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Par Benoît Neiss
Les vers qui suivent sont la partie essentielle d’un poème, écrit il y a cinq ans, qui met dans la bouche de la cathédrale de Strasbourg les reproches amers adressés aux habitants et aux édiles de la ville devant les destructions de plus en plus graves infligées à l’architecture et en général au visage de l’antique cité rhénane. C’est aussi un appel lancé à la génération actuelle toute entière pour qu’elle s’oppose partout à la vaste entreprise de démolition, menée dans tous les domaines par le monde moderne, afin de jeter à bas toute la beauté et les valeurs de notre héritage traditionnel et chrétien. J’attends encore les échos et les réactions de ma ville à ce solennel appel lancé à mes compatriotes… B. N.
La Plainte de Notre-Dame 1
Écoutez-moi, mes fils, je suis la cathédrale,
Mère de la cité et l’auguste témoin
De vos grandeurs d’antan. Je suis la fleur royale
De ce verger d’Alsace où l’on accourt de loin
Pour admirer, prier et boire à la fontaine
De mes splendeurs, que nul n’aura su égaler.
Je suis le cœur vivant de la ville et la veine
Par où la sève d’or en vos cœurs peut couler.
Écoutez-moi, mes fils, je suis votre conscience
Qui, dans les deuils passés et les doutes, sut voir
Où était votre honneur, où était la démence,
Car j’incarne le Droit et la voix du Devoir.
Voyez ce pur élan de pierre, de prière !
C’est le plus beau des fruits que ce sol ait donnés
À nos pays rhénans en quête de lumière.
Le Maître dont le cœur d’un trait sut dessiner
Ma forme dans l’espace est un grand dans l’Histoire2,
Un voyant éminent dans la science du ciel,
Qui à vos yeux de chair a fait toucher la gloire
Qui baigne les degrés des parvis éternels.
Je me plains de vous, fils, de vos chefs encor plus :
J’attendais des pasteurs, ce sont des mercenaires
Qui n’ont cure de rien fors d’être réélus
Ou bien de se garnir la bourse entre compères.
Ils sont adroits, je sais, ils savent vous flatter ;
Mais ne vous trompez pas : derrière l’apparence
De chercher le progrès, de vouloir l’exploiter
Afin de vous donner le confort et l’aisance,
Ils ont la haine au cœur de toute tradition,
Ils détestent le Beau sans le dire, et leurs armes
Sont l’or et le mensonge : ils sont fils de Mammon,
Qui ne savent semer que destruction et larmes !
Mes fils, il est amer de voir mourir la ville
Où chaque mois on porte un nouveau mauvais coup.
Avant qu’il soit trop tard, contre ces faux édiles
Défendez votre bien, ô vous tous, levez-vous !
Mais portez vos regards plus loin que la cité
Dont nous venons pleurer le malheur qui l’inonde
De sombres lendemains, de fausses vérités,
Et songez au moyen de rebâtir un monde
Retrouvant la grandeur, la beauté de ma nef,
L’irrésistible élan de ma flèche de gloire
Qui redit la valeur de ce qui est mon fief
Et le plus beau de tout ce qui fit mon histoire.
À vous, mes fils, je dis : « Hardi ! Sursum corda !
Prévoyez pour demain, donc après le calvaire
Dont nous voulons sortir, une ère de combat,
Un temps de renouveau, de nouvelle lumière
Qui puisse illuminer les esprits et les cœurs
Jusqu’aux lointains confins de la terre de France,
Et donner de l’espoir à qui rêve d’honneur,
Des grandeurs de jadis et a soif d’espérance !
Faites des temps futurs, après la triste nuit
Que nous venons de vivre, une ère de lumière,
De retour à la Foi sans ombre ni déni,
Un siècle illuminé d’une joie plénière.
Le noble élancement de ma flèche en hauteur
Doit vous servir d’exemple en ces temps de misère
De ce que peut un peuple animé par l’ardeur
Du grand, du beau, du noble et de ce qui éclaire
La noblesse de tout ce qui fut dans l’Histoire
Selon les lois d’antan, soumis au gré de Dieu,
Soyez chacun un fils fidèle à la mémoire
Des valeureux Anciens que furent vos aïeux.
Je redis : « Haut les cœurs ! » à vous qui aspirez
Avec vos vœux ardents aux lendemains qui changent,
Commencez le combat et vous réussirez
À rendre au ciel son dû, au Seigneur nos louanges !
1 Notre titre est formulé à l’ancienne, comme on disait (et dit encore) : « L’Hôtel-Dieu », la « Fête-Dieu » etc., sans l’article, selon la forme du génitif en latin. « Notre-Dame » désigne ici la cathédrale de Strasbourg, laquelle accuse les dégradations qui affligent la ville, comme presque partout en France et en Europe…
2 L’architecte alsacien qui éleva la flèche de la cathédrale est Erwin von Steinbach (1244 – 1318).