À propos du Prophète Jonas

Par Thomas Créan

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À propos du Prophète Jonas1

Résumé : L’histoire étonnante de Jonas est présentée aujourd’hui comme une simple parabole. Avec le P. de Monléon (Le Cep n°16) nous savons pourtant quelles objections soulève cette manie des exégètes à vouloir récuser le surnaturel. Nous avons encore (Le Cep n°17 ) montré par des exemples de marins la plausibilité scientifique et technique du fait prodigieux. Dans ce nouvel article l’auteur examine si le « genre littéraire »  du récit peut être invoqué contre l’historicité des aventures de Jonas. Or les références à Jonas dans la bouche même du Christ imposent la réalité du fait, sauf à nier la résurrection. De même saint Cyrille d’Alexandrie, saint Augustin et saint Grégoire de Naziance dégagent le sens spirituel de ce récit tout en maintenant strictement son historicité.

Une nouvelle erreur :

De nos jours, la réflexion sur l’historicité d’un livre biblique se réfère souvent à la notion de « genre littéraire ». Cette notion est irréprochable en elle‑même, de même qu’on ne puisse douter que la Sainte Écriture ne contienne beaucoup de tels genres. Le Second Concile du Vatican utilise explicitement la notion, en enseignant que “la vérité est présentée différemment et exprimée en divers genres d’écrits historiques, dans des textes prophétiques et poétiques.” Une erreur est cependant commise lorsqu’on suppose que l’identification d’un genre, c’est‑à‑dire d’un style particulier de poésie ou de prose, permet de décider du caractère historique ou fabuleux de ce qui est écrit dans ce genre.

Puisqu’une histoire vraie et une histoire inventée peuvent toutes deux relever du mêmegenre, on ne peut pas passer tout simplement de l’identification d’un genre à un jugement sur l’historicité du récit. Ainsi la vie de tel homme ou telle femme peut être racontée dans différents styles, comme, par exemple, la vie de St Thomas d’Aquin, qui a été écrite par de savants biographes consciencieux aussi bien comme un conte édifiant pour les enfants que comme un roman pour le lecteur adulte. Ce serait évidemment une erreur si quelqu’un, tombant par hasard sur cette dernière oeuvre décidait que, puisqu’il tombe dans la catégorie des romans ‑ un genre racontant souvent des histoires de personnages imaginaires comme Don Quichotte ou Mr Pickwick ‑ saint Thomas n’avait jamais existé non plus. À l’inverse, on ne peut pas conclure qu’un texte relevant d’un genre contenant souvent des oeuvres historiques est lui aussi historique: la plupart des journaux sont historiques, mais le Journal d’Hitler ne l’est pas.

Il n’est pas difficile de voir que le livre de Jonas ne tombe pas dans le genrehistorique exactement de la même façon que, disons, le livre d’Esdras. Il ne donne aucune date. Aucun des hommes mentionnés n’a de nom, sauf le protagoniste, pas même le roi de Ninive. Il ne fait pas partie d’une plus large description des relations entre les royaumes d’Israël et d’Assyrie. Il donne peu de détails topologiques. Son affaire n’est pas les modes de vie humaine typiques, mais les merveilles de la nature et de la grâce. Tout en ignorant des questions de grand intérêt pour l’historien, il raconte certains petits détails qui éveillent l’imagination, comme le ferait un auteur de fiction écrivant pour le plaisir du lecteur, par exemple le tirage au sort des marins pour connaître l’origine de la tempête ou encore le ver piquant le ricin. Ce genre de considérations permet de dire que l’ouvrage ‑ à l’exception de la prière du chapitre deux, exemple de poésie religieuse ‑ appartient à ce que l’on pourrait appeler le genre du récit populaire et non à celui de l’histoire savante.

S’ensuit‑il que les évènements décrits sont inventés ? Pas du tout. Raisonner ainsi serait commettre l’erreur de juger de l’historicité d’après le genre.

Ce serait confondre une oeuvre dans laquelle l’imagination artistique est utilisée pour créer le style,avec une autre dont elle aurait fourni la substance. Ce serait encore oublier que la même vie peut être présentée selon des genres bien différents: ainsi la vie du bienheureux Jonas, racontée dans l’Écriture sur le mode du conte populaire, pourrait l’avoir été d’autres manières, par exemple sous forme de biographie détaillée ou de poème épique. Nous devons donc chercher ailleurs pour tester l’historicité de ce livre, et, en l’absence d’une définition formelle de l’Église, nos principaux témoins devront être l’Écriture elle‑même et la tradition.

La preuve scripturale :

Comment l’Ancien Testament parle‑t‑il de Jonas ? Tout d’abord, l’auteur du livre de Jonas désigne le prophète comme fils d’Amathi. Ce faisant, il semble clairement l’identifier comme le prophète Jonas, fils d’Amathi, mentionné dans II Rois 14, qui a prophétisé dans le royaume du nord à l’époque de Jéroboam II. Ainsi le protagoniste du livre de Jonas est présenté comme un personnage réel. Ceci ne suffit pas à prouver que son histoire soit véridique puisqu’il est possible d’inventer des histoires sur des personnages réels, comme on le voit dans les évangiles apocryphes. Néanmoins, ce fait peut servir d’avertissement contre la simple supposition que ce livre, parce qu’écrit dans le style d’un conte populaire ou d’un “récit édifiant”, n’est donc pas la narration de faits réels et d’événements qui se sont réellement produits.

La seule autre référence au prophète Jonas dans l’Ancien Testament se trouve à la fin du livre de Tobie, lorsque Tobie avertit son fils de quitter Ninive « car ce qu’a annoncé le prophète Jonas va sûrement arriver » (Tob. 14,8). Pour celui qui accepte l’historicité du livre de Tobie ceci devrait suffire à confirmer au moins l’historicité de la prédication de Jonas telle qu’elle est rapportée dans le livre de Jonas, sinon des autres évènements qui y sont relatés. Mais puisque beaucoup de ceux qui hésitent à admettre la réalité des événements décrits dans le livre de Jonas éprouveraient une même réticence à l’égard du livre de Tobie, l’enquête sur la preuve scripturale doit être poursuivie.

Tournons-nous vers les Évangiles. Il est évident que le prophète Jonas tient une place importante dans la prédication de Notre Seigneur : au moins à trois reprises, le Seigneur se compare Lui-même au prophète Jonas. Il y a d’abord le passage de Matthieu 12: 38‑41. Certains scribes et Pharisiens ayant demandé un signe, ils eurent pour réponse: « de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits ». Il est ajouté que les hommes de Ninive se dresseront au jour du jugement pour condamner ceux qui ne se sont pas repentis à la prédication de l’Évangile et qu’ensuite, pour l’apothéose, la Reine du Midi fera de même. Vient ensuite un autre passage dans le même Évangile [Mat. 16:4] dans lequel les Pharisiens, cette fois avec les Sadducéens, demandent de nouveau un signe. Le Seigneur leur répond qu’il ne leur sera pas donné d’autre signe que celui de Jonas, sans préciser en quoi consiste ce signe. Enfin dans un passage de l’Évangile de St Luc (11: 29‑32), s’adressant à la foule, Jésus dit que « de même que Jonas fut un signe pour les Ninivites, ainsi le Fils de l’homme sera un signe pour cette génération. » Il est ajouté que la Reine du Midi se lèvera au jour du jugement pour condamner et, pour l’apothéose, cette fois ce sont les hommes de Ninive qui se lèveront au dernier jour.

Évidemment, on pourrait tirer beaucoup d’enseignements de ces quelques paroles, mais notre objet est de n’en retenir que ce qui se rapporte à l’historicité du livre de Jonas. Comment pourraient‑elles être interprétées en niant que ce livre a, ou se propose d’avoir, un contenu historique ? Peut‑être en répondant que le Seigneur utilisait “les idées de son temps” en prêchant l’Évangile. Ce qui, sans autre explication, est ambigu. Selon une première explication, une des”idées du temps” est de dire qu’il est faux que le livre de Jonas relate des faits réels. En ce cas, en utilisant cette idée, le Christ savait ou ne savait pas qu’elle était fausse. S’Il ne le savait pas, il faudrait dire qu’Il ignorait le sens des Écritures (plus ignorant que certains exégètes modernes, et sur un point aussi fondamental que l’historicité ou l’affabulation de tout un livre) et qu’Il se trompait en supposant que certains hommes s’étaient repentis à la prédication de Jonas et qu’ils se relèveraient.

Mais on ne peut pas dire ces deux choses. Si, d’autre part, Il savait la fausseté de l’idée utilisée mais que la foule l’ignorait, alors en disant que les Ninivites repentis à la prédication de Jonas se relèveraient bien que cela fût impossible puisqu’ils n’avaient jamais existé, Il les aurait confirmé dans leur opinion erronée et leur aurait enseigné le faux, ce qui est de nouveau tout à fait impossible.

Selon une seconde explication, une des « idées du temps » est que le livre de Jonas n’est pas un récit de faits réels, qu’il était universellement reconnu pour être non seulement un conte populaire mais une fiction imaginaire tant par son style et genre que par son contenu. Bien que le témoignage de Josèphe (Antiquités, IX, 10,2) s’oppose à cette idée, on peut tout de même examiner si elle s’accorde avec les passages de l’Évangile cités ci‑dessus. Ici, il faut sans doute distinguer entre les références au signe de Jonas et les références à la résurrection des Ninivites. Pour les premières, alors que les diverses analogies entre Jonas et Notre-Seigneur resteraient valides que Jonas ait réellement ou non subi et vécu ce qui est écrit de lui, il est cependant facile de voir à quel point il serait porté préjudice à la solennité des paroles du Seigneur si ce n’était pas vrai. Pour prendre une analogie, même si elle est absurde, imaginons qu’un grand prédicateur populaire appelant au repentir, un Savonarole ou un saint Vincent Ferrier, à qui on demanderait un signe pour justifier l’apparente nouveauté de ses déclarations, réponde que de même que Robin des Bois fut persécuté par les riches parce qu’il défendait les pauvres, de même le sera‑t‑il lui-même. Cela paraîtrait frivole, futile et bizarre. Pourtant, si l’on met Jonas à la place de Robin des Bois, héros imaginaire d’aventures pittoresques, c’est à une telle réponse qu’il faudrait assimiler les réponses données aux scribes, aux Pharisiens et aux Sadducéens selon lesquelles le signe confirmant la mission du Seigneur est la similitude qu’elle a avec la vie de Jonas.

Pour les références à la résurrection des Ninivites, cependant, les paroles du Christ seraient tout simplement impossibles avec l’hypothèse que personne ne croyait à la vérité de l’histoire de Jonas.

Car ici il n’y a pas seulement comparaison entre deux termes, mais l’affirmation que deux groupes de personnes existeront ensemble, les hommes de Ninive qui se sont repentis à la prédication de Jonas et “cette génération”, ce qui ne peut être vrai si les hommes de Ninive n’ont jamais existé. Il n’est pas possible non plus de dire qu’il s’agit d’une allusion littéraire, comme un prédicateur d’aujourd’hui faisant allusion dans son sermon à, disons, Lady Macbeth. Il serait tout à fait possible au prédicateur de prendre Lady Macbeth comme exemple de la façon dont le péché peut conduire au désespoir. Mais il lui serait moralement impossible de dire, par exemple, ” ce ne sont pas seulement les crimes extérieurs qui sont punis, mais aussi ceux du for intérieur. Au Jugement Dernier vous verrez Judas Iscariote puni non seulement pour sa trahison mais aussi pour son désespoir. Vous verrez Lady Macbeth punie non seulement pour avoir tué le roi Duncan mais aussi pour son désespoir.” Pourtant, si ceci paraît ridicule, c’est ainsi qu’aurait paru le passage cité de saint Luc où, après la résurrection de la Reine du Midi, la résurrection des hommes de Ninive est prédite en guise d’apothéose, si au premier siècle l’histoire de Jonas était généralement tenue pour une fiction.

Les témoignages de la Patristique :

Puisque les Pères sont les exégètes par excellence de l’Écriture Sainte et puisque les docteurs qui leur ont succédé n’ont pas différé d’avis sur la question, j’aimerais, dans ce témoignage de la tradition, me limiter aux preuves patristiques concernant l’historicité du livre de Jonas.

Le premier commentaire patristique sur le livre de Jonas fut peut‑être celui d’Origène. Ce commentaire, connu de St Jérôme, est aujourd’hui entièrement perdu. Cependant avant Origène, nous avons un texte de saint Irénée (Adversus Haereses 111, 20, 1) parlant de la vie et des aventures du prophète. Saint Irénée ne soulève pas la question de l’historicité des évènements du livre, qu’il tient certainement pour vrais.

Il note plutôt que l’histoire de Jonas est un exemple de la longanimité divine et que l’engloutissement du prophète par le monstre représente l’engloutissement originel de l’humanité par le vieux serpent.

Saint Cyrille d’Alexandrie se réfère à l’histoire de Jonas dans sa 14ème Instruction Catéchétique, vers l’an 347. Il y défend la doctrine de la Résurrection du Christ. Ayant particulièrement à l’esprit les objections des juifs, il fait allusion au plus fameux des incidents, l’engloutissement du prophète par le “grand poisson”. Saint Cyrille déclare :

« Pour moi les deux événements méritent notre croyance. Je crois que Jonas fut préservé, car tout est possible à Dieu; je crois que le Christ également fut ressuscité des morts. »

C’est à saint Jérôme que nous devons le plus ancien commentaire complet du livre de Jonas. Le saint l’écrivit vers la fin du 4ème   siècle, à Bethléem. Il ne doute pas du tout que Jonas, une figure du Christ, ne soit une personne réelle: en effet, dans sa préface, il demande au prophète de lui donner une ferveur renouvelée afin qu’il puisse écrire comme il le devrait. Dans plusieurs passages du livre il relève certains traits du Jonas historique, par exemple sa magnanimité en souhaitant mourir pour sauver l’équipage du navire. Il distingue clairement ce qui relève de l’histoire, la vie et les aventures du prophète, et ce qui relève de la tropologie, cette même vie préfigurant celle du Sauveur. Dans son commentaire du chapitre 2, il écrit :

« Je suis conscient de ce que certains ne croiront pas qu’un homme soit préservé trois jours et trois nuits dans le ventre d’une baleine, à laquelle le naufrage l’avait conduit; ces gens sont soit des croyants, soit des non‑croyants: s’ils sont croyants ils sont obligés de croire à des choses bien plus grandes. »

Parmi ces “choses bien plus grandes” le saint énumère la préservation des trois jeunes gens dans la fournaise (Dan.3) et celle de Daniel dans la fosse aux lions (Dan. 14; Heb.11). On pourrait aussi ajouter n’importe lequel des miracles de résurrection dans l’ Ancien ou dans le Nouveau Testament.

Saint Augustin raisonne de même.

Dans la Lettre 102, écrite vers l’an 409, il répond à un prêtre qui lui avait rapporté quelques objections contre la Foi faites par une de leurs relations communes, un païen. Certaines de ces objections, dit saint Augustin, semblent provenir de Porphyre, mais la dernière, à propos de l’histoire de Jonas et, en particulier, sa survie dans la baleine et le ricin qui pousse miraculeusement au‑dessus de lui, est présentée comme un sujet de moquerie chez les païens. Dans sa réponse, l’évêque d’Hippone dit :

« Ou bien il ne faut croire à aucun des miracles divins, sinon il n’y a aucune raison de ne pas croire celui‑là. Nous ne devrions pas croire au Christ Lui‑même, qu’Il est ressuscité le troisième jour, si la Foi des chrétiens avait peur du rire des païens. »

Il voudrait que ses lecteurs comprennent la signification symbolique du récit, qu’il expose magnifiquement au cours de sa lettre, mais il n’y voit pas une raison d’évacuer le sens littéral.

Au contraire, c’est le sens historique qui fonde le sens mystique. L’histoire n’est pas arrivée sans raison, mais elle est arrivée. « Non enim frustra factum est, sed tamen factum est. »  

Avec saint Augustin, il est suggéré que ce n’est pas seulement le miraculeux du livre qui suscite la moquerie des païens, mais aussi sa “modestie”, ou pourrait‑on dire, sa naïveté de style et de genre littéraire. Ils rient par exemple du détail pittoresque du ver qui mange le ricin, détruisant ainsi l’ombre apaisante de celui qui était fâché de la conversion des païens. Ce n’est pas la première fois, dit St Augustin, que ce ver fait l’objet de moqueries, car il est une figure de Celui Qui fut moqué sur la Croix et dit : « Je suis un ver et plus un homme.  Laissons les païens continuer de rire de ce ver, le Christ, et laissons-les se moquer avec des propos orgueilleux de cette interprétation du mystère prophétique; pourtant, petit à petit et imperceptiblement, il les dévorera. »

Finalement, saint Augustin explique pourquoi les miracles sont non seulement possibles pour la toute‑puissance divine, mais conviennent aussi à l’éloquence divine.

Car la puissance divine a l’habitude de s’exprimer en actions, comme les hommes s’expriment en paroles, « et de même que des mots nouveaux ou rares, s’ils sont utilisés avec parcimonie et modération, ajoutent à la splendeur du langage humain, de même l’éloquence divine devient, en un sens, encore plus belle par des actions miraculeuses riches de signification. »

Le second discours de Saint Grégoire de Nazianze (632) est parfois cité comme un précurseur patristique des négateurs modernes de l’historicité du livre de Jonas. En vérité, ceci ne semble pas être le but du texte (Discours 2, 104‑10). Contrairement à ce qui a été prétendu, saint Grégoire ne dit pas que l’histoire est absurde, mais qu’il serait absurde ou invraisemblable de supposer qu’un prophète tel que Jonas aurait réellement cru pouvoir échapper à la présence de Dieu en allant à Tharsis, ou qu’il n’aurait pas désiré le salut des Ninivites. En réalité, dit‑il, comme saint Jérôme aussi le dira, le prophète savait par sa vision prophétique que le salut des païens signifiait la chute d’Israël, c’est cela, et non d’échapper à la divine présence, qui était le motif de sa fuite:

« Il vit la chute d’Israël et comprit que la grâce de la prophétie passerait aux nations. C’est ce qui le pousse à abandonner la prédication et à différer l’exécution de sa mission. Il abandonne la contemplation de la joie (c’est le sens du mot Joppe en hébreu), c’est‑à-­dire la haute position et dignité qu’il avait possédées auparavant, pour se plonger dans un océan de tristesse. C’est ce qui lui fait essuyer une tempête, s’endormir, faire naufrage … être jeté à la mer et avalé par la baleine sans mourir: là, il invoque Dieu et, par un miracle, il se relève le troisième jour avec le Christ … J’admets volontiers qu’il avait peut‑être quelque droit, pour les motifs que j’ai exposés, à être pardonné de son hésitation à accomplir le métier de prophète. »

Il est clair que le saint prend le prophète Jonas pour une personne réelle, dont les exploits, tout en ayant une signification symbolique, forment aussi une histoire cohérente lorsque l’on connaît les vraies raisons de la fuite de Jonas.

Ce qui est frappant dans ces textes est comment chaque auteur, tout en soulignant la signification symbolique de l’Ancien Testament, n’est pas pour autant enclin à atténuer son historicité ou à en douter. Chez saint Jérôme et saint Augustin, en particulier, la conscience du sens spirituel est en fait le grand motif de défense du sens littéral. Saint Grégoire le Grand en donne la raison dans la préface à son commentaire du Livre de Job: « Commençons par établir la racine de l’histoire pour qu’ensuite nous puissions satisfaire l’esprit avec le fruit des allégories. » Le sens historique est ainsi la racine qui doit s’enfoncer d’autant plus profondément que le sens spirituel s’élève plus haut. « Nous réclamons avec insistance , dit saint Grégoire dans le premier livre du commentaire, que celui qui veut élever son esprit à la compréhension du spirituel ne renonce pas à la vénération de l’histoire. »

Les objections à l’historicité de l’histoire de Jonas auxquelles les Pères répondent, reposent très généralement sur les miracles rapportés et, comme telles, ne résistent pas à la foi dans la toute‑puissance divine. Les Pères ne semblent pas avoir considéré la possibilité que le livre de Jonas fût un livre de fiction, non pas certes destiné à tromper, mais à édifier et instruire. J’ose suggérer que c’est parce qu’ils croyaient que seuls des personnages réels et historiques étaient dignes de symboliser le Verbe Incarné. C’est de Ses disciples, après que leur esprit eut été ouvert à l’intelligence des Écritures, que les Pères eux‑mêmes tirèrent leur science.

Réflexions pour conclure :

Le Second Concile du Vatican enseigne que « les paroles de Dieu, exprimées avec les mots des hommes, ressemblent tout à fait au langage humain, tout comme le Verbe du Père éternel, lorsqu’il prit la chair de la faiblesse humaine, devint comme les hommes. » Ainsi de même que le Christ accomplit toutes sortes d’activités humaines quand Il était sur terre, de même l’Écriture Sainte contient de nombreux genres d’écrits humains. Aussi, comme Il était à tous égards semblable aux autres hommes, quoique sans péché, l’Écriture Sainte est comme tous les autres écrits, quoique sans erreur.

Pourtant entre l’action et la parole il y a cette différence que si tout acte humain est soit bon soit mauvais, la parole et l’écrit peuvent, à cause de leur dépendance de conventions, être vrais, faux ou imaginaires. Si les Pères de l’Église, dont nous avons vu un échantillon bref mais, pensons‑nous, représentatif, refusent d’admettre qu’un livre de l’Écriture puisse être une oeuvre de fiction (gardant certainement à l’esprit la dignité de l’Écriture et la vénération qu’a toujours eue l’Église pour les héros de l’Ancien Testament ) ceci doit constituer par là‑même une très sérieuse dissuasion pour un catholique de penser autrement. Pour le livre de Jonas, comme nous l’avons vu, il existe des raisons encore plus contraignantes, tirées du Nouveau Testament, d’accepter sa narration comme vraie. De nos jours, en appliquant de travers la notion de « genre littéraire » et mus peut‑être par le souhait d’échapper à cette irrisio infidelium (moquerie des infidèles) qui troublait fort peu les Pères, certains auteurs trompés par les apparences, n’ont‑ils pas estimé que ce qui montrait la vivacité de la fiction ne pouvait pas jouir de la dignité du fait ?


1 Repris de Living Tradition, n°101 (Sept. 2002) et aimablement traduit par Claude Eon.

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