Lucy, l’australopithèque Mythe ou réalité (2ème partie)

Par le Dr Pierre-Florent Hautvilliers

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Les dessous de la préhistoire


Résumé : Dans une première partie, nous avions relaté la découverte de Lucy l’australopithèque. Nous avons essayé de le faire objectivement, nous abstenant de tout commentaire, citant parfois Maurice Taieb1, bien que sa relation puisse soulever beaucoup d’étonnement. Cette deuxième partie va entrer dans l’analyse de ces découvertes.

L’analyse des faits :

Au delà de l’aspect anecdotique de la découverte de Lucy, il est important d’en tirer une analyse objective pour connaître la valeur de ces découvertes qui ont été médiatisées à outrance.

Bien des aspects posent des questions tant d’ordre technique qu’éthique :

. les lieux de l’Hadar et des environs regorgent de fossiles, d’une manière incroyable, à même le sol. La quasi totalité des découvertes s’est faite par simple inspection, et non par fouille ou tamisage, ce qui aurait pris trop de temps.

Un des lieux fouillé se nomme en langue afar : « Afofili », ce qui signifie : « colline aux ossements ». Il y avait lieu de se demander pourquoi un tel amoncellement d’ossements à même le sol dans un lieu désertique sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres carrés. Seule l’érosion est invoquée pour sa mise à nu, plutôt qu’un effondrement de l’Hadar, ce qui n’est pas un scénario satisfaisant pour l’ensemble du territoire fossilifère.

sla reconstitution de Lucy, en supposant que tous les morceaux qui lui sont attribués le soient à bon escient, aurait dû s’effectuer en équipe, chacun participant et surveillant les assemblages, les collages. Ainsi le résultat aurait-il été le fruit d’un travail d’équipe, avec débat contradictoire, donnant toutes garanties. Sur le plan de la méthodologie et de l’analyse critique de la recherche scientifique, il est absolument inacceptable que la reconstitution de Lucy soit le fait d’un seul chercheur anthropologue s’isolant pendant dix jours, refusant tout témoin et tout débat contradictoire suivi d’un consensus. C’est la porte ouverte à n’importe quelle manipulation des ossements, retouches, etc. Cela suffirait normalement, dans tout autre domaine de la recherche scientifique, à rejeter ce travail. De même, n’y a-t-il aucune certitude, en dehors du fait que le périmètre ait été délimité, que le relevé exact de chaque os attribué à Lucy ait été effectué.

. la finalité exclusive de cette expédition était de trouver les traces du chaînon manquant de la bifurcation vers le genre homo. Il semble que toutes les interprétations des ossements retrouvés aient exclusivement été faites dans ce sens. En cas de doute, Johanson tranchait toujours dans le sens « homo », sans esprit critique.

. l’aspect financier est omniprésent dans toutes les campagnes de fouilles. Il y a en effet une sorte d’obligation de résultat pour justifier les fonds des mécènes. Aussi, le jugement sur les trouvailles est-il souvent biaisé.

. la compétition entre les équipes poursuivant les mêmes recherches (Johanson – Leakey), ou entre les membres des mêmes équipes, avait pour motivation la recherche du « scoop », de la notoriété professionnelle, etc…

. la médiatisation immédiate, effectuée par Johanson auprès de la presse qui a immédiatement emboîté le pas à la découverte avec le milieu paléontologue, empêchait d’ailleurs toute marche arrière ou toute correction importante au risque de perdre toute crédibilité. Les paléontologues de l’Hadar se trouvaient en quelque sorte pris dans une « fuite en avant » dans l’interprétation de leurs découvertes.

. le manque d’analyse critique du milieu de la paléontologie (qu’on pourrait qualifier de crédulité volontaire), tant américain que français, qui accepte d’emblée toutes les découvertes d’homo sans confirmation et sans débat contradictoire, alors que le géologue Maurice Taieb avait des doutes sur la valeur de sa partie géologique2. Tout se passe « comme si » ces découvertes répondaient à une lacune qu’on cherchait à combler à tout prix, et ceci au dépens de tout esprit critique d’analyse scientifique objective de la part de hauts responsables…

. pourquoi certains ossements attribués au même individu ou groupe d’individus possédaient-ils encore un ou des morceaux de gangue calcaire et pas les autres, ce qui pouvait être un élément de discrimination ? Pourquoi les a-t-on attribués d’office au même ensemble en supposant ainsi qu’ils avaient subi les mêmes incidents géologiques et érosifs, ce qui ne semble pas être le cas ?

. on est surpris par la déconcertante désinvolture dans la classification des soi-disant premiers homo découverts (cf. première partie) puis des autres dans les campagnes de fouilles de 1975.

 Johanson détermine immédiatement tous les morceaux de fémur ou de fragments dentaires qu’il trouve ou qu’on lui présente comme du genre « Homo »3.

. nous avons été étonnés de voir changer à deux reprises la numérotation des « localités » des ossements retenus comme importants. Ainsi, la localité de Lucy, de 162 devient AL 288, et celle des hominidés de la campagne de1975 de 322 devient 333. 

. les 121 morceaux attribués à Lucy, posent un problème :

ces ossements ont été entraînés à la suite d’un éboulement par l’érosion des eaux. Il est donc logique que les morceaux les plus légers soient entraînés plus loin et les lourds moins loin. On n’a pas tenu compte de ce phénomène. Tous les ossements trouvés sur une surface délimitée de 20 m2 ont été attribués à Lucy. Rien ne prouve que cette affectation soit exacte dans son ensemble. On peut seulement affirmer que seuls les ossements concernant les vertèbres et les côtes, parce qu’ils étaient peu dispersés, proviennent bien du même individu. Mais on ne peut en dire autant du reste.

. la datation : les zones de l’est africain intéressant les paléontologues, dont le rift, ont été datées par la méthode du potassium-argon qui a donné un âge moyen d’environ 2 à 3 millions d’années. Le principes est simple : pour trouver un homo vieux d’environ 3 millions d’années, il suffit de le trouver dans cette couche. C’est la porte ouverte à toutes les spéculations et à la course aux surenchères entre paléontologues et préhistoriens4 : c’est à celui qui trouvera ce qu’il y a de plus vieux ! Le problème, parce qu’il y en a un, est de supposer que cette méthode de datation s’avère exacte.

Or, dans la pratique, quand on a pu comparer la valeur des méthodes de datation en datant une lave historique dont la date était connue, il n’en a rien été. Rappelons pour mémoire les diverses dates entre 0,35 et 2,8 millions d’années obtenues sur une lave issue du volcan Saint-Helens en 1980 (cf. Le Cep n°20) !..

. la station bipèdique

Les paléontologistes ont affirmé que Lucy était passée à la position redressée (bipédie) par « les études d’anatomie fonctionnelle du squelette de Lucy et de quelques autres éléments postcrâniens isolés »5, en fait le genou, la hanche, la mâchoire, le volume crânien.

– Le genou : Nous avons pu lire : « il reconstitue les fragments de fémur qui est en trois morceaux. L’épiphyse a été écrasée par les conditions de fossilisation. »6

– Le bassin : composé d’un sacrum et d’un os iliaque reconstitué (c’est-à-dire un demi-bassin) que l’on affirme être court et large comme chez l’homme. Douteux : si ces os (sacrum et os iliaque) proviennent du même individu, on ne peut pas affirmer que le bassin est court et large. Les bonnes photographies et reproductions que l’on peut voir indiquent que, reconstitué avec ses parties manquantes, le bassin semble long et étroit comme chez les singes.

– Le fémur : son orientation et la longueur de son col indiqueraient une position bipèdique imparfaite et différente de celle de l’homme. Faux : le fémur a été recollé, car en plusieurs morceaux ; les fractures anciennes sur les os fossilisés ne sont jamais nettes, les bords sont érodés et ne permettent pas un bon repositionnement pour une reconstitution fiable. Les conditions de cette reconstitution par Johanson sont plus que douteuses. D’autre part, le col du fémur était écrasé et de ce fait délicat à reconstituer. Le fémur n’est donc porteur d’aucune information.

– Le pouce du pied n’était pas écarté des autres doigts, signe de marche bipédique : (le pouce écarté, c’est-à-dire préhensile, est une caractéristique des singes).

L’homme possède son gros orteil proche des autres doigts de pied, et comme il marche sur deux pieds, on pense que cela est un signe de bipédie (ce qui reste ouvert à discussion). Faux : aucun os des pieds n’a été retrouvé !

. La cage thoracique : on a écrit qu’elle possédait une forme d’entonnoir (analogie avec l’homme). Faux : les segments de côtes ne permettent pas ce genre de reconstitution.

. Les membres inférieurs assez courts et les membres supérieurs un peu plus longs que ceux de l’homme moderne (en fait cette indication de longueur définit Lucy comme ayant des membres entre l’homme et le singe). Faux : même reconstitués « en miroir », la longueur de l’ossature des membres supérieurs ne peut se déterminer qu’à quelques centimètres près, et celle des membres inférieurs ne peut pas être déterminée.

. La mâchoire inférieure : sa forme en « V » est significative de l’espèce des singes. On a écrit qu’elle avait des incisives centrales inférieures très larges. Faux : elles sont absentes !

. La position du trou occipital qui indique une marche bipédique et le volume crânien de 360 cm3 : on a écrit « Lucy demeure exceptionnelle par son squelette post-crânien » (exceptionnelle en ce sens que l’on ne retrouve pratiquement jamais de squelette crânien). Faux : il n’y a que 5 fragments d’os crâniens (retrouvés dans un périmètre de 5 à 10 mètres et attribués à Lucy), ce qui ne permet pas de reconstituer le volume ni la forme du crâne.

Conclusion :

Lucy est le ratage scientifique – type de la paléontologie, mais le fruit d’une réussite médiatique7 incontestable.

Scientifiquement, on ne peut rien affirmer avec certitude sur Lucy, son âge paléontologique, sur son sexe, sa station relevée ni sur l’ensemble des restes osseux qui lui sont attribués, quelle que soit la classification dont on l’affuble.

La reconstitution de Lucy n’a pas échappé à l’appel important de l’imagination du découvreur et du milieu scientifique qui la cautionnent pour la présenter, selon leur propre idée de l’évolution, comme le fossile qui a commencé à s’humaniser en se redressant mais dont la lignée se serait éteinte8.

Admettre sans réticences tout ce qui est affirmé sur Lucy relève de la crédulité ou de l’absence du moindre discernement scientifique, pour ne pas dire plus…

On peut aussi légitimement se poser des questions au sujet de toutes les personnalités qui ont participé à son succès médiatique : L’idéologie, la recherche de la notoriété et de la gloire n’ont-elles pas prévalu sur l’éthique professionnelle et sur les exigences scientifiques ?


1 Il était chef de l’expédition au moment de la découverte de Lucy et s’étonnait naïvement de « l’esprit » des anthropologues. Même si parfois cette sorte de « fièvre de l’or » le contaminait un peu, son esprit scientifique gardait cependant sa lucidité sur l’exactitude nécessaire aux observations et qu’il ne constatait pas toujours.

2 Ainsi pour la découverte des homo lors de la campagne de 1972, Taieb avait des doutes sur leur place dans les couches géologiques et sur l’âge de ces couches. Il écrit dans son ouvrage déjà cité, p.84 : « mon souci était d’écrire un article scientifique pour l’Académie des Sciences et, pour cela, il fallait la description du genou, d’un autre fémur trouvé, et préciser la stratigraphie chronologique de la localité. Nous avons fini par conclure que le basalte était au-dessus de la localité à hominidés. La position précise sera marquée par un point d’interrogation. Nous allons voir le professeur Piveteau, membre de l’Académie des Sciences et responsable du département de paléontologie humaine à l’université de Jussieu à Paris… Il trouve tout cela extraordinaire ». Les doutes de Taieb ne sont même pas pris en compte. Tout est pris pour « argent comptant » !

3 Idem, p.180-181 : « Il montre à Donald avant le repas un morceau de fragment dentaire pris dans un micro-conglomérat. – C’est de l’hominidé ! s’exclame Donald. … Michèle Cavillon ramasse aussitôt un morceau de fémur qu’elle brandit victorieusement dans la direction de Donald qui confirme que ça appartient à un hominidé… etc ».

4 Lire à ce sujet dans Le Cep n°8 : « Trop, c’est trop ! ou le billet d’humeur de Caïn ». Aux dernières nouvelles, Lucy serait détrônée par un congénère vieux de 3,4 à 4 millions d’années. En France, on commence à affirmer, suite à des découvertes récentes, que l’Homme est présent aux portes de l’Europe dès 1,7 millions d’années selon Henri de Lumley, directeur du Laboratoire de Préhistoire au Muséum national d’histoire naturelle.

5 Cf. « Lucy retrouvée » de Germaine Petter et Brigitte Senut. Edition Flammarion – 1994, préfacé par Y. Coppens, pp. 102-104, 138-143.

6 Ibid., page 121.

7 La médiatisation est telle que l’on parle de ces restes d’australopithèque comme d’un personnage intime. On l’a prénommée « Lucy », et non comme pour les autres squelettes découverts : « l’homme du Moustier, l’homme de Pékin ou sinanthrope, etc. On a même mis un visage relevant entièrement de la fiction : on ne possède qu’une mandibule et quelques fragments minuscules d’os pariétal ! Le visage de Lucy est vulgarisé de la même manière que l’a été l’homme de Néandertal : selon les conceptions nécessaires pour accréditer l’évolution. Des bandes dessinées racontent ses aventures, etc… Le débordement d’imagination n’a pas de limites. Tous les moyens sont bons. Lucy est certainement, de toutes les découvertes de la paléontologie, le « personnage » qui a fait l’objet du plus grand nombre d’ouvrages.

8 Actuellement, le milieu paléontologique la date entre 3 et 3,2 millions d’années et estime que son espèce aurait vécu entre –5,5 et –2,8 millions d’années.

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