Les dessous de la préhistoire

Par le Dr Jean-Maurice Clercq

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Diminution de la taille des dents au cours de l’évolution de l’homo-sapiens… un cas d’école parmi d’autres.

Résumé : La diminution de la taille des dents au cours de l’évolution de la lignée humaine serait une confirmation de l’évolution effective des Homo sapiens. Elle a toujours été supposée mais jamais démontrée jusqu’à la publication, en 1987 par Patrick Semal, d’une recherche couronnée par l’Université Libre de Bruxelles. L’auteur du présent article, chirurgien-dentiste, a vérifié la partie essentielle de ce travail et constaté que l’étude ne démontre aucunement cette soi-disant réduction de taille dentaire.

Influencé par l’idéologie évolutionniste, on a considéré que la taille des mâchoires humaines allait en se réduisant. C’était pour cela que nos dents ne trouvaient plus assez de place pour se loger dans nos mâchoires. Les dents de sagesse avaient de plus en plus de mal à pousser ; aussi plus de 70% des enfants montraient-ils des malpositions dentaires1.

Puisqu’il semble acquis que la taille des mâchoires diminue, il doit en être de même pour la taille des dents. L’indice peut être recherché sans trop de difficultés, puisque les dents constituent le matériel humain préhistorique le plus abondant.

En 1973, François Twisselmann, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, publia une étude allant dans ce sens et intitulée : “Evolution des dimensions de la forme de la mandibule, du palais et des dents de l’homme”.

Elle portait sur la comparaison des différents groupes fossiles, dont les Néanderthaliens, avec un groupe de référence constitué par un échantillon provenant de la nécropole médiévale de Coxyde en Belgique. Curieusement, en s’arrêtant au Moyen-Age, l’Homme moderne n’était pas pris en compte.

Cette étude fut complétée en 1987 par Patrick Semal dans une communication intitulée:“Evolution et variabilité des dimensions dentaires des Homo sapiens neanderthalensis”, et réalisée sous la direction de Mme Organ-Segebarth, co-directrice du Laboratoire d’Anthropologie et de Génétique Humaine de l’Université Libre de Bruxelles. Elle prenait en compte les dernières données concernant les néanderthaliens et comparait entre elles exclusivement les tailles dentaires, y compris celles des hommes modernes.

Avec l’appui de nombreux graphiques et diagrammes, l’étude démontrait qu’il existait bien une diminution de la taille dentaire au cours du temps dans le groupe Homo. Elle paraissait linéaire. Le professeur Twisselmann, dans la préface de l’étude2, tira une relation entre le pourcentage de réduction dentaire et les millénaires sur lesquels elle s’effectuait, puis se mit à rêver sur l’avenir: “La dimension des diamètres est progressive et ordonnée…La diminution progressive et ordonnée de la taille des dents jugales permet d’espérer…qu’il sera loisible de rapporter en termes de probabilité, d’après ses dimensions, une dent donnée à tel ou tel moment de l’évolution de la denture humaine ( p.6 )”. En d’autres termes, il espère, par de simples mesures d’une dent archéologique, définir en terme de probabilités l’âge de la dent et son appartenance à un groupe Homo précis en cas de trouvaille isolée ou non identifiée.

Cette étude a comblé une lacune de taille car “aucune étude importante n’a été effectuée sur la base de l’ensemble des dimensions dentaires (p.10)”.

Les mesures dentaires ont été effectuées sur sept groupes archéologiques retenus : Coxyde (Moyen Age)-108 individus ; Mésolithique européen, Paléolithique européen, Protocromagnon-14 individus ; Néanderthalien-106 individus ; Anténéanderthalien-71 individus ; Homo erectus et Homo sapiens archaïque non européens-47 individus.

S’y ajoutent  les dimensions moyennes de plusieurs populations contemporaines, dont les Belges, ainsi que les dimensions moyennes des échantillons d’Australopithecus afarensis, d’Australopithecus africanus et d’Homo habilis.

Il faut aussi préciser que les individus mesurés sont très loin de posséder toutes leurs dents et qu’ainsi, par exemple, la mesure de la première incisive centrale supérieure n’a pu s’effectuer que sur 98 Coxyde, 69 Paléo-mésolithiques, 7 Protocromagnons, 23 Néanderthaliens, 7 Anténéanderthaliens.

Cette étude démontre que la taille des dents diminue au cours de l’évolution de l’espèce humaine, la confirmant du même coup. Ce travail fut salué par les spécialistes et couronné par le prix Paul Brien 1987 de l’Université Libre de Bruxelles.

Il sert donc de référence.

Il est à remarquer que cette recherche qui sert de référence n’a finalement jamais été vérifiée, ni reprise ou affinée.

Alors, par un simple esprit de curiosité critique personnel, nous avons voulu valider une partie de ce travail en comparant les mêmes dimensions dentaires chez nos patients, à partir de deux cent moulages accumulés en plus de 25 ans d’exercice professionnel, avec celles qui sont publiées dans l’étude de P. Semal.

Voici les résultats, qui n’ont pas manqué de surprendre :

– il n’y a pas de corrélation entre la taille des dents et celle du squelette.

– il n’y a pas de corrélation de taille entre la première molaire supérieure et l’incisive centrale supérieure.

– il n’y a pas de corrélation de taille entre la première molaire supérieure et l’inférieure.

– il y a des variations familiales importantes de la taille entre parents et enfants3, et entre les enfants : de 13 à 27%.

– le dimorphisme sexuel, de 2,7 à 10,40%, ne présente que peu d’intérêt dans le cadre de l’étude.

– l’énorme variabilité des tailles selon le type de dent, de 20 à 43%, devient un obstacle statistique primordial.

Discussion

Certes notre échantillon, par le nombre des sujets mesurés, ne peut être considéré comme parfaitement représentatif ; mais nous pensons quand même qu’il est aussi représentatif, si ce n’est plus, que ceux utilisés pour l’étude de P. Semal

1 – Une première surprise de taille apparaît à notre analyse: nos patients, échantillon de notre clientèle, se situent, selon l’étude de Semal, entre les paléolithiques et les néanderthaliens, avec une moyenne de taille molaire égale, voire supérieure!

2 – Les dents du Moyen Age que nous avons pu mesurer lors de fouilles archéologiques sont les seules à présenter une cohérence avec leurs homologues du groupe Coxyde dans l’étude de Semal : elles présentent une réduction de taille par rapport à l’homme moderne. On peut également faire remarquer que les mesures des dents du Néanderthalien du Régourdou sont presque identiques aux dimensions des dents des belges modernes données par P. Semal.

3 – Une deuxième surprise réside dans la variabilité des tailles dentaires qui présentent jusqu’à 43 % d’écart (pour l’incisive latérale supérieure), phénomène qui peut encore s’accentuer, ou se réduire des 3,7 à10,40 % du dimorphisme sexuel selon les dents…

4 – C’est la variabilité des tailles dentaires entre elles, pour une même dent, qui est la cause de ces résultats incohérents ; il faudrait en effet des milliers de sujets pour établir une moyenne fiable qui alors celle d’un groupe précis et non d’une population aux contours mal définis.

5 – Le matériel préhistorique utilisé par P.Semal, compte-tenu de l’élargissement géographique qui a été nécessaire (les dents proviennent de sites archéologiques dispersés de l’Espagne à Israël), est malheureusement trop restreint pour être exploité, comme le montrent les mesures effectuées sur notre propre clientèle. De plus, il a dû supposer que les Néanderthaliens ne présentent aucune variation morphologique, géographique et chronologique (et ce dernier postulat va à l’encontre de conclusions de l’étude de Semal : ses Néanderthaliens peuvent avoir plusieurs centaines de milliers d’années d’écart – selon ce qui est admis – car l’époque néanderthalienne se situerait entre 350.000, voire 600.000, et 35.000 ans avant J.-C.).

Cette considération va à l’encontre de ce qui est constaté chez l’homme moderne, entre l’espagnol et l’allemand par exemple, et aussi avec ce que l’on a pu mesurer du Moyen Age.

6 – Nous avons découvert que P. Semal, pour effectuer sa comparaison, s’est appuyé sur des mesures modernes qui ne sont en fait que des dimensions types données à usage anatomo-morphologique (pour les étudiants par exemple) ; elles ne relèvent aucunement d’études statistiques dimentionnelles. Ceci explique pourquoi nos moyennes mesurées se trouvent forts différentes des siennes, avec une taille supérieure, et très proches des études statistiques dimensionnelles sérieuses que nous avons trouvées par ailleurs.

Conclusion

La première erreur de l’étude de P. Semal sur l’évolution et la variabilité des dents chez les Homo sapiens réside dans l’utilisation de groupes préhistoriques trop hétérogènes et en trop petite quantité. De ce fait, elles ne sont pas représentatives et ne peuvent pas donner d’indications valables compte-tenu du trop grand pourcentage de variabilité existant.

La deuxième erreur, plus fondamentale, fut de s’appuyer sur des dimensions modernes de dents pour effectuer une inter-comparaison, alors que de toute évidence ces chiffres utilisés n’ont été publiés qu’à titre indicatif, sans base statistique. Ils ne peuvent donc servir à cette fin. L’auteur de l’étude, n’étant pas dentiste, ne s’en est  sans doute pas rendu compte, nous osons l’espérer. Un examen un peu approfondi des tailles des dents humaines montre une variation dimensionnelle extrêmement importante, située entre 20 et 43% selon ce que nous avons constaté sur nos patients. Cela montre l’inexploitabilité de ce critère.

La troisième erreur, malgré quelques réserves d’usage émises par l’auteur, fut de tirer des conclusions sans chercher à faire vérifier son travail par des dentistes.

Une quatrième erreur fut de claironner trop rapidement et sans contrôle sérieux cette apparente réduction de la taille dentaire, de la faire cautionner par des autorités préhistoriennes, certes, mais incompétentes dans le domaine dentaire et d’avoir ainsi obtenu le prix Paul Brien de l’Université Libre de Bruxelles.

On constate une telle succession d’erreurs et d’imprudences de la part d’autorités universitaires impliquées dans l’enseignement et la recherche en préhistoire que cela en devient douteux. Le travail de P. Semal nous a semblé sérieux ; il pèche simplement par la qualité des matériaux utilisés, ce qui a permis d’extrapoler des conclusions hâtives lesquelles, malheureusement, sont exploitées depuis comme un acquis fiable dans des ouvrages traitant des Néanderthaliens et des Cro-Magnon.

Nous avons voulu exposer comment ce travail, par une succession d’erreurs et d’imprudences techniques, permet en quelque sorte de démontrer l’indémontrable, voire le contraire de la réalité .

C’est en quelque sorte un cas d’école…

Ainsi avancent parfois les grandes données théoriques dans le domaine de la préhistoire.


1 Il a été démontré dans différents articles et communications qu’il n’en était rien, que c’était souvent le résultat d’erreurs de comportement alimentaire et que la thérapeutique correctrice et préventive existait.

2 Parue aux éditions du C.E.D.Arc, Viroinval (Belgique), 1978.

3 N.B. Les dents sortent chez l’enfant à leur taille adulte, seule la longueur de la racine peut encore croître. La taille mesurée est ici la largeur mésiodistale (le long de l’arcade dentaire).

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