Enquête sur un massacre (2ème partie)

Par Dr Jean-Maurice Clercq

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Histoire :

« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. (Marcel François)

           

Résumé : Dans le numéro précédent du Cep, l’auteur avait montré comment, à partir d’un entrefilet de journal relatant l’extrait d’une lettre d’un officier révolutionnaire (annonçant à son père le massacre de 400 personnes assistant à la messe de minuit de Noël 1793 à Pouzauges, en Vendée), il s’était trouvé engagé dans une longue enquête, établissant dans un premier temps la crédibilité de ce témoignage, alors que l’événement semblait inconnu dans la mémoire locale. L’analyse du document démontrait son authenticité et les éléments démographiques rassemblés indiquaient bien une forte baisse du nombre d’habitants à Pouzauges autour de cette date, ce qui semblait ne pouvoir s’expliquer que par ce massacre. iI restait une dernière enquête à mener : rechercher les familles disparues ainsi que les lieux d’ensevelissement des victimes.

A LA RECHERCHE DE NOUVELLES PREUVES

PAR LA GÉNÉALOGIE


À ce stade de l’enquête, le massacre raconté par Nogaret devenait crédible : il rendait compte de la baisse inexpliquée de population à Pouzauges-la-Ville. Cependant, il restait encore une autre piste, ultime, à explorer : la piste généalogique, qui devrait permettre d’expliquer le résultat démographique en suivant au plus près l’évolution de la population sur la période concernée. C’était sans conteste la partie la plus fastidieuse de la recherche. Elle a mobilisé mon temps libre sur 2 années : reconstituer les familles, établir des fiches pour chaque nom retrouvé, réaliser tous les recoupements sociaux possibles (alliances des familles, les amitiés et les affinités politiques) à partir des informations retrouvées. Pour cela, trois sources étaient à disposition:

– Le registre paroissial d’avant et après l’interruption révolutionnaire (1791-1801).

– Le registre municipal commencé en 1791 et interrompu de 1793 à 1797.

– Le registre protestant d’avant 1791.

Avant la Révolution, le registre paroissial était le seul registre reconnu. Y figurer était nécessaire pour accéder à de hautes fonctions, tant administratives ou juridiques que militaires ou médicales. Nous y retrouvons donc l’élite acquise aux idées des Lumières ainsi que quelques rares protestants (mariages mixtes). Couplé avec les registres protestants, on arrive à obtenir une carte démographique et sociale assez précise d’avant la Révolution. Mais, pour compliquer la recherche, il convient aussi de préciser qu’un certain nombre de personnes figurant sur le registre de la paroisse de l’église Saint-Jacques faisaient partie de la paroisse de Pouzauges-le-Vieux dont le territoire commençait à… 50 mètres de l’église Saint-Jacques.

Les registres protestants des Pasteurs du Désert[1]d’importance secondaire, permirent souvent de compléter les lacunes du registre paroissial ou de lever des doutes sur les appartenances religieuses avant 1791. Dans l’ensemble, les protestants boudaient le registre paroissial et avaient leurs propres registres qui avaient l’inconvénient d’être partiels: les pasteurs baptisaient et mariaient au gré de leur passage itinérant et, de plus, ce n’étaient pas toujours les mêmes. Autre inconvénient : ils présentent parfois des doublons avec le registre paroissial, certains protestants se faisaient rebaptiser ou se remariaient devant le pasteur après un passage devant le curé…


Le registre paroissial de l’église Saint-Jacques à notre disposition, couvrait la période de 1737 à 1791. Des fiches généalogiques familiales furent dressées à partir de 1737 et complétées jusqu’en 1820.

Outre l’information démographique qu’elles apportaient, elles permettaient aussi d’établir les liens familiaux, les alliances, les sensibilités religieuses et politiques selon les renseignements collectés[2]. Nous avons compté les membres vivants de chaque famille identifiée avant le 25 décembre 1793 et nous les avons recherchés jusqu’en 1820[3] avant de faire les décomptes des disparus en essayant de tenir compte des déménagements possibles, pas toujours connus.

Les fiches familiales ont été numérotées selon l’ordre alphabétique. Elles ont ensuite été classées en différents groupes, selon leurs affinités religieuses et politiques, autant que faire se pouvait, selon les informations retrouvées.

Malgré toutes les recherches, subsisteront toujours quelques doutes sur certaines disparitions (déménagements, émigrations) ou sur les exactes appartenances religieuses et politiques.

Nous avons tenu compte de ces aspects et les avons regroupés en « cas douteux » en les intégrant aussi dans les calculs démographiques afin de les pondérer pour essayer d’approcher la vérité le mieux possible.

Nous avons ainsi identifié et suivi 131 familles[4], dont les noms se trouvaient couchés sur le registre paroissial de l’église Saint-Jacques de Pouzauges-la-Ville, de 1737 à la Révolution, puis jusqu’à la période postrévolutionnaire (1820). Après reconstitution, la population de Pouzauges-la-Ville à la veille de la Révolution s’élève à 560 habitants. Selon le registre de l’église Saint-Jacques, l’estimation du groupe de paroissiens fréquentant cette église est évaluée à 260 catholiques se décomposant comme suit : 148 fidèles provenant de Pouzauges-la-Ville, et 51 fidèles provenant de Pouzauges-le-Vieux. Le reste, 61 personnes, n’étant que des opportunistes de circonstances. Le groupe protestant s’évalue à 140 personnes. Le reste de la population, environ 272 personnes, ne présente aucune confession religieuse[5].

Nous avons classé les membres des 131 familles figurant sur le registre de l’église Saint-Jacques avant 1793 en 3 groupes principaux :

Groupe n°1 : les familles catholiques de Pouzauges-la-Ville et de Pouzauges-le-Vieux.

Groupe n°2 : les familles à sensibilité protestante de Pouzauges-la-Ville et de Pouzauges-le-Vieux.

Groupe n°3 : les familles n’ayant aucune confession religieuse et/ou ayant des sympathies révolutionnaires de Pouzauges-la-Ville et de Pouzauges-le-Vieux.

Compte tenu de la particularité géographique des deux Pouzauges (Pouzauges-la-Ville est une cité en partie noyée dans la campagne de Pouzauges-le-Vieux), il paraissait plus intéressant de focaliser notre recherche sur Pouzauges-la-Ville, centre administratif, commercial et ouvrier développé à l’intérieur de ses ceintures de remparts, regroupant dans ses activités toute l’élite des deux Pouzauges.

La paroisse de Pouzauges-le-Vieux était bien plus importante et étendue géographiquement et on y trouvait des fidèles qui participaient aux offices dans les églises des paroisses voisines, parfois plus proches. La paroisse de Pouzauges-le-Vieux était constituée de fermes et de métairies ; elle n’avait pas de véritable centre. Seules une dizaine de maisons se groupaient autour de sa modeste église Notre-Dame, distante de 1,5 km de l’église Saint-Jacques. S’y assemblait la population la plus proche. L’étude des registres de Pouzauges-le-Vieux aurait été encore plus laborieuse, avec un intérêt nettement moindre d’autant plus que pendant et après les troubles, les paysans rechignaient à figurer sur le registre municipal, ce qui n’était pas le cas de Pouzauges-la-Ville, à cause de la forte pression exercée par l’élite révolutionnaire. Il était nécessaire de limiter le sujet.

Pour atteindre le chiffre de 400 fidèles massacrés, la logique impose qu’une partie des fidèles venus assister à la messe de Minuit de Noël venait des paroisses voisines parce que, depuis deux ans, aucune messe n’avait été célébrée dans le pays.

Il est bien entendu aussi que, dans cette recherche généalogique, les personnes  retrouvées comme victimes lors de la Guerre de Vendée, tant du côté insurgé que du côté révolutionnaire, ont été classées ici dans la catégorie des personnes « retrouvées » parce qu’elles ne pouvaient pas faire partie des victimes de l’église.

Une fois effectuée l’étude démographique, allait émerger une image précise de la situation de la population et de son évolution.

Elle démontre qu’il y eut autour de l’année 1793-1794 une chute brusque, et importante de la communauté catholique, inexplicable au regard de la mémoire historique connue de Pouzauges.

BILAN HUMAIN

– Registre paroissial de l’Église Saint-Jacques :

            131 familles couchées sur le registre paroissial de 1737 à 1793 ont permis de dresser des fiches généalogiques par famille, actualisées sur l’année 1794 et suivies jusqu’en 1820, soit un groupe de 610 personnes dont 73 étaient décédées avant 1793. Les paroissiens de Pouzauges-le-Vieux couchés sur les registres de la paroisse Saint-Jacques sont présentés séparément.

RECAPITULATIF

             Groupe catholique      Groupe protestant/révolutionnaire

1- Pouzauges-la-Ville

Nombre de personnes :   148                              133

Retrouvées après 1793:      20                           117

Disparus :                          128 soit 86,48 %        16 soit 12,03 %

2- Pouzauges-le-Vieux

Nombre de personnes :        51                         51

Retrouvées après 1793 :   16                            43

Disparus :                          35 soit 68,62 %       8 soit 18,60 %

Quelques chiffres

Groupe catholique (groupe 1) :

Pouzauges-la-Ville : 25 familles sur 33 ont entièrement disparu, soit 101 personnes sur les 128 disparues.

Pouzauges-le-Vieux : 6 familles sur 15 ont entièrement disparu, soit 22 personnes sur les 35 disparues.

Groupe protestant / révolutionnaire (groupe2 & groupe 3) :

Pouzauges-la-Ville : 1 famille sur 26 a entièrement disparu, soit 6 personnes sur les 16 disparues.

Pouzauges-le-Vieux : 0 famille sur 9

DÉTAILS MIS EN GRAPHIQUES

Groupe N° 1 : Groupe catholique de Pouzauges-la-Ville

Disparus : 86,48%

       (effet des 3 corrections et pondérations successives des données)


GROUPE N° 2 & 3 : Groupe protestant et groupe révolutionnaire de Pouzauges-la-Ville

Disparus : (après correction des données)      12,03%


GROUPE N° 1 : Groupe catholique de Pouzauges-le-Vieux

Disparus :(après correction de données)       68,62%

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GROUPE N° 2 & 3 : Groupe protestant et révolutionnaire de Pouzauges-le-Vieux

Disparus: (après correction des données)      18,60%

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TABLEAU RÉCAPITULATIF ET COMPARATIF DES TROIS GROUPES DE LA POPULATION DES 2 POUZAUGES (Vieux et Ville)AU 25 DÉCEMBRE 1793


Groupe 1 : catholiques

Groupe 2 et 3 : protestants et révolutionnaires

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A LA RECHERCHE DU CHARNIER

 VERS LA CONFIRMATION FINALE

Le massacre décrit dans sa lettre par Nogaret pouvait prendre enfin le chemin de l’histoire, mais en était-ce fini de l’enquête ? A la question récurrente : «Où a-t-on enterré les corps? », il fallait encore donner une réponse. Si massacre il y avait eu, un charnier devait se trouver quelque part ! et d’importance car il devait contenir plusieurs centaines de cadavres… Le retrouver constituerait la recherche ultime.

Elle ne s’avérait pas facile, d’autant qu’un mois après ce massacre, une partie des troupes des « Colonnes infernales » s’était cantonnée sur Pouzauges, du 27 au 29 janvier 1794, pour ravager la contrée. Elles avaient massacré dans l’enceinte du vieux château 32 ou 52 personnes qui avaient été raflées dans la campagne.

La population pouzaugeaise en avait gardé la mémoire mais, curieusement, n’avait jamais pu localiser le lieu d’enfouissement des fusillés. Des recherches infructueuses avaient été menées en particulier vers les années 1940. Les fouilles dans l’enceinte du château et de ses douves, encore partiellement existantes à l’époque, n’avaient rien donné. On aurait même pu douter de la réalité de l’évènement, s’il n’y avait eu une survivante, une jeune fille qui avait été cachée dans les ruines du château par un officier révolutionnaire apitoyé par ses larmes[6]. Cette recherche semblait donc devoir rencontrer toutes les difficultés possibles.

Pour retrouver le charnier issu du massacre de l’église, il semblait nécessaire de se mettre à la place des révolutionnaires pour examiner les problèmes rencontrés et les résoudre : comment transporter les cadavres, par quel itinéraire, quel type de cache et à quel emplacement pour réaliser un ensevelissement rapide et discret qui ne soit pas retrouvé et finisse par être oublié ?

La topographie de Pouzauges ne laisse que peu de choix : le bourg est construit sur une butte granitique n’offrant pas la possibilité d’enfouir facilement une grande quantité de cadavres au sein de la cité : les pentes sont raides, le rocher affleure le sol et les jardins en terrasse sont petits. Seules les douves du vieux château surplombant la petite cité paraissaient offrir des cavités convenables ; mais voilà, elles ne contiennent rien. Ceci incite naturellement à penser qu’il était plus facile de descendre une grande quantité de cadavres que les monter et que la cache choisie répondait mieux que les douves au caractère de discrétion requis. Elle devait lors se trouver en dehors du bourg, dans sa partie basse. Les recherches pouvaient commencer en essayant de répondre à ces questions.

La littérature sur les guerres de Vendée indique que les cadavres se convoyaient par charretées de 16 à 18 victimes. Les chemins empruntés étaient donc conditionnés par des contraintes topographiques et vicinales (leur largeur et les pentes).

Compte tenu de l’escarpement du bourg et de l’étroitesse des chemins, les charrettes n’avaient pu circuler que sur un petit nombre de voies, d’autant plus qu’une navette d’une vingtaine de voyages était ici nécessaire.

Pour garder le secret sur cette affaire, il fallait inhumer les corps très rapidement, en éloignant les indiscrets ; les journées en cette période de l’année étant les plus courtes, on avait pu disposer de ce facteur favorable et attendre la tombée du jour pour effectuer le convoyage des corps. Les charniers ouverts[7] étaient interdits car ils n’empêchaient pas les odeurs de putréfaction de remonter et d’attirer les animaux sauvages (chiens errants, corbeaux), mais cette obligation était rarement respectée, devant l’urgence ou l’ampleur de la tâche. Comment avait-on pu enfouir un si grands nombre de cadavres de manière à ce qu’ils n’aient pas encore étés retrouvés ? Un charnier ouvert était exclu à cause de la grande quantité de terre qu’il aurait fallu manipuler pour couvrir les corps avec une épaisseur suffisante pour ne pas être retrouvés[8]. Dans ce cas il aurait certainement été mis à jour accidentellement depuis. On avait donc caché les cadavres dans des caches plus sûres. Une hypothèse se faisait jour : l’utilisation de cavités naturelles ou artificielles pouvant faire office de fosse commune. Et dans ce cas, quelle serait la nature de ces caches ? Probablement de petites carrières dont les pierres extraites avaient servi pour les constructions voisines. Le terrain devait être, de plus, sécurisé.

Il ne restait que deux sources de renseignements disponibles. La première était les archives municipales que je n’avais pas encore exploitées systématiquement. Peut-être pouvaient-elles apporter quelques indices ? La deuxième source consistait à consulter sur place en détail le cadastre napoléonien de Pouzauges, qui n’avait pas encore rejoint les réserves des archives départementales.

Ce cadastre reproduisait fidèlement celui de l’Ancien régime, avec l’actualisation qui pouvait paraître nécessaire (maisons en ruine, par exemple). Sa consultation permettait de retrouver le tracé traditionnel des chemins d’accès à la bourgade, car ceux-ci avaient été fortement remaniés au cours du XIXème  et du XXème siècle, pour faciliter la circulation.

L’étude du cadastre permettait de sélectionner deux chemins carrossables descendant du bourg, dont celui qui reliait Pouzauges-la-Ville à Pouzauges-le-Vieux à partir du centre ville et de l’église. Sur le premier chemin, aucun indice de cache ne se révélait. Les anciennes carrières de pierres creusées dans la colline existaient toujours : elles n’avaient donc pas été utilisées. Par contre, sur l’autre chemin reliant Pouzauges-la-Ville à Pouzauges-le-Vieux, le cadastre indiquait à mi-parcours, dans la portion qui empruntait une forte montée, deux carrières de différentes tailles, sur chaque côté, ayant probablement servi pour la construction des fermes voisines et l’empierrement du chemin. Sur ce tronçon, on avait dû creuser la roche pour en diminuer la pente du sol. Ce chemin ne fut remanié que très tardivement, vers les années 1960, lors de la construction de lotissements, de sorte que le souvenir de ces emplacements de carrières était encore présent lors de nos recherches. Il s’est alors avéré que l’une d’entre elle, la plus importante sur le cadastre, située à droite de l’amorce de la montée du chemin qui entame la colline, n’existait plus et le souvenir en avait disparu. Quand ? Quelle avait été la cause du comblement ? Comment le savoir ?

Cette trouvaille ne permettait pas de conclure, mais du moins était-ce un indice. En même temps, sous les combles de la Mairie de Pouzauges, je me plongeais dans l’examen des comptes-rendus des séances municipales (non référencés et en désordre), de la Révolution à 1820, photocopiant ce qui me paraissait présenter quelque intérêt, les déchiffrant à loisir ensuite à mon domicile. Il ressortait à leur consultation la désagréable impression qu’en d’autres temps, des mains indélicates « avaient nettoyé »[9] les archives.

En effet, de l’époque révolutionnaire, il ne restait que des comptes-rendus sans grand intérêt concernant essentiellement les inventaires et la gestion de l’Aumônerie[10], une ancienne maladrerie située sur le terrain de Pouzauges-le-Vieux.

La partie du chemin auquel nous venons de faire allusion avec ses carrières, reliait les églises des deux Pouzauges en passant au milieu des terres de cette maladrerie. Les terrains et les bâtiments de l’Aumônerie, ou Hospital Saint-Jean, appartenaient donc à la commune depuis la saisie des biens du clergé au début de la Révolution. En fait, tout ceci n’aurait certainement pas mérité de retenir l’attention si d’autres documents n’étaient venus soulever à nouveau notre curiosité. En effet, dans ce dépouillement fastidieux des actes et des comptes rendus des conseils municipaux[11], il fallut arriver à l’année 1816 pour trouver une lettre du Conseil municipal en date du 7 février 1816 qui attira mon attention : elle était adressée au Sous-préfet de Fontenay-le-Comte (sous les signatures des anciens révolutionnaires de 1793) au sujet d’un arrêté préfectoral supprimant le cimetière commun aux deux Pouzauges et situé autour de l’église Notre-Dame de Pouzauges-le-Vieux[12].

Le Conseil municipal proposait au Sous-préfet un terrain[13] situé à mi-chemin entre les églises des deux Pouzauges « un champ situé auprès du village de l’Aumônerie sur le chemin qui conduit de Pouzauges-la-Ville au Vieux-Pouzauges, lequel champ contient quatre boisselées[14] ou environ et est dépendant de l’hôpital de Pouzauges ». Cette lettre de gestion communale d’une grande banalité n’aurait pas suscité la moindre attention si, précisément, la carrière disparue n’avait pas bordé le terrain proposé. Le terrain appartenait à la Commune tout comme l’Aumônerie dont il dépendait antérieurement. Cependant, ce terrain peu fertile est rocailleux, recouvert d’une faible épaisseur de terre. On ne pouvait donc y faire des inhumations à la profondeur requise (de l’ordre de 2 mètres) ! Comment la municipalité de 1816 avait-elle pu faire ce choix en se trompant à ce point ?

Poursuivant les recherches, un nouveau courrier en date du 23 mars de la même année, derechef adressé à Monsieur le Sous-préfet, confirma les soupçons : elle demandait l’annulation de la translation du cimetière (ce qu’elle obtint), en avançant un certain nombre d’arguments plus ou moins fallacieux :

  -Le petit nombre d’habitants (3 personnes) du bourg de Pouzauges-le-Vieux, dont certains sont très âgés, ceci indiquant que l’air y était sain (le cimetière se trouve contre l’église).

  -Le petit nombre de décès à Pouzauges-la-Ville : 3 à 4 par an « comme on peut le voir sur les registres de l’état civil, y compris les protestants, à Pouzauges-la-Ville[15] ».

  -La faible distance reliant les deux Pouzauges (1,5 km).

  -Le prêtre desservant Pouzauges-la-Ville n’a jamais fait de difficultés pour accomplir son ministère à Pouzauges-le-Vieux.

Quelle motivation puissante avait donc mené le Conseil municipal, composé en grande partie des anciens révolutionnaires de la Garde nationale, à demander l’annulation du déplacement du cimetière en avançant des arguments qui sentaient la désinformation et le mensonge ? Il y avait là un point à approfondir.

  -Que les habitants des deux communes, « malgré leur dévouement au Souverain légitime par qui nous avons le bonheur d’être gouvernés[16] », voient dans l’acquisition[17] du terrain et les frais de clôture[18] un « nouvel impôt très onéreux »… 

Quelles informations allait donc pouvoir délivrer le site ? Les vieux paysans questionnés sur ce terrain ont confirmé qu’il « était juste bon pour mettre des bêtes dessus, et que pour la culture, il ne valait pas la sueur qu’on y dépenserait ». Depuis les années 1960, la portion du chemin en question avait été remaniée de part et d’autre par la construction d’un lotissement de maisons individuelles et de deux HLM. Interroger les témoins des travaux pouvait présenter le plus haut intérêt.

Une hypothèse apparaissait : et si cette carrière avait été comblée par l’ensevelissement des cadavres de l’église Saint-Jacques ? Il était alors logique que le Conseil municipale proposât ce terrain qui lui appartenait et qui englobait la carrière disparue par comblement pour en faire un cimetière. Il devenait ainsi la cache idéale[19]. Mais alors, dans un second temps, le Conseil municipal avait dû se rendre compte de l’impossibilité de réaliser une inhumation à la profondeur requise d’où la justification de la seconde lettre.

C’est ainsi que les témoignages nous apprirent que des ossements en très grande quantité avaient été mis à jour par les engins de terrassement et d’excavation, exactement à l’endroit supposé de l’ensevelissement des victimes, mais curieusement, renseignement pris, aucune des déclarations légales obligatoires n’avaient été faite aux autorités par l’entrepreneur, peut-être motivé par le désir de ne pas voir l’arrêt du chantier pour des fouilles archéologiques… Tenait-on enfin la preuve matérielle du massacre de l’église Saint-Jacques ? On pouvait le penser. Cependant, quel volume pouvait prendre environ 400 cadavres entassés les uns sur les autres ? Autrement dit : étaient-ils tous ensevelis dans cette carrière dont on ignorait la capacité ? Un autre emplacement complémentaire s’était-il avéré nécessaire ? On pouvait objecter aussi que ce charnier pouvait être celui des victimes de la fusillade du vieux château, pourtant éloigné d’un kilomètre de plus, et non ceux de l’église Saint-Jacques. Il fallait donc continuer les recherches pour clarifier le dossier sur ce point.

Ce charnier se situait, à l’époque, sur un terrain dépendant de « l’Aumônerie » ou « Hospital Saint-Jean », alors propriété de la municipalité : en fait une maladrerie miséreuse complétée d’une chapelle pouvant soigner les lépreux et peut-être accueillir quelques grabataires, si l’on en croit les inventaires des Biens nationaux. Elle avait été fondée en 1202 par Richard Cœur-de-Lion, et tenue par quelques moines jusqu’à la Révolution où elle deviendra propriété de la municipalité. Transformés en gendarmerie en 1806, les bâtiments seront abandonnés en 1860. Rachetée en 1871 par un alsacien exilé, aïeul du propriétaire au moment des recherches, elle sera transformée en limonaderie-brasserie.

Les travaux d’adduction d’eau permirent à l’époque de découvrir des restes humains en grande quantité, laissant supposer un charnier. Depuis, d’autres emplacements ont révélé leur contenu d’ossements humains. Ils représentent une surface de l’ordre de 200 m2 au moins, laissant supposer un charnier ouvert.

Aujourd’hui, la propriété de l’Aumônerie se compose des bâtiments anciens et des terrains entourant les bâtiments. Les travaux et les sondages effectués par le nouveau propriétaire, puis par son fils et son petit fils (toujours propriétaire actuel) ont montré qu’en différents endroits du terrain de la propriété, sous l’humus naturel, se situaient des gravas très durs (pierres, tessons de tuiles etc.) au dessous desquels on retrouvait des ossements humains sans ordre, en grande quantité, sur une épaisseur d’environ 50 cm. Un immense et ancien  charnier ouvert se situait sur une partie du terrain!

Une cartographie des découvertes a pu être ainsi dressée. Restait à mettre à jour l’emplacement où certainement quelques moines attachés à la maladrerie auraient pu être enterrés pour éviter toute objection fondée sur une confusion avec les ossements des massacrés. Pour cela, le propriétaire a bien voulu effectuer un sondage, ces dernières années, au pied du mur extérieur du chevet de la chapelle. Il permit de mettre à jour, entre autres, différents fragments osseux (orientés d’est en ouest vers le chœur de la chapelle). Les restes crâniens et maxillaires[20] firent l’objet d’un rapport d’expertise odontologique médico-légale de ma part. Les morceaux provenaient de trois crânes différents ensevelis à des époques anciennes bien espacées et antérieures à l’époque révolutionnaire. Ils ne provenaient pas du massacre mais certainement de religieux inhumés contre la chapelle, selon la coutume.

Un rapport d’expertise fut établi et transmis, et le sondage refermé. Une croix de granit traditionnelle à la Vendée fut érigée par le propriétaire au milieu de ces emplacements.

           
La croix devant le mur de l’Aumônerie

En 1793, ces charniers étaient situés sur un terrain appartenant à la municipalité révolutionnaire de Pouzauges la Ville, ils étaient donc contrôlés et sécurisés pour longtemps. De ce fait, avec la carrière et les charniers ouverts, il y avait de quoi recevoir les 400 cadavres ! Nogaret, en qualité d’officier d’intendance, était habitué à tenir des comptes précis ; il n’avait probablement pas avancé ce chiffre à la légère, du moins le contenu général de sa lettre le laisse supposer. Son estimation devait probablement être proche de la vérité[21].

Se reposait alors la question suivante: les charniers découverts contenaient-ils uniquement les victimes de l’église, ou bien avait-il été grossis par les cadavres du massacre du Vieux-Château, un mois plus tard ? Cette dernière hypothèse était-elle à retenir, étant donné la distance importante qui sépare l’Aumônerie du Vieux-Château ? N’aurait-il pas été plus facile, donc plus probable, que les victimes de la fusillade fussent ensevelies en un autre emplacement, beaucoup plus proche du Vieux-Château ?


Vitrail de l’église Saint-Jacques commémorant la fusillade du Château

A LA RECHERCHE DU CHARNIER

DE LA FUSILLADE DU VIEUX-CHATEAU

La même méthodologie de recherche cadastrale utilisée avec succès pour les victimes de l’église fut reprise. Elle ne donnait là encore que deux possibilités de cheminement pour arriver en bas du bourg; le trajet le plus court, également le plus rapide, avait la préférence, mais ce chemin suivait une pente très raide et étroite sur son trajet final, ce qui pouvait être un facteur défavorable. Dans cette hypothèse, il aurait été nécessaire d’utiliser de plus petites charrettes, mais il y avait moins de cadavres à transporter. Ce chemin aboutissait vers le bas de la ville, butant sur un mur de soutènement (vestige probable d’une ancienne ligne de rempart de la bourgade). Il devait se continuer, à l’époque, à travers un passage débouchant sur un autre sentier. Aujourd’hui le passage est fermé et une maison y est construite. Par chance, le propriétaire et ami de la maison voisine, questionné sur ce sujet, me donna la réponse recherchée : les ossements se situaient sous la maison en question, construite vers 1950 ; ils n’étaient pas alignés mais enchevêtrés (ce qui exclut un lieu de sépulture géré et suggère l’existence d’un charnier ouvert).

Plus surprenant, l’entrepreneur qui avait mis à jour les ossements en effectuant les travaux de construction de cette maison édifiée pour ses parents[22] était… le même qui mit à jour, une dizaine d’années plus tard, avec ses engins, les ossements le long du chemin de l’Aumônerie, … et cela, toujours sans déclarations ! Plus curieusement encore, j’ai retrouvé à l’époque révolutionnaire un membre de la Garde nationale portant le même nom et …avec la même profession, peut-être l’aïeul de cet entrepreneur (vieille famille de Pouzauges ?). Cet entrepreneur avait aussi été « prédicant » de la petite communauté protestante de Pouzauges dans les années qui avaient suivi les travaux de construction du lotissement… J’ai croisé encore une fois le nom de cet entrepreneur : vers 1945, il avait effectué les travaux qui ont détruit les ornementations romanes du porche d’entrée de la chapelle de l’Aumônerie.

Cette façade servit de mur pour l’arrière d’une maison qu’il y construisait, accolée devant. C’est une maison plate qui, dans peu, sera vouée à la destruction… Il y a des faits qui ne s’inventent pas !

Ainsi, tous les charniers avaient-ils été retrouvés, celui de l’église Saint-Jacques comme celui des Colonnes infernales. Cette dernière partie de ces recherches passionnantes, mais parfois aussi fastidieuses, qui s’étaient étendues sur environ deux années supplémentaires, avaient demandé encore beaucoup de persévérance. L’enquête pouvait désormais être bouclée.

Valeur des recherches sur le plan judiciaire ?

LE RAPPORT FINAL

Un rapport de 200 pages résumant toutes ces recherches, puis complété par celui des recherches généalogiques, fut écrit et remis aux autorités compétentes. La validité des travaux n’avait jamais été mise en doute. Mais, pour plus de sécurité, des contacts furent pris avec l’Institut National de la Formation de Formateur de la Police Nationale, pour avis technique sur la qualité de l’enquête (hors recherche généalogique). Après analyse de tous les éléments contenus dans le dossier sur le massacre de l’église Saint-Jacques, une réponse de 5 pages confirmait la validité technique des recherches. De plus, on m’assurait que, à leurs yeux, le travail était même une enquête modèle, comme ils aimeraient pouvoir en fournir à leurs élèves.

Les causes de l’oubli

La lettre et les faits relatés par Nogaret étaient donc authentiques. Mais une question s’imposait toujours, lancinante : comment un événement aussi dramatique avait-il pu disparaître de la mémoire collective et de l’histoire locale de Pouzauges ? Pour les personnes érudites sur l’histoire des guerres de Vendée, et aussi les historiens, la réponse est évidente : l’histoire est jalonnée de ce genre d’oubli.

En Vendée, le cas le plus connu est celui du massacre des Lucs-sur-Boulogne[23]. Perpétré le 28 février 1794 par les Colonnes infernales, il fit 564 victimes dont 110 enfants de moins de 7 ans. Commémoré de nos jours par un mémorial, il avait été oublié jusqu’à ce que soit retrouvé, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le cahier du curé de la paroisse, Barbedette. Au lendemain du massacre, avec l’aide des survivants, il avait relevé le nom de toutes les victimes, couvrant 22 pages d’un petit cahier contenant le nom, le prénom, l’âge et le domicile de chaque victime qu’il avait identifié puis enterré. Ce cahier fut oublié. Sa découverte trois quart de siècle plus tard avait commencé par soulever des polémiques « laïcardes » tumultueuses, contestant la réalité du massacre. Il fallut attendre 1993 pour qu’un historien, Pierre Marambaud[24], en démontre l’historicité authentique.

Nous ne pouvons pas détailler ici les causes de l’oubli, car il faudrait longuement développer tant l’histoire locale de Pouzauges que celle des événements qui ont marqué, blessé et mutilé la Vendée (protestantisme et guerres de religion, les trois guerres de Vendée, les massacres de Colonnes infernales, les famines qui suivirent, l’analphabétisme, etc.).

Mais la cause la plus importante est une sorte « d’amnésie volontaire », et surtout les non-dits de ceux qui avaient si terriblement souffert et qui refusaient d’évoquer le souvenir des horreurs[25] qu’ils avaient vues ou vécues[26], attitude psychologique leur permettant ainsi de pouvoir se reconstruire.

La mémoire de toutes ces souffrances aurait donc disparu si, dans les années 1850, certains ne s’étaient pas préoccupés de recueillir les souvenirs des derniers survivants. C’est le même phénomène psychologique que l’on commence à étudier et qui avait aussi touché plus récemment nos poilus rescapés des tranchées de Verdun de la guerre de 1914-1918 dont on s’est empressé, ces dernières années, de recueillir les témoignages.

Voici les principaux éléments ayant concouru à la perte de mémoire de l’événement du 25 décembre 1793 :

1.Une domination protestante vieille de deux siècles 

Depuis 1562, les huguenots avaient investi la ville de Pouzauges et en restaient les maîtres. Leur influence y était très forte[27] puisque même les châtelains et la noblesse du haut bocage avaient rejoint la ligue, et la seule seigneurie de La Flocellière, proche de Pouzauges, qui résistait avec son château fortifié, avait fait l’objet d’une attaque armée en 1597. Fontenay le Comte, capitale du Bas Poitou, à 40 km au sud de Pouzauges, avait fait l’objet de nombreuses attaques : la ville fut prise et reprise tour à tour huit fois par les catholiques et les protestants dans les 25 années qui précédèrent l’Édit de Nantes (1598).

L’influence des protestants était prédominante chez les élites, mais le peuple campagnard restait attaché au catholicisme. Ce fut sous l’impulsion du Père de Montfort que la Vendée avait retrouvé une forte pratique religieuse catholique qui la fera se révolter devant les exactions d’une Révolution à laquelle elle avait été pourtant favorable un court laps de temps à son début, à l’époque des Cahiers de Doléances. Ainsi, Pouzauges-la-Ville, comme plusieurs autres bourgades de Vendée, était-elle devenue un îlot du protestantisme composé de notables, de gentilshommes, de bourgeois, et d’artisans, tandis que la population paysanne restait à très forte majorité catholique. A Pouzauges-la-Ville, le culte catholique était seulement toléré. Il était même arrivé que des prédicateurs de « mission » envoyés par les autorités ecclésiastiques à Pouzauges, fussent purement et simplement interdits et renvoyés, parce qu’ils ne plaisaient pas aux notables de la ville. Six synodes protestants se tinrent à Pouzauges-la-Ville. A la révocation de l’Édit de Nantes, en 1685, les dragons de l’armée intervinrent pour desserrer l’étreinte qui étouffait les catholiques ; ce fut alors au tour de la communauté protestante de subir des pressions et des répressions provoquant des exils. Un profond fossé séparait donc les deux communautés à la veille de la Révolution.

2. Une baisse de la pratique religieuse catholique des élites de Pouzauges au XVIIIème siècle 

Elle concernait principalement les élites. Mais, comme il était indispensable de figurer sur le registre paroissial pour pouvoir accéder aux carrières militaires, administratives, juridiques, médicales, il en résultait aussi un catholicisme opportuniste, de façade, pour figurer sur les registres paroissiaux[28].
             De nombreux baptêmes et mariages d’incroyants et même de protestants
[29] s’y trouvaient ainsi consignés, d’ailleurs sans illusion de la part du curé qui le notait discrètement[30].

3.Une élite acquise aux idées révolutionnaires 

La population de confession protestante était en opposition politique envers la monarchie, du fait des persécutions qu’elle eut à subir de la part des autorités royales. La petite noblesse et les élites étaient, dans leur majorité, acquises aux « idées nouvelles » qui allaient entraîner la chute de la monarchie et l’avènement de la Révolution. Ils ont donc, dans l’ensemble, basculé du côté révolutionnaire en devenant très souvent des membres actifs. Cependant, des protestants fidèles à la foi chrétienne eurent aussi à subir l’anticléricalisme de la Révolution ; certains même passèrent – à contrecœur – du côté insurgé vendéen.

4.Un milieu clos, une population contrôlée 

On commence à comprendre qu’à Pouzauges-la-Ville, la population catholique dépendait en large part du bon vouloir de notables favorables aux idées révolutionnaires, qui étaient aussi les propriétaires d’un certain nombre de métairies de Pouzauges-le-Vieux.

5.Le passage de Charrette 

Comme nous l’avons évoqué dans la première partie de notre recherche, le passage de Charrette à Pouzauges-la-Ville fut un élément déterminant dans l’organisation inespérée de cette messe de minuit de Noël. Le pays s’était trouvé libéré de l’oppression révolutionnaire.  

Revenons en détails sur le déroulement de ces journées cruciales.

Début décembre 1793, à Bouin[31], dans les marais bretons inondés, Charrette et ses 1.500 hommes étaient encerclés par les 7.000 soldats de l’armée républicaine commandée par le général Haxo. L’hallali allait être donné. Mais le malin Charrette fit donner un bal par ses sonneurs[32]. Ses hommes fidèles, ses « moutons noirs » dansèrent et burent jusque tard dans la nuit autour d’un feu de joie, observés à la longue vue par les officiers républicains ironiques. Mais ces attitudes étaient un leurre. Pendant la danse, les hommes s’éclipsaient discrètement, par petits groupes, profitant de l’obscurité, en franchissant les chenaux et les canaux à l’aide d’une longue perche (ningle ou pigouille en patois). Seuls quelques uns de ses hommes étaient restés sur place pour donner le change à l’ennemi. Lorsqu’au petit jour, le 6 décembre, dans le dense brouillard hivernal, l’armée républicaine donna l’assaut en pensant surprendre des hommes ivres et endormis, elle fut accueillie et arrêtée par le feu nourri de ceux qui étaient restés. Lorsque l’armée s’enhardit à investir le village, une fois l’épaisse brume levée, elle constata avec amertume qu’il n’y avait plus personne ! Mais où étaient donc passés Charrette et ses hommes ?

Le 11 décembre, réduits à quelques centaines, ils réapparurent soudainement, et contre toute attente, loin des marais bretons et de la plaine voisine, en plein cœur du bocage vendéen, à l’opposé du département (80 km plus loin), épuisés, nus pieds, sans vivres, ni armements, ayant pratiquement tout perdu dans les marais.

Ils attaquèrent à l’arme blanche, par surprise, une troupe armée, forte de plus de 2.000 soldats, cantonnés à 20 km à l’ouest de Pouzauges. Après un rude et âpre combat meurtrier qui ne laissa que 500 soldats survivants en fuite, le casernement tombait entre les mains de Charrette qui trouva ainsi l’habillement, les armes, les munitions, la nourriture et aussi les chaussures qui manquaient si cruellement à ses hommes.

Puis, il se dirigea vers Pouzauges en faisant halte le soir vers 23 heures au Boupère, bourg distant de 6 km de Pouzauges. Il fut surpris et attaqué la nuit par les soldats rescapés, secondés par les gardes nationales des bourgades environnantes, dont celle de Pouzauges. Le combat fut terrible dans la nuit obscure, les moutons noirs se défendirent à l’arme blanche pour ne pas risquer de tuer un compagnon. Leur courage leur assura encore la victoire et ce qui restait de soldats et de garde nationale s’enfuit se réfugier vers le Sud de la Vendée, en créant la panique parmi les autres gardes nationales et tous les patriotes des environs qui se sentaient désormais vulnérables. Ils s’évacuèrent ou plutôt s’enfuirent tous vers le Sud de la Vendée.

Un « vide républicain » s’était ainsi créé dans la région pour plusieurs jours. Les troupes de Charrette se reposèrent enfin à Pouzauges après avoir « nettoyé » le coin, pour repartir le 19 décembre vers le département tout proche des Deux-Sèvres dans le but de remonter vers la Loire en contournant Cholet par l’Est et tenter de libérer la rive Sud pour permettre le passage du fleuve à la population vendéenne survivante de son exode dans la Virée de Galerne[33].

Mais le projet de Charrette ne put aboutir et les derniers survivants des 80.000 vendéens ayant participé à la Virée de Galerne furent tous massacrés jusqu’au dernier, le 23 décembre, dans les marais de Savenay[34], près de Saint-Nazaire. Pendant ce temps, les catholiques de Pouzauges, ainsi débarrassée des patriotes révolutionnaires, pouvaient envisager d’organiser une messe de minuit pour la Noël. La mobilité des hommes de Charrette était extraordinaire et toutes les troupes de l’armée républicaine, grossies des renforts militaires destinés à empêcher le passage de la Loire, recherchaient activement depuis Cholet l’insaisissable Charrette, en sillonnant le bocage entre Pouzauges et Cholet dans un chassé-croisé nerveux et incessant. La région s’était vidée de ses patriotes révolutionnaires qui s’étaient enfuis sur le Sud de la Vendée, contrôlé par l’armée républicaine. La messe clandestine de Noël s’organisait. Mais on ignorait que Charrette venait de quitter le haut bocage dans lequel se situe Pouzauges. Car le 23 décembre, il passe aux Herbiers situé à 16 km de Pouzauges, pour retourner dans ses marais et dès le lendemain matin, 24 décembre, cette même bourgade était réoccupée par les troupes du général Dufour venant de Cholet.

Pour l’armée, tout vendéen était un brigand qu’il fallait éliminer[35], y compris les patriotes qui n’avaient pas quitté le pays insurgé malgré les injonctions des autorités républicaines de s’éloigner des lieux insurgés de « trois fois 20 lieues ». Assister à la messe était de plus un acte de rébellion.

Aussi n’est-il-pas étonnant qu’un « espion », sans doute un patriote résiduel, peut-être s’évacuant vers Cholet en passant par Les Herbiers, situé sur le chemin, ait pu entrer en contact avec les soldats du général Dufour pour le prévenir de cette messe clandestine … d’où le massacre.

6. Les conditions de l’ensevelissement des corps

Toutes les conditions de discrétions étaient requises: une région bouclée (tout déplacement était suspect pour les autorités et passible de mort, sauf pour les patriotes), des « tombereaux », grosses charrettes pouvant emporter au moins 18 corps à la fois, des jours qui sont au plus court et une nuit éclairée par un ciel dégagé car il faisait très froid, une garde nationale de retour qui veille à l’absence de spectateur et au bon déroulement de l’opération, une fosse vite comblée par l’entassement des corps et, pour ceux qui sont en trop, posés par terre en « charnier ouvert », bien qu’interdit,[36] pour cacher les corps au plus vite mais avec une bonne épaisseur de gravats. Le temps et la mainmise de la municipalité révolutionnaire sur les lieux permirent l’oubli avec la complicité des « non-dits » de ceux qui avaient trop souffert, étouffant sous une chape de plomb la souffrance trop lourde des survivants.

7. Une communauté catholique anéantie 

Il est certain que ce massacre a presque totalement anéanti la communauté catholique de Pouzauges-la-Ville. Seuls des grabataires, ou des enfants en bas âge qui n’auraient pu participer à cette messe auraient survécus. La population restante était patriote[37].

Pas de quoi entretenir la mémoire de l’événement !

8- Le passage des colonnes infernales[38] 

Une des colonnes infernales se cantonna à Pouzauges-la-Ville qui ne fut pas détruite – ou si peu – par l’incendie, contrairement aux ordres reçus, grâce à l’intervention pressante de Dominique Dillon[39], curé-jureur de Pouzauges-le-Vieux et révolutionnaire actif, ancien député de la Constituante et premier président du Directoire du Département. Elle resta du 27 au 29 janvier 1794, non sans commettre des exactions dans la campagne environnante enneigée, guidée par les patriotes : pourchasse et massacre de toutes personnes rencontrées, incendie des fours et des moulins, des habitations, des granges et des étables, élimination du bétail, des fourrages et des vivres.

Une autre colonne infernale plus au Nord du pays fit jonction avec celle sur Pouzauges. Un « banquet républicain » fut donné dans l’enceinte du vieux château, à l’issue duquel, on massacra les prisonniers réservés à cet effet.

Tous ces traumatismes furent encore autant d’éléments favorables à l’oubli de l’événement dramatique survenu à la messe de minuit de Noël.

9. Le traumatisme de la population survivante 

Un mois après le massacre à l’église, il y eut le ratissage de la campagne par les Colonnes infernales, armée d’égorgeurs s’il en fût.

Guidées par des protestants et des révolutionnaires, la campagne fut ratissée pendant plusieurs jours, mise à sang et à feu. Tout le bétail et les humains rencontrés avait été égorgés et les habitations détruites par le feu. A Pouzauges, seuls les fours et les moulins ont été incendiés et les victimes de délations exécutées. Là comme ailleurs, la population survivante fut plus que traumatisée. Les rescapés avaient été tellement terrorisés qu‘ils se sont enfermés dans un mutisme, peut-être inconsciemment pour ne pas transmettre le traumatisme à leurs enfants. Il n’y aurait presque pas eu de témoignage sur les guerres de Vendée, si le clergé ne s’était préoccupé d’en recueillir auprès des derniers survivants, dans les années 1850. Ce phénomène est commun à tous les génocides et les survivants de la première guerre mondiale n’en ont pas été épargnés.

10. L’extrême pauvreté, la famine, l’analphabétisme, l’exode rural 

Il fallut survivre à un hiver rigoureux. L’habitat rural avait été incendié, le bétail massacré ou emmené par l’armée ; il n’y avait plus rien à manger, tout était dévasté. Devant l’urgence des problèmes immédiats et les souffrances subies par une population décimée, des familles détruites ou disparues, le mystère de la disparition des fidèles lors de la messe de Noël s’estompa, mélangé avec les autres traumatismes qui, eux, perduraient : il fallait survivre au jour le jour, d’autant que les exactions en tout genre continueront plusieurs années au gré des passages et des cantonnements dans Pouzauges des troupes militaires destinées à la pacification. La famine et les maladies sévirent très longtemps. Les semences étaient mangées, en ce temps de disette prolongée, compromettant d’autant les futures récoltes. Quelques temps après, les paysans du canton de Pouzauges, refusant de rendre leurs dernières armes, se virent saisir tout le peu de bétail qu’ils avaient pu commencer à reconstituer.

La Vendée était ruinée, exsangue et analphabète pour longtemps et la population devra s’exiler massivement afin de survivre.

Il faudra attendre presque deux siècles pour que ce département, victime par la suite d’un ostracisme politique constant, puisse commencer à se relever économiquement et retrouve son histoire en détail.

11. La complicité involontaire du curé-desservant de Pouzauges-la-Ville 

Après la Révolution, il devenait urgent aussi de relever spirituellement le pays. Un saint prêtre, Louis Brillanceau, allait remplir cette mission. Issu d’une famille protestante de Pouzauges-le-Vieux, converti au catholicisme dans son adolescence, devenu prêtre puis vicaire du curé-jureur Dillon auquel il s’opposait, il avait été exilé en Espagne. De retour en 1801, il rechristianisa le pays de Pouzauges dans un esprit de pardon. Grâce aux confréries qu’il créa : la « Confrérie du Sacré-Cœur » pour le pardon et la conversion par la prière et la pénitence, la « Confrérie de l’Adoration perpétuelle » où le Saint-Sacrement était adoré 24 heures sur 24, le pays se convertit en profondeur. La population de Pouzauges-la-Ville passa de 26% de catholiques avant la Révolution à 85% en 1820 (et à 95% à la fin du XIXème siècle) ! Il convertit en grande partie la communauté protestante, mais en corollaire, dans un souci d’apaisement, il garda un profond silence sur tout ce qui s’était passé à Pouzauges. Cela lui fut reproché par les curés qui lui succèderont. Il décéda en 1839, après une vie toute remplie de zèle apostolique et d’une très grande charité envers les pauvres qu’il aidait de ses propres deniers. Des protestants convertis sous son influence avaient même restitué des biens qu’ils s’étaient appropriés d’une manière illicite lors de la Révolution.

12. Une histoire locale bien verrouillée

Ici, nous ne ferons qu’évoquer un aspect bien particulier de la guerre de Vendée sur Pouzauges, qui peut surprendre.

Les suites de la guerre de Vendée de 1793 amenèrent souvent au pouvoir  municipal des personnalités acquises aux idées républicaines, en opposition avec le sentiment général de la population, car la population catholique et paysanne refusait de participer aux élections municipales.

Le champ était ainsi laissé libre aux élites républicaines issues de la Révolution. Ce fut le cas à Pouzauges-le-Vieux, tandis qu’à Pouzauges-la-Ville, c’était faute d’électeurs catholiques. Ces municipalités républicaines restèrent en place pour leur plus grand profit. Ainsi en 1802, Napoléon, de passage dans la Vendée militaire, avait-il été effaré par l’état de destruction de l’habitat du pays. Il décida d’allouer des indemnisations aux départements touchés par les Colonnes infernales pour la reconstruction des maisons incendiées. Chaque département touchait la même somme forfaitaire et il incombait aux maires de faire l’inventaire des maisons détruites et d’estimer le montant des réparations afin d’assurer une répartition équitable des indemnisations.

Une plongée dans les archives départementales de « l’Inventaire des maisons brûlées » et de leurs indemnisations montre que, sur Pouzauges, les révolutionnaires se virent attribuer le plus grand nombre de maisons brûlées[40] avec les montants d’indemnisation les plus élevés… ce qui, par ailleurs confirmait leur appropriation d’un énorme patrimoine immobilier[41]. Ce n’était pas les Colonnes infernales qui avaient brûlé leur patrimoine immobilier, comme l’histoire officielle se plaisait à le dire un siècle plus tard, mais bien les paysans, par réaction de vengeance. Les enfants des patriotes, puis leurs petits enfants, neveux, petits-neveux, etc. continueront la tradition familiale de mainmise sur les municipalités et sur l’histoire de Pouzauges tout au long du XIXème siècle, ce qui permit aussi de verrouiller et de contrôler les terrains de l’Aumônerie contenant les restes humains du massacre de 1793 pour en assurer ainsi le silence historique.

Les bâtiments de l’Aumônerie devinrent une gendarmerie au XIXème siècle, avant d’être vendus en 1871 pour devenir une limonaderie dont les travaux permirent les premières découvertes de squelettes.

L’avenir ?

Quel devenir pour ces recherches et pour les faits qu’elles ont établis ?

Les faits historiques ont été acceptés par la Société d’Émulation de la Vendée et le Centre Vendéen de Recherche Historique, sociétés d’histoire honorables plus que centenaires dirigées par des historiens et des universitaires de renom (Chaunu, Furet, Hussenet, etc.), active et dynamique, aux parutions régulières d’ouvrages de qualité, aux tenues de colloques de haut niveau, dont la notoriété, l’indépendance d’esprit, la qualité des responsables et des intervenants ne sont plus à démontrer. C’est là le point essentiel de la reconnaissance des recherches. Cette reconnaissance concerne aussi l’évêché de Vendée, car les victimes du massacre sont des martyrs de la foi, massacrés parce qu’ils assistaient à une messe interdite par les autorités révolutionnaires, en fidélité à leurs convictions religieuses et à l’Église catholique romaine.

Cependant il reste un écueil de taille aux yeux de l’Église catholique pour effectuer une reconnaissance officielle, voire l’introduction d’une cause de martyrs : il est nécessaire, selon les normes de reconnaissance canonique, d’avoir au moins un nom pour pouvoir énoncer « untel et ses compagnons ». En l’absence de nom, cette démarche n’est pas possible. Les corps ont certainement été dépouillés de tout objet et des vêtements, de sorte qu’il ne doit rien rester permettant d’identifier un personnage en cas de fouilles archéologiques futures.

De plus le sol granitique du bocage vendéen est très acide et les vestiges disparaissent, rongés par la nature du sol. Les recherches démographiques effectuées n’aboutissent qu’à montrer des disparitions injustifiées de familles entières dont on ne retrouve absolument plus de traces. L’accumulation de très fortes présomptions possède force de preuve, mais chaque présomption peut aussi présenter la trace d’un doute, si minime soit-il.

Nous avons retrouvé les noms de ceux qui ont été emprisonnés, guillotinés ou fusillés, de ceux qui avaient participé à la « Virée de Galerne », de certains qui avaient déménagés ; mais les autres, dont les destinées sont restées inconnues sur mes listes parce que je n’avais pas retrouvé de traces ? Puis-je affirmer avec une certitude absolue qu’ils font tous partie individuellement de la liste de ces martyrs? Non, en toute honnêteté, je ne le puis pas. Il restera toujours une petite marge d’incertitude qui est confiée à la divine Providence.

L’application des lois laïques de séparation de l’Église et de l’État de 1905 a réveillé les passions en Vendée et, côté « laïcards[42] », leurs armes étaient prêtes à ressortir.

Encore en 1989, lors des fêtes du bicentenaire de la Révolution Française de 1789, on put constater une certaine  mobilisation du banc et de l’arrière banc des amicales laïques. Le bicentenaire de la Vendée, celui de 1793, avait recommencé à exacerber les passions anticléricales. Ce phénomène se réactive lors des élections départementales ou à la députation, avec des slogans du style : « contre les forces rétrogrades ».Notons aussi que lorsque Jean-Paul II, en septembre 1996 est venu en Vendée se recueillir sur le tombeau du Père de Montfort, dans la crypte de la basilique de Saint-Laurent-sur-Sèvre, on découvrit dans les jours précédents sa visite, qui était privée, une bombe cachée derrière le cénotaphe du saint devant lequel il devait se recueillir… ce qui ne fit pas fait la « une » des médias. Faisons remarquer aussi que les monuments (chapelles, cénotaphes, statues) commémorant des faits de guerre de Vendée sont toujours  victimes de dégradations et de vandalisme.

Aussi prendrons-nous encore notre temps pour diffuser complètement cette enquête qui risque de réveiller des passions d’un autre âge. L’enquête avait été menée dans la plus grande discrétion pour lui garder toute sa sérénité. Il convient maintenant de faire connaître progressivement la nature et les faits du massacre au public, par le biais de la Société d’Émulation de la Vendée et des publications du Centre Vendéen de Recherche Historique, entre autres.

Puis devrait se réaliser la démarche religieuse envisagée par l’évêché de Luçon : une messe solennelle avec l’apposition d’une plaque commémorative, conférence, et cérémonie de pardon, etc.

Mais d’ores et déjà, selon la recommandation de l’évêque de Vendée, nous pouvons prier et invoquer à titre personnel l’intercession de ces martyrs de la foi.

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Note de l’auteur

 « Si j’ai pu mener à terme cette recherche, c’est parce que j’avais, en effet, conscience que ce travail ne m’appartenait pas, car ces 400 victimes avaient péri en martyrs. Et c’est en tant que fils de l’Église que j’avais accepté de procéder à ces longues recherches, dans le souci d’exhumer de l’oubli cette page sanglante qui lui appartient désormais ainsi qu’à l’histoire de la Vendée, dans un désir que justice soit rendue à ces humbles personnes, journaliers, artisans ou paysans, massacrés dans l’anonymat le plus complet par fidélité à leur foi, à leur pratique religieuse et au catholicisme romain, et ce, d’autant plus, que parmi ces dizaines de milliers de catholiques de Vendée qui ont sacrifié leur vie pour la défense de leur liberté religieuse, il n’ en est pas encore un seul reconnu martyr par l’Église ».

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Références des publications personnelles sur ces recherches :

Rapport de 1995 sur la vérification des révélations de B. Nogaret

Rapport de 1997 sur les expertises osseuses de l’Aumônerie (chapelle)

Rapport de 1999 sur les recherches démographiques.

Bibliographie

Nous avons désiré ne pas alourdir ce long résumé par l’importante bibliographie qui avait accompagné les trois rapports sur le massacre. On la trouvera dans la publication complète à venir.

  
Ces quelques pages ne doivent pas cacher les difficultés des six années de recherches

   qui ont permis cette courte synthèse,

         … ce qui a demandé

                    du temps, beaucoup de temps…

                      de la patience, beaucoup de patience…

                      de la persévérance, beaucoup de persévérance…

  et surtout,

            et avant tout,

  un souci constant de la recherche de la vérité dans l’objectivité

….et la sérénité, en s’abstenant de juger les acteurs directs et indirects de ce drame.


[1][1] Ces registres présentaient une autre difficulté d’exploitation : ils ne tenaient pas compte de secteurs territoriaux protestants, mais seulement de l’activité du pasteur,  qui passait son temps à se déplacer. Les familles protestantes attendaient son passage pour faire ou « refaire » baptiser leur enfant (s’ils l’avaient été auparavant à l’église par exemple) ou pour se marier. Un certain nombre de doublons ont ainsi été retrouvés.

[2] Etablir les sensibilités politiques fut un exercice délicat, mais lorsqu’il pouvait se réaliser, il ne prêtait pas à erreur, sauf pour quelques familles (classées en « cas douteux ») pour lesquelles je ne pus collecter suffisamment de renseignements décisifs. Les noms de familles des révolutionnaires et des protestants actifs étaient connus. A chaque événement familial, on trouvait couchés sur les registres les noms des témoins, de même sensibilité religieuse ou politique. Les prénoms en vogue chez les futurs révolutionnaires furent aussi un élément d’identification supplémentaire. On pouvait aisément en déduire les opinions religieuses ou politiques. Au sujet de ceux pour lesquels je manquais de référence, il devenait nécessaire de suivre ces familles dans leurs événements familiaux et de comparer les noms couchés sur le registre paroissial avec le registre municipal ou protestant sur lesquels apparaissaient les « vraies amitiés » : souvent les témoins n’étaient plus les mêmes. Parfois, certains témoins présents à l’église « refusaient de signer » ou « ne se présentaient pas », voulant rester dans le fond de l’église en refusant de s’avancer pour signer le registre paroissial (ce refus était noté sur le registre), ce qui indirectement signalait une hostilité envers l’Église car ils n’hésitaient à signer sur le registre municipal…Ce genre d’anomalie apportait l’information requise.

[3] Il était dans notre intention d’effectuer les recherches jusqu’en 1830, mais peu d’éléments se retrouvaient après 1810 et pratiquement aucun après 1815. Aussi nous sommes-nous arrêtés à l’année 1820, par manque d’éléments permettant de compléter nos fiches.

[4] Ce qui suit est la synthèse du rapport émis sur le sujet.

[5] Ces chiffres nous donnent une proportion de 26,43% de catholiques, de 25% de protestants et de 48,57% sans confession religieuse. L’abbé Billaud, dans son histoire religieuse de Pouzauges, évaluait la population catholique en 1743 à 25%, et la protestante à 75% (et de 85% pour les catholiques et 15% pour les protestants en 1841).Notre évaluation est somme toute très proche de celle de l’abbé Billaud en ce qui concerne le groupe de catholiques.

[6] Anecdote citée dans l’Album Vendéen 1856, réédition de 1989, page 44.

[7] Dans ce cas, les corps étaient déposés à même le sol et recouverts d’une simple couche de terre ou de gravats.

[8] « Des milliers de corbeaux voltigeaient sans cesse et s’abattaient sur les endroits où des quantités de corps à peine couverts de terre étaient enterrés » (Louis Delhommeau, La paroisse de la Gaubretière, Siloë, 1993).

[9] Ce qui m’a été confirmé et précisé par un ancien, proche de l’amicale laïque… Le fait n’était d’ailleurs pas une nouveauté. En effet, par exemple, aux Épesses, bourgade proche de Pouzauges, vers la fin du XIXème siècle, lors de l’enterrement du curé qui avait réuni une importante documentation historiques sur sa paroisse lors du soulèvement vendéen de 1793, le maire fut surpris dans la chambre du curé, profitant que tout le monde était à la cérémonie, pour fouiller et subtiliser, parmi les documents collectés, tous ceux qui concernaient les persécutions perpétrés par les patriotes locaux et les armées républicaines, en particulier sur le fait odieux et atroce, non unique, malheureusement, des femmes et des enfants qui avaient été brûlés dans le four à pain de la bourgade par les soldats de la Colonne infernale commandée par le général Amay, pour en recueillir la graisse qui faisait défaut aux soldats.

[10] Archives sans grand intérêt, car l’Aumônerie contenait une chapelle vide et un bâtiment annexe ne comprenant qu’un peu de mobilier : quelques paillasses, bancs et chaudrons selon les inventaires.

[11] Curieusement, les comptes-rendus des séances municipales ne commencent qu’à partir de la Restauration, sous Louis XVIII, alors que les archives de la gestion de l’Aumônerie ont toujours été tenues.

[12] En effet, l’église Saint-Jacques est construite sur le roc et ne permet pas de faire beaucoup d’inhumations alentour, comme c’était la coutume autrefois. Lors de la réfection de la place de l’Église, dans les années 1990, on mit à jour des sépultures très anciennes creusées dans le roc.

[13] Terrain référencé sous le n° 236 dans le cadastre napoléonien.

[14] Le contenu d’un boisseau s’élève à 12,5 litres. La taille du terrain contenant 4 boisselées représente la surface permettant de récolter un volume de 4 boisselées de blé, soit 50 litres

[15] Ces chiffres avancés par la municipalité sont, à l’évidence, mensongers lorsqu’on les compare avec ceux, officiels, du registre de Pouzauges-la-Ville de 1815 : 21 décès (dont 5 enfants mineurs, 4 hommes, 12 femmes dont 2 veuves et 4 célibataires), et pour 1816 : 17 sépultures. Cherchez l’erreur !

[16] Admirez au passage l’hypocrisie de ces anciens révolutionnaires…

[17] Il n’y avait pas d’acquisition à faire puisqu’il dépendait de l’Aumônerie, propriété de la Municipalité.

[18] Ces frais se limitaient à l’édification de la clôture, les pierres ne manquant pas : il y avait des kilomètres de murs à Pouzauges-la-Ville et quantité de maisons en ruines qui n’étaient pas reconstruites… Cela soulève aussi le voile sur la pauvreté qui régnait alors.

[19] L’abbé Billaud, dans son Histoire religieuse de Pouzauges, pages 140-142, sans être aucunement au courant de ces courriers échangés avec la Sous-préfecture, évoque l’histoire farfelue et non documentée (donc certainement inventée au XIXème siècle) de deux cabaretiers de Pouzauges-le-Vieux qui, pour remonter leur commerce, auraient voulu transformer le cimetière en lieu de foire ( !) en demandant au Sous-préfet de Fontenay de fermer le cimetière en raison des épidémies qu’il répandrait ( !) et proposant d’en ouvrir un nouveau entre les deux bourgades. La municipalité aurait emboîté le pas (à moins qu’elle ne soit elle-même initiatrice du projet) Si cette histoire possédait un fond de vérité, elle pourrait aussi indiquer une mise en scène avec la complicité des deux municipalités (tenues par des ex-révolutionnaires) pour occulter le charnier.

[20] Ils provenaient de trois sépultures faites au même emplacement, les unes sur les autres, orientées dans la même direction, d’Est en Ouest. Plusieurs siècles les séparaient. Les ossements crâniens les plus anciens étaient attaqués par l’acidité du sol (PH 6,5). Des radios dentaires furent prises et permirent de déterminer les pathologies dentaires de ces pauvres moines, dont on peut penser, pour l’un d’entre eux, qu’il décéda suite à une grave infection dentaire.

[21] Les rapports des officiers qui ont pu être retrouvés aux archives militaires du Fort de Vincennes montrent bien qu’était tenu un compte exact des victimes journalières des militaires.

[22] En étaient-ils les propriétaires ou avaient-ils acheté cette pièce de terrain appelé « les Ouches » ?

[23] Ce massacre perpétré par la Colonne infernale commandée par le général Cordellier, avait été ordonné par le général-en-chef Turreau, une semaine avant.

[24] Pierre Marambaud, Les Lucs, la Vendée, la Terreur et la Mémoire, Éd. Terre de Mémoire, 1993.

[25] Evoquons, en exemple, que parfois la puanteur dégagée par les nombreux cadavres de Vendéens se décomposant dans les campagnes environnantes était si nauséabonde qu’elle délogeait les militaires de leur cantonnement ! La désertification de la campagne fut telle qu’en 1800 les loups entraient l’hiver dans la ville de Cholet. Évoquons aussi la sinistre mémoire du général Huchet, boucher de son état, sur les massacres qu’il avait fait perpétrer par ses troupes sur la population de petite ville de La Gaubretière : les hommes étaient éventrés à l’arme blanche de manière à faire souffrir le plus possible et à ne provoquer la mort qu’à petit feu (le champ du massacre s’appelle encore de nos jours, le « champ des royards » (royer, en patois vendéen, signifie hurler comme un cochon que l’on égorge) ; aux femmes on leur mettait des pétards que l’on faisait exploser dans le sexe (comme cela, « les femelles ne pourront plus engendrer » (sic) si elles survivaient); les enfants étaient suspendus par la gorge aux crochets des plafonds destinés à suspendre la nourriture ; les soldats qui ont été cantonnés quelques jours dans ce village avaient édifié des murs de protection composés de cadavres empilés. Les soldats républicains portaient souvent en trophées des colliers faits d’oreilles de leurs victimes. On brûlait dans les fours à pain les corps des femmes pour obtenir une graisse « qui était de très bonne qualité », comme l’étaient également les peaux des vendéens que l’on tannait à Angers, etc. La liste des horreurs pourrait s’allonger et donner la nausée.

[26] Ainsi, un vieux prêtre originaire d’une commune voisine, âgé de 76 ans et qui parfois célèbre encore des messes à Pouzauges, me racontait que son grand-père s’était étonné que son propre grand-père n’eut rien raconté à ses descendants, alors qu’enfant, il avait été témoin du massacre de la population de son village et de son incendie par les Colonnes infernales.

[27] Il ne faut pas oublier qu’en Vendée, la moitié de la noblesse était devenue protestante.

[28] Cette situation fut abrogée par une lettre patente de Louis XVI, en décembre 1789.

[29] L’examen des archives protestantes montre aussi que les protestants faisaient parfois « rebaptiser » leurs enfants par le pasteur. Les mariages étaient souvent effectués par le pasteur.

[30] Cela se remarque sur les archives paroissiales par le fait que les témoins protestants ou acquis aux « nouvelles idées » refusaient de signer sur le registre, fait que le curé soulignait par un « ne veut signer », ou « n’a voulu signer », ou « n’a voulu s’approcher pour signer » ou « est resté au fond de l’église ».

[31] Bouin, au bord de l’Océan Atlantique appartenait aux marches du Poitou et de la Bretagne.

[32] Sonneurs : joueurs de « veuze », cornemuse vendéenne. Lors des charges, ils jouaient à la tête des troupes pour donner courage aux combattants vendéens.

[33] Les femmes et les enfants accompagnaient souvent les paysans vendéens aux combats importants. Après la défaite de Cholet, annonçant le déclin militaire des Vendéens, une grande partie de la population des zones insurgées partit en exode accompagner les restes de la grande armée vendéenne, pour éviter ainsi des représailles sanglantes. Ils franchirent la Loire, dans leur désir de libérer Paris, mais les paysans combattants  rechignèrent devant cette stratégie à fin politique qui leur échappait. Il fut donc décidé de libérer le port de Granville pour permettre aux nobles exilés en Angleterre de débarquer en France, de les épauler dans leur lutte et de renverser la République : l’attente fut vaine, la flotte anglaise attendue ne montra pas la moindre voile. Ce choix désastreux avait amené cette horde de malheureux à se battre constamment dans une fuite éperdue contre les armées républicaines lancées à leur poursuite dans un hiver qui s’annonçait précocement très rude. Les derniers survivants furent transformés en une horde de gueux épuisés et malades dont l’odeur nauséabonde précédait la marche. Des 80.000 Vendéens ayant participé à ce que l’on a appelé « la Virée de Galerne » il n’en survivait plus que quelques milliers, qui ne purent traverser la Loire pour regagner la Vendée. Ce fut l’hallali, le 23 décembre dans les marais de Savenay, près de l’embouchure de la Loire.

[34] « Il n’y a plus de Vendée…Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay, suivant les ordres que vous m’avez donnés. J’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacrés les femmes qui au moins pour celles-là n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas de prisonniers à me reprocher. J’ai tout exterminé. » (Rapport du général Westermann au Comité de Salut Public).

[35] « Considérant que l’on aurait dû faire aucun prisonnier de cette espèce… les mesures de salut public prescrivent de détruire tous les scélérats qui s’opposent au bonheur et à l’établissement de la République… (Nous) dispensons cette commission (le Tribunal criminel) de toutes espèces de formes qui pourraient ralentir sa mission… » Signé : Lequinio, Représentant du Peuple, Commission militaire, Fontenay, le 11 décembre 1793.

[36]Le charnier ouvert consiste à poser les corps sur le sol et à les recouvrir de terre ou de gravats pour ne pas avoir à creuser de tombes.

[37] «… et tout le bourg (de Pouzauges-la-Ville) où il n’y avait que des patriotes… » (Dr Jean-Gabriel Gallot, Observations sur la guerre de Vendée, mars 1794).

[38] Avant le passage des Colonnes militaires, il avait été demandé aux patriotes vendéens d’évacuer la région insurgée ; ceux qui restaient seraient considérés comme des « brigands ».Cela ne se fit pas sans provoquer un certain exode de patriotes qui se sont trouvés déplacés dans les départements voisins. Rejetés et assimilés aux révoltés vendéens, ils eurent beaucoup à souffrir, ne pouvant plus retourner en Vendée dans l’immédiat. Mais les notables patriotes qui s’étaient honteusement enrichis en maisons et en métairies ont, pour certains, refusé de partir. On a ainsi vu des municipalités patriotes du canton de Pouzauges accueillir à bras ouvert leurs libérateurs (les Colonnes militaires), puis, après les embrassades et les réceptions d’honneur suivies de banquets, se faire exécuter comme « brigands » !

[39] Son intervention avait surtout pour but de protéger le patrimoine immobilier, dont le sien, que tous les révolutionnaires s’étaient acquis à peu de frais (une maison pour le prix d’une livrée : 100 livres), ce qui sauva la ville. Mais le ressentiment de la population envers lui était resté si important que des anciens de Vieux-Pouzauges, il y a peu de temps encore, jetaient les mauvaises herbes sur l’emplacement supposé de son inhumation.

[40] A l’issue de la grande Guerre de Vendée de 1793-94, il y eut aussi de nombreuses vengeances contre les pouzaugeais républicains qui s’étaient pour la plupart acquis des fortunes immobilières à peu de frais. A leur tour, leurs biens immobiliers furent incendiés. A Pouzauges, où il ne restait plus que des révolutionnaires, la vengeance des paysans fut terrible puisque, pendant une année, la ville fut ravagée par des incendies criminels allumés par les paysans. Seules les maisons protégées en centre ville par la présence d’une garnison de soldats (logeant dans l’église) et inaccessible de l’extérieur par les jardins clos par les murailles furent épargnées, soit 7 maisons.

[41] Ainsi, deux frères patriotes, l’un juge faisait arrêter et saisir les biens de ceux qui étaient suspectés de royalisme, tandis que le frère, notaire, vendait à ses amis, pour une bouchée de pain, les biens saisis.

[42] Voir Le Cep n°34 : « L‘inventaire de l’église Saint Jacques de Pouzauges en 1906 », p. 40-44.

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