Partager la publication "Le Télescope James Webb : raisons, structures, espoirs et perspectives"
Par Grosmann Michel1
Résumé : Le télescope spatial James Webb représente la pointe avancée des efforts humains pour connaître l’univers. Son prédécesseur, le satellite Hubble, était arrivé au bout de ses performances. Le télescope James Webb, en orbite stable à 1,5 millions de kilomètres, va braquer un miroir de 6,5 mètres de diamètre, capable de nous apporter des images stellaires d’une qualité et d’une finesse nettement supérieures aux précédentes. Avec ses détecteurs infra-rouge, permettant de voir à travers les poussières, il est conçu principalement pour détecter la vie extra-terrestre, tester le fond de l’Univers et résoudre l’énigme de la formation des galaxies. Beaucoup s’attendent à ce qu’il confirme le modèle officiel du Big bang, mais certains chercheurs affirment le contraire.
1. Introduction : Bref historique du projet et de ses motivations
Depuis la plus haute Antiquité, les humains ont tenté en de nombreuses circonstances de voir le plus loin possible. Explorateurs ou navigateurs cherchant un itinéraire, militaires cherchant un ennemi, paysans observant les nuages, astrologues cherchant à connaître l’avenir, etc.
À cette fin, ils ont construit des appareils de plus en plus performants… mais de plus en plus complexes.
Dans la haute Antiquité
Il semble – dans l’état actuel des connaissances en archéologie – que nos ancêtres ne disposaient que d’instruments de visée. Ceux-ci étaient fondés sur le principe du repérage d’alignements et d’angles entre ces derniers.
Ils servaient à divers usages physiques : terrestres et sociaux, donc profanes. Mais aussi à d’autres usages métaphysiques : astrologiques et religieux.
Pour ces fins, l’instrument le plus simple était par exemple le « gnomon » (du grec γνώμων « qui comprend, qui discerne »). Simple bâton de longueur bien définie, planté verticalement en terre. On mesurait la longueur de son ombre. Et l’évolution de celle-ci au cours du temps.
Des instruments plus complexes furent constitués de collines, montagnes naturelles ou de tours artificielles (Stonehenge, Ziggourats, Chichen-Itza, Machu-Pichu, etc.) permettant de repérer des directions avec plus de précision.
Divers types de tubes, permettant d’éliminer du champ de visée des objets inintéressants, furent aussi utilisés.
Antiquité plus récente et Moyen Âge
Les utilisations des verres et des métaux se développèrent. Cela permit de créer des objets déviant la lumière de manière plus ou moins bien contrôlée.
Ainsi put-on « faire des images », en utilisant toutefois deux principes différents :
– la transmission de la lumière par des corps transparents : lentilles transparentes convergentes ou divergentes ;
– la réflexion de la lumière par des corps réfléchissants : miroirs eux aussi convergents ou divergents.
Initialement leur utilisation fut surtout militaire et maritime
Les lunettes astronomiques sont des instruments optiques à transmission (lentilles) destinés principalement à l’observation du ciel.
Les télescopes astronomiques sont des instruments optiques à réflexion (miroir), destinés eux aussi principalement à l’observation du ciel. Ils sont plus difficiles à construire, mais présentent des avantages par rapport aux lunettes car ils permettent des taux de grossissement très supérieurs et n’ont pas d’aberrations chromatiques, c’est à dire qu’ils agrandissent de la même manière toutes les couleurs.
Époques moderne et contemporaine
En 1663, l’écossais James Gregory fut le premier à décrire le principe du télescope à miroir. Le grand mathématicien et physicien anglais Isaac Newton le mit en pratique en 1666, en utilisant comme réflecteur un miroir concave en speculum – un alliage de cuivre (2/3) et d’étain (1/3) – de 5 cm de diamètre.
Cinq ans plus tard (exemple du délai, souvent sous-estimé, entre première idée et présentation publique), en 1671, il présenta cette invention ainsi que ses résultats à la Royal Astronomical Society. Depuis, on a partout construit des observatoires, des lunettes et des télescopes… Sur terre, la turbulence atmosphérique brouille un peu les images. Au-delà de 40 centimètres de diamètre pour le miroir, on ne gagne plus en netteté d’image, mais le temps de pose est raccourci.

Fig. 1 : Le télescope de 193 cm de diamètre de miroir à l’observatoire de Haute-Provence.
C’est pourquoi on lance des télescopes hors de l’atmosphère et aussi des instruments analogues mais détectant des longueurs d’ondes différentes de celles du visible. Évidemment, cela revient plus cher que de les laisser au sol !

Fig. 2 : Le télescope spatial Hubble (lancé le 24 avril 1990)
2. Le télescope James Webb2
Ce projet international fut conçu il y a déjà plus de 20 ans. Le budget initial était de 500 millions de dollars. On est rendu à près de 12 milliards ! Ce sera le plus grand télescope spatial à ce jour. Il sera placé autour du point de Lagrange L2, à 1,5 millions de km de nous, qui sera atteint un mois après son lancement réussi par Ariane 5 depuis Kourou (Guyane), le jour de Noël à 13 h 20. Ariane 5 est le lanceur le plus sûr, mais son diamètre n’étant que de 5 mètres, le télescope a dû être replié, tel un papillon dans sa chrysalide (Fig. 5). Espérons que les 400 mécanismes de déploiement fonctionneront tous, sinon c’est la catastrophe !
Détail piquant : le transfert par bateau entre Californie et Guyane s’est fait dans la plus grande discrétion, car la région est infestée de pirates.

Fig. 3 : Soleil, Terre, leurs points de Lagrange et le Télescope

Fig. 4 : Maquette du télescope James Webb. Le bouclier thermique déplié a la taille d’un terrain de tennis
Comme tous ses prédécesseurs, le James Webb devrait permettre aux astronomes de voir mieux et plus loin !
Caractéristiques techniques du télescope James Webb
- Masse au lancement : 6 500 kg
- Diamètre du miroir : 6,5 m
- Puissance du panneau solaire : 2 000 W
- Température de fonctionnement : -233,2 °C
- Plages de longueurs d’onde : rouge et infrarouge proche et moyen.
3. Questions fondamentales qui seront peut-être résolues
Depuis 1920, la théorie officielle en cosmo-physique est que l’Univers a été « créé ». Et ce, par un nommé « Big bang » (mot choisi initialement, par dérision, par Fred Hoyle qui n’y croyait pas). Ce « modèle » est fondé sur une interprétation (parmi d’autres) des observations. Celles-ci sont interprétées comme dues à un éloignement progressif et de plus en plus rapide des différentes galaxies, par analogie avec ce qui se passe pour les produits d’une explosion.
Cette interprétation des résultats expérimentaux est devenue un dogme à tel point que le Big bang est enseigné au Lycée. Avec le télescope James Webb, on espère surtout découvrir des traces de vie dans les atmosphères des exoplanètes [du grec ἔξω éxô « hors de », donc planètes situées hors de notre système solaire] par la raie à 2 microns de l’Ozone et aussi, accessoirement, mieux comprendre la formation des premières galaxies.
4. Autres résultats qu’il est prévu d’obtenir
Quelles que soient ces réponses fondamentales pour la cosmologie, on devrait acquérir beaucoup d’informations nouvelles sur les structures de l’Univers, leur nature, leur évolution, etc. Et, comme toujours depuis qu’on construit des instruments, on va analyser le fonctionnement des appareils embarqués et, ce faisant, les perfectionner. Et donc envisager comment construire le prochain instrument encore plus puissant…
Et comme toujours, depuis qu’on construit des instruments d’observation spatiale, de nombreuses données confidentielles seront recueillies et analysées sans être mises à la disposition du public.

Fig. 5 : « James Webb » entièrement replié en salle blanche, à Kourou, avant sa mise en place dans la fusée Ariane. Le personnage à droite en bas donne l’échelle.
5. Conclusion
Jamais encore on n’avait essayé de construire et de faire fonctionner un instrument si éloigné, si complexe et si performant ! Sa réalisation et sa mise en place sur un point de Lagrange3 (si elle est réussie) représentent des records de performances scientifiques et technologiques (Fig. 3).
L’analyse des résultats durant la dizaine d’années de fonctionnement que l’on en attend, pourrait ou devrait faire progresser considérablement (voire même révolutionner ?) nos conceptions et nos représentations sur l’Univers et sur notre place dans celui-ci.
Note technique sur le télescope Webb
Un télescope est constitué de deux optiques de distances focales différentes, dont le rapport donne le grossissement angulaire théorique quand on raisonne en rayons lumineux. Mais ceux-ci n’ont aucune réalité physique car, en fait, ce sont des ondes qui se propagent et les rayons lumineux ne sont que les approximations des lignes perpendiculaires au front d’onde. Ainsi, ce qui compte réellement, est le pouvoir de résolution du télescope Webb, qui est le rapport de la longueur d’onde considérée sur le diamètre de 6,5 mètre. Pour 2 micromètres (la longueur d’onde caractéristique de l’Ozone qui révèlerait la présence de vie sur une exoplanète4), la résolution angulaire est donc de 3 x 10-7, soit la possibilité (depuis la Terre) de discerner un détail de 10 cm présent à la surface de la Lune.
À la distance de 13,3 milliards d’années-lumière, soit à 500 millions d’années-lumière avant l’horizon (la plus grande distance à laquelle le télescope Hubble ait détecté des galaxies), le plus petit détail perceptible est donc de 4 000 année-lumière, largement plus petit (d’un facteur 30) que la taille d’une galaxie, ce qui permet de la différencier d’une étoile (qui apparaît toujours comme un point).
La vitesse de récession de cette galaxie est alors très proche de celle de la lumière, et le décalage spectral devient énorme, faisant que la longueur d’onde arrivant sur le télescope sort du domaine spectral du récepteur. Heureusement les récepteurs associés au télescope Webb vont jusqu’à 5 microns, et même 30 microns pour le détecteur français MIRI. Ces longueurs d’onde infra-rouge présentent en outre l’avantage de pouvoir visualiser à travers les nuages de poussière.
Autre avantage du Webb sur le Hubble : sa plus grande surface – d’un rapport égal à 7 – permet de diminuer d’autant le temps de pose des clichés (qui a été jusqu’à 1 mois pour le Hubble). [F.S.]
Liste des images présentes dans l’article.
- image1: Le télescope de 193 cm de diamètre de miroir à l’observatoire de Haute-Provence.
- image2: Le télescope spatial Hubble (lancé le 24 avril 1990)
- image3: Soleil, Terre, leurs points de Lagrange et le Télescope
- image4: Maquette du télescope James Webb. Le bouclier thermique déplié a la taille d’un terrain de tennis
1 Physicien expérimentateur, ancien Professeur titulaire de Chaire et Directeur de l’Institut de Physique de Strasbourg, Président de l’Association Européenne de Photonique.
2 James EdwinWEBB (1906-1992) fut le deuxième administrateur de la NASA, de 1961 à 1968, donc le responsable du programme Apollo.
3 Les points de Lagrange, dans le système solaire, ont des particularités gravimétriques qui rendent plus stables en orbite les objets (astéroïdes ou satellites) qui s’y trouvent.
4 Le télescope Hubble ne pouvait y accéder, car ses récepteurs étaient limités à 1,6 micron.