Editorial : Orage sur  le Big-Bang

Par Dominique Tassot

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Résumé : Pour la première fois, avec une parution dans le New Scientist et une signature collective sur un site internet, une opposition organisée s’est élevée contre la théorie du big-bang. Paradoxalement, c’est au moment où cette thèse triomphe dans le grand public, que des spécialistes hautement qualifiés s’entendent pour dénoncer les erreurs et les limites de cette « théorie du ciel » et surtout les obstacles divers qui dissuadent les chercheurs de travailler sur des modèles alternatifs.

Un éclair annonciateur vient de traverser le ciel de l’astrophysique : la théorie  du big-bang est attaquée avec force et d’une manière inédite dans l’histoire des sciences.

Alors que cette théorie a trouvé sa place dans les manuels, les revues à grand tirage, et même les catéchismes, un groupe de 34 scientifiques de haut niveau, spécialistes d’une discipline concernée, ont signé une déclaration collective récusant cette théorie qui, on s’en rend compte désormais, n’avait jamais fait l’unanimité.

Cette déclaration, publiée dans le New Scientist N° 182 du 22 mai 2004, peut être signée sur Internet par tous les scientifiques qui le souhaitent : il suffit de se relier à l’adresse Internet cosmologystatement.org et de donner son nom et ses qualifications. A l’heure où nous écrivons, 181 chercheurs et universitaires et 50 « autres signataires » (qui ne sont pas des professionnels en poste) se sont joints aux 34 mousquetaires. Il s’agit ici d’un nombre considérable d’opposants. En effet, la théorie du big-bang utilise un formalisme mathématique complexe dans lequel bien peu ont envie de s’aventurer. Cette première barrière (que l’on retrouve à un degré moindre, avec la théorie de la relativité) suffit déjà à dissuader la plupart de contester une thèse bien établie depuis plus d’un demi-siècle et qui, il faut le dire, n’a guère de retombées pratiques, si ce n’est pour ceux qui en vivent. La communauté des scientifiques spécialisés, suffisamment à l’aise dans les équations du big-bang pour se permettre un jugement, est réduite : peut-être 200 pour la terre entière.

Or, sur les seuls 34, 10 nations sont représentées (Allemagne, Brésil, Canada, Etats- Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Italie, Pologne et Russie) avec leurs institutions les plus réputées : Max-Planck-Institute für Astrophysik, Institut astronomique de Saint Pétersbourg, Université de Cambridge, Collège de France, Université Jagiellon, Istituto Nazionale di Astrofisica, California Institute of Technology, Laurence Livermore National Laboratory, Los Alamos National Laboratory, Jet Propulsion Laboratory, etc. Les trois Français sont Jean-Claude Pecker (Collège de France), Jacques Moret-Bailly (Université de Dijon) et Georges Paturel (Observatoire de Lyon) auxquels il faut ajouter Jayant Narlikar, professeur émérite à l’Université de Calcutta et au Collège de France.

Il ne s’agit donc pas ici d’une contestation marginale destinée à s’éteindre avec la mort du dernier récalcitrant, comme ce fut le cas du débat sur la génération spontanée au 19ème siècle. Il s’agit plutôt d’une fronde menée par des spécialistes hautement qualifiés, dont l’opposition, pour certains, dure depuis des dizaines d’années. Ainsi Halton Arp, découvreur des « ponts de Arp » ne peut évidemment accepter l’idée que divergent (et à des vitesses fantastiques) des galaxies entre lesquelles il a observé des ponts de matière en forme de filaments.

 De là, le ton tout à fait inhabituel de cette « Lettre ouverte à la communauté scientifique » :

« Le big-bang repose aujourd’hui sur un nombre croissant d’entités hypothétiques, de choses que nous n’avons jamais observées : l’expansion (de l’univers), la matière noire et l’énergie noire en sont les exemples les plus marquants. Sans eux, il y aurait une contradiction fatale entre les observations faites par les astronomes et les prédictions de la théorie du big-bang. Dans aucun autre domaine de la physique ce continuel recours à de nouveaux objets hypothétiques ne serait accepté comme moyen de faire la jonction entre la théorie et l’observation. Il soulèverait, pour le moins, de sérieuses questions sur la validité de la théorie sous-jacente. »

La théorie est accusée d’empiler des hypothèses artificielles sans aucune valeur prédictive, valeur qui fait pourtant la justesse d’une théorie :

« En outre, la théorie du big-bang ne peut se prévaloir d’aucune prédiction quantitative ultérieurement confirmée par l’observation.

Les succès claironnés par les partisans de la théorie consistent en son aptitude à expliquer rétroactivement les observations avec un déballage sans cesse croissant de paramètres accommodants, exactement comme l’ancienne cosmologie géocentriste de Ptolémée avait besoin d’empiler les épicycles. »

Or il existe des modèles alternatifs, comme la cosmologie du plasma et l’univers stationnaire, qui eux ont prédit des phénomènes observés ultérieurement. C’est donc au nom de la démarche scientifique elle-même que les contestataires mettent en cause le fonctionnement du milieu de la recherche :

« Les partisans  du big-bang peuvent rétorquer que ces théories n’expliquent pas toutes les observations cosmologiques. Mais ceci ne saurait surprendre puisque leur élaboration a été sévèrement entravée par un manque complet de financement. En fait, ces questions et les solutions alternatives ne peuvent pas, même maintenant, être librement discutées et examinées. Dans la plupart des grandes conférences l’échange ouvert d’idées fait défaut. Alors que Richard Feynman a pu dire que « la science est la culture du doute », en cosmologie aujourd’hui le doute et le désaccord ne sont pas tolérés et les jeunes savants apprennent à garder le silence s’ils ont quelque chose de négatif à dire sur le modèle standard du big-bang. Ceux qui doutent du big-bang craignent qu’en le disant cela ne leur coûte leur financement.

Les observations elles-mêmes sont interprétées au travers de ce filtre tendancieux, jugées vraies ou fausses selon qu’elles s’accordent ou non avec le big-bang. Ainsi des données discordantes sur le décalage vers le rouge, l’abondance de lithium et d’hélium, la répartition des galaxies, entre autres sujets, sont ignorées ou ridiculisées. Cela traduit un état d’esprit de plus en plus dogmatique, étranger à l’esprit de la libre recherche scientifique. »

On a toujours tendance à se représenter le savant comme un Lavoisier ou un Ampère, libre d’orienter ses recherches à son goût. Or, aujourd’hui, presque tous les chercheurs sont des salariés qui dépendent, pour leurs choix, de comités de financement.

Et la prise des décisions en comité va toujours vers un consensus mou. Comme les quelques comités concernés par l’astrophysique sont aujourd’hui dominés par les partisans du big-bang, il semble difficile de renverser la situation.

Or, il existe une dissymétrie manifeste, en sciences, entre les partisans de la théorie établie et leurs opposants.

Le « partisan » de la théorie du big-bang ne s’est généralement pas imposé d’en faire un examen critique : il a pris l’habitude de l’enseigner et d’interpréter les faits à sa lumière. Il se contente souvent de lire rapidement les rares articles contestataires publiés, en se disant que le temps fera son œuvre et que d’autres répondront aux objections. L’opposant, lui, est généralement un jeune chercheur qui tombe sur un « fait polémique » selon la formule de Bachelard : ainsi les ponts de Arp, dont nous avons parlé, ou l’abondance de l’hélium. Pour Bachelard, le « fait polémique » est de ceux qui font avancer la science : en mettant en cause les idées admises,  il oblige à les retravailler ou à en changer.

Ceci est la théorie de la science. Mais la pratique du milieu scientifique, comme de toute société, en diffère bien souvent : la tentation est grande, pour le chercheur, de plaire au patron, d’éviter les ennuis et de contourner l’épine entrevue.

Tout savant ne se sent pas vocation au martyre. Tout chercheur n’est pas un Bernard Palissy qui, selon la légende, n’hésita pas à brûler les meubles de sa maison pour mettre au point les  « glaçures » des céramiques.

Dans ce contexte, la fronde de nos 34 mousquetaires contre le big-bang doit être saluée comme un signal majeur. Comme en politique, il est des vérités qu’on ne peut taire ou esquiver indéfiniment.

La force de la vérité vient qu’elle détient en elle-même les moyens de s’imposer à la conscience droite, comme à l’intelligence qui ne se laisse pas détourner de sa vocation.

Dans cette crise du big-bang, on sent poindre un retour du sens commun et un effort collectif pour soulever la chape de théories qui étouffent la recherche scientifique au lieu de la stimuler, qui la brident au lieu de l’éclairer.

 Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais on peut voir ici le signal indubitable d’un virage majeur qui, nous avons tous les éléments pour l’affirmer, ne se limitera pas à la cosmologie.

C’est aussi un signal –espérons qu’il sera perçu – pour les théologiens qui ont cru pouvoir esquiver tout risque intellectuel et toute nouvelle « affaire Galilée », en subordonnant leur pensée aux affirmations de la science.

D’une part, toute œuvre de l’esprit est un périple qui, quelque part, croise toujours les vagues de la haute mer ; d’autre part la Bible nous dit à de multiples reprises : « Seuls ceux qui croient (donc ceux qui ajoutent foi aux affirmations de la Parole révélée) ne seront pas confondus (n’auront pas à rougir de leurs actes). »


Annexe : Lettre ouverte à la Communauté Scientifique

Résumé : on trouvera ci-après la traduction intégrale de la lettre ouverte cosignée par 34 astronomes et astrophysiciens et publiée par le New Scientist en mai 2004. Les scientifiques souhaitant s’associer à cet appel (ils sont déjà plus de 200) en trouveront le texte original et la procédure de signature sur le site : cosmologystatement.org

Le big-bang repose aujourd’hui sur un nombre croissant d’entités hypothétiques, de choses que nous n’avons jamais observées: l’expansion [de l’univers], la matière noire et l’énergie noire en sont les exemples les plus marquants. Sans eux, il y aurait une contradiction fatale entre les observations faites par les astronomes et les prédictions de la théorie du big-bang. Dans aucun autre domaine de la physique ce continuel recours à de nouveaux objets hypothétiques ne serait accepté comme moyen de faire la jonction entre la théorie et l’observation. Il soulèverait, pour le moins, de sérieuses questions sur la validité de la théorie sous-jacente.

Mais la théorie du big-bang ne peut survivre sans ces artifices. Sans l’hypothétique expansion, le big-bang ne prédit pas le rayonnement cosmique homogène et isotopique que l’on observe, car il n’y aurait aucun moyen pour les parties de l’univers actuellement éloignées de plus de quelques degrés dans le ciel d’avoir la même température et ainsi d’émettre la même quantité de rayonnement micro-ondes.

Sans quelque espèce de matière noire, jamais observée sur terre malgré vingt années d’expériences, la théorie du big-bang fait des prédictions contradictoires sur la densité de la matière dans l’univers. L’expansion requiert une densité 20 fois plus grande que celle qu’implique la synthèse nucléaire du big-bang, qui est l’explication de la théorie pour l’origine des éléments légers. Et sans énergie noire, la théorie prédit que l’univers n’a que 8 milliards d’années environ, soit un âge de plusieurs milliards d’années plus jeune que l’âge de nombreuses étoiles de notre galaxie.

En outre, la théorie du big-bang ne peut se prévaloir d’aucune prédiction quantitative ultérieurement confirmée par l’observation. Les succès claironnés par les partisans de la théorie consistent en son aptitude à expliquer rétroactivement les observations avec un déballage sans cesse croissant de paramètres accommodants, exactement comme l’ancienne cosmologie géocentriste de Ptolémée avait besoin d’empiler les épicycles.

Et pourtant, le big-bang n’est pas le seul cadre disponible pour comprendre l’histoire de l’univers.  La cosmologie du plasma et l’univers stationnaire sont deux modèles d’un univers en évolution sans commencement ni fin. Ceux-ci et d’autres approches peuvent aussi bien expliquer les phénomènes fondamentaux du cosmos, y compris l’abondance des éléments légers, la génération de vastes structures, le rayonnement cosmique et comment le décalage vers le rouge des galaxies très éloignées augmente avec la distance. Ils ont même prédit de nouveaux phénomènes qui furent ultérieurement observés, ce que le big-bang n’a jamais fait.

Les partisans du big-bang peuvent rétorquer que ces théories n’expliquent pas toutes les observations cosmologiques. Mais ceci ne saurait surprendre puisque leur élaboration a été sévèrement entravée par un manque complet de financement. En fait, ces questions et les solutions alternatives ne peuvent pas, même maintenant, être librement discutées et examinées. Dans la plupart des grandes conférences l’échange ouvert d’idées fait défaut. Alors que Richard Feynman a pu dire que “la science est la culture du doute”, en cosmologie aujourd’hui le doute et le désaccord ne sont pas tolérés et les jeunes savants apprennent à garder le silence s’ils ont quelque chose de négatif à dire sur le modèle standard du big-bang. Ceux qui doutent du big-bang craignent qu’en le disant cela ne leur coûte leur financement.

Les observations elles-mêmes sont interprétées au travers de ce filtre tendancieux, jugées vraies ou fausses selon qu’elles s’accordent ou non avec le big-bang. Ainsi des données discordantes sur le décalage vers le rouge, l’abondance de lithium et d’hélium, la répartition des galaxies, entre autres sujets, sont ignorées ou ridiculisées. Ceci traduit un état d’esprit de plus en plus dogmatique, étranger à l’esprit de la libre recherche scientifique. Aujourd’hui, pratiquement toutes les ressources financières et expérimentales en cosmologie sont consacrées aux études du big-bang.

Le financement ne provient que de quelques sources et tous les comités de savants qui les contrôlent sont dominés par des partisans du big-bang. En conséquence, la domination du big-bang en cosmologie s’entretient d’elle-même, quelle que soit la validité scientifique de la théorie.

Le fait de ne soutenir que les projets dans le cadre du big-bang sape un élément fondamental de la méthode scientifique: la confrontation constante de la théorie à l’observation. Une telle restriction rend impossible toute discussion et recherche impartiales. Pour corriger cela, nous insistons pour que les organismes qui financent la recherche en cosmologie consacrent une part significative de leurs ressources à des recherches sur les théories alternatives et les observations contredisant le big-bang. Pour éviter la partialité, les comités de pairs qui allouent ces fonds pourraient être composés d’astronomes et de physiciens étrangers au domaine de la cosmologie.

Allouer des fonds aux investigations sur la validité du big-bang et sur ses alternatives permettrait au processus scientifique de déterminer notre modèle le plus exact de l’histoire de l’univers.

Noms des 34 premiers signataires :

Halton Arp, Max-Planck-Institute für Astrophysik (Germany)
Andre Koch Torres Assis, State University of Campinas (Brazil)
Yuri Baryshev, Astronomical Institute, St. Petersburg State University(Russia)
Ari Brynjolfsson, Applied Radiation Industries (USA)
Hermann Bondi, Churchill College, University of Cambridge (UK)
Timothy Eastman, Plasmas International (USA)
Chuck Gallo, Superconix, Inc.(USA)
Thomas Gold, Cornell University (emeritus) (USA)
Amitabha Ghosh, Indian Institute of Technology, Kanpur (India)
Walter J. Heikkila, University of Texas at Dallas (USA)    
Michael Ibison, Institute for Advanced Studies at Austin (USA)
Thomas Jarboe, University of Washington (USA)
Jerry W. Jensen, ATK Propulsion (USA)
Menas Kafatos, George Mason University (USA)
Eric J. Lerner, Lawrenceville Plasma Physics (USA)
Paul Marmet, Herzberg Institute of Astrophysics (retired) (Canada)
Paola Marziani, Istituto Nazionale di Astrofisica, Osservatorio Astronomico di Padova (Italy)
Gregory Meholic, The Aerospace Corporation (USA)
Jacques Moret-Bailly, Université Dijon (retired) (France)
Jayant Narlikar, IUCAA(emeritus) and College de France (India,France) 
Marcos Cesar Danhoni Neves, State University of Maringá (Brazil)
Charles D. Orth, Lawrence Livermore National Laboratory (USA)
R. David Pace, Lyon College (USA)
Georges Paturel, Observatoire de Lyon (France)
Jean-Claude Pecker, College de France (France)
Anthony L. Peratt, Los Alamos National Laboratory (USA)
Bill Peter, BAE Systems Advanced Technologies (USA)
David Roscoe, Sheffield University (UK)
Malabika Roy, George Mason University (USA)
Sisir Roy, George Mason University (USA)     ……………. Konrad Rudnicki, Jagiellonian University (Poland)
Domingos S.L. Soares, Federal University of Minas Gerais (Brazil)
John L. West, Jet Propulsion Laboratory, California Institute of Technology James F. Woodward, California State University, Fullerton (USA)

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