Partager la publication "[remarque sur l’article de T. Seiler sur Descartes]"
De Monsieur M. L. (Île-de-France)
Dans la première partie de l’article La doctrine de la création et l’astronomie (Le Cep n°95), il se trouve un passage qui me paraît assez injuste envers Descartes. Thomas Seiler écrit :
« [Descartes] introduisit ce changement de paradigme révolutionnaire qui déclare – sans nier l’existence de Dieu – que c’est la nature qui a créé le monde et non pas un acte surnaturel. Il expose la doctrine fondamentale d’une évolution théiste, à la fois cosmique et biologique : “Mais il est certain, et c’est une opinion communément reçue entre les théologiens, que l’action par laquelle il [Dieu] conserve [le monde] est toute la même que celle par laquelle il l’a créé.” (Discours de la Méthode, 5e partie). »
L’argument de Thomas Seiler me paraît doublement étonnant. D’une part, dans le passage cité de Descartes, et d’ailleurs nulle part dans son œuvre à ma connaissance, il n’est dit textuellement « que c’est la nature qui a créé le monde et non pas un acte surnaturel ». D’autre part, le passage cité n’est pas révolutionnaire.
En effet, pour Descartes, sans l’action de Dieu à chaque instant de la durée du monde, celui-ci retomberait dans le néant. Rien de contraire à saint Thomas, qui écrit : « C’est sans doute aucun qu’il faut concéder que les créatures sont conservées dans l’être par Dieu, et qu’en un instant elles retourneraient au néant, si elles étaient abandonnées par lui. » (Questions disputées II, q. 5). Nous lisons dans la Bible que la Sagesse est un « miroir sans tache de l’activité de Dieu […] Demeurant en elle-même, elle renouvelle tout » (Sg 7 26-27). Ce texte est au présent. De même il est dit au présent : « […] Soutenant tout par la puissance de sa Parole » (He 1, 3). Tout le contraire de l’évolutionnisme qui fait intervenir le hasard !
Cette idée de conservation à chaque instant est fondamentale aussi bien dans la philosophie de Descartes (voir Les Méditations), que dans sa physique.
Dieu conserve le monde à chaque instant. C’est même la condition de notre liberté d’agir. S’il le recréait totalement différent, nous serions complètement ahuris ! (Contrairement à l’ange, en effet, l’homme a besoin de temps pour développer sa pensée). D’un autre côté, si Dieu conservait le monde totalement identique, le monde serait figé, tel un bloc de glace. Mais la contradiction se résout si l’on dit que Dieu conserve la quantité totale de mouvement, et que le mouvement peut s’échanger localement dans l’instant entre les corps qui se touchent.
Ce principe de conservation, si fécond en physique, n’est pas né d’un concept mathématique, mais d’une réflexion sur la puissance de Dieu ! En la divinité, dit saint Paul à l’Aréopage d’Athènes, nous avons « la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,28)
Quant à ce que nous appelons la « conservation de l’énergie », elle est à la base du petit Traité de la Mécanique offert par Descartes à son ami Constantijn Huygens, et qui fut retrouvé plus tard dans les papiers de Leibniz (voir plus de détails dans Le Cep n°73, p. 23).