Comment le nom du cheval nous éclaire sur les anciens cultes funéraires, ou Un problème de toponymie celtique en Languedoc occidental éclairé par le nom du cheval

Par Jean Taffanel

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Les dessous de la préhistoire :


Résumé : Après les Ibères et les Ligures, le site de Mailhac (Aude) fut occupé par les Volques Tectosages, des Gaulois et aussi des cavaliers qui devinrent la minorité dirigeante et imposèrent leur langue celtique. Or une branche de l’expansion celte allait gagner l’Europe du Nord jusqu’en Finlande. On peut peut-être expliquer ainsi la proximité du mot finnois hébo pour jument, avec le languedocien êgo, corroboré par la présence sur le site d’une céramique du VIIème siècle avant Jésus-Christ dont la forme et les motifs se retrouvent sur la même extension géographique. De même le mot celte marco pour cheval se retrouve dans le languedocien marcou. Or un vase du Bronze final trouvé dans la nécropole de Las Fados montre l’âme du mort emportée vers l’Hadès sur le dos d’un cheval. On peut donc conclure que la conquête celte a continué les cultes chtoniens rendus aux âmes des ancêtres.

Ayant analysé une étude intitulée Le nom du cheval chez les Celtes, en relation avec quelques problèmes archéologiques1, nous avons vu apparaître un riche dossier relié aux cultes chtoniens2 de la période mégalithique. Il faut savoir que les dolmens édifiés dans la 2ème période (1800 avant Jésus-Christ) par nos premiers Ligures languedociens, furent l’objet d’un culte rendu aux ancêtres jusqu’au bas empire romain. Les Volsques « Tectosages » étaient, comme nous le savons, des Gaulois (comme par ailleurs les Galates, mais ce terme les met surtout dans la grande famille celtique). Après leur conquête du Languedoc sur les Ibéro-Ligures (vers 320 avant Jésus-Christ), il y eut fusion des Volsques avec la société ibéro-ligure.

Cette suprématie militaire des Volsques sur les populations précédentes ne détruisit aucune ancienne croyance ligure, bien au contraire ! Les nouveaux occupants celtes respectèrent le cadre cultuel ibéro-ligure, d’autant que cette société préexistante leur était numériquement bien supérieure.

Cependant la langue devint celtique et non plus ibère ou ligure ; une toponymie celtique se surajouta, faisant apparaître des noms de lieux nettement celtiques, mais où les racines ont conservé très souvent le nom d’origine. Nos Ligures adoptèrent donc un certain nombre de termes celtiques, mais cela ne changea en rien le culte qu’ils rendaient aux ancêtres sur l’emplacement des tombeaux dolminiques. Nous insistons sur ce point, car il éclairera notre recherche toponymique en relation avec les croyances ligures.

Pour commencer, signalons une étrange correspondance onomastique entre deux régions fort distantes. Nous lisons ceci (op.cit., p. 127): « le finnois possède Hebo : jument. » Or dans notre montagne audoise, dans le Saint-Ponnais jusqu’à l’Aveyron, la jument est ainsi désignée : êgo (en dialecte languedocien)3. Pour notre part, nous apercevons une étroite parenté onomastique entre le terme finnois hebo pour désigner la jument, et êgo en Languedoc. Certes on objectera qu’en finnois il y a un B, et en Languedoc un G. Je répondrais que la permutation d’une consonne dans le cadre d’un mot est chose bien attestée.

D’autre part l’expansion de ce terme de la Finlande jusqu’au Languedoc peut s’expliquer. Il y eut, au Néolithique moyen et final, une expansion des descendants de Thogarma, fils de Gomer, depuis l’Asie Mineure jusqu’à l’Europe Centrale et l’extrême nord de l’Europe. Thogarma est reconnu comme l’ancêtre biblique des Arméniens, mais aussi des Thraco-Phrygiens, étroitement apparentés aux Arméniens. Je ne m’étendrai pas ici sur ce dossier, mais je puis affirmer que Thogarma est bien l’ancêtre commun des Arméniens et des Phrygiens, au témoignage des auteurs de l’Antiquité4.

Un dossier récent, que nous avons étudié5, décrit la typologie d’une céramique que l’on retrouve au Néolithique récent à travers toute l’Europe Centrale, avec même une pièce (coupe décorée) au Danemark. La céramique étudiée se retrouve en Languedoc au VIIème siècle avant Jésus-Christ, avec de nombreuses correspondances de formes, et parfois de décors, dans une société thraco-phrygienne, celle des Bébryces6.

Tous ces jalons nous permettent de penser que la genèse de notre civilisation thraco-phrygienne du VIIème siècle avant Jésus-Christ en Languedoc a son origine au Caucase. Suit son passage en Asie Mineure et enfin son expansion tant vers l’Europe Centrale que vers la Volga et l’Oural, puis jusqu’à l’extrême nord de l’Europe.

Par conséquent le terme finnois hebo : jument et le languedocien êgo peuvent avoir la même origine, ayant accompagné les descendants de peuples qui avaient le même fonds linguistique. Ce terme n’est donc pas proprement celtique, pas davantage ligure ni même ibère, mais thraco-phrygien ; telle sera notre conclusion.

Passons maintenant à un autre terme qui nous livrera de riches perspectives. L’un des noms du cheval en celte est marco(s), mais ce terme désigne le cheval monté par un cavalier ; ce point est important. Dans l’étude de J. M. Loth, nous lisons (p. 182) : « En vieux gallois, vieux cornique, vieux breton, les noms propres composés avec marco ou son dérivé marcaco : cavalier, sont nombreux. »7 Nous retrouvons donc ici marco(s), cheval avec son cavalier. Or dans le Compoix de Mailhac (Aude), en 1671, est mentionné le lieu-dit Mount Marcou. Or à cet endroit précis se dresse le dolmen de Mailhac qui a livré un riche mobilier funéraire à son inventeur. Ce terme Mount Marcou doit être interprété ainsi : le mont du cavalier. Marco passe à Marcou, mais en Languedoc cela est tout à fait normal. Citons le latin olla, qui, en languedocien devient oulo (pron. oula), le morel qui se prononce mourel, etc.

Maintenant, que vient faire ce cavalier autour d’un dolmen ? On peut répondre à cette question, en consultant une étude de Fernand Benoît 8 où se trouve le passage suivant :

« La représentation du voyage du défunt sur un cheval appartient à la plus ancienne symbolique méditerranéenne. On la trouve en Crète dès l’époque minoenne et sur la céramique des Cyclades. » Ajoutons que nous l’avons reconnue gravée sur un vase d’une tombe Bronze final de la nécropole de Las Fados (commune de Pépieux, Aude), avec d’autres graffiti qui nous ont livré un riche message à caractère chtonien.


Le cavalier, nettement représenté sur le dos du cheval,  n’est autre que l’âme du mort emportée dans l’Hadès. Sur le même vase, le cheval voisin porte sur son dos un dolmen, ce qui ne peut nous surprendre, puisque sur un plat d’une autre tombe le dolmen figure, répété dix fois en frise verticale.


Ainsi pourrons-nous conclure que les croyances ibéro-ligures reliées au culte des ancêtres restèrent en honneur après l’occupation celtique par les Volsques Tectosages, mais le message s’est transmis dans la langue celtique.


1 J.M. Loth, « Les noms du cheval chez les Celtes en relation avec quelques problèmes archéologiques », Mémoires de l’Académie XLIII, Imprimerie Nationale, s.d., pp. 117-139.

2 Ndlr. Étym. « souterrain » : ayant donc rapport avec les divinités « infernales » (Perséphone, Hadès, Déméter, etc.).

3 Mais à prononcer « ega » selon la graphie occitane normalisée, ce qui montre bien le lien avec le mot du latin equa, jument.

4 Perrot et Chipiez, Histoire de l’art dans l’Antiquité, t. V, Paris, Hachette, 1850, p. 2, note 1, donnent ce qui suit : « Hérodote, Histoires, VII, 73. Cf. Eudoxe dans Étienne de Byzance, s.d., et Eustathe dans son Commentaire sur Denys le Périégète, 624. On allait jusqu’à regarder comme synonymes les deux mots Arménien et Phrygien (Crair, Anecdota græca oxoniensia IV, p. 257). Josèphe, Ant. jud. 1.6, fait des Phrygiens les descendants du Thogarma du ch. X de la Genèse. On s’accorde à croire que le nom de Thogarma désigne les Arméniens. »

5 Jan Liepardus, Zur Entstehung der Linearband Keramik (Contribution à l’origine de la céramique linéaire rubannée), Germania, pp. 1-15 ; t. 50, Saarbrücken, 1972.

6 Les Bébryces sont des Ligures qui habitaient entre la rivière Aude et les Pyrénées, cf. Pline, Silius Italicus, Aviénus, Dion Cassius.

7 De là le français « maréchal ».

8 Fernand Benoît , Des chevaux du Mouriès aux chevaux de Roquepertuis, in Préhistoire, t. X, Paris, P.U.F., 1948, p. 182.

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