Partager la publication "La preuve par le Kansas"
Par Dominique Tassot
Résumé : Sous couvert d’enseigner des vérités scientifiques, les manuels scolaire diffusent une vision naturaliste du monde : tout se présente et tout s’explique comme si Dieu n’existait pas et n’avait pas tout créé avec une intelligence supérieure. Cette idéologie anti-chrétienne sous-jacente avait en son temps été dénoncée par Mgr d’Hulst qui en déduisait la nécessité d’universités au sein de l’Eglise. Elle vient de subir un échec significatif au Kansas : des citoyens motivés ont pu modifier les directives orientant les programmes scolaires. L’évolutionnisme n’y sera plus présenté comme le produit même de la science, mais connue une option philosophique ou religieuse qui va bien au-delà des faits.
Depuis plus d’un siècle, les manuels scolaires suivent les pas et la méthode de l’Encyclopédie : sous couvert d’instruction, d’exposés techniques, d’histoire des institutions, de philosophie, Diderot et d’Alembert cherchaient surtout à faire passer leurs idées. L’habileté consistait à esquiver le débat frontal, à suggérer plutôt qu’à imposer, à présenter sur Le ton de l’évidence ce qui constituait un choix arbitraire, à favoriser les mots imprécis pour leur associer des sens que le mot juste aurait exclus, etc.. Ainsi, chaque fois qu’ils le peuvent, Voltaire ou Diderot emploient “superstition”, même là où le mot religion aurait mieux convenu. Se crée ainsi une nébuleuse qui mêle des aspects du christianisme aux aspects du paganisme. La connotation négative du mot “superstition” rejaillit alors sur le christianisme lui-même, ce qui était le but, mais à aucun moment l’auteur n’a l’air de s’en prendre directement à la religion chrétienne. Plus loin, il ira même jusqu’à louer la religion pour les vertus qu’elle propage ; mais en affirmant haut et clair qu’il faut “une religion pour le peuple”, il laisse entendre au petit nombre (ses lecteurs) que l’élite, par sa nature, est au-dessus du “préjugé religieux” et n’a nul besoin de pratiquer.
Cette démarche “idéologique” chez l’écrivain et chez l’auteur d’un dictionnaire ou d’un manuel, entraîne une véritable perversion du langage. Certes il est dans la nature des mots, surtout en poésie, de suggérer un sens qui dépasse celui d’une stricte définition.
Mais ce que le poème suggère est un au-delà suscité par le rapprochement des mots et des sons, un sens supérieur qu’on “évoque”1 précisément parce qu’il n’entrait pas dans le pouvoir d’un mot isolé de le produire. Tandis que l’idéologue veut suggérer sans le dire un sens que le vocabulaire et la grammaire permettent d’exprimer en toute clarté.
On l’aura reconnu, cet art d’induire en erreur par des énoncés apparemment véridiques, appose la signature du Menteur au bas de toutes ces pages où le naturaliste ou l’historien distillent leur haine secrète du christianisme2. Il y a plus d’un siècle, Mgr d’Hulst le fondateur de l’Institut Catholique de Paris, avait dénoncé cet alambic d’un genre nouveau que la Ligue de l’Enseignement chauffait jalousement, sous le prétexte (déjà!) que l’élève doit aller par lui-même à la rencontre du savoir :
“Il n‘existe que deux moyens d’acquisition : la recherche personnelle et l’enseignement d’autorité.
Or, quoi qu‘on dise, l’instruction primaire ne peut s ‘acquérir que par l’enseignement d’autorité.
Je sais qu‘on se vante du contraire. L ‘autorité, c ‘était bon pour l’Ancien Régime. Aujourd’hui, la liberté pénètre partout, et l’instruction primaire elle-même doit être une initiation au libre examen.
Libre examen. L ‘instruction primaire est achevée entre douze et quatorze ans. Et voyez-vous, à cet âge, le fils d’un ouvrier -et quand ce serait le fils d’un prince ?- le voyez-vous discutant les bases de l’enseignement qu’il reçoit ? En histoire, voyez-vous cet érudit de l’alphabet remontant aux sources ? En morale, le voyez- vous contrôlant les principes, choisissant entre l’impératif catégorique et l’intérêt bien-entendu ? Et dans cette introduction à la connaissance générale de la nature, qui doit, paraît-il, remplacer désormais la métaphysique et la religion, voyez-vous ce philosophe d’école primaire soumettant à une critique personnelle et comparative les différents systèmes cosmogoniques, la création par exemple, et l’évolution ? Allons donc !
Vous voyez bien qu’il n a pas d’examen possible. Et où serait la liberté ? Est-ce que l’écolier choisit ses maîtres ? Vous ne voudriez même plus que son père pût les choisir ! Est-ce que
l’écolier choisit ses livres ? Mais ouvrez le Journal Officiel
d’avant-hier. Vous y trouverez une liste de 24 ouvrages sur la
morale et l’instruction civique. Tout autre livre sur ces matières
est interdit. Et cette liste imposée contient tous les ouvrages
condamnés par l’Eglise.
Ainsi, le libre examen à l’école est une chimère. Il reste l’enseignement d’autorité. Or, on ne veut plus de 1’autorité de
l’Eglise. Il faut donc la remplacer. Par quoi ? Par l’autorité de la science.
Mais la vraie science n ‘est pas contraire à la vérité chrétienne.
Que fait-on alors ? On falsifie la science C’est un travail d’abord spéculatif et qui s’accomplit en haut lieu, dans ce monde réservé
où ne pénètrent pas les profanes. Ce travail consiste à faire entrer l’irréligion dans la composition de la science. Parmi les opérateurs, plusieurs sont réellement des hommes de science ; ils le sont, mais pas en cela. ils sont savants quand ils interrogent patiemment la nature ; ils sont infidèles à leur vocation quand ils veulent lui dicter sa réponse, ou mêler à sa réponse un élément qu’elle ne contient pas et qui puisse servir contre Dieu.
L‘esprit sectaire remplace ainsi chez des savants l’esprit
scientifique et crée entre les membres de la Ligue ce qu’on pourrait appeler la franc-maçonnerie de la science. Quoi
d’étonnant dès lors qu’on ait réussi à faire de 1a science une arme contre le christianisme?3”
Puis Mgr d’Hulst donnait deux exemples distillant l’esprit sectaire dans l’enseignement : l’histoire de l’Eglise et la théorie de l’évolution.
Le procédé de perversion de la science historique est enfantin :
« Le crime ne chôme jamais dans l’humanité : on prendra tous les crimes commis dans les sociétés chrétiennes, et on en fera peser l’imputation sur l’Eglise, accusée de les avoir inspirés, elle qu‘on déteste surtout pour sa fidélité à les flétrir ! »
Le procédé de perversion des sciences naturelles est un sophisme analogue. “Nous pensions, nous, que le hasard n ‘est pas objet de science, que l’objet nécessaire de la science, c’est l’ordre des phénomènes, et que l’ordre suppose un ordonnateur. La génération nouvelle devra penser autrement. On lui apprendra que les jeux brutaux d’un mécanisme inconscient poussent le monde à l’aveugle vers une beauté idéale qui ne réside nulle part, bien qu’elle semble gouverner tout. Si, parmi les découvertes d’un vrai savant, on a la bonne fortune de mettre la main sur un résultat qui semble favoriser cet incroyable système, vite on en tirera une hypothèse qu’on aura bientôt fait d’ériger en dogme. Ainsi les recherches de Darwin sur la sélection donnent lieu à l’hypothèse du transformisme ; le transformisme appuie la théorie de l’évolution ; l’évolution fournit un mot qui peut servir à tenir lieu du mot de création ; si l’on ne parle plus de création, c’est qu’il n’y a plus de créateur.
(…)Et l’inutilité de Dieu sera présentée aux masses comme une conséquence scientifiquement acquise des nouvelles théories organogéniques”.
Un siècle a passé, et le préjugé naturaliste que dénonçait Mgr d’Hulst s’est fait dogme au point d’être identifié à la science. La commission qui avait préparé les directives pédagogiques pour l’Etat du Kansas, en décembre 1998, définissait la science comme
“l’activité humaine consistant à rechercher des explications naturelles pour ce que nous observons autour de nous dans le monde.” Ainsi toute explication surnaturelle, même logique, exclurait-elle son auteur du domaine de la science.
La “bataille du Kansas”, menée de mars à août 1999, marque le premier grand recul du naturalisme depuis un siècle ; c’est pourquoi il importe de revenir sur cet événement avec quelques détails4.
Fin décembre 1998 donc, dans un village de la Prairie américaine, une mère de famille du Kansas, Celtie Johnson, tomba sur une annonce légale en petits caractères dans le journal local. On y faisait savoir qu’une consultation publique aurait lieu sur les nouvelles directives pédagogiques, notamment en matière de science. Quelques jours plus tard, elle apprit par téléphone que les programmes scientifiques seraient beaucoup plus dogmatiques – en matière d’évolution des espèces – que les précédents. Si donc les opposants voulaient se manifester, c’était le moment ou jamais.
Celtie se procura un exemplaire du projet de directives et se mit à appeler tous ceux qu’elle pensait favorables. Dès le départ, la lutte s’avéra difficile. Pour ceux qui voulaient l’obtenir avant les séances de consultation publique, le texte préparatoire était indisponible. Le Département de l’Education possédait un site internet, et le document y figurait bien. Mais il était impossible d’y accéder. Un des participants dut se rendre en voiture de Nichita à Kansas City pour obtenir un exemplaire5. Plus tard, quand on demanda aux fonctionnaires pourquoi l’accès par internet était refusé, ils évoquèrent l’action d’un “pirate” (informatique). Etrange pirate qui laissa le libre accès à toutes les autres pages du site !…
D’ailleurs, deux mois plus tard, les mises à jour du document furent derechef inaccessibles, sauf pour ceux qui allèrent les retirer sur place. Il fut évident, dès la première lecture, que les directives ne se contentaient pas d’enseigner la théorie de l’évolution, mais qu’elles l’imposaient comme un dogme incontestable.
Entre janvier et février, eurent lieu les consultations publiques annoncées. Les citoyens s’inscrivaient avant la séance et il leur était alloué entre 2 et 5 minutes, selon l’affluence.
Les officiels écoutaient paisiblement les intervenants durant l’heure prévue, puis la séance était close.
Il s’agissait d’une pure formalité, imposée par les règles de la démocratie américaine.
Le Kansas mesure 700 km d’est en ouest, et Kansas City est situé à la frontière même avec le Missouri.
Le 9 février, à Topeka, les 15 participants comprirent qu’ils étaient venus pour rien et quelques uns décidèrent de déjeuner ensemble afin de réfléchir aux moyens de s’opposer vraiment au projet de directives. Il était clair que la Commission préparatoire n’accepterait que des amendements mineurs du document. Il fut décidé de rédiger un texte alternatif et de chercher si un membre du Conseil pédagogique du Kansas accepterait de le présenter. Il s’en trouva un : le Dr Steve Abrams, représentant élu par Arkansas City.
Ainsi, à partir du 27 mars, un petit groupe se réunit-il chaque samedi pour rédiger un contre-projet. Celui-ci fut approuvé par le Dr Abrams et soumis au Conseil de l’Education du Kansas, lors de sa réunion du mois de mai. Deux documents entraient donc en lice :
le projet présenté par le Comité officiel (composé principalement d’universitaires) et le contre-projet du “comité des citoyens”. Ce fut un choc ! Les membres du Comité préparatoire plaidaient qu’ils avaient tenu compte des attentes des citoyens du Kansas, mais il était clair que leur document final n’était qu’à peine remanié. Finalement, après quelques péripéties, un sous-comité fut chargé d’élaborer un texte de compromis et celui-ci fut voté par 6 voix contre 4 le 11 août 1999.
Trois courants s’étaient unis pour obtenir ce résultat : les créationnistes (qui font référence explicite à la Bible), les partisans d’une finalité intelligente (intelligent-design community) puis, à partir d’avril, la Conférence catholique du Kansas. Sa sous- directrice Mary Kay Culp décrivit sa réaction en ces termes : “Nous fûmes choqués de voir l’évolution présentée à chaque page comme un des 5 concepts unificateurs de toutes les sciences. D’un côté on encourageait la ‘pensée critique” et l’ouverture d’esprit dans les sciences de l’autre l’évolutionnisme était exclu de toute critique. L’évolution devait être enseignée comme un fait et incorporée à ce titre dans les tests de contrôle des connaissances pour les diplômes d’Etat. »
Maintenant, qu’est-il sorti de ce compromis et pourquoi tant d’émotion dans le monde entier?
On trouvera ci-après, en vis-à-vis, quelques passages significatifs du projet de directives, avec le passage correspondant du texte final approuvé.6
Projet Texte final
Sur la nature de la science :
Activité humaine consistant à rechercher des explications naturelles à ce que nous observons dans le monde autour de nous | Activité humaine consistant à rechercher des explications logiques à ce que nous observons dans le monde autour de nous |
Sur la science comme une enquête (inquiry) :
Néant | Les étudiants apprendront à discerner les présupposés qui sous-tendent les hypothèses, théories et lois qui leur sont enseignées. |
Sur les sciences de la vie (Classe de huitième) :
L’évolution biologique, changement graduel de caractéristiques des organismes sur de nombreuses générations, a provoqué des variations dans les populations | Avec le temps, la variance génétique entraînée par la sélection naturelle a provoqué des variations dans les populations. Ce phénomène est appelé micro-évolution. La sélection naturelle peut maintenir ou réduire la variance génétique, mais elle n’ajoute aucune information nouvelle au code génétique. |
Sur les Sciences de la terre (Classe de douzième) :
(On étudiera) les séquences de roches, les fossiles et la désintégration radioactive, et leur utilisation pour estimer l’âge de formation d’une roche. | Les différentes méthodes pour évaluer les fossiles, la désintégration radioactive et la formation des séquences de roches, et leur utilisation pour estimer l’âge de formation d’une roche. Exemple : étudier comment les roches et les fossiles sont datés. Identifier les hypothèses admises dans les méthodes de radio-datation. Comparer et jauger les résultats obtenus sur des âges tels que celui du Mont St Helens et celui de la météorite Allende. |
La formation des minéraux et des roches par le cycle des roches. | La formation des roches et des minéraux ignés, sédimentaires et métamorphiques. Exemple : examiner les récentes expériences de sédimentologie. Les étudiants peuvent concevoir et réaliser des expériences qui montrent comment se forment les couches. |
Sur la science dans une perspective personnelle et environnementale :
La sexualité est au fondement d’un sain développement humain. | La sexualité est une composante importante de la manière d’être un homme : elle requiert une ferme réflexion personnelle à la lumière de ses effets qui engagent les étudiants pour toute leur vie. |
On le voit sur ces quelques exemples, les “citoyens concernés” du Kansas ont su dénoncer et contrer l’idéologie matérialiste et évolutionniste qui imprégnait les précédentes directives pédagogiques. Présenter l’évolution comme une théorie et non plus comme un fait, bien distinguer la “micro-évolution” (constatée mais ne faisant pas apparaître d’organes nouveaux) de la fameuse macro- évolution (de l’amibe à l’homme !), apprendre que les méthodes de datation reposent sur des hypothèses, admettre que la science n’exclut pas d’emblée le surnaturel sur son propre terrain, toutes ces directives restaurent un espace de liberté pour l’intelligence chrétienne dans l’exercice même de la science. Les opposants se sont bien gardés d’affirmer leurs convictions religieuses : leur démarche aurait été refusée comme contraire à la neutralité de l’Etat. Ils se sont contentés de débusquer la religion évolutionniste là où elle se parait des attributs de la certitude scientifique.
Cette clarification profitera donc aux chercheurs et à la vraie science. Mais il nous faut aussi saluer l’exploit d’un petit noyau de chrétiens motivés. Ne nous méprenons pas : obliger les auteurs des manuels à employer le mot exact “micro-évolution” là où ils voulaient glisser leur évolution généralisée, est une victoire aussi grande que d’obliger Voltaire à réintroduire le mot “religion” là où il insinuait “superstition”.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais la bataille du Kansas, où David (quelques simples citoyens et éducateurs) a fait reculer Goliath (l”establishment” universitaire, appuyé par le gouverneur de l’Etat, nombre de parlementaires et la toute-puissante Association Américaine pour l’Avancement de la Science) est un signe d’espoir et, qui sait ?, le présage d’une autre ère.
A quoi bon en effet saluer la chute du Mur de Berlin, sans débusquer les idéologies à l’œuvre parmi nous ?
1 Du latin e-vocare, appeler, attirer.
2 (En procréant par vous-mêmes) « vous serez comme Elohim », avait déclaré le Tentateur à Eve. N’est-ce pas comme le prototype de ces pseudo-vérités, devenues fausses à force d’être partielles. La désinformation remonte bien avant Lénine ou même Sun-Tseu !
3 Mgr d’Hulst. L’empoisonnement de la science (F Levé, Paris, 1883).
4 On en trouvait un premier écho dans Le Cep n° 10 avec l’article de John D. Morris : « Que s’est-il passé au Kansas ? »
5 Le Kansas mesure 700 km d’est en ouest, et Kansas City est situé à la frontière même avec le Missouri.
6 Pour un exposé plus complet se reporter au livre de Paul Ackermann et
Bob Williams :‘Kansas Tornado, 1999 Science curriculum Standards
Battie” (Institute for Creation Research, 1999, P0. Box 2667, El Cajon, CA
92021, USA)