Accueil » Sur le « scientifiquement correct »

Par Dominique Tassot

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Résumé : Quiconque compare les discours politiques contemporains à ceux qui se prononçaient il y a un siècle (voire même un demi-siècle) sera frappé par l’appauvrissement du langage et surtout par le rétrécissement des idées à un très petit nombre de formules invocatoires balisant les étroites limites hors desquelles il y aurait péril à s’aventurer. Or la science est une activité humaine, soumise – à ce titre – aux mêmes règles tacites. On ne sera donc pas surpris de voir émerger un « scientifiquement correct », signalant que la science, elle aussi, est la proie d’idéologies ou, plus exactement, de mécanismes idéocratiques capables, à moyen terme, de la stériliser.

Il est souvent question aujourd’hui d’un « politiquement correct ». On pourrait le rapprocher de ce qu’Annie Kriegel, ayant connu de l’intérieur le parti communiste, appelait déjà la « pensée unique », héritée des procédés marxistes : il faut adhérer à la ligne du parti, afin de réunir toutes les énergies pour la lutte révolutionnaire. Ceux qui pensent différemment, les « déviationnistes », doivent donc être combattus, mis en minorité, voire liquidés. Ce fut déjà le mécanisme mis en œuvre par la Terreur, entre 1792 et 1794 : l’envoi à l’échafaud de tous ceux qui n’étaient « pas assez révolutionnaires ». Alors l’ennemi du peuple n’est plus seulement celui qui, de par son origine sociale, peut être soupçonné de regretter l’ancien Régime, mais le « tiède », c’est-à-dire tout être qui, à côté ou en marge de la Révolution, conserve des préoccupations humaines : ses liens familiaux ou ses amis, ses centres d’intérêt personnels. Dans l’univers totalitaire, tout homme qui réfléchit est un « traître » potentiel. On connaît la formule : « La Révolution n’a pas besoin de savants ! » Mais on pourrait l’étendre : la Révolution n’a pas besoin des gens qui pensent, car toute pensée est d’abord personnelle avant d’être transmise, voire imposée. La « pensée collective » n’est qu’un mythe maoïste.

Nous pouvons donc nous étonner que les procédés de la pensée totalitaire puissent s’appliquer à la science, activité sans lien direct avec le pouvoir politique ou la conquête de l’État, activité – surtout – qui requiert un esprit inventif, subordonné aux seuls faits, soucieux de son ajustement au réel, à mille lieux donc de se voir dicter ses résultats par les rapports de forces du moment ou les considérations électorales.

Cependant la science est, elle aussi, une activité humaine avant de devenir une page de manuel scolaire. À ce titre, elle est sujette à toutes sortes de vicissitudes, et l’ambition ou l’intérêt peuvent s’y nicher avec la même facilité que la noble passion pour la vérité.

Un livre au titre évocateur : Savants maudits, chercheurs exclus, décrivait naguère nombre de cas plus ou moins célèbres d’hommes de science dont la personne et les découvertes furent écartées. L’existence de semblables cas prouve l’exercice d’un certain pouvoir au sein des milieux scientifiques, donc l’existence d’une « ligne » dont il serait nuisible de s’écarter. Mais le « scientifiquement correct » diffère grandement, par sa diversité, d’un « politiquement correct », qui résulte simplement d’un mélange de civilisations. Toutes les civilisations, toutes les sociétés, toutes les organisations humaines peuvent connaître des « tyrans », des hommes imbus d’eux-mêmes, attachés au pouvoir personnel et qui utilisent leur position pour s’appuyer sur des âmes serviles en nuisant à ceux qui leur déplaisent ou qui s’opposent à leurs desseins. Mais la civilisation dite « latine »1, legs de l’Antiquité gréco-romaine entièrement remanié par l’Église, a pour trait particulier le personnalisme : autonomie de la famille nucléaire (un homme, une femme et leurs enfants), rémunération au mérite, droit privé autonome (distinct du droit public régissant l’État), principe de subsidiarité, etc. Dans une telle civilisation, exprimer une opinion divergente, y compris au Conseil du roi, n’est pas un crime mais l’exercice consciencieux de la citoyenneté : l’opposition est considérée, si elle est fondée, comme une réaction saine. Ce sera, au parlement britannique, « l’opposition de Sa Majesté », regroupant des gens qui ne cessent pas d’être fréquentables, qui même – au fond – auront peut-être raison un jour.

Le fonctionnement politique des révolutionnaires de 1792 ou des partis marxistes fut profondément étranger à notre civilisation latine, et l’existence, de nos jours encore, d’un « politiquement correct » montre simplement l’influence puissante, dans nos sociétés, de réflexes hérités d’une autre civilisation.

En revanche, l’exclusion d’un chercheur dissident procède de causes multiples, souvent anciennes, mais dont la puissance est aujourd’hui exacerbée par les outils d’influence mentale mis en place par le « politiquement correct ». Quand il s’agit de reconnaître une vérité objective, ce qui est l’ambition légitime de tout homme de science, il est presque inévitable que, si les uns ont raison, ceux qui les contredisent aient tort. La reconnaissance d’une idée nouvelle, en sciences, a toujours été freinée par les réflexes grégaires des savants en position établie. Leibniz notait déjà que ce sont souvent des « amateurs » qui proposent des idées nouvelles. On sait que la dérive des continents, exposée et publiée par Wegener dès 1915, n’a été reconnue que dans les années 1960 parce que Wegener n’était pas géographe mais météorologiste. Le cas de Guy Berthault est similaire : ses expériences n’ont pu être publiées que lorsqu’un membre de l’Académie s’en fit le porte-parole.

Les réviseurs anonymes, dans les grandes revues savantes, ont le rôle du « chien de garde » qui, si justifié soit-il en théorie, peut s’exercer en pratique de manière abusive ou intéressée – par exemple en bloquant une publication pour assurer l’antériorité à un collègue2. Un chercheur peut aussi être « mis au placard » et privé de ses moyens de recherche par un chef de service. Tel fut le cas de Marie-Claire van Oosterwyck-Gastuche, au Musée de l’Afrique à Bruxelles. Les résultats d’une étude – étude que le supérieur de notre amie chimiste avait lui-même demandée pour expliquer les aberrations de certaines mesures – montraient l’inconsistance des datations de sols africains qui faisaient toute la notoriété internationale de ce chef.

Ce dernier aurait pu alors décider de revoir son approche et se mettre à travailler autrement : il préféra fermer le laboratoire et laisser la chimiste sans mission durant trois années, ne sachant comment gérer le cas3.

Ajoutons que nombre de scientifiques de valeur sont « invivables », obnubilés qu’ils sont par leurs recherches et parfois imbus d’eux-mêmes. On sait ainsi que Galilée, monomaniaque, a fini par se rendre insupportable même auprès de ses protecteurs. Il serait facile de donner des noms contemporains. Mais de tels cas relèvent de réflexes sociologiques communs pour écarter ceux qui dérangent. Nous réserverons donc l’usage de l’expression « scientifiquement correct » aux thèses qui débordent les cas individuels et mettent en jeu une dynamique collective.

Le cas de Richard von Sternberg est ici exemplaire. Brillant scientifique, titulaire de deux doctorats, travaillant à la célèbre Smithsonian Institution de Washington et au National Center for Biotechnology Information, il s’était vu confier la direction de la revue Proceedings of the Biological Society of Washington. En 2004, cette revue publia un article proposé par Stephen C. Meyer, qui était le directeur du Discovery Institute, un organisme connu pour promouvoir l’Intelligent Design4.Ainsi put-on soupçonner qu’une pensée non-darwinienne s’était immiscée dans une revue savante à comité de lecture. Il n’en fallut pas plus pour déclencher une « affaire Sternberg » : la situation devint si intenable que ce scientifique dut démissionner de la Smithsonian Institution.

Richard von Sternberg ne s’opposait pas à l’évolutionnisme ni aux datations longues, mais ses recherches lui avaient montré l’insuffisance de la théorie darwinienne. Rien de plus, mais ce fut assez pour interrompre brutalement sa carrière. Aucun argument de fond ne lui fut d’ailleurs opposé ; ni la valeur ni l’érudition de cet homme de science ne furent mises en cause.

Certes, ce cas fut reconnu en 2006, par un rapport du Congrès américain, comme un cas de « harcèlement »5 mais il était ainsi démontré qu’une déviance – même minime et fondée – par rapport à la doctrine darwinienne sera considérée comme intolérable et entraînera l’exclusion. Ne pourra être réputé « scientifique », et jouir ainsi de l’autorité intellectuelle de la science, un chercheur refusant, fût-ce hypocritement, de hurler avec les loups darwiniens. Tel est bien le « scientifiquement correct » : un enjeu idéologique (et non de simple science), donc un danger, est tapi derrière l’idée déviante.

Notons au passage que Richard Sternberg est devenu chercheur au Discovery Institute. Mais en gagnant ainsi sa liberté d’écrire et de penser, il a perdu l’accès aux laboratoires publics et doit se cantonner à des recherches bibliographiques exploitant les travaux d’autrui6.

L’évolutionnisme darwinien est donc bien une idéologie : il se défend comme le ferait une idéologie politique. Remettre en cause l’évolutionnisme, c’est aussi, fût-ce inconsciemment, remettre en cause le transhumanisme [l’homme cherchant à piloter sa propre évolution] ou encore l’idéologie du genre [l’homme refusant d’accepter le fait de nature le plus flagrant] et donc deux des opérations de propagande du « politiquement correct ». L’idée évolutionniste imprègne à ce point les esprits qu’elle s’incorpore spontanément à leur vision du monde. En 1993, nous avons pu entendre, lors d’une conférence à la Faculté de médecine de Paris, le célèbre professeur Seignalet expliquer sérieusement que, puisque les céréales apparurent qu’au Néolithique (35 000 ans), notre estomac « n’avait pas encore eu le temps de s’adapter aux céréales » !

De là un régime à base de viandes et de crudités qu’il prescrivait dans les maladies auto-immunes. La question n’est pas ici de contester le « régime Seignalet », qui rend sans doute service à nombre de patients, mais de dénoncer l’intrusion de l’idéologie dominante dans un domaine où les résultats thérapeutiques obtenus devraient suffire comme justification7. Ajoutons que, si l’argument était valide, le régime devrait valoir pour tous et non pour les seuls cas d’auto-immunité.

Nous assistons aussi, avec ces raisonnements approximatifs, à la diffusion du « scientifiquement correct » dans le grand public. La thèse d’un réchauffement climatique dû à l’activité humaine en fournit un cas d’école. Toutes les manœuvres seront jugées bonnes, qui font avancer l’idée, à commencer par la manipulation statistique des données : d’autorité, dans les textes publiés par le GIEC (ceux qui sont remis aux journalistes et aux politiques), furent exclues les mesures faites après l’an 2000, de manière à pouvoir masquer l’actuel renversement de tendance. Des mots d’ordre furent lancés contre les « climatosceptiques ». Surtout la thèse est présentée aux agronomes ou aux urbanistes comme s’il s’agissait d’une loi certaine, comme s’il était légitime d’extrapoler un petit segment sur une courbe représentant un phénomène qui peut n’être qu’une fluctuation périodique séculaire. Ici, la science est manifestement instrumentalisée au service d’intérêts qui lui sont étrangers8.

Mais la chose n’est possible que parce que des scientifiques s’y prêtent. Nous touchons ici ce que dénonçait déjà William R. Thompson en 1956 dans sa Préface à la réédition du célèbre livre de Darwin : « le déclin de l’honnêteté scientifique »9.

À l’image des journalistes qui se prêtent au « politiquement correct », qui se font les procureurs de la « pensée unique », des hommes de science en petit nombre, devenus la coqueluche des médias, monopolisent les temps d’antenne pour asséner, avec l’autorité abusive dont on les dote, la vérité du jour.

Qu’il puisse exister des campagnes de presse destinées à imposer une prétendue vérité scientifique est déjà, en soi, une anomalie. Il n’y a pas de budget publicitaire pour le théorème d’Archimède, démontrable et vérifiable hic et nunc, et la propagande ne peut ni le changer ni en accroître la crédibilité. Or de telles campagnes – inévitablement, puisqu’elles persuadent à tort – font usage de subterfuges. On le voit encore avec l’actuelle campagne contre l’homéopathie, qui se déploie dans plusieurs pays d’Europe. Elle s’appuie notamment sur une étude australienne publiée en 2015 par le National Health and Medical Research Council (NHMRC)10, étude qui prétend faire la synthèse de multiples études antérieures (ce qu’on appelle une « méta-analyse »). Or les règles les plus élémentaires de la démarche scientifique s’y trouvent allègrement violées, mais pour le découvrir il a fallu un examen poussé par le Dr Alex Tournier (directeur de l’Institut de Recherche sur l’Homéopathie, HRI), en liaison avec l’Association australienne d’Homéopathie. Ainsi le rapport se présente comme « une évaluation rigoureuse portant sur 1 800 études », chiffre impressionnant ! En réalité, ne furent retenues que 176 études. Puis le NHMRC a décidé que, pour qu’un essai clinique fût réputé « fiable », il fallait qu’il portât sur au moins 150 patients. Or le NHMRC conduit couramment des essais avec moins de 150 patients. En appliquant cette règle arbitraire, 171 études furent écartées comme douteuses, ne laissant que 5 études considérées comme fiables. En outre, le Pr Peter Brooks, directeur du comité réalisant l’étude, n’avait pas jugé utile de signaler qu’il était membre du « groupe de pression » (lobby)anti-homéopathie « les Amis de la Science en Médecine ». Or le NHRMC est un organisme officiel rattaché au gouvernement.

Il est clair que toutes ces entorses à la procédure ne sont pas dictées par la rigueur scientifique, mais veulent aboutir à un résultat prédéterminé par un mot d’ordre ; malheureusement, des hommes de science se prêtent à cette comédie.

Presque tous les chercheurs, il est vrai, sont aujourd’hui des salariés ; des préoccupations matérielles les influencent. On pourrait objecter que les universitaires, rémunérés par l’État, insensibles donc aux pressions financières directes, ont pour mission naturelle de rétablir la vérité. Ils devraient donc former un contre-pouvoir s’opposant à la diffusion d’erreurs. Et il est vrai que de tels hommes existent : on les retrouve, quoiqu’en petit nombre, parmi les « lanceurs d’alertes » et les scientifiques dissidents. Un exemple vient d’en être donné par le Pr Joyeux, contestant une pratique vaccinale qui, en imposant dans les faits des vaccins facultatifs, piétine la responsabilité du médecin et méconnaît le « consentement éclairé » du patient, pourtant requis par la loi11.

Il faut donc à l’intelligentsia autant de courage pour affronter le scientifiquement correct qu’il en faut au citoyen pour s’opposer au politiquement correct. En réalité, il en faut même plus, car les scientifiques qualifiés sont en petit nombre et peuvent difficilement se regrouper et s’entraider comme le font les citoyens au sein de multiples associations. Or le goût du vrai est le premier moteur de la réflexion et de la pensée. On assiste ainsi à la déliquescence de la science, au règne de l’opinion – et d’une opinion dictatoriale – dans un domaine où elle n’aurait pas lieu d’être. Mais à quelque chose malheur est bon : nous découvrons ainsi que la vertu – fût-elle d’un autre ordre – est nécessaire à la science. Celle-ci ne se maintiendra au service de la vérité que dans des esprits libres, et la liberté se paye, parfois très cher. Dieu est vérité : se soumettre aux idéeologies du jour est comme jadis sacrifier aux idoles, mais le choix est clair ; le psalmiste nous en avertit en effet : « Dieu de vérité, tu détestes ceux qui servent de vaines idoles » (Ps 31, 6).


1 Au sens donné par l’historien polonais Feliks Koneczny. Se reporter à l’art. de M. GIERTYCH : « Guerres de civilisations en Europe » in Le Cep n°40 à 43, 2007-2008.

2 Se reporter à J. MOREAU, « Examen par les pairs : déontologie et fraude chez les chercheurs scientifiques », in Le Cep n°77, septembre 2016, p. 35.

3 On verra notamment par ses publications, dans Le Cep n° 1, 2, 3 et surtout 60, que notre amie sut s’occuper utilement : ayant été relogée à l’étage des préhistoriens, elle put étudier à loisir leurs méthodes de datation.

4 Sur le Dessein Intelligent, se reporter aux deux articles très documentés de Claude EON publiés dans Le Cep n° 35 et 37.

5 United States House of Representatives Committee On Government Reform (2006-12-11), Intolerance And The Politicization Of Science At The Smithsonian. Smithsonian’s Top Officials Permit The Demotion And Harassment Of Scientist Skeptical Of Darwinian Evolution Staff Report Prepared For The Hon. Mark Souder Chairman, Subcommittee On Criminal Justice, Drug Policy And Human Resources. À noter que ce rapport n’est plus affiché en ligne depuis le 6 mai 2007.

6 Pour connaître sa pensée, relire son art. : « Pourquoi les catholiques ne doivent pas transiger sur la prétendue nature scientifique de la théorie de Darwin » traduit et publié dans Le Cep n° 41, novembre 2007, p. 24-31.

7 Outre la référence à une chronologie préhistorique contestable, remarquons que l’agriculture et l’élevage furent pratiqués par les propres fils d’Adam : l’idée que les premiers hommes ne vivaient que de cueillette et de chasse est une variante du mythe selon lequel les « sauvages » seraient des « primitifs » et non des isolats coupés des principales civilisations.

8 Signalons les intérêts économique (le marché du carbone est une manière de privatiser une « taxe carbone ») et politique (un objectif portant sur le climat requiert une « gouvernance mondiale »).

9 W. R. THOMPSON, « Nouvelle Introduction  »provocatrice » à De l’Origine des Espèces de Darwin », in Le Cep n°52, juillet 2016, p. 29. Thompson était membre de la Royal Society et biologiste-en-chef du Commonwealth, ce qui donne d’autant plus de force à ce texte remarquable.

10 Consultable sur le site du NHMRC :nhmrc.gov.au

11 Le Pr Joyeux est émérite : il n’a donc pas de chaire à perdre, ce qui ne nous empêche pas de saluer son courage à défier ainsi l’Ordre des médecins. Signalons que le célèbre Pr Montagnier s’est associé à la démarche.

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