Partager la publication "Les limites d’application de la méthode K/Ar pour la datation des roches volcaniques jeunes"
Par E. Kolesnikov
E. Kolesnikov1
Résumé : Deux phénomènes rendent inutilisable la radiodatation par le potassium-argon des roches volcaniques jeunes :
1) La technique d’analyse adaptée, la spectroscopie de masse, ne permet pas de descendre en deçà de 300.000 ans, même dans les laboratoires les mieux équipés.
2) Il est impossible de distinguer l’argon radiogénique visé par le calcul et l’argon magmatogénique déjà présent lors de la solidification de la lave. Or cet argon peut dépasser de plusieurs fois l’argon radiogénique.
On sait qu’environ 89% de l’isotope radioactif K 40 se transforme en calcium 40 par désintégration b (l= 4,962.10-10 par an; T= 2,015 milliards d’années)2 et environ 11% est transformé en argon 40 par émission d’un électron K (l= 0,581.10-10 par an; T=17,2 milliards d’années). Avec de telles périodes de demi-vie, la quantité d’argon formé, même après un million d’années et même dans des roches et minéraux à forte teneur en potassium, reste très petite. Un âge de l’ordre de 300.000 ans correspond à la quantité minimale d’argon radiogénique (Ar 40) que les appareils des meilleurs laboratoires du monde sont capables de mesurer.
Ainsi, 300.000 ans correspondent à l’âge limite le plus jeune qui puisse être aujourd’hui déterminé par la spectroscopie de masse la plus précise3.
Si on tente d’appliquer la méthode K/Ar pour dater des roches volcaniques de moins de 300.000 ans, dans lesquelles la concentration en Ar 40 radiogénique est en deçà de la limite de sensibilité de la méthode (et d’autant plus pour les laves contemporaines), la présence d’argon magmatogénique abondant aura une grande influence.
Les minéraux intègrent l’argon des gaz issus du foyer magmatique profond. Cet argon s’était dégagé lors de la fusion complète ou partielle des minéraux anciens dans lesquels la concentration en Ar 40 radiogénique est très élevée; il est donc toujours riche en isotope Ar 40. Ainsi, la quantité d’argon magmatogénique peut dépasser de plusieurs fois la quantité d’argon radiogénique « normal », lorsque le temps écoulé depuis la solidification de la roche volcanique est bref.
Les observations montrent que les différents minéraux composant ces roches adsorbent à peu près également l’argon en phase gazeuse. Toutefois, dans le calcul de la radiodatation, ce n’est pas la teneur absolue en isotope Ar 40 qui est utilisée, mais le ratio Ar 40 radiogénique sur potassium 40, et ce ratio dépend fortement de la teneur en potassium de chaque minéral. Ainsi, le minéral contenant le moins de potassium aura le ratio Ar 40 / K 40 le plus élevé, et donc l’âge calculé le plus grand.
Dans le cas de la dacite du Mont Saint-Helens, les trois minéraux analysés – pyroxène, amphibole et feldspath – ont des teneurs en potassium différentes4. Le pyroxène donne le plus haut ratio Ar 40 / K 40 (et donc l’âge calculé le plus ancien) parce qu’il contient moins de potassium radiogénique que les deux autres minéraux. De même, le feldspath donne le plus petit ratio argon sur potassium (et donc l’âge calculé le plus jeune) parce qu’il est plus riche en potassium.
L’âge calculé sur le minéral le plus riche en potassium devrait être le plus voisin de l’âge réel de la roche, mais compte tenu de la présence d’argon magmatogénique en abondance, il pourra aussi dépasser de beaucoup l’âge véritable, si la quantité d’Ar 40 magmatogénique incorporé est élevée par rapport à celle de l’argon radiogénique neuf accumulé après la cristallisation de la roche.
Conclusions :
Trois cent mille ans constitue la limite inférieure des âges qu’il est possible de déterminer par la méthode « potassium-argon », au niveau actuel de précision atteint par les techniques de spectroscopie de masse.
Lors de l’éruption, la lave et les minéraux qui la composent ne perdent pas tout leur argon. Il ne s’échappe entièrement que lors de l’analyse de l’échantillon au laboratoire, après sa fusion complète et sa mise sous vide. Autant il est possible de tenir compte de la fraction d’Ar 40 liée à la contamination de l’air par les isotopes Ar 36 et Ar 38 présents dans l’échantillon analysé, autant il est impossible de corriger le résultat pour éliminer l’incidence de l’argon magmatogénique déjà présent (argon toujours riche en isotope Ar 40), prépondérant dans les roches jeunes.
Quand le temps écoulé depuis la solidification de la roche volcanique et la cristallisation des minéraux est petit, l’argon magmatogénique peut être plusieurs fois plus abondant que l’argon radiogénique « normal ».
1 E. Kolesnikov est Chef du Groupe de géochronologie isotopique attaché à la Chaire de géochimie de l’Université de Moscou.
2 Ndlr. La désintégration suit une exponentielle de formule e-lt, l donnant donc le rythme de désintégration. T, période de « demi-vie », est le temps au bout duquel la moitié du radiopotassium concerné est désintégré.
3 Ndlr. Ce qui signifie que l’âge apparent d’une roche volcanique par la méthode K/Ar ne peut jamais être inférieur à 0,3 millions d’années. On comprend mieux ainsi les problèmes posés pour la datation des fossiles du Rift africain.
4 Se reporter au tableau donné plus haut par Guy Berthault en annexe à sa note.