Les 150 000 et moi.

Par Werner Gitt

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Résumé : Le ver de terre passe pour la plus banale des créatures, dotée de peu d’organes, et très simple. Et pourtant !… A leur échelle, les lombrics ont tous les organes nécessaires à leur mission vitale : aérer le sol et en régénérer l’humus.

        Je ne vous plais pas ? Ecoutez-moi tout de même ! Malgré mon apparence répugnante, je suis, tout comme vous, un chef d’œuvre original du Créateur ! Vous n’avez donc pas besoin de me jeter un regard si méprisant. Je suis une créature aussi parfaite que vous, mais Dieu m’a destiné à remplir d’autres tâches et mes fonctions sont différentes. C’est pourquoi mon Créateur m’a façonné différemment. De plus, je joue un rôle plus important pour vous que vous ne le pensez ! Etes-vous prêt à m’écouter un peu ? Vous serez fort surpris ! Peut-être m’estimerez-vous d’autant plus à l’avenir.

        Ma nursery.

        Le premier souvenir qui me vient à l’esprit, c’est une espèce de bande de caoutchouc fermé aux deux extrémités dans laquelle j’ai grandi, bien protégé. Toutefois, dès l’instant où je me suis senti assez costaud, j’ai quitté cet abri. Ma véritable demeure est la terre dans laquelle vous plantez vos tomates et vos concombres, sur laquelle vous jouez au football et construisez vos maisons. J’ai creusé laborieusement, croyez-moi !

        Mon domicile se situe en effet à environ un mètre cinquante de profondeur. Pour moi, c’est une bonne moyenne, bien que le record détenu soit d’environ 8 m. Je n’utilise mon logement que deux fois l’an, durant la période froide de l’hiver et la chaleur de l’été. Je m’y loge confortablement, attendant des jours meilleurs.

        Mon nom.

        Je me sens particulièrement à l’aise quand il pleut. J’aime alors gagner la surface, creusant facilement la terre ramollie. C’est pourquoi on m’a baptisé en allemand “Regenwurm” (Regen signifie “pluie”, et Wurm “ver”). Vous pouvez aussi m’appeler “Lumbricus terrestris“, cette résonance plus scientifique signifie ver de terre. Certains m’appellent “ver de terre commun”. Je ne suis, il est vrai, qu’une créature tout à fait banale, mais pourtant merveilleux chef-d’œuvre de Dieu.

        Certaines personnes parmi vous ont des problèmes du fait qu’elles se considèrent comme tout à fait ordinaires. Se sentant inutiles, elles se révoltent peut-être même contre Dieu. Quelle erreur ! Dans l’ordinaire, il y a toujours quelque chose de merveilleux et vous n’aurez pas fini de vous étonner. Cette reconnaissance devrait vous pousser à louer Dieu, comme le roi David lui-même l’a fait dans le Psaume 139 au verset 14 : “Je te loue de ce que je suis une créature merveilleuse. Tes oeuvres sont admirables, et mon âme le reconnaît bien“.

        Ma technique de forage.

        Au fait, avez-vous jamais eu l’idée de vous poser des questions concernant ma technique de forage ? Peut-être vous êtes-vous déjà demandé comment je procède. Après tout, je ne dispose pas de pelle comme la taupe ou une de vos pelleteuses, par exemple. Un seul outil est à ma portée, c’est l’extrémité de ma tête robuste et effilée. Extrêmement fine, elle est capable de pénétrer dans les fentes les plus étroites. Pour creuser, je coince ma tête dans la faille et je bande mes muscles fort puissants, écartant ainsi la terre de part et d’autre. En somme, j’utilise tout simplement le principe d’un coin que l’on enfonce.

        Vous vous demandez peut-être comment un tel exploit est possible puisque, vous le savez bien, je n’ai pas de squelette. C’est grâce à une invention spéciale de mon Constructeur. Si je veux faire fonctionner correctement mes muscles, il me faut une butée car la pression suscite toujours une contre-poussée. Vous avez dû apprendre cela autrefois en cours de physique. Mon sage Créateur a disposé deux coussins hydrauliques dans chacun des nombreux segments qui entourent mon intestin central (vous pouvez les compter). Par de fines mesures, certains de vos chercheurs ont constaté que, lorsque je contracte bien mes muscles, il se produit à l’intérieur de ces coussinets remplis de liquide une surpression de l’ordre de 1560 Pascals, c’est-à-dire 1,54 % de la pression atmosphérique. Mais ce sont là des détails compliqués qui risquent de vous ennuyer.

        Mon moyen de locomotion.

        M’avez-vous déjà observé, lorsque je me déplace sur le sol ? Vous avez remarqué, bien sûr, que je raccourcis ou rallonge mes segments. Mais un détail vous a échappé ! Avez-vous remarqué les “ancres” que je “jette” de part et d’autre de mon corps, chaque fois que je gonfle plusieurs de mes segments ? En réalité, j’enfonce de chaque côté, dans la terre environnante, deux paires de soies courtes. Cet ancrage me permet d’étendre les segments antérieurs et, de cette manière, je me propulse vigoureusement  en avant. Ecartons cependant toute fausse conception. Ces soies ne sont nullement des vestiges d’un pelage d’autrefois. Tous mes ancêtres étaient aussi lisses que moi. Eux aussi avaient été spécialement conçus pour ce mode de vie. Au fait, que ferais-je d’un pelage en pleine terre ? Chacun de mes segments porte huit soies d’ancrage qui, cependant, ne me dérangent nullement. Si je n’en ai pas besoin, je les cache dans des poches très pratiques, disposées sous la peau. Pensez-vous que tout cela s’est développé tout seul ? Vous ne croyez certainement  pas que votre montre-bracelet s’est construite et assemblée toute seule. Je suis de conception bien plus complexe qu’une montre, me semble-t-il ! D’ailleurs, votre montre-bracelet est-elle capable de se reproduire ? Moi, je le suis. Je renonce cependant à vous expliquer le principe très compliqué de ma reproduction. Je ne voudrais en aucun cas vous fatiguer.

        Ma “petitesse”.

        Il est temps d’ajouter quelques-unes de mes caractéristiques à cette description. J’ai un an environ et je mesure 20 cm. Certains membres de ma famille peuvent atteindre l’âge vénérable de 10 ans. Nos plus grands parents vivent en Australie. Ils atteignent une longueur de 3 m pour un diamètre de 3 cm. N’est-ce pas colossal ? Placé au-dessus de mon gosier, mon cerveau, bien plus petit que le vôtre évidemment, fonctionne néanmoins selon le même principe. Pensez-vous que je n’en ai pas besoin ? Dans ce cas, expliquez-moi par quel processus trois ondes de raccourcissement et de gonflement  parcourent  simultanément mon corps quand je suis pressé ! Mon oeil consiste uniquement en un point sensible à la lumière, se situant à l’extrémité antérieure de mon corps. Le Créateur savait bien qu’un oeil compliqué ne me servirait à rien. Il me suffit de reconnaître le moment  où je perce la surface et à quel instant je dois à nouveau creuser en profondeur. Je dois éviter la lumière solaire. Pour moi, elle s’avère dangereuse. Elle pourrait même causer ma mort. Ceci dit, je puis néanmoins supporter une déshydratation allant jusqu’à 70 % du poids de mon corps et je peux survivre cent jours dans l’eau. N’essayer pas de m’imiter !…

        Mes ennemis.

        Je préférerais ne pas en parler… Et pourtant, s’il vous tient à cœur de bien me comprendre, il vous faut connaître aussi cette réalité directement liée à l’une de mes propriétés les plus surprenantes. Vous ne pouvez pas me tuer en sectionnant mon corps. Dans certaines conditions bien précises, je suis capable de reconstituer des anneaux amputés. Le Créateur a programmé mes gènes de telle manière que ma partie postérieure repousse si elle est arrachée accidentellement. Ce n’est pas tout : ma tête même, y compris tout ce qu’elle contient, peut se reconstituer ! Ce ne sont pas des contes de fée, mais la vérité ! Malheureusement, mes ennemies les taupes en tirent parti. S’il m’arrive de tomber dans l’une de leurs galeries, elles me sectionnent la tête avec trois ou quatre segments. Me réduisant ainsi à l’immobilité, elles me collent alors au mur de leur chambre à provisions. Dans l’un de ces cagibis terrifiants, un biologiste polonais a dénombré un jour 1200 vers de terre… J’ai cependant une chance de m’en tirer, pourvu que j’arrive à échapper à la gourmandise hivernale des taupes. Si, entre-temps, la partie amputée s’est reconstituée, je peux fuir à toute vitesse ce lieu dangereux. Mais hélas ! la taupe n’est pas mon unique ennemi. Je pourrais vous en raconter bien d’autres : poursuites épouvantables, tortures auxquelles vous aussi… Mais là, je préfère m’arrêter, politesse de lombric oblige…

        Savez-vous que nous subissons aussi les conséquences de la chute de votre ancêtre, Adam ? C’est pour cette raison que nous attendons avec impatience la délivrance de toute la création, la “libération de la servitude de la corruption“. Prenez votre Bible et lisez dans l’épître de Paul aux Romains, au chapitre 8, les versets 19 à 23 !

        Ma nourriture.

        En attendant, le Créateur m’a confié une tâche à remplir ici-bas : ameublir la terre et lui fournir l’engrais dont elle a besoin. C’est pourquoi je creuse de nombreuses galeries dans la terre arable. S’il m’arrive de tomber sur des endroits durs au point de ne pas pouvoir me coincer dans la moindre fente, je crache simplement dessus ! Une fois la terre ramollie, je l’avale purement et simplement. C’est aussi la méthode pour pénétrer dans les couches profondes. De cette manière, je mange non seulement de la terre, mais encore du feuillage et d’autres substances organiques. Si vous saviez tout ce qui transite par mon intestin ! Ce qu’il en reste, vous le trouverez sous forme de petits tas de tortillons disséminés à la surface du sol. N’en soyez pas dégoûté, c’est le meilleur humus.

        Mes performances.

        Des scientifiques ont calculé que nous sommes capables de produire plus de 100 kg d’humus, sur un hectare de bonne terre, en l’espace de 24 heures. Cela représente, par an, 40 tonnes bien tassées que nous répartissons régulièrement sur toute la surface. Naturellement, je n’accomplis pas cette tâche tout seul. Environ 150 000 congénères vivent avec moi sur une surface de la grandeur d’un terrain de football. Sur une prairie bien engraissée, on pourrait en dénombrer plusieurs millions. Vous auriez bien du mal à nous peser tous ensemble ! Votre bascule serait-elle suffisamment grande et robuste pour assumer un poids minimal de 500 kilos ? En viande, cela correspond exactement à la quantité de gros bétail que vous pourriez alimenter sur cette surface. Toujours est-il que les spécialistes en la matière nous font beaucoup d’éloges quant à nos formidables capacités de remaniements et de transformation des couches de terre.

        Certes, il nous faut du temps ! Si vous pouviez nous accorder environ 300 à 400 ans, la totalité de la surface terrestre, jusqu’à une profondeur de 40 cm, serait passée dans notre intestin.

        C’est ainsi que nous accomplissons la tâche dont le Créateur nous a chargés. Notre existence, aussi insignifiante qu’elle puisse vous paraître, sert à Sa gloire.

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