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Par:Jean Staune
Pour un évolutionnisme créationniste ![1]
Résumé : En 1994, désireux de convaincre de leur erreur les lecteurs de la revue Science et Foi, Jean Staune avait décrit en quelques pages sa vision d’un évolutionnisme « théiste », acceptable donc par les chrétiens. Il répliquait ainsi à un article contraire de Peter Wilders. Il nous a paru instructif, en exhumant ce texte, de porter à la connaissance des lecteurs du Cep la manière dont Jean Staune se représentait alors l’origine de l’Homme, et sa relecture typiquement concordiste des deux premiers chapitres de la Bible. Genèse 1 décrirait l’apparition des différentes classes d’êtres vivants, dans l’ordre même où les situe la théorie de l’évolution ; Genèse 2 présenterait les « archétypes », les différents plans d’organisation possibles, conçus dans la pensée divine avant leur réalisation dans le temps. Adam (l’archétype de l’homme) serait donc « antérieur au Big bang » ! Le passage d’une espèce à une autre se ferait en une seule génération, par passage brusque d’un plan d’organisation à un autre : théorie « typologiste » qui a le mérite d’éviter toutes les objections faites au gradualisme darwinien, et que Jean Staune qualifiait alors lui-même d’évolutionnisme « créationniste ».
Dans Science et Foi n° 24 Peter Wilders affirme que ce qu’il nomme un « évolutionnisme théiste » n’est pas compatible avec la foi chrétienne. À ses yeux cette incompatibilité s’étend à toute théorie acceptant l’idée d’évolution : «La causalité divine est complètement inacceptable pour la science de l’Évolution, car la spéciation est essentiellement un procédé de sélection naturelle sur des mutations dues au hasard. »
Il y a là une confusion sur les termes, que font souvent à la fois les défenseurs et les adversaires de l’Évolution. La théorie de l’Évolution affirme que les formes vivantes se sont succédées sur terre au cours des époques géologiques dans l’ordre : invertébrés —- > poissons —- > batraciens —- > reptiles —- > mammifères.
Mais, en elle-même, la théorie de l’Évolution n’affirme rien sur la façon dont on est passé d’un ordre à l’autre ; et surtout pas que ce passage s’est fait par « sélection naturelle et mutations au hasard » ! C’est le darwinisme et le néodarwinisme qui soutiennent cette dernière proposition. C’est pourquoi, quand P. Wilders dit : « La théorie de l’Évolution est enseignée car elle apporte une explication purement naturelle à l’origine et du cosmos et de tout être vivant. Lorsque l’esprit a accepté cette idée il n’y a plus de place pour le surnaturel », il fait de nouveau cette même confusion entre l’idée d’évolution et les mécanismes explicatifs de cette évolution. Car, parmi les théories explicatives de l’évolution, il en est qui visent clairement à exclure tout créateur de l’Univers (voir par exemple L’Horloger aveugle, de R. Dawkins) et d’autres montrant, à l’opposé, que toute explication purement naturelle de l’évolution est impossible ! Donc la « Théorie de l’Évolution », en tant que telle, ne saurait en aucun cas éliminer le surnaturel !
Quelles sont donc ces théories explicatives de l’évolution? Elles sont au moins quatre. Tout d’abord le darwinisme et le néo-darwinisme, théories qui affirment que la vie est une sorte de « long fleuve tranquille », que l’on passe graduellement, insensiblement, d’une espèce à une autre grâce à ces fameuses mutations. Plus fondamentalement, le darwinisme repose sur l’idée que la macroévolution est identique à la microévolution, c’est-à-dire que le mécanisme qui a permis de passer du loup au caniche ou au dogue danois, est le même que celui qui a permis de passer du poisson à l’homme. Inspirée par la position de Lyell en géologie, c’est la position dite « actualiste » qui suppose que les phénomènes qui se sont déroulés dans le passé (l’apparition de nouveaux plans d’organisation, par exemple) ont les mêmes causes que ceux qui se déroulent aujourd’hui sous nos yeux (les mutations).
La deuxième école, celle des « équilibres ponctués », suppose que l’évolution est à l’image de la vie … d’un policier, selon la métaphore de Gould : « de longues périodes d’inactivité et quelques minutes de terreur ». Les cataclysmes et les macromutations provoquent des modifications brutales mais explicables uniquement par des lois naturelles.
Il n’est pas nécessaire de montrer en quoi le darwinisme, s’il possède une forte cohérence interne, n’a aucune cohérence avec les faits paléontologiques, car cela a été fait à de nombreuses reprises dans Science et Foi. Les « équilibres ponctués » sont, eux, cohérents avec ces faits qui montrent clairement que l’on ne passe pas graduellement d’une espèce à une autre et, surtout, pas d’un plan d’organisation à un autre. Mais en tant que théorie, ils n’ont aucune cohérence interne : comment le hasard pourrait-il expliquer la cohésion des réaménagements du génome ? Le hasard est compatible avec le darwinisme, pas avec les équilibres ponctués.
La troisième école est l’école vitaliste, celle à laquelle P. Wilders fait référence quand il dit qu’il y aurait « un germe spirituel non identifié au cœur de la matière, qui la pousserait vers des états toujours plus complexes ». Elle postule l’existence d’une force directrice à l’intérieur de la matière et rejette donc le hasard, mais elle bute comme le darwinisme sur les ruptures qui sont survenues au long du processus évolutionniste. Incidemment, comme le dit P. Wilders, elle serait plus proche du panthéisme que du christianisme, puisque la nature se suffisant à elle-même, il n’y a nul besoin de transcendance.
Venons-en à la quatrième école, celle que nous nommons « l’évolutionnisme créationniste ». Cette école est en fait « typologiste ». Elle affirme qu’il existe dans la nature des types (nommés également plans d’organisation) entre lesquels il n’existe aucun intermédiaire. Ainsi le loup, le coyote, le dingo australien, le caniche, appartiennent au plan d’organisation des canidés qui n’a aucun intermédiaire possible avec ceux des félins, des bovins, etc. À l’intérieur d’un type les espèces apparaissent par des phénomènes darwiniens; par contre aucun mécanisme darwinien (ni même aucune « force vitale ») ne peut expliquer le passage d’un type à un autre. Pour expliquer ce passage, il faut un apport d’information de l’extérieur du système (ce qui n’est le cas d’aucune des trois autres théories). La vision typologiste implique que les plans d’organisation existent réellement, ainsi le plan de l’homme ou du chien existaient avant le début de toute évolution, et donc l’homme serait apparu dans tous les cas, contrairement aux positions d’un Gould qui affirme que l’évolution est contingente et que, si un ver de terre avait été écrasé il y 600 millions d’années, nous ne serions plus là. Ces plans d’organisation ou ces archétypes n’ont pas de bases matérielles, ils sont situés à un autre niveau de réalité. Néanmoins leur existence peut être prouvée par l’absurde. En effet aucune théorie voulant rendre compte de l’évolution en ne tenant compte que des forces matérielles ne peut être cohérente.
Le deuxième point-clé en faveur de leur existence, c’est la présence de corrélations ne pouvant être expliquées génétiquement : quand on constate qu’un papillon imite à la perfection une feuille morte au point d’imiter une espèce particulière de champignon qui se développe sur les feuilles mortes, comment éviter la conclusion que « le plan » du champignon existe en soi et qu’il a interféré avec le plan du papillon pour donner ce résultat extraordinaire ? Il y a de très nombreux autres exemples de ces corrélations qui n’ont aucune explication, si l’on ne se réfère pas à l’existence d’un autre niveau de réalité, celui des plans. Donc ces plans existent et peuvent interférer avec le développement des êtres vivants. L’apparition d’un nouveau type se déroule ainsi : les femelles d’une espèce A mettent au monde une espèce B (un primate engendrant un homme, par exemple) en une seule génération ; il n’y a pas d’espèce intermédiaire et il ne peut y avoir d’explication en termes de hasard, puisque la nouvelle espèce apparaît parfaitement formée dès l’origine. Cela explique à la fois l’apparition de B et la disparition de A, et c’est la théorie la plus compatible avec les faits puisque, comme le dit Gould, le « secret professionnel de la paléontologie » c’est justement que l’on assiste à des transitions brutales entre les espèces, sans étapes intermédiaires !
Il est facile de voir qu’une telle théorie de l’évolution répond à toutes les objections que P. Wilders mettait à la compatibilité entre évolution et foi chrétienne.En effet, loin « d’endoctriner les étudiants par la démonstration de l’inexistence de Dieu », un tel évolutionnisme ne prouve certes pas l’existence de Dieu mais, à l’image de la théologie négative, prouve que toute explication purement naturelle de l’évolution restera incomplète. Mais pourquoi ne pas adopter une position antiévolutionniste ?
Tout simplement parce qu’une telle position implique que toutes les espèces ayant existé ont vécu en même temps (c’est l’un des postulats-clés de la position antiévolutionniste). Or cette position est tellement improbable qu’elle en est indéfendable. L’évolution a infiniment moins de chance d’être fausse que le darwinisme le plus strict n’en a d’être vrai (et Dieu sait s’il en a peu) ! Il n’entre pas dans les buts de cet article de le démontrer, notre objectif était de montrer aux lecteurs de Science et Foi qu’il existait au moins une théorie explicative de l’évolution compatible avec le christianisme et que, donc, l’idée d’évolution (à ne pas confondre avec les théories explicatives de l’évolution, c’est un point fondamental) elle-même était compatible avec lui (ce qui n’est le cas ni du darwinisme ni du lamarckisme avec lequel nous n’avons rien à voir, contrairement à ce qu’a cru un peu vite D. Tassot (voir Science et Foi n° 28, article Holisme ou Christianisme), car le lamarckisme ne fait appel à aucun facteur externe à la nature).
Retenons donc que « l’évolutionnisme créationniste » :
– Nous dit que, loin de se complexifier graduellement sous l’effet du hasard ou d’une force intérieure à la Nature, l’évolution se fait grâce à l’action d’une force extérieure échappant à toute description matérielle.
– À défaut de la décrire, on peut montrer son existence grâce à un raisonnement par l’absurde et à l’existence des corrélations entre organismes vivants qui ne peuvent être expliquées que si des « plans » ou archétypes correspondant à ces organismes existent réellement. Ceci récuse toute possibilité de panthéisme et toute explication purement naturelle de l’Évolution.
– Le fait que ceux qui soutiennent l’idée d’Évolution, mais en donnent une explication darwinienne, soient contre cette théorie (comme Provine, cité par P. Wilders) n’implique nullement l’inexistence d’une telle théorie.Cette position « typologiste » que nous décrivons ainsi est celle d’éminents scientifiques comme M. Denton, M.P. Schutzenberger, R. Fondi, G. Sermonti, voire même J. Dorst.
– Que, loin d’aller dans le sens de l’inexistence de Dieu, une telle explication de l’Évolution montre qu’il n’y a aucune contradiction entre l’Évolution et un Dieu créateur.
Certes on ne peut démontrer la Création (ce n’est pas du domaine de la Science), mais on peut montrer que toute description de l’évolution des êtres vivants ne faisant appel qu’à des processus matériels est incomplète (toujours la théologie négative !).
– Et enfin que, loin de menacer la foi, l’évolutionnisme créationniste l’éclaire d’un jour nouveau !
En effet, à l’inverse de certaines écoles exégétiques modernes (Küng, Bultmann, Drewerman …) qui ne voient dans les premiers chapitres de la Bible qu’un ensemble de mythes ou de légendes, l’auteur de ces lignes pense, à l’instar des lecteurs et des rédacteurs de Science et Foi, qu’un texte de l’importance de la Bible contient des informations véritables sur la structure même du Monde et le sens de la vie de l’Homme. Mais la lecture qu’en font tous ceux qui, comme la Rédaction de Science et Foi, défendent l’inerrance biblique, et, à cause de cette lecture adoptent une position antiévolutionniste, s’oppose à cette conclusion ! En effet, à moins de recourir à la dialectique marxiste ou à la synthèse hégélienne (méthodes, on en conviendra, fort peu chrétiennes !) il est impossible, comme pourra le vérifier tout lecteur en s’y reportant, d’accepter simultanément Genèse 1 et Genèse 2. Car dans Genèse 1, l’homme et la femme sont créés après les végétaux et après tous les autres animaux, alors que dans Genèse 2, Adam est créé en premier, puis après sont créés les végétaux, puis tous les animaux, puis enfin Ève. On ne peut donc éviter la conclusion que la Bible est auto-contradictoire dès le deuxième chapitre ! Il en découle que, soit Genèse 1 est un mythe, soit c’est Genèse 2 qui est un mythe. Il n’y a plus qu’un pas à franchir pour affirmer que les deux récits sont mythiques. Et voilà comment une lecture stricte de la Bible, faite au nom de l’inerrance biblique… aboutit à la destruction de cette notion d’inerrance biblique et à la destruction de la foi dans le caractère révélé de la Bible.Mais ces contradictions en apparence insolubles s’expliquent avec une évidence désarmante à la lumière de l’évolutionnisme créationniste. Genèse 1 décrit tout simplement l’évolution : au commencement était la lumière (la théorie du Big Bang affirme justement que la lumière est apparue bien avant la matière), la Terre était couverte d’eau, puis les terres ont émergé.
La vie est apparue d’abord sous forme végétale, les premiers vertébrés furent les poissons puis vinrent les animaux terrestres et, enfin, l’homme et la femme ; cela fait 7 éléments (lumière, eaux, terres, végétaux, poissons, animaux terrestres et hommes) ; il y a factorielle 7 combinaisons possibles pour ranger dans des ordres différents ces éléments. Or l’ordre indiqué ici est justement l’ordre que nous dévoilent l’astronomie et la paléontologie ! Comment peut-on penser une seule seconde que cela est dû au hasard ; il n’y a qu’une chance sur 5040 que ce soit le cas ! Aucun autre récit de l’histoire du monde n’approche (et s’il en faut de beaucoup) d’aussi près l’ordre révélé par la paléontologie.
Quant à Genèse 2, il s’agit du monde des archétypes. Après avoir décrit l’histoire de notre monde, la Bible remonte à l’essentiel : ce qu’il y avait avant ce monde. Premier créé par Dieu pour affirmer la spécificité de l’homme, Adam est l’homme « prototype » (notez que dans Genèse 1 l’homme et la femme ne sont pas nommés, ils sont quelconques) Dieu crée les archétypes des différentes espèces animales et végétales. Il crée Ève bien après Adam pour indiquer que les rôles de l’homme et de la femme ne sauraient être identiques.
Il en découle que le péché originel a eu lieu avant le Big Bang ! Ce dernier en est la conséquence comme toute la création matérielle qui en découle et l’incarnation dans la matière des différents archétypes animaux et végétaux construisant peu à peu (dans un processus parfaitement décrit en Genèse 1) un cadre pour permettre à l’homme de réintégrer ce paradis perdu, cet autre niveau non matériel de réalité, par son travail et par ses efforts. Il n’y a plus aucune contradiction entre le fait d’attribuer à Adam le péché originel et la notion d’évolution. Bien au contraire, sans l’évolutionnisme créationniste il est impossible de prétendre que la Genèse soit un texte révélant des informations sur la structure même du Monde ; hors de l’hypothèse exposée ici, elle devient, à cause de son aspect contradictoire, un « conte de fées pour grande personne ». N’est-ce-pas une raison suffisante pour soutenir l’évolutionnisme créationniste ?
[1] Science et Foi n°’ 31. 1er trimestre 1994, pp. 21-23. Texte reproduit intégralement et volontairement sans commentaires, ceux-ci ayant fait l’objet de l’article qui suit.