Conseils aux mélomanes débutants

Par le P. André Boulet sm

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Science et technique

« Les rationalistes fuient le mystère pour se précipiter dans l’incohérence » (Bossuet)

Résumé : La musique est peut-être l’art le plus sublime, puisqu’il subsiste dans l’au-delà. Mais nous pouvons en goûter les fruits dès cette vie, pour peu que nous sachions les cueillir. Le P. Boulet nous propose quelques règles simples pour accéder peu à peu aux joies de la musique et pour nous disposer à en tirer le profit qu’elles nous destinent.

Quand je dis débutants, je ne pense pas seulement à ceux qui ignorent tout de la musique, mais aussi à ceux qui, ayant déjà pris du plaisir à l’audition de telle symphonie de Beethoven ou de telle ouverture de Rossini, ont le sentiment qu’il reste tout un monde captivant à explorer, pour lequel ils sont sans guide. Je pense aussi à ceux qui ont essayé bien des fois de se mettre à la “grande musique”, et n’y ont trouvé qu’ennui ou en tout cas fort peu d’intérêt. Le paradis des sons leur est-il interdit à jamais?

Voici donc, à l’intention des uns et des autres, quelques conseils et remarques pratiques.

1. Il ne vous est pas indispensable d’avoir de nombreuses connaissances techniques pour goûter la musique :

Vous ignorez tout des lois de l’harmonie, de la composition, du rythme, et jusqu’au B.A. BA du solfège ; vous êtes incapable de déchiffrer trois notes, à plus forte raison de suivre une partition pendant un concert; vous ne connaissez rien de la vie des grands compositeurs.

Rassurez-vous, cela ne peut vous empêcher de goûter les joies de la musique ; l’homme de la rue peut aimer un beau morceau d’éloquence sans rien savoir des règles de la rhétorique.

Mais il faut reconnaître tout de même que là où il y a connaissance plus approfondie de la technique ou de l’histoire de la musique, il y a aussi jouissance plus grande. Le plaisir d’un professeur de Littérature écoutant la conférence d’un grand homme de lettres est en général supérieur en intensité et en qualité à celui d’un simple candidat au baccalauréat ou au brevet des collèges.

C’est ce minimum de connaissances que veut vous apporter cette brève introduction.

2. Il n’y a rien à “comprendre” à la musique :

Etes-vous de ceux qui veulent à tout prix qu’on leur “explique” ce que veut dire tel passage d’une œuvre musicale, ce que signifie telle mélodie, tel crescendo ou pianissimo de l’orchestre ?… Alors, attention, vous risquez de piétiner Il ne s’agit pas de transposer une succession de signes sonores en leur signifié ou équivalent intellectuel. On n’explique pas pourquoi un parfum est agréable à respirer on s’en laisse pénétrer ; c’est tout.

Laissez la musique venir en vous sans vous contracter ni faire travailler votre esprit les diverses fibres de votre être qu’elle doit atteindre finiront bien par entrer en résonance, si vous ne vous laissez pas décourager par l’ennui qu’on éprouve quelquefois à la première audition d’une œuvre.

 Tout au plus, de brèves indications sur le climat général d’une pièce musicale, les circonstances de sa composition… pourront disposer votre sensibilité et toutes vos autres facultés à une meilleure réceptivité. On oriente le cadre d’une antenne pour mieux capter les ondes ; mais inutile d’orienter le cadre si l’on n’a pas d’abord mis le poste en état de recevoir les ondes en le branchant sur le courant.

Alors comment se mettre en état de réceptivité ? Le moyen est simple écouter en silence, sans rien faire d’autre. Si, pour ne pas perdre de temps, vous voulez lire ou faire votre correspondance pendant que passe le disque ou la cassette, vous n’êtes pas réceptif.

Il faut mériter la joie de la musique par un minimum d’ascèse ; l’ascèse, ici, c’est d’écouter calme et silencieux ; du moins pour des œuvres d’une certaine intensité qu’on entend pour la première fois.

Le jazz ou d’autres compositions qui se caractérisent par la prédominance du rythme et des instruments à percussion, souffrent moins d’être écoutés distraitement.

3. Réécoutez sans vous lasser :

La première audition d’une œuvre de valeur vous laissera assez souvent sur une impression d’ennui ou d’indifférence. Vous avez entendu une succession de bruits plus ou moins discordants
impossible de vous orienter, de distinguer une seule mélodie dans l’entrecroisement des diverses parties jouées par chaque instrument… Il vous semble que vous avez perdu votre temps.
Réécoutez l’œuvre le lendemain, où dès que vous le pourrez, jusqu’au bout, sans rien faire d’autre qui vous accapare ; vous serez surpris d’y prendre déjà un certain plaisir : vous reconnaissez telle petite phrase ; elle se met à chanter timidement en vous le reste de la journée. A la troisième ou quatrième audition, vous attendez avec impatience tel passage qui vous a plu, vous suivez telle partie qui ne vous avait pas frappé jusqu’alors des impressions inexprimables surgissent en vous. Il n’y a plus simple succession de signes sonores ; ce qui chantait mystérieusement dans l’intime du compositeur chante maintenant en vous ; l’âme de l’artiste, le mystère qu’il porte en lui, se livrent à vous à travers ces signes, comme l’âme du poète à travers les mots et les vers du poème.

Si l’œuvre est d’une grande profondeur, vous pourrez l’écouter dix fois, ce sera chaque fois une découverte et une jouissance nouvelles.

4. Une porte d’entrée pour chacun :

Il y a pour chacun une porte d’entrée dans l’univers de la musique autrement dit, il y a pour chacun une œuvre (ou plusieurs) de tel compositeur qui lui plaira presque du premier coup et le disposera, de proche en proche, à explorer tout le répertoire classique.
Souhaitez trouver cette œuvre assez vite ! C’est en général l’une de ces pièces que l’on voit fréquemment inscrites aux programmes des grandes salles de concert ou de la radio.

Vouloir entrer dans la musique avec un concerto de Bela Bartok, c’est risquer une déconvenue. Par contre, les 5ème, 6ème ou 7ème Symphonies de Beethoven, la “Petite musique de nuit” de Mozart… sont si limpides dans leurs lignes mélodiques, si universelles dans les sentiments qui les animent, que rares sont les auditeurs qui ne finissent par aimer l’une ou l’autre de ces œuvres

5. Elargissez votre répertoire :

 Il faut absolument vous résoudre au bout d’un certain temps à sortir des œuvres rabâchées, si excellentes soient-elles
symphonies de Beethoven ou de Mozart, airs célèbres d’opéra…
pour vous mettre à l’audition d’œuvres moins popularisées mais d’un réel mérite, sinon plus profondes : tel choral de Jean-Sébastien Bach ou tel quintette de Mozart, cette sonate de Ravel ou cette symphonie de Mahler, ce ballet de Stravinski ou ce concerto de Rodrigo, lorsqu’ils se sont laissés un peu découvrir, procurent une émotion esthétique d’une intensité et d’une qualité bien supérieures à celles que vous donnent des valses de Johann Strauss ou le “grand air” de la Tosca… qui sont pourtant des chefs d’œuvre.

 6. Les joies du mélomane :

Analyser les satisfactions que procure la musique en général n’est pas une tâche aisée ; la joie du mélomane est faite de tant d’éléments divers:

 – simple plaisir, presque physique, de l’oreille vibrant à tel timbre instrumental (la voix tragique d’un cor, le sanglot d’un violon alto, le chant limpide d’une flûte…), à tel accord parfait des grandes orgues, ou se complaisant en la plénitude d’un tutti de l’orchestre;

– euphorie ou exaltation du corps et de tout l’être, découvrant dans tels rythmes de la musique un mystérieux accord avec leurs propres rythmes secrets, ceux de leur vie et de leur existence même;
– jouissance de l’intelligence qui découvre les harmonies et l’ingéniosité d’une belle architecture sonore;

– communion à la vie intérieure du compositeur à des dimensions de son âme que le langage musical est seul à pouvoir révéler, à ses émotions religieuses tout particulièrement;

– communion aux sentiments d’adoration, de louange, d’action de grâce, de pénitence. de confiance, de regret, d’exultation, aux implorations du Peuple de Dieu en marche vers la Patrie céleste (chant grégorien).

Mais la musique a encore bien d’autres pouvoirs :

– c’est à l’âme d’une époque, d’une génération, d’une nation que nous font participer ses meilleures œuvres (par exemple, telle symphonie de Gustave Mahler, telle élégie de Grieg…)

– par elle, il nous semblera percevoir les réalités impalpables du cosmos, auxquelles elle nous conduit par des cheminements qui ne sont pas ceux de l’esprit raisonnant. Les frissonnements du corps trahiront alors un frémissement de l’être qui se sent reporté à ses origines les plus hautes et les plus secrètes, mis en contact, par delà les déroulements du temps, avec l’Absolu d’où il vient et vers lequel il tend ;

– la musique saura encore, comme une magicienne, faire surgir des images, des scènes pittoresques ; elle évoquera, à la manière de la célèbre madeleine de Marcel Proust, des tranches entières de notre vie, depuis longtemps oubliées, celles que nous vivions lors d’une audition antérieure de l’œuvre c’est tout un “contexte” psychologique que nous retrouverons alors, avec mélancolie, attendrissement ou ferveur ;

 
– telle pièce, enfin, exercera un effet sédatif sur les nerfs ou les douleurs morales, tandis que telle autre portera la volonté à l’action, l’esprit à l’étude, ou à la création littéraire ou artistique, l’âme au dialogue avec Dieu. A la vérité, la musique est un don de Dieu, une préfiguration de ces concerts célestes dont les anges de Bethléem, adorant le Fils de Dieu fait homme, ont donné aux hommes l’avant-goût.

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