Partager la publication "Un papillon sous la pluie"
Par Primavère Bruno
Résumé : Les gouttes de pluie, selon leur taille, peuvent nous arriver à des vitesses très élevées, allant jusqu’à 6,6 mètres par seconde (22,4 km/h) pour une goutte de 2 mm. Or les papillons, avec des ailes immenses rapportées à leur poids, sont particulièrement exposés. Comment parviennent-ils à voler sous la pluie, et sans se refroidir, ce qui serait mortel pour eux ? La constitution très particulière de leurs ailes à l’échelle microscopique et nanoscopique rend possible cet exploit.
Le département d’ingénieries biologiques et environnementales de l’Université Cornell, à New York, vient de mettre en ligne une vidéo d’un grand intérêt1. Le professeur Sunghwan Jung y compare l’impact de la pluie sur les papillons à l’effet d’une lourde boule de bowling nous tombant dessus.
Une équipe a cherché à comprendre comment un frêle papillon pouvait résister à un tel choc.


L’action de la pluie sur des surfaces imperméables (plus exactement « hydrophobes », du grec ὑδρο-φόβος hudro- phobos, « qui déteste l’eau »)) avait déjà fait l’objet d’un grand nombre d’études tant théoriques que pratiques dans les années 2006 à 2010. Elles montraient que des rugosités à l’échelle du micron augmentent normalement la durée du contact entre la goutte d’eau et le corps solide sur lequel elle rebondit. Le verre lisse est rendu « superhydrophobe » à l’aide d’un spray de nanoparticules (NeverWet ou Rust-Oleum) créant une rugosité à l’échelle du micron. Sur une vitre lisse ordinaire, la goutte à haute vitesse (3,8 m/s) se fractionne en une cinquantaine de gouttelettes en 2 millisecondes (Fig. A).


Fig. A t = 0 ms t = 1,9 ms
Sur une vitre revêtue d’une couche spécialement conçue pour être superhydrophobe, la goutte tombant à vitesse lente (0,9 m/s) s’étale durant 4 ms, puis se rétracte au bout de 18 ms et rebondit (Fig. B).
Fig. B. Surface superhydrophobe artificielle avec chute lente (0,9 m/s) ;
Goutte vue de haut
T = 0 ms 4,2 ms 18,0 millisecondes



La même goutte vue de profil, s’aplatissant et rebondissant



Mais à vitesse rapide (3,8 m/s), des vagues se forment autour des microbosses (bump en anglais) en relief sur la surface (ici de 10 microns) et, à partir de 3 millisecondes, l’eau se concentre en tores de diamètre croissant, vides au centre, et pour finir (à 7,2 millisecondes) se disperse en fines gouttelettes (Fig. C).
Ces observations, faites grâce à deux caméras synchronisées à très haute vitesse (de 5 000 à 20 000 clichés par seconde !), avaient permis de modéliser les différentes phases successives et, surtout, de montrer l’influence que des bosses de quelques microns pouvaient exercer sur le sort des gouttes d’eau frappant une surface rugueuse, même à grande vitesse.
Fig. C : Surface superhydrophobe artificielle avec chute rapide
(5 étapes ici représentées). Les clichés plus petits agrandissent un détail du cliché supérieur et montrent successivement une bosse, la vague se formant autour d’elle, puis le tore aqueux en expansion. Dans les deux derniers clichés, on voit se reconstituer des gouttelettes à partir des tores.
t = 0 ms 1,0 ms 3,6 ms






Bosse grossie (10 micron). Vague autour d’une bosse Tore
t = 4,2 ms 7,2 ms


L’équipe des chercheurs de l’université Cornell disposait ainsi déjà des outils théoriques et pratiques pour observer l’impact des gouttes de pluie sur les êtres vivants, notamment la plume d’oiseau, l’aile de papillon et la feuille d’arbre. Les résultats viennent d’être publiés dans les Actes de l’Académie américaine des Sciences, en juin 2020, dont nous avons reproduit ci-dessus les images2.
Nous dispenserons les lecteurs des savantes équations de mécanique des fluides qui émaillent cet article : les images parlent d’elles-mêmes.
Voici tout d’abord l’encadré expliquant la portée du travail réalisé : « La pluie tombant sur des surfaces superhydrophobes est un phénomène très fréquent dans la nature. Les études antérieures faites en laboratoire s’étaient focalisées sur des impacts à faible vitesse, pouvant donc différer largement des conditions d’une pluie dans la nature. Dans la présente étude, nous rendons compte des figures de choc inattendues et intéressantes observées quand une goutte frappe à haute vitesse des surfaces biologiques. Les vagues résultant du choc déclenchent une soudaine fragmentation de la goutte en gouttelettes satellites plus petites et abaisse à moins de moitié la durée du contact. Nos découvertes peuvent élucider les avantages (réduction du risque d’hypothermie pour les oiseaux, stabilité en vol pour les insectes, dispersion des spores pour les plantes) apportés par les microstructures des surfaces superhydrophobes » (p. 13 901).
De fait, on retrouve sur l’aile du papillon les phases de dispersion d’une goutte observées sur les surfaces superhydrophobes artificielles. Les captures d’écran ci-dessous, tirées de la vidéo du Pr Sunghwan Jung, montrent l’arrivée de la goutte, son étalement puis sa dispersion en fines gouttelettes.



Les clichés ci-après ont été pris avec des gouttes d’eau de 1,7 mm de rayon frappant respectivement une plume de Fou de Bassan (Morus bassanus) à 4,6 m/s, une aile d’Hamadryas (Papilis amphiome) à 4,2 m/s et une feuille d’Arbre Caramel (Cercidiphyllum japonicum) à 5,4 m/s. Les clichés pris par deux caméras synchronisées à haute résolution montrent comment la goutte de 3,4 mm de diamètre s’étale puis se concentre (en 1 à 5 millisecondes) pour reformer finalement de petites gouttelettes (de 7 à 9,4 ms). Les encadrés présentent, en les grossissant, les protubérances (de l’ordre de 10 à 100 microns) qui, pour une goutte rapide, suffisent à créer les vagues qui vont, après son aplatissement, constituer des vides croissants entre les vagues et ainsi éparpiller la goutte.
- La plume d’oiseau. Fou de Bassan : un plongeur avec les pattes palmées.


Arrivée de la goutte sur les barbes et détail grossi avec les barbules, puis étalement avec une vague en détail agrandie :




Formation des tores et dispersion en gouttelettes :


- L’aile du papillon, ici Hamadryas (Papilio amphinome)

Arrivée de la goutte avec, en détail, les bosses de surface, puis étalement avec, en détail, un vague grossie :




Constitution des tores et dispersion des gouttelettes :


- La feuille d’arbre, ici un Arbre Caramel ou Katsura (Cercidiphyllum japonicum)


Arrivée de la goutte avec, en détail, les bosses de surface, puis étalement avec, en détail, une vague grossie :




Constitution des tores et dispersion des gouttelettes :


Les auteurs écrivent : « Il est connu que la pluie peut abaisser la température corporelle des oiseaux et déstabiliser le vol des insectes. La réduction du temps de contact avec la goutte limite le transfert de chaleur et le moment cinétique (dû à l’impact) sur les organismes. (…) En outre, nous avons observé que la goutte se fracasse en petites gouttelettes satellites qui, sur la feuille d’arbre, emportent les spores pathogènes. Ceci met en lumière un nouveau mécanisme de dispersion des spores » (p. 13 905).
Le temps de contact étant réduit d’environ 70%, on comprend aisément que le refroidissement de l’animal en soit diminué dans la même proportion. L’étroite similitude entre les effets d’une pulvérisation superficielle de nanoparticules (pour former des bosses de quelques microns [µm] sur une surface lisse) et ceux observés sur les ailes des papillons, est ici liée à la présence de petites structures en cire à l’échelle du micron. Dans le cas de l’aile d’oiseau, les barbules rattachées aux barbes et assurant la portance fournissent cet état de surface analogue à celui observé sur le verre rendu « superhydrophobe ».
Ici s’arrêtent les observations des chercheurs américains : comme souvent, désormais, dans les publications universitaires, les auteurs ne tirent pas de conclusions; il revient à chaque lecteur de le faire, mais plusieurs remarques s’imposent à quiconque veut bien réfléchir. L’homme cherche à se protéger de la pluie ou des embruns. Le caoutchouc, rappelons-le, bien avant l’invention de la vulcanisation qui le rend élastique, servit aux marins : en insérant une couche de caoutchouc entre deux toiles, on les rendait imperméables. Mais les « cirés » ainsi réalisés étaient fort lourds à porter et l’invention des plastiques fut un progrès majeur dont nous n’avons plus guère conscience. Or le frêle papillon, bien avant cette conquête de l’industrie humaine, était équipé d’un dispositif beaucoup plus efficace, plus léger et, il faut le reconnaître, incomparablement plus beau. Comment est-ce possible ? Les évolutionnistes affirment sans sourciller que, le temps aidant, l’animal « s’est doté » de tel ou tel organe ou processus.
Jacques Monod écrit : « Si les vertébrés tétrapodes sont apparus et ont pu donner le merveilleux épanouissement que représentent les amphibiens, les reptiles et les mammifères, c’est à l’origine parce qu’un poisson primitif a “choisi” d’aller explorer la terre où il ne pouvait cependant se déplacer qu’en sautillant maladroitement. Il créait ainsi, comme conséquence d’une modification de comportement, la pression de sélection qui devait développer les membres puissants des tétrapodes…cet explorateur audacieux, ce Magellan de l’évolution3. » Et son confrère François Jacob : « Aussi rudimentaire qu’apparaisse la cellule bactérienne parmi l’ensemble des êtres vivants, il a fallu des périodes de temps considérables pour que s’organise le système. Si la bactérie fonctionne avec une telle virtuosité, c’est que, pendant deux milliards d’années, ses aïeux se sont essayés à cette chimie en notant scrupuleusement la recette à chaque réussite4. »
Comment un papillon, qui vit tout au plus quelques semaines5, dont le minuscule cerveau est démuni de cortex ֪– là où sont localisées les aires cérébrales liées aux opérations de la pensée –, pourrait-il « se doter » de quelque organe que ce soit ? Comment pourrait-il imaginer des microstructures pour améliorer sa résistance à une pluie qu’il peut ne jamais avoir vue ?
Il est grand temps de cesser de projeter sur la Nature des aptitudes et des opérations propres à l’homme. Il est grand temps aussi d’en finir avec le mythe d’un « hasard organisateur » qui pourrait perfectionner ces êtres déjà si merveilleux, qui nous étonnent à chaque fois que nous les connaissons mieux. Le papillon ne manque de rien, n’a nul besoin de progresser ! En revanche notre suffisance varie à proportion de notre ignorance.
Déjà, en 1734, ne disposant donc que d’un microscope à lentille unique, Réaumur s’enthousiasmait devant l’organisation de ces petits êtres : « Les insectes, que le vulgaire méprise, ne sont pas seulement admirables, ils sont plus admirables que le reste de la nature6 », écrivait-il. Que ne dirait-il aujourd’hui ? Comment ne serait-il pas transporté devant tout ce que nous révèle l’imagerie moderne de haute technologie ?
Oui, notre « simple » lys des champs, observé au microscope, est vêtu d’habits si chatoyants qu’un Salomon lui-même n’aurait jamais pu en rêver d’aussi royaux! Comme il est navrant de voir tous ces chercheurs de Cornell et d’ailleurs, aux premières loges pour s’enthousiasmer7 devant les prodiges que la Création distille devant nos yeux, ne jamais laisser percer – ne fût-ce qu’entre les lignes – le moindre sentiment d’admiration pour l’œuvre divine, comme cela, pourtant, se trouvait encore chez les fondateurs de la science européenne ! Que deviendront ces « arbres morts » incapables d’ouvrir leur raison aux vérités supérieures pourtant indispensables à la bonne intelligence des créatures ?
1 K. RAMANUJAN, « Armor on butterfly wing protects against heavy rain », Cornell Chronicle. https://news.cornell.edu/stories/2020/06/armor-butterfly-wings-protects-against-heavy-rain
2 Seungho KIM, Zixuan WU, Ehsan ESMAILI, Jason J. DOMBROSKIE & Sunghwan JUNG, « How a raindrop gets shattered on biological surfaces », Proceedings of the National Academy of Sciences, 23 juin 2020, vol. 117, n° 25, 13 901-13 907.
3 J. MONOD, Le Hasard et la Nécessité, Paris, le Seuil, 1970, p. 142.
4 F. JACOB, La Logique du Vivant, Une histoire de l’hérédité, Paris, NRF Gallimard, 1970, p. 317.
5 Le Monarque, migrateur sur de longues distances, peut vivre neuf mois mais c’est une exception et il ne fait pas l’aller-retour : c’est la génération suivante qui vole vers l’aire de départ de la précédente. Voilà qui devrait intriguer les chercheurs ! Cf. l’art. de Cl. EON, « Un magnifique papillon voyageur : le Monarque », in Le Cep, n° 61, oct. 2012, p. 85-91.
6 Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Paris, Imprimerie royale, 1734-1742, t. III, p. XXIII.
7 Le mot « enthousiasme » vient de l’adjectif grec entheos (inspiré de Dieu) que les poètes de la Pléiade ont francisé. Il gardait alors sa connotation divine.