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Par Bruno Primavère
Le Grèbe huppé: un plongeur né1!
Bruno Primavère
Résumé : Le Grèbe huppé est un étrange volatile, créé pour vivre dans l’eau plus que dans les airs. Il y nage à plusieurs mètres de profondeur grâce à des doigts en forme de spatules qui le propulsent comme une hélice. Il lui faut alors comprimer ses sacs respiratoires pour gagner en densité, arrondir le cristallin de ses yeuxs et les protéger par une membrane nictitante presque transparente qui les protège quand la paupière reste ouverte sous l’eau. Ses courtes ailes lui permettent cependant de migrer sur 1 000 à 2 000 kilomètres. Il remplace alors d’un seul coup ses plumes, habituellement huilées pour faciliter la plongée, par de nouvelles plumes toutes sèches. Les parades nuptiales du Grèbe sont faciles à observer, puiqu’elles se déroulent à la surface des étangs où il se déplace comme un pédalo. Les petits, après éclosion des œufs, se logent et s’abritent sur le dos de leurs parents. D’autres particularités encore montrent bien comment le Créateur a d’emblée conçu le Grèbe huppé pour ce mode de vie spécifique.
Le Grèbe huppé [Podiceps cristatus], qui mesure une cinquantaine de centimètres de long, dont 5 pour le bec, consomme 150 à 200 g de poissons par jour (ceux-ci mesurent en moyenne 12 cm, au maximum 20), l’oiseau pesant, lui, entre 700 et 1 150 g. Le dessous du corps est blanc brillant, le dessus, gris et roux. Au plumage nuptial, le mâle et la femelle portent une double huppe noire sur le crâne et, sur les joues, des touffes de longues plumes rousses qu’ils peuvent déployer pour former une large collerette. En plongée, les Podicipédiformes se déplacent uniquement à l’aide de leurs pattes.

Ils descendent rarement à plus de 6 m (possibilité d’aller à 20 m) et remontent toutes les 30 secondes environ pour respirer à la surface en sortant seulement la tête de l’eau.
Leur nourriture est surtout d’origine animale. À l’exception du Grèbe huppé, les Grèbes mangent plus d’insectes que de poissons.

Réflexion autour d’un grèbe :
Comme chez tous les êtres vivants pluricellulaires, le développement commence dès la fécondation à partir d’un ovule possédant une organisation déjà très spécifique et consiste en une mise en forme progressive du programme génétique. Dans une espèce, celui-ci peut cumuler des caractéristiques spéciales dont on voit mal comment un chaînon intermédiaire pourrait s’affranchir.
La survie de l’espèce va dépendre en grande partie de la capacité de ses membres à se nourrir et se reproduire.

Quant au mode alimentaire :
* Les oiseaux aquatiques qui composent l’ordre des Podicipédiformes ont un corps fuselé, un grand cou et un bec fin, pointu et comprimé latéralement. Cette forme du bec est particulièrement adaptée à une fourniture de nourriture en poissons. Les Grèbes mangent aussi des animalcules, voire des serpents, crustacés ou grenouilles.


Pour les attraper, la nature propose aux oiseaux soit la plongée en piqué (Sterne, Martin-Pêcheur,…) à partir du ciel, soit pour les échassiers la pêche à faible profondeur soit, ce qui est plus rare, la plongée sans élan directement à partir de l’eau. C’est le cas du Grèbe. Chaque option nécessite des caractéristiques physiologiques différentes. Une espèce d’oiseaux ne saurait cumuler ces différentes options. Il en est qui nagent mieux sous l’eau qu’à la surface, et qui rivalisent alors de vitesse avec les poissons (Grèbes) ; d’autres ne peuvent plonger qu’en se laissant tomber à l’eau d’une certaine hauteur (Martin-Pêcheur). Les premiers seuls sont de véritables plongeurs ; seuls, ils peuvent s’enfoncer à volonté dans l’eau, y chercher leur proie, y rester longtemps immergés ; les seconds ne plongent qu’entraînés par la vitesse acquise, et c’est sans le vouloir qu’ils reviennent à la surface ; ils ne peuvent saisir que la proie visée. Les plongeurs ont des ailes courtes ; les autres ont nécessairement des ailes longues, volent le plus ordinairement et ne plongent qu’accidentellement.
Pour pouvoir en effet chasser en plongée et arriver à attraper quelque chose, il faut se mouvoir avec suffisamment de vitesse et de souplesse. Le squelette du Grèbe comporte des particularités lui donnant ces capacités uniques et nécessaires (les insectes étant insuffisants pour le rassasier).
* Leurs pattes sont placées tout à fait à l’arrière du corps et terminées par des doigts à palmure lobée, c’est-à-dire que chacun des doigts, au lieu d’être relié au voisin par une membrane, est indépendant et aplati en spatule. Autrement dit, chaque doigt possède sur les bords deux larges aplatissements, sortes de pagaies qui repoussent puissamment l’eau en arrière au moment du mouvement de la patte. Au retour, ces doigts pivotent automatiquement à angle droit, de façon à fendre cette fois l’élément liquide comme un couteau, en lui offrant le moins de résistance possible. Hélice est vraiment le mot qui s’impose, car les deux grosses pattes du Grèbe huppé, loin de faire banalement la brasse, tournent au sens propre du terme, décrivant des cercles autour de l’articulation extraordinairement souple de la rotule, comme les rayons d’une roue de pédalo. Pour que ce mouvement soit possible, il faut par ailleurs des muscles et des tendons ayant leur point d’ancrage à des endroits précis du squelette2. Dans l’eau, les Grèbes sont d’une virtuosité et d’une endurance remarquables.

Bien que les poissons et les baleines aient impérativement besoin d’une queue pour se diriger, le Grèbe huppé n’a pas jugé utile, pour sa part, de s’en faire installer une : il est raisonnablement impossible d’appeler « queue » les quelques plumes molles et ultracourtes qui ornent le postérieur. Cependant, cet appendice ne lui manque guère : l’oiseau peut se diriger à la perfection sous l’eau et y effectuer mille et un virages rapides en godillant simplement à l’aide de ses énormes pattes qui, — cas unique dans la marine — jouent ainsi le double rôle d’hélice et de gouvernail.
Cette position des pattes, si elle facilite nage et plongée, ne permet pas à l’oiseau de se poser sur une branche et rend sa marche fastidieuse. Ses jours seraient comptés s’il devait rester sur la terre ferme. Le Grèbe ne s’éloigne donc jamais de l’eau, ayant beaucoup de peine à se tenir debout et à marcher sur le sol. Son nid sera fait sur une sorte de radeau.
Pour que la chasse sous-marine soit efficace, le moteur ne suffit pas. L’oiseau doit pouvoir voir, appréhender sa proie sans risquer à tout moment la noyade.
* Les oiseaux ont, pour faciliter le vol, des os creux, des sacs aériens et d’autres caractéristiques qui tendent à la légèreté. Ainsi le Sterne, après son piqué, remonte à la surface de l’eau comme un bouchon grâce en partie à l’air contenu sous son plumage. Contrairement à la majorité des oiseaux qui ont les os creux après la phase embryonnaire, le Grèbe huppé conserverait un peu de moelle (susceptible de l’alourdir lors de ses périodes de chasse). Il doit donc exister un équilibre des paramètres favorisant plongée et remontée à coût énergétique minimal.
En effet, son mode de vie engendre des défis comme celui-ci : ayant comprimé ses sacs aériens pour favoriser l’immersion, le Grèbe ne peut pas, sous l’eau, les remplir d’air pour favoriser la remontée à la surface.
Les ailes du Grèbe sont conçues courtes pour se loger dans des poches formées par le duvet des flancs et leur plumage, très serré, très lisse et soigneusement graissé, prend l’aspect d’une fourrure brillante.
Le bassin, quatre fois plus étroit que celui de la poule, a été profilé en forme de kayak. Le corps, très allongé, bénéficie donc de la forme techniquement la plus efficace pour vaincre la résistance de l’eau. Pour supprimer tout frottement inutile — qui risquerait de diminuer la vitesse — le Grèbe escamote ses ailes à l’intérieur de deux grandes poches bordées par les plumes rousses de ses flancs, des plumes raides et arrondies comme les tôles d’une coque de navire. Ces ailes possèdent elles-mêmes des rémiges recourbées qui, une fois plaquées contre le dos, en épousent étroitement la forme.
* Le système respiratoire des oiseaux est certainement le plus sophistiqué des systèmes respiratoires animaux, pour répondre à leur métabolisme intensif. Ce système, qui permet aussi à l’oiseau de réguler sa température, contribue à l’oxygénation des tissus. Les poumons des oiseaux sont rigides, c’est-à-dire qu’ils ne changent pas de volume lors de la respiration. Selon les besoins en oxygène, il existe plusieurs types de respirations.
L’air entre par le bec et passe par la choane, qui est une fente dans le palais permettant à l’air d’aller des narines vers la glotte. L’air suit alors la trachée puis pénètre dans les deux bronches au niveau du syrinx. Les organes sont dupliqués latéralement. L’air passe ensuite par les sacs pulmonaires caudaux. La première inspiration emmène l’air aux deux poumons, chacun en continuité d’un sac. À l’intérieur des poumons, les bronches se divisent en une multitude de petits canaux nommés parabronches de plus en plus petits. Les minuscules canaux finaux mesurent de 1 à 4 centimètres de long et 1 à 2 millimètres de diamètre et se nomment dorsobronchioles et ventrobronchioles analogues aux alvéoles pulmonaires des mammifères.
Ils sont percés de très nombreux orifices de 0,1 millimètre de diamètre ouvrant sur des « chambres » unies entre elles par un réseau « capillaire aérien » de 3 à 10 micromètres entrelacé d’un réseau de capillaires sanguins entre lesquels ont lieu les échanges gazeux. La circulation sanguine dans les capillaires se fait à contre-courant de celle de l’air, ce qui maximise les échanges gazeux mais aussi respiratoires. L’air est ensuite inspiré par les sacs aériens antérieurs et expulsé. La présence de valves empêche l’air de revenir vers l’arrière.
Comme le Plongeon huard, qui peut rester en plongée durant 8 minutes, le Grèbe est capable de retenir sa respiration. La fréquence des mouvements respiratoires varie selon les dimensions de l’oiseau et selon son activité. Elle augmente fortement lors du vol ou lors d’une vive émotion. Elle est de 5 cycles inspiration/expiration par minute chez l’Autruche, 19 chez le Plongeon huard, 48 chez le Merle noir et 97 chez le Rouge-gorge. Lors de la chasse au poisson, il doit exister un mécanisme pour éviter à l’eau de passer par la choane et ainsi de « boire la tasse ». Il faut bien que le Grèbe ouvre le bec, à un moment ou à un autre, pour saisir sa proie. Comment fait-il pour que l’eau n’envahisse pas ses appareils digestif et respiratoire lors de la remontée ?
* Pour la plongée, l’oiseau a aussi besoin de voir. L’eau absorbe une partie des rayons lumineux ; le milieu aquatique est donc, en général, moins lumineux que le milieu terrestre. De plus, l’eau possède un indice de réfraction de la lumière plus élevé que l’air. Soulignons donc l’importance du sphincter irien qui peut déformer le cristallin. Les oiseaux marins transforment ainsi leur cristallin lenticulaire (dans la vision aérienne) en cristallin sphérique (dans la vision aquatique, pour nager et chasser sous l’eau). Pour pouvoir garder les yeux ouverts, il leur faut aussi la membrane nictitante, membrane transparente, avec le réseau musculaire la faisant fonctionner. Elle permet la vision tout en protégeant les yeux : c’est l’essuie-glace et la lunette de plongée. La membrane nictitante forme une poche dans laquelle les canaux de la glande de Harder vident leurs sécrétions pour lubrifier les paupières et nettoyer la cornée. Elle est très mobile et se déplace très rapidement sur la cornée, à partir d’une ligne de départ dorso-nasale, et dans une direction ventro-temporale. Elle permet la protection de la cornée.
Les balayages répétés répartissent les larmes sur la cornée, chassent les éléments étrangers (poussières…). Les muscles de la membrane nictitante sont constitués du pyrimidalys et du quadratus, issus tous deux du pôle postérieur de l’œil. Le quadratus forme une sorte de poulie à travers laquelle le piramidalys redirige ses forces le long d’un tendon de grande taille. Ces muscles permettent de fermer la membrane nictitante sans bouger la paupière inférieure mobile. La membrane nictitante est transparente, ainsi les oiseaux peuvent garder les yeux ouverts pendant le vol. Elle évite le dessèchement de la cornée puisqu’elle étale le film lacrymal en plein vol sans que l’oiseau ait besoin de fermer ses paupières. Ce rôle explique la faible fréquence des clignements palpébraux chez les oiseaux. De même, elle protège l’œil pendant le plongeon pour que l’oiseau aquatique puisse continuer à viser un poisson. L’ingénieux Concepteur a eu la délicatesse de la rendre plus transparente que celle des oiseaux aériens, insérant même en son centre une fenêtre totalement transparente.
Les yeux se trouvent entourés par l’anneau scléral, une enveloppe protectrice qui a elle aussi son rôle à jouer. Notons que, chez les oiseaux, la position des yeux (latéraux en général pour les diurnes, ou frontaux), leur taille, la forme du bulbe oculaire (protégé par la sclère), le mouvement indépendant de chaque œil et la vision monoculaire ou binoculaire, le cristallin (de consistance plus molle que celui des mammifères, ce qui augmenterait la rapidité de l’accommodation), la rétine reflétant l’adaptation au mode de vie (proportions de cônes et gouttelettes lipidiques, pigmentation, peigne propre aux oiseaux, nombre de fovéas ou areas) sont autant d’éléments qui ne sont pas sans importance.
* L’oiseau doit pouvoir se déplacer pour trouver toujours un lieu où la nourriture est suffisamment abondante. En hiver, l’oiseau serait pris au dépourvu si son plan d’eau venait à geler. Les rares vols du Grèbe s’effectuent au ras de l’eau avec des ailes à battements rapides, une silhouette au cou long tendu, un corps allongé et les pattes traînant derrière.

Si sa zone de chasse devient déficitaire en nourriture, il a la ressource de s’envoler vers d’autres plans d’eau. Du fait de ses ailes courtes, ce n’est pas une opération courante. À l’approche de l’hiver, il se voit souvent contraint à la migration. Il prépare soigneusement cet envol : lorsque l’élevage des jeunes est enfin terminé, les parents s’isolent en vue de se préparer à la migration. Il faut que l’équipement en vol du Grèbe reste en permanence en parfait état de marche pour lui permettre de parcourir, le jour voulu, mille ou deux mille kilomètres à travers les airs. Pour cela, il lui faut donc remplacer consciencieusement toutes ses vieilles plumes, âgées d’un an et sérieusement usées, par d’autres, flambant neuves. Contrairement aux autres oiseaux qui exécutent ce travail très prudemment et progressivement, remplaçant plume après plume, de façon à ce que chaque aile soit toujours opérationnelle pour le vol, le Grèbe fait tomber toutes ses rémiges d’un coup. Il faut trois ou quatre semaines pour achever entièrement cette corvée de la mue des rémiges.

C’est un migrateur partiel3 qui migre en automne vers le sud par bandes d’une cinquantaine d’individus ou plus. Il est probable qu’il voyage surtout la nuit. Au moment voulu, courant sur l’eau au clair de lune, pédalant sur plusieurs dizaines de mètres pour gagner de la vitesse tout en sabrant frénétiquement l’air de ses ailes bicolores, il s’arrache lourdement à la surface de l’étang et, lentement prend de l’altitude. Une fois lancé dans le ciel, à la cadence de 4 ou 5 battements par seconde, le Grèbe peut entamer un immense voyage à travers l’obscurité qui pourra le conduire à plusieurs centaines de kilomètres de distance (la mise en place d’une bague d’identification à la patte a permis d’en trouver à 1 800 et 2 000 km de leur lieu de décollage).
Formes du bassin et sternum, position et forme des pattes, rotules souples, tendons, muscles, plumage, glande uropygienne, yeux et appareil respiratoire adaptés, ailes et plumes… autant d’éléments nécessaires à son alimentation et donc à sa survie.
Reproduction et survie de l’espèce à long terme :
Pour la survie, deux éléments sont à considérer : il faut que l’animal échappe aux prédateurs et il faut qu’il se reproduise.
* Immersion variable et fuite
Habituellement sur l’eau, cet élément est son lieu de repos. La flottaison nécessite le concours conjoint d’un squelette profilé en coque de bateau (sternum de l’oiseau, densité du squelette adéquate), de sacs aériens, d’un plumage étanche et d’une musculature adaptée. En temps normal, le Grèbe laisse pénétrer dans son plumage une certaine quantité d’air qu’il retient prisonnier sous ses plumes graissées (la glande uropygienne lui fournit un produit huileux dont il se badigeonne tout le corps après chaque toilette et séance de plongée) et hermétiquement plaquées les unes par-dessus les autres comme des ardoises. Cet air a aussi un rôle d’isolation et lui permet de se protéger du froid. Dans le même temps, il gonfle à bloc tous les sacs aériens qu’il possède à l’intérieur de son abdomen. Du coup, sa densité étant devenue minimale, il flotte haut au-dessus du niveau du lac. En cas d’alerte, il lui suffit alors de faire l’opération inverse : resserrant plus ou moins son plumage pour en expulser tout ou partie de l’air qu’il contenait, il s’enfonce dans l’eau comme un canot pneumatique qui se dégonfle. Il a aussi la ressource de contracter certains muscles, à l’intérieur de son ventre, qui pressent les sacs aériens comme des citrons et les vident.
* Reproduction
Traditionnellement, les individus cherchent instinctivement à former un couple. Certains êtres vivants ont un cérémonial très particulier, ce qui serait une difficulté pour les prétendus intermédiaires selon la théorie évolutionniste.

Pour les Grèbes huppés, ce cérémonial est suffisamment caractéristique pour avoir été formalisé et décrit par les ornithologues et éthologues. L’espèce est célèbre pour sa parade nuptiale élaborée (ce qui devrait nous inciter à une soigneuse préparation avant le mariage). La tête des adultes s’orne, en livrée nuptiale, de plumes colorées formant « favoris », huppe ou collerette.
Au cours de cette parade, les partenaires se font face, dressent la tête et la secouent, les plumes de la huppe et des joues érigées. Ils nagent côte à côte en se frottant le cou et en poussant des cris sonores. Ils plongent, réapparaissent, puis s’approchent l’un de l’autre avec des végétaux dans le bec, se dressent poitrine contre poitrine dans l’eau, tournant la tête de droite et de gauche. Cette parade peut continuer même pendant la construction du nid. On peut y distinguer quatre temps : cérémonie de la découverte ; cérémonie des secouements de tête ; cérémonie de la retraite ; cérémonie de l’herbe. Ce sont les « danses folkloriques » des Grèbes huppés.
Au cours de la cérémonie de la retraite, l’oiseau court sur l’eau. D’autres espèces de Grèbes [Æchmophorus occidentalis, Æchmophorus clarkii] ont un rituel semblable qui a fait l’objet d’études. Voici les conclusions : les Grèbes utilisent trois tactiques pour réussir à courir sur l’eau. Premièrement, ils utilisent des foulées exceptionnellement rapides, dépassant 10 Hz (entre 13,3 et 20 par seconde). Deuxièmement, la taille de son pied et la vitesse d’impact élevée sur l’eau permettent au Grèbe de produire l’effet d’une rame qui tape sur l’eau. Ses pieds allongés lui donnent ainsi une force de frappe suffisamment puissante pour se maintenir à la surface et soutenir de 30 à 55 % de son poids par le seul biais de la gifle sur d’eau.
Enfin, la rotation des os aplatis de ses doigts de pied à palmure lobée permet aux Grèbes, lorsque les pieds glissent vers le bas, de retirer chaque pied de l’eau latéralement. Durant sa course, le Grèbe place également ses pieds en position latérale afin de limiter au maximum les frottements et ainsi gagner en rapidité.
La littérature mentionne, dans certains cas, un rôle possible des ailes si jamais le Grèbe les ouvre pendant sa course. Ses ailes lui permettraient d’utiliser la portance de l’air. Cet oiseau posséderait ce qu’on appelle une « aile à grande vitesse ». L’aile à grande vitesse est une aile exceptionnellement plate dont l’extrémité effilée est légèrement elliptique. De contour régulier, le bord de fuite de ce type d’aile se confond avec le corps, ce qui réduit toute traînée turbulente. Ce type d’aile, sans interstice aucun, produit un battement constant et rapide. Sa particularité permet un vol très rapide et une assez faible dépense d’énergie.
Entre nage sous-marine et course sur l’eau, le Concepteur du Grèbe s’est surpassé ! Pour que cet oiseau puisse réaliser ainsi des mouvements de rotation dans les deux sens, les points d’insertion des tendons et des muscles doivent être extrêmement bien étudiés, tandis que la rotule doit présenter à la fois souplesse de rotation et fermeté.
Pour se perpétuer, il s’agira pour l’oiseau de former un couple, de préparer un nid propice au développement de l’embryon, de s’accoupler, de pondre et de nourrir et protéger les petits.
Chaque espèce peut révéler des aspects surprenants et assez uniques. Chez les Grèbes huppés, les couples sont très unis (manière d’éviter la consanguinité et le développement d’allèles déficients ; sélection naturelle des animaux malades). Dans les espèces migratrices, les deux conjoints hivernent ensemble, et ils reviennent ensemble au printemps sur l’étang où ils se reproduisent. Les séparations observées au moment du nourrissage des petits ont une raison. Le mâle et la femelle prennent avec eux la moitié de la nichée et partent chacun dans un coin différent du plan d’eau qu’ils occupent. Cette séparation permet d’améliorer le ravitaillement des petits. Si le plan d’eau n’est pas poissonneux, un seul des petits sera nourri : « le chouchou », tandis que l’autre sera rejeté : « l’exclu ». Mais avant d’en venir là, reprenons au commencement.
* Nids
L’observation des nids dans le monde vivant montre une diversité étonnante, mais chaque espèce est fidèle à « la tradition des ancêtres » même pour le premier nid. C’est l’instinct qui les guide.

Chez le Grèbe huppé, le nid est construit par les deux conjoints ; il est assez grossier. C’est une sorte de radeau, fait de plantes aquatiques humides, entassées sur une plate-forme de roseaux, et amarré à la végétation environnante. La femelle y pond 3 ou 4 œufs, dont la teinte blanche devient rapidement jaune sale au contact des végétaux en décomposition. L’incubation dure entre 25 et 29 jours, assurée aussi bien par le mâle que par la femelle, qui se relaient au moins toutes les trois heures ; les œufs sont parfois laissés seuls un moment, mais ils sont alors recouverts de végétaux en décomposition pour les tenir au chaud (en cas d’approche d’un prédateur, par exemple).
* Comportement
Après l’éclosion, les poussins nidifuges, au plumage rayé, choisissent d’instinct de monter sur le dos de leurs parents. Cela leurs évite d’être gobés par des carnassiers lorsqu’ils se trouvent à la surface de l’eau et d’être écrasés dans le nid à cause de la démarche malhabile de leurs parents, mal équipés pour la marche à pied. Lorsque l’adulte sent qu’un petit pose le pied à la surface de son dos (un pont presque aussi plat que celui d’une péniche), il remonte ses deux ailes de façon à former une sorte de hangar à plumes sous lequel le petit court se réfugier.

Et il va rester là, quinze jours durant, bien au chaud, parfaitement abrité de la pluie, du vent et de la canicule. Il est ainsi protégé des refroidissements qui pourraient le faire mourir. Les petits deviennent indépendants entre 71 et 79 jours.
Nourriture
Les petits du Grèbe huppé éclosent couverts d’un duvet rayé noir et blanc. Pendant 8 jours, leurs parents les nourrissent à la becquée avec des larves d’insectes (voire des alevins, à partir du deuxième jour) et des plumes de leur duvet (qu’ils prennent sur eux-mêmes ou qu’ils trouveraient sur l’eau). C’est la seule famille au monde à manger ses plumes ! Les plumes avalées atterrissent naturellement dans l’estomac et s’y empilent. Sous l’action des sucs digestifs, elles se décomposent tout doucement pour former une sorte de pâte verdâtre et spongieuse qui emplit souvent une bonne partie de l’estomac.
Lorsqu’il avale un poisson, c’est donc au beau milieu de cet édredon que celui-ci atterrit, tête la première. Et c’est là qu’il se fait immédiatement attaquer par les sucs digestifs qui le réduisent en purée. À une exception près toutefois : les arêtes. Ces dernières ne demanderaient pas mieux que de pénétrer elles aussi dans l’intestin où elles pourraient commettre leurs dégâts habituels : piqûres et perforations en tout genre. Heureusement, au moment de passer le « pylore », cette petite poterne qui filtre le transit entre l’estomac et l’intestin grêle, les arêtes tombent nez à nez sur un second tampon de plumes, qui bouche complètement le passage. Impossible donc pour elles de ne pas rester dans l’estomac. Peu à peu, elles s’engluent dans la grosse éponge de feutre au milieu de laquelle elles finissent par s’emmêler inextricablement et se faire lentement ronger par les acides.
Périodiquement, le Grèbe régurgite par le bec tout ou partie de la pelote verdâtre dans laquelle se trouvent piégés les différents éléments indigestes ou dangereux retenus par son filtre de plumes : arêtes, écailles et vertèbres de poissons, fragments de carapace en provenance de tous les insectes gobés.
La mue des 5 000 duvets de sa coque blanche et de son cou s’effectue continuellement, toute l’année durant.
Les petits sont donc tour à tour nourris avec des poissons et des plumes ; les plumes permettent de créer une boule protectrice au fond de l’estomac où les arêtes des poissons sont stoppées pour permettre une digestion plus lente.
Quand l’adulte plonge, il arrive souvent que les petits glissent de leur perchoir. Ils remontent à la surface comme des bouchons, car ils savent nager, mais pas encore plonger.
Conclusion
La vie d’un oiseau comme le Grèbe nécessite cette préadaptation manifeste de l’organisme. De la fécondation de l’ovocyte à l’individu adulte, le programme génétique de l’espèce se déploie progressivement. Les gradients de concentration des molécules formées, leur concentration dans le temps et l’espace, la cascade organisée des réactions nous donne ce chef d’œuvre de technologie où tout est clairement pensé d’avance.
Bibliographie
* La Hulotte n°71-72
* Thèse d’Ophtalmologie de Nathalie NOIRE à l’École Nationale vétérinaire de Nantes (2008) :
http://sferov.org/pdf/These_Nathalie_Noire.pdf
* Société des périodiques Larousse Les animaux Découvrir n°126 (1972).
* RESEARCH ARTICLE (1235.full.pdf) « Western and Clark’s grebes use novel strategies for running on water », Glenna T. Clifton, Tyson L. Hedrick and Andrew A. Biewener © 2015. Éd. The Company of Biologists Ltd, The Journal of Experimental Biology (2015) 218, 1235-1243 doi:10.1242/jeb.118745
*http://national.udppc.asso.fr/attachments/Memoires_OdPF/Mmoire_Marcher_sur_l-eau_final.pdf
*Pour la marche sur l’eau :
https://oatao.univ-toulouse.fr/1580/1/MercierA_1580_1.pdf
http://alizarine.vetagro-sup.fr/~cnoirot/OiseauxPart_anat_et_phy.htm
1 Article ayant puisé largement dans La Hulotte, le Journal le plus lu dans les terriers, n° 71 & 72, 8, rue de l’église 08240 Boult-aux-bois.
2 Se reporter aux articles de W. PALEY dans Le Cep n° 32 & 33.
3 Certains individus peuvent rester sur place.