque le frottement ne peut être vaincu que par un travail mécanique, en prenant soin de le diminuer, on se montrerait encore fidèle à la règle de la moindre action.

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(N.B. Les figures nécessaire à l’intelligence de cet article ont été extraites du recueil établi par Raymond Fischesser, « Données des principales espèces minérales », Paris, Sennac, 1955.)

 

 

 

COURRIER DES LECTEURS

 

De Monsieur M.I. (Albanie)

 

(…) Vous pouvez être assurés que j’apprécie beaucoup le contenu de votre revue. J’approuve les efforts que vous faites en harmonie avec ces paroles de l’apôtre Paul : « car nous renversons les sophismes et tout ce qui est altier et se dresse contre la science de Dieu ; et nous assujettissons toute pensée pour l’amener à obéir au Christ » (II Co 10:5). Je pense tout particulièrement à cette pseudo-science qu’est l’évolutionnisme. Voyez aussi 1 Cor 1:19 et 3:19. Aussi ai-je beaucoup apprécié les numéros 4, 9 et 12.

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De Monsieur C. S. (Angleterre)

 

J’ai maintenant 85 ans et je sens que je dois céder ma place à de plus jeunes hommes et femmes dans le combat contre les forces de Satan dans ce monde et à cette époque. Mais c’est un plaisir pour moi de lire vos publications : Merci de tenir bon contre tous ces haut-placés qui, en science ou en théologie, laissent l’erreur s’infiltrer pour la confusion des fidèles.

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De Monsieur P.T. (Ile de France)

 

Merci pour vos travaux et articles qui bien que dépassant quelquefois mes compétences, me permettent toutefois d’apprendre de nombreuses choses ignorées ou cachées et ainsi de m’élever, un peu, vers la lumière.

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Du Fr. B. (Sarthe)

 

Ce qui m’incite à vous écrire est l’article « Alliance et Chiffre 8 » d’Yves Germain.

Cela me fait penser au bouleversement de la liturgie depuis plus de trente ans :

  1. Pourquoi toutes les octaves des grandes fêtes ont-elles été supprimées ? Même et surtout celle de Pentecôte depuis 1970 !…
  2. Pourquoi l’heure de Prime d’abord, puis les autres ont-elles été soit supprimées, soit raccourcies et bouleversées, alors que le psaume CXVIII, v.164, dit ; « sept fois le jour[48], je redis votre louange », ce qui fait 8 avec l’office nocturne ?
  3. Enfin, pourquoi avoir bouleversé et changé les 3 x 8 = 24 dimanches après la Pentecôte ?

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De Monsieur P.C. (Landes)

 

Excellent, l’article sur le « coléoptère explosif »!… J’en connaissais l’existence depuis 1980 grâce à l’Abbé Boyer2 et sa revue « Encore Fatima ». On y signale que la réaction explosive produite par le « brachyne tirailleur », donne un mélange d’oxygène et de benzoquinones toxiques. L’oxygène sert de gaz propulseur pour l’expulsion des benzoquinones. Le jet très chaud (100° C) n’est pas continu mais propulsé comme le tir d’une mitrailleuse, avec un bruit « pop » nettement audible… A chaque « pop » de son jet défensif le brachyne tirailleur porte un nouveau coup à la théorie de l’évolution.

 

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Rois Mages Paul Claudel

 

Le mystère premier, c’est la proposition aux Rois qui sont en même temps les Sages.

Car, pour les pauvres, c’est trop simple, et nous voyons qu’autour de la Crèche le paysage

Tout d’abord avec force moutons ne comporte que des bonnes femmes et des bergers, Qui d’une voix confessent le Sauveur sans aucune espèce

de difficulté.

Il sont si pauvres, que cela change à peine le bon Dieu, Et son Fils, quand Il naît, se trouve comme chez Lui avec eux.

Mais avec les Savants et les Rois c’est une bien autre affaire !

Il faut, pour en trouver jusqu’à trois, remuer toute la terre. Encore est-il que ce ne sont pas les plus illustres

ni les plus hauts,

Mais des espèces de magiciens pittoresques et de petits souverains coloniaux.

Et ce qu’il leur a fallu pour se mettre en mouvement, ce n’est pas une simple citation,

C’est une étoile du Ciel même qui dirige l’expédition,

Et qui se met en marche la première au mépris des Lois astronomiques

Spécialement insultées pour le plus grand labeur de l’Apologétique.

Quand une étoile qui est fixe depuis le commencement du monde se met à bouger ,

Un roi, et je dirai même un savant, quelquefois peut consentir à se déranger.

C’est pourquoi Joseph et Marie un matin voient s’amener

Gaspard, Melchior et Balthazar,

Qui, somme toute, venant de si loin, ne sont pas plus de douze

jours en

retard.

Mère de Dieu, favorablement accueillez ces personnes honnêtes

Qui ne doutent pas un seul moment de ce qu’elles ont vu au bout de leurs lunettes.

Et ce qu’ils vous apportent à grand labeur du fond de la Perse

, ou de l’Abyssinie

Tout de même ce sont des présents de grand sens et de grand

prix:

L’or (qu’on obtient aujourd’hui avec les broyeurs et le cyanure), Et qui est l’étalon même de la Foi sans nulle fraude ni rognure ;

La myrrhe, arbuste rare dans le désert qu’il a fallu tant de peines

pour préserver,

Dont le parfum sépulcral et amer est le symbole de la charité ;

Et la pincée de cendre immortelle soustraite à tant de bûchers,

L’unique once d’encens, c’est l’Espoir, que Melchior est venu vous apporter,

Au moyen de mille voitures et de deux cent quatre vingt

chameaux à la

file,

Qui sans aucune exception ont passé par le trou d’une aiguille !

 

 

 

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* *

 

  1. M. Berthelot, Les Origines de l’Alchimie, Paris, Steinheil, 1885, p. V.

  2. Rééd. Paris, 1829, Bibliothèque choisie, p.288.

  3. Ibid., p.323.

  4. H. Spencer, Principles of Psychology, Londres, Will & Norgate, 1855, p.63. Trad. D. Becquemont.

  5. L’expression est de Clémence Royer, dans sa préface à la première traduction française de L’Origine des Espèces (Paris, Reinwald, 1862, p.LXIII).

  6. Alexandre Vialatte, « Chronique des farces et attrapes » (Journal La Montagne du 20 mars 1963).

  7. Wiliam K. Kilpatrick, Séduction psychologique. L’échec de la psychologie moderne, Centre biblique européen, Lausanne, 1985, p.31.

  8. Ndlr. Comme il arrive souvent, l’auteur anticipe une évolution qu’il voit inéluctable mais dont le rythme est ralenti par l’inertie des sociétés : elle agit aussi dans le bien, fût-ce avec moins d’efficacité que dans le mal.

  9. Max Thürkauf (1925-1993), professeur de Chimie physique à l’Université de Bâle et docteur en philosophie, avait rédigé cet article en 1985. Nous remercions Madame Inge Thürkauf de nous l’avoir communiqué. Les francophones pourront lire l’ouvrage que Max Thürkauf avait donné en 1989 aux éditions Téqui : « Cosmos et Création« .

  10. Pieper J. : Versteidigungsrede für die Philosophie. Munich : Kösel, 1966.

  11. Silesius, A, : Der cherubinische Wandersmann. Zurich, Diogenes, 1979.

  12. Chargaff, E. : Bemerkungen. Scheidewege 5, 232 (1975).

  13. Kilim : technique de tissage permettant d’obtenir des taches de couleurs sur la surface, sans passer le fil sur toute la largeur du tissu.

  14. Ensemble de fils parallèles, tendus et disposés dans le sens de la longueur du tissu à créer.

  15. Ensemble de fils perpendiculaires aux fil de chaîne, passant – à l’aide d’une navette – dans le sens de la largeur et s’entrecroisant avec les fils de chaîne pour former le tissu.

  16. Occult Theocrasy, vol. II, p. 580-581 (publication posthume privée, Paris 1933, réed. The Christian Book Club of America, P.O.B. 900566, Palmdale

    CA 93590, USA)

  17. Née Edith Starr Miller, l’auteur fut guidée par son oncle vers une étude approfondie des réseaux ésotériques dès avant le premier conflit mondial. Appartenant à la haute société anglo-saxonne mais résidant en France, elle fut à même de recueillir une information ample et précise qui fit apparaître une profonde unité sous les apparences diverses des multiples cultes ou sectes « ésotériques » (c’est-à-dire véhiculant un enseignement secret). Au cours de cette enquête, elle rencontra aussi certains aspects de l’art moderne.

  18. L’Art et la Pensée, DMM, 1972. Pp.266-268.

  19. Le Révérend Adam Sedgwick, Woodwardian Professeur de Géologie à l’Université de Cambridge. Né en 1785, mort en 1873. La géologie lui doit notamment l’identification du Cambrien (en 1835) et l’étude du Dévonien (1839). Dans sa thèse, Daniel Becquemont note : « Personne n’a mieux exprimé que Sedgwick les enjeux à la fois moraux, religieux et scientifiques, représentés par la théorie darwinienne » (p.330)

  20. Cette lettre figure dans la « Vie et correspondance de Ch. Darwin, publiée par son fils M. François Darwin ; Paris, Reinwald, 1888, t. I. pp.91-95. Pour certains passages nous avons préféré à cette traduction due à Henry C. de Varigny la traduction récente donnée par Daniel Becquemont dans sa thèse « Darwinisme et évolutionnisme dans la Grande-Bretagne victorienne » soutenue à Lille.

  21. . Sedgwick reproche à Darwin de ne pas s’être cantonné à la stricte induction passant des faits observés à des hypothèses plus générales. Car Darwin avançait des hypothèses non prouvées et demeurait sans justifications expérimentales de sa théories. Dans ses notes, publiées en 1960 par le Bulletin du British Museum, on trouve cet énoncé de sa méthode : « La ligne d’argumentation souvent poursuivie dans ma théorie est d’établir un point comme une probabilité par induction et de l’appliquer comme hypothèse à d’autres parties pour voir s’il les résoudra« (Notebook III, vol. 2, n°4). De là

  22. Un « criminel » particulièrement violent (cf. Le Cep n°12)

  23. Sazikov fait la loi parmi les « criminels » du camp, mais il a été soigné par Père Arsénie (cf. Le Cep n°13).

  24. Ce qui n’est en rien prouvé. Lire à ce sujet dans le n°6 du Cep l’article :

    « L’analyse génétique de l’homme de Néandertal, ou la cure de jouvence« .

  25. Je pense ici au Linceul de Turin : une revue de vulgarisation. scientifique avait attaqué violemment et à plusieurs reprises l’authenticité de la relique après les analyses au C14 de 1988. Des échanges de courrier avec argumentation scientifique eurent lieu avec la rédaction… Ils aboutirent à un « courrier des lecteurs », mais le contenu de la lettre s’est vu « censuré » par un « remixage » dénaturant les propos. Il y a 3 ou 4 ans, le responsable du Centre International d’Etude sur le Linceul de Turin rencontra le directeur de cette même revue qui désirait faire un article sur le Linceul. Enfin convaincu par l’argumentation avancée sur les problèmes de la datations par le C14 et la forfaiture des laboratoires d’analyse, le directeur répondit : « On a tellement dit à nos lecteurs que le Linceul était un faux parce que les analyse au C14 sont absolument fiables, qu’on ne peut pas encore écrire d’un seul coup le contraire. Nous ne serions pas crédible !… Tout au plus peut-on faire un article mettant en doute qu’il soit un faux« . L’article parut sous le titre : « Le Linceul est-il un faux ? ».

  26. Ce fut le cas du crâne de « l’homme de la Chapelle aux Saints » aux allures simiesques, reconstitué par Boule. Il y a une quinzaine d’années, le montage a été refait : à la grande surprise, ce crâne devenait totalement humain, ce qui fit écrire pudiquement, à l’époque, dans les revues spécialisées, que fatalement, lors d’une reconstitution, le paléontologue se laissait influencer par ses « clés d’interprétation »… ce qui serait donc toujours le cas aujourd’hui ?

  27. A.F.S. 31 rue de Rennequin, 75017 Paris

  28. The Latin Mass, 1331 Red Cedar Circle, Fort Collins, CO 80524, USA 3 Le procédé « non directif« . Il s’agissait initialement d’une thérapeutique inventée par des psychologues américains dans les années 1940. L’idée constitutive en était que tout être humain possède en lui-même dans sa conscience, au tréfond de son « moi », les réponses aux questions qu’il se pose en matière de comportement. Il reste alors à lui faire retrouver ces « autoréponses, dégagées de toute orientation extérieure, antérieure (éducation reçue) ou présente (guide spirituel ou psychothérapeute) : d’où le nom de méthode « non directive ».

  29. IHM : Immaculate Heart of Mary. Les religieuses du Coeur Immaculé de

    Marie

  30. Procès jugé par la Cour suprême des Etats-Unis en 1973, qui concluait à la constitutionnalité des lois locales autorisant l’avortement, et qui fait toujours jurisprudence.

  31. Le docteur Paul Witz est un célébre psychologue américain qui a écrit un livre intitulé Psychology as Religion.

  32. Dictionnaire de Théologie Catholique, art. Soufisme, coll. 2458.

  33. Godfrey Higgins (Anacalypsis), cité par Lady Quennborough, Occult Theocrasy, Christian Book Club, p.599.

  34. A ce sujet l’ouvrage de Malachi Martin « Les Jésuites » (Ed. du Rocher, 1989) apporte bien des informations utiles.

  35. D.T.C., art. Soufisme, coll. 2444.

  36. Notamment en essayant de relier les 9 « types » aux 7 péchés capitaux.

  37. Ch. IV, 25.

  38. Exposition sur le prophète Jonas. Pat. gr., t. 126, c.960.

  39. Sur Jonas. Pat. gr., t. 81,c.1738.

  40. Théoph., op. cit., c. 943.

  41. Jonas, IV, 4.

  42. Biblioth. Historique, L. III, 36 (Ed. Regnault).

  43. Cf. Atlas biblicus, de Hagen, chez Lethielleux, carte 7.

  44. Extrait de « Science et Apologétique« , Paris, Bloud 1905, pp.140-157. 2 Fondateur de la chaire de géologie à l’Institut Catholique de Paris, Albert de Lapparent (1839-1908) était membre de l’Académie des Sciences.

  45. H. Poincaré, La Science et l’hypothèse, Paris, Flammarion,p.154.

  46. Dédiée au roi Christian VIII du Danemark par des Cloizeaux (1847).

  47. En grisé sur la figure.

  48. Les heures du jour de l’Office ;

    Laudes+Prime+Tierce+Sexte+None+Vèpres+Complies = 7 (+ Matines =8) 2 Sur la personnalité de l’Abbé Jean Boyer, se reporter aux articles « Avoir été prêtre-ouvrier » dans Le Ceps 1, 2 et 3.