L’aéronautique à l’école du vivant

Par:Hassan Meddah

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REGARD SUR LA CRÉATION

« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu ,sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Romains, 1 : 20)

L’aéronautique à l’école du vivant[1]

Résumé : Depuis Léonard de Vinci, copiant les ailes de la chauve-souris dans une de ses machines volantes, bien des ingénieurs ont trouvé chez les êtres vivants la solution aux problèmes qu’ils affrontent. L’aéronautique est ici un cas d’école avec les winglets verticaux à l’extrémité des ailes, qui augmentent la portance et diminuent les tourbillons néfastes ; ils ont permis de réduire de 3 mètres l’envergure de l’Airbus 380, tout en gagnant 3% sur la consommation de carburant. L’Onera prépare actuellement un drone d’observation de 15 cm d’envergure, capable de vol stationnaire, en imitant les divers battements d’aile de la libellule. En observant la peau du requin, champion de vitesse sous l’eau, on a découvert que des micro-rainures donnent un meilleur glissement dans l’air qu’une surface plane. Si l’on pouvait reproduire les propriétés de surface de la feuille du lotus, le problème si pénalisant du givrage en vol des avions serait réglé. Mais ce n’est pas « à l’école du vivant », selon le titre de cet article, que doivent se mettre les ingénieurs : le vivant n’est pas un maître d’école, c’est à l’école de l’Intelligence divine qui a supérieurement conçu toute son œuvre !

        La nature inspire les ingénieurs des bureaux d’études aéronautiques. Et cela ne date pas d’hier : Léonard de Vinci, au XVe siècle, s’était inspiré des ailes des chauves-souris pour concevoir l’une des premières machines volantes. Les frères Wright, pionniers de l’aviation moderne, avaient étudié le gauchissement des ailes des busards pour faire virer leurs avions.

Depuis, pour concevoir des avions plus performants et qui glissent mieux dans l’air, les hommes ont largement reproduit des mécanismes observés chez les oiseaux, comme les ailes recourbées à leur extrémité ou qui se déforment pour s’adapter aux rafales inattendues. Ces observations sont à l’origine des dispositifs présents dans les appareils modernes, comme les extrémités de voilure (winglets) pour augmenter l’aérodynamisme ou encore les volets et aérofreins qui améliorent la stabilité.

«L’homme a peu inventé ; il s’est beaucoup inspiré de la nature», reconnaît Michel de Gliniasty, directeur scientifique général de l’Onera. L’organisme de recherche en aéronautique s’inscrit dans cette tradition en concevant un microdrone à ailes battantes… inspiré de la libellule. L’oiseau reste un modèle d’ins-piration, d’ailleurs inégalé par certains aspects. «Il n’est pas sûr que l’on arrive un jour à comprendre comment fonctionne leur cerveau, et à concevoir un logiciel aussi efficace. Ni à dupliquer l’extrême sensibilité de leurs plumes qui agissent comme autant de capteurs naturels capables d’analyser la moindre variation de portance », indique le scientifique. D’autres animaux, comme le requin, sont source d’inspiration, et des progrès pourraient venir des espèces végétales, dont la surface est parfois dotée de caractéristiques fonctionnelles (hydrophobie, autocicatrisation…) remarquables…

         L‘étude du prédateur des mers a fait tomber certaines idées reçues. « On pensait que plus la surface d’un corps en mouvement était lisse, meilleur était son aérodynamisme. Or, le requin a une meilleure glisse dans l’eau grâce à ses écailles recouvertes de microrainures », explique Denis Darracq, chef de la recherche et technologie de la physique du vol pour Airbus. Des essais en vol avec des avions équipés de panneaux présentant des rainures de quelques dixièmes de millimètres ont confirmé un gain potentiel de l’aérodynamisme de plusieurs points. 70% de la surface d’un avion commercial pourraient être recouverts d’un tel revêtement. Deux problèmes subsistent: la fabrication industrielle de telles surfaces et leur résistance à l’épreuve du temps (usure, réparation, maintenance…).

Quand l’Onera a commencé à travailler sur un microdrone de 15 cm d’envergure, capable de se propulser à une vitesse de 10m/s et d’effectuer un vol stationnaire, ses chercheurs se sont rapidement tournés vers la libellule. «Son battement d’ailes vibrantes est plus simple à reproduire que celui de l’oiseau. Son système musculaire est également moins complexe que celui de la chauve-souris », explique encore Michel de Gliniasty. Pour reproduire le mouvement des ailes, l’Onera a travaillé en collaboration avec des instituts spécialisés en microbiologie.

Les ailes et le thorax de l’animal ont donc été décortiqués sous toutes les facettes, pour tenter de percer le mécanisme sophistiqué de battements combinant des mouvements verticaux, latéraux et de torsion… L’analyse du système musculaire de la libellule a permis de mieux connaître comment ces déplacements étaient générés. Pour copier ce que fait la nature, il a fallu mobiliser une batterie de moyens scientifiques et techniques : simulation numérique des écoulements, mesure des efforts réalisés en tunnel aérodynamique, développement de microcapteurs et de sources d’énergie miniatures… Les études ont abouti à la conception d’un thorax mécanique dit résonant (la résonance mécanique avec les ailes optimise la consommation énergétique) sur lequel sont greffées des ailes souples dont le squelette est en matériaux composites. Malgré cela, tous les secrets de l’insecte n’ont pas été percés, notamment le rôle des nervures des ailes et du liquide qui y circule. Les chercheurs de l’Onera espèrent faire voler leur premier prototype d’ici à trois ans.

Voilure adaptative : une souplesse… animale:

Les winglets, ces terminaisons d’ailes relevées visibles sur les avions commerciaux depuis les années 1980, ne sont qu’un premier pas vers la transformation de la forme des avions. «C’est un moyen efficace de réduire l’envergure des appareils sans sacrifier les performances aérodynamiques. Avec ces dispositifs d’extrémité, on obtient une aile ayant la même efficacité qu’une aile plus longue et donc mécaniquement plus efficace en termes d’aérodynamisme», explique Didier Darracq, chef de la recherche et technologie de la physique du vol pour Airbus.

Typiquement, cela a permis de réduire d’environ trois mètres l’envergure de l’A 380 (80 mètres au total), et de diminuer les contraintes pour les aéroports d’accueil. Par ailleurs, le gain en termes de consommation de carburant est de l’ordre de 3%. Demain, les avionneurs rêvent d’un fuselage à géométrie variable, capable de se transformer en fonction des différentes phases du vol (décollage, atterrissage, vol de croisière…).

Ainsi, des recherches à base de matériaux souples ont permis de concevoir des empennages verticaux capables de s’incliner jusqu’à 45° et de retrouver leur position d’origine! Cette souplesse concernerait à terme une grande partie des éléments de l’avion: bords d’attaque et bords de fuite flexibles, ailettes adaptatives, queue flexible…

Pour améliorer les surfaces des aéronefs, les chercheurs regardent aussi du côté des espèces végétales. « Les avionneurs rêvent de fuselages qui reproduiraient les propriétés de certains végétaux, dont les surfaces sont autonettoyantes, autocicatrisantes, hydrophobes ou de faible adhérence», indique Denis Darracq. Des applications très concrètes sont envisageables : des surfaces qui ne retiennent pas l’eau élimineraient les problèmes de givrage des avions.

           Les feuilles de lotus, dont la surface microstructurée est hydrophobe, sont un modèle pour créer des surfaces antigivre. Aujourd’hui, l’antigivrage est assuré par des équipements de chauffage qui alourdissent l’avion et sont coûteux en entretien : une véritable plaie pour les compagnies aériennes.

« Après les oiseaux, le monde marin et les végétaux pourraient être à l’origine de nombreuses innovations, notamment pour concevoir d’autres surfaces fonctionnelles. » annonce Denis Darracq, chef de la recherche et technologie de la physique du vol pour Airbus.


[1] Repris de L’Usine Nouvelle, n° 3205 du 16 septembre 2010

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