Partager la publication "La grotte de Cussac en Dordogne"
Par Pierre-Florent Hautvilliers
Les dessous de la préhistoire
Résumé : En juillet 2001, la presse annonçait la découverte d’une nouvelle grotte ornée de gravures, à Cussac en Dordogne, qualifiée de « grandiose découverte, le Lascaux de la gravure ». Dans les nos 17 et 18 du Cep, l’auteur de l’article avait exprimé ses réserves à ce sujet. Aujourd’hui, muni de précisions supplémentaires, il développe et confirme son point de vue. On comprend à partir de ces faits comment se fabrique une partie de la préhistoire.
«Un nouveau sanctuaire paléolithique : la grotte de Cussac, en Dordogne»… du moins, tel était le titre donné à la conférence‑débat du 23 juillet 2002 à l’«Abri Pataud», (site préhistorique des Eyzies de Tayac), qui présentait pour la première fois au public cette découverte dans le cadre de ses «Nocturnes» sur la préhistoire. Cette soirée ouvrait une série de quatre conférences ayant pour thème général : «Art et rituels des temps préhistoriques».
Ayant de grands doutes sur l’authenticité de ces gravures pariétales, c’est donc avec intérêt que nous avons assisté à cette première présentation quasi officielle en présence de son inventeur (découvreur). Cette découverte, affirme‑t-on, trouve un haut intérêt par la nouveauté stylistique de certaines gravures d’une fraîcheur extraordinaire.
Aussi ne résistons‑nous pas à vous en donner le compte‑rendu exact dont la saveur vient de l’éclairage qu’il donne sur une certaine pratique de la préhistoire.
Il y eut des congratulations lors de la présentation de la soirée qui soulignaient que, pour une fois et grâce à cette découverte, on avait réussi à surmonter « la rivalité bien connue, la jalousie, et le dénigrement entre les préhistoriens, les groupes de chercheurs, les écoles et les universités, puisqu’il y avait une collaboration entre le Musée national de préhistoire et l’Abri Pataud des Eyzies.»
Cette grotte (un boyau de 1600 mètres de long) découverte le 30 septembre 2000, est considérée, de l’avis des organisateurs, comme « supérieure » à la magnifique grotte Chauvet1… Elle ne possède pas de particularités géologiques, seulement des gravures pariétales. Seule l’entrée actuelle de cette grotte, qui débouche dans le tiers gauche de l’ensemble, avait été fouillée, il y a presque un siècle, par le grand nom de la préhistoire locale, Denis Peyronie, puis par son fils, sur une dizaine de mètres, sans déboucher sur la grotte. Un spéléologue, Marc Delluc, agrandit un passage de 0,45 m de diamètre situé au fond sur une dizaine de mètres avant de tomber sur le boyau long de 1600 m composé de grottes et de chaos. Peu de traces colorées peintes, hormis les classiques points aux extrémités et trois traces de doigts tracées à l’oxyde de fer. Des dépôts de calcite ponctuels de plusieurs millimètres d’épaisseur s’observent sur les parois. Certaines gravures ont été réalisées au silex, d’autres avec les doigts, selon la dureté des parois.
Le boyau est traversé par un ruisseau qui, lors des crues, a déposé des couches d’argile effaçant les traces humaines qui ont pu être laissées sur le sol, lui-même recouvert de calcite. Cependant il existe des traces demèches que l’on a éteintes sur les murs et l’on a retrouvé une lampe à mèche.
Le taux d’oxyde de carbone est élevé. On note aussi la présence de squelettes humains dans des bauges d’ours des cavernes : 7 à 10 squelettes, dont un adulte entier et un adolescent. Le squelette adulte est recouvert de calcite et d’argile, et les crues ont enlevé quelques phalanges aux mains et aux pieds et fait rouler le tête un peu plus loin.
Toutes les gravures ont été réalisées à hauteur de main, sans échafaudages. Depuis sa découverte, la grotte est fermée par une grille pour préserver le site, sur décision de son propriétaire (resté anonyme) et du découvreur. Son emplacement exact est tenu secret et seule une poignée de privilégiés, spéléologues et préhistoriens, ont pu observer les parois ornées ; mais ils étaient tenus à distance, de 3 à 5 m, à partir d’un chemin balisé dont on ne pouvait pas s’éloigner afin de ne pas «abîmer le sol», exception faite pour le prélèvement osseux effectué sur le squelette entier. Les photographies ont été prises à partir de ce chemin et les préhistoriens n’ont donc pas pu examiner les gravuresde près. La datation au C14 sur le prélèvement osseux donna 25.220+/-200 ans A.C, et les tentatives d’analyse ADN ont échoué. Il n’est pas prévu de nouvelles fouilles avant plusieurs années, le temps d’installer des passerelles pour protéger le sol.
Voici donc résumé l’exposé sur cette découverte qualifiée de grandiose, et qui avait été illustré par des projections des gravures.
Nos impressions :
Les animateurs : Présence de l’inventeur et de quelques personnalités locales (maire, etc.)et de la préhistoire, ceux qui ont visité la grotte et photographié les gravures, des spécialistes de la préhistoire cautionnant de leur présence l’authenticité de la découverte (universitaires de Bordeaux et de Paris, directeurs du Musée national de préhistoire des Eyzies, du site de Lascaux, etc.).
Le public : L’auditoire, fort d’une petite centaine de personnes, comblait l’auditorium. Il était composé à très grande majorité des amis et collègues des spéléologues et des préhistoriens qui ont pu visiter la grotte, sans parler des personnels qui travaillent dans les très nombreux sites préhistoriques de la région des Eyzies.
Pour notre part, nous avons été surpris de l’absence de publicité pour cette première soirée des quatre conférences‑débats de la saison 2002, cautionnée par la présence de personnalités locales. Peut‑être l’apport des touristes n’était‑il pas souhaitable faute de place ? Le public était donc un public ami, averti, acquis et même complice.
Les gravures : Leur présentation fut certainement le moment le plus important de la soirée. Les gravures tracées au silex sur les parois calcaire sont sans intérêt, peu lisibles et communes à beaucoup d’autres grottes (tracés de lignes et de courbes). Le point essentiel de l’exposé concerna sans conteste les représentations d’animaux, gravées au doigt sur la paroi tendre, d’une fraîcheur tout à fait exceptionnelle, pour ne pas dire unique.
Nos étonnements :
– nous avons été surpris d’apercevoir parmi les personnalités invitées le responsable d’un site préhistorique connu de Dordogne qui avait eu le privilège de visiter la grotte en 2001. A son retour, il avait communiqué en privé à ses collègues son scepticisme en particulier sur l’authenticité des dessins gravés au doigt… Pourtant, ce soir là, il la cautionnait.
– le trait de ces gravures est bien plus frais que la surface de la paroi où elles se situent, disons bien trop frais… de sorte que les dessins sont parfaitement visibles de face à plusieurs mètres de distance, les couleurs se contrastant bien, ce qui habituellement n’est jamais le cas : il faut toujours une lumière rasante pour les découvrir et les observer de près.
‑ la modernité du style du trait est étonnante, tout autant que l’absence de patine… On projeta la diapositive du dessin d’une oie dont la facture est telle qu’on aurait cru qu’elle provenait tout droit d’une réclame de foie gras périgourdin… le corps de trois-quart dans un sens et la tête de trois-quart mais dans l’autre sens.
Cet anachronisme artistique surprit l’assistance avertie qui eut dans son ensemble un réflexe ironique avec nombre de réflexions qui démontraient « qu’elle n’y croyait pas ». Pourtant, lors du débat, il n’y eut pas une seule intervention pour manifester ouvertement cette incrédulité…
Nos questions :
‑ par une indiscrétion, nous avons su que le laboratoire américain chargé de dater la grotte à partir d’un morceau d’os prélevé sur le squelette humain, avait eu des difficultés pour le faire et tardait à publier la datation.
Pour trancher, les préhistoriens de Cussac ont annoncé la datation archéologique des gavures en référence aux autres grottes ornées de la région, pour forcer le laboratoire à retenir une datation en conformité avec la date archéologique estimée. Lors de la soirée, les responsables ont donné la précision suivante : le prélèvement s’est fait sur le bord d’un os fracturé recouvert de calcite3… ce qui explique les difficultés rencontrées par le laboratoire américain.
– le sol et les restes osseux sont recouverts de calcite puis de dépôts d’argile apportés par les crues du courant d’eau souterrain qui circule dans le boyau lors des hivers très humides. On ne retrouvera donc rien sur le sol. Cela me fut confirmé par un des préhistoriens qui a visité la grotte et que j’ai interrogé par la suite en privé. Mais cela n’empêche pas le découvreur de la grotte d’affirmer qu’il n’autorisera pas de fouilles avant plusieurs années, le temps de fabriquer et d’installer des passerelles afin de préserver le sol (qui ne présente aucun intérêt)… les photographies actuelles se suffisant à elles seules.
– concernant la fraîcheur sans patine et le style un peu trop moderne de gravures digitales… aucune explication n’a pu être donnée sur cette question que j’avais posée aux spécialistes lors du débat.
‑ aux réticences discrètes du public sur l’authenticité de ces gravures tracées aux doigts sur la paroi molle, l’impression donnée par ceux qui animaient le débat et qui répondaient aux questions était du genre : «C’est nous qui avons les connaissances ; c’est nous qui savons ce qu’il en est !».
Nos conclusions :
Tout se passe comme si…
– il y a deux types de gravures pariétales dans la grotte de Cussac. Le premier, aux deux extrémités, est réalisé au silex sur le calcaire relativement tendre des parois. Ces gravures sont anciennes, patinées, peu lisibles même sous éclairage rasant, et sans intérêt particulier car communes à bien d’autres grottes de Dordogne. Le deuxième type de gravures, effectué au doigt sur une paroi très tendre, ne présente aucune patine contrairement à la paroi sur laquelle elles se situent ; sa facture est plus moderne, trop moderne, suspecte… comme si elles avaient été ajoutées4 récemment par une main experte comme pour donner de l’intérêt à une grotte banale.
– manifestement, on ne désire pas que les spécialistes des gravures préhistoriques puissent examiner de trop près les dessins, ou pour le moins pas avant plusieurs dizaines d’années, peut‑être de façon à laisser s’installer une certaine patine…
1 La grotte Chauvet est remarquable par la qualité et la quantité des peintures rupestres qui l’ornent, d’une facture bien supérieure à celles de Lascaux.
3 Voir Le Cep no 17, p. 42. Les objets, pollués par l’eau ou imprégnés de calcite deviennent impropres à une datation par le C 14. En effet, les eaux souterraines sont très pauvres en C 14, ce qui contribue à vieillir les objets pollués. Certaines eaux actuelles datées par le C14 peuvent présenter un âge apparent de 30‑40.000 ans B.P.
4 Pour une main un peu entraînée, chaque gravure ne demande que 5 à 10 minutes, selon la complexité du tracé, pour être réalisée. Il n’y a pas plus de difficulté que pour celles que l’on dessine sur du sable encore humide, tant la paroi est tendre et comme recouverte de boue humide).