Regard chrétien sur la théocratie islamique

Par le P. Raphaël Moré d’Allitis

Résumé : On sent les Etats européens mal à l’aise face à l’Islam. En effet la « religion laïque » des droits de l’homme accorde aux musulmans des moyens d’action dont ils se servent pour promouvoir une vision du monde qui répudie la laïcité de l’Etat, cette séparation du temporel et du spirituel dont la franc-maçonnerie a su se servir pour amoindrir l’influence sociale de l’Eglise. Lors de la Révolution, on avait lancé : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté !.. » Mais nul ne crie aujourd’hui : « Pas de laïcité pour les ennemis de la laïcité !.. » C’est qu’une connivence méconnue relie l’islam, le communisme et l’idéologie républicaine : le même oubli de la Chute, le même rejet du Salut offert, et donc le même fatalisme matérialiste.

Il faut toujours y revenir : il n’y a pas de théocratie dans le Christianisme. C’est un fait dont on doit bien tenir compte, car il différencie le Christianisme des autres reli­gions du Monde. Ce point fait partie, dès le début, du patrimoine essentiel de notre Foi, de notre Credo, de notre Eglise. C’est le fameux “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu“.

Bien sûr, ce n’est pas un truisme, et pas davantage une ma­nière élégante et quelque peu déconcertante de se tirer d’un mau­vais pas, d’une situation épineuse ! Par cette formule à la fois simple et étonnante, le Christ nous reporte à l’origine du Monde, au coeur de la Création, et au centre de la Révélation. Il pro­mulgue, il affirme, il révèle une loi de la Création déchue, une loi en rapport avec le “Commencement” de l’homme.

Un « commencement » qui est parfait et puis se dégrade, et non un « commencement » en évolution perfectionnante.

Voici donc pourquoi il n’est pas bon qu’il y ait unicité en­tre le gouvernement temporel et le gouvernement spirituel des hom­mes: parce qu’au début de l’Histoire il y a eu brisure en l’homme, et par suite dans toute la Création.

Avant le Christ, tant que la Vérité n’était point apparue sur la Terre, tant que durait le temps de l’attente du Salut, la “théocratie” fut ‑ à ce qu’il me semble ‑ le mode or­dinaire de gouvernement, profane ou sacré. Ou tout était unifié par en‑bas c’est le socialisme, caractéristique permanente d’in­nombrables sociétés et empires païens (voyez le livre pas­sionnant d’Igor Chafarevitch, “Le Phénomène Socialiste“, au Seuil), ou tout était unifié “par en‑haut”, et ce fut le petit Israël (cf Deutéronome 7,7), avec ses Juges et, à un moindre degré, avec ses rois.

Puis avec le Christ, arrive le principe de la rénovation de l’homme, un principe surnaturel. Il y avait eu jusque là le “vieil homme”, la descendance innombrable de l’Adam déchu ; il était certes capable de quelque amélioration morale, la nostalgie et le souvenir du Paradis perdu le poursuivaient, comme en témoignent les traditions antiques, même très mélangées d’erreurs, telle celle du serpent arc‑en‑ciel dans certaines contrées reculées, en Afrique. Mais le secret de la vraie connaissance de Dieu se perdait, inexorablement.

Il y a désormais la descendance du Nouvel Adam, l’Eglise de Dieu. La formule évangélique : “Rendez à César…”, exprime en des ter­mes d’une simplicité désarmante, cette Loi de la Création déchue et rachetée. Loi nouvelle en tant que, sur la Terre, la Vérité est désormais présente en Personne.

Telle est la différence avec l’Islam, qui ne connaît point « l’homme nouveau », qui ignore complètement le mystère de la Chute, qui ne connaît fatalement aucune distinction entre Création et Salut, qui -tout en prétendant le contraire- rend nécessaire (c’est ce qu’on appelle le « nécessitarisme ») la Création, ce qui est un point commun avec l’ancien Paganisme, bien que ce « point commun » soit revêtu d’autres mots.

La distinction entre Dieu et “César” exprime la séparation entre deux “générations”, par le fait du Péché Originel. Généra­tion naturelle, selon la chair, et génération selon l’esprit, par la Foi et le Baptême.

Comme le Péché originel est une Vérité révélée, la distinc­tion entre Dieu et « César » exprimant la Loi de la Création après le Péché, dans la lumière de la Rédemption, est aussi une vérité révélée.

Elle est devenue le patrimoine commun de l’Humanité civilisée, une de ces lumières magnifiques de la Révélation réfractées sur notre monde. En fait, elle contient tout le mystère originel de la Création.

Quel est le rapport entre Dieu et “César”, entre spirituel et temporel ? Quel doit‑il être ? Il est, il doit être LE MEME que celui qui existe entre l’homme nouveau et le vieil homme, pour em­ployer les mots de saint Paul.

Il reflète la relation qui existe entre le Créé et l’oeuvre de la Rédemption. Il exprime la sacralité originelle du créé, et la brisure, le désordre introduits par la Chute originelle.

C’est un rapport qui, pour ainsi dire, doit tendre à l’harmo­nie. Mais entendons‑nous tout de suite sur ce mot d’ «harmonie ».

Il ne s’agit pas d’une harmonie qui, en mélangeant le bien et le mal, accorderait l’Eglise sur le Monde, pour la promotion du Monde, ce qui en définitive ruinerait l’Eglise et l’inciteraità abandonner sa mission qui concerne le salut de chaque homme. Il ne s’agit pas d’une « harmonie » qui ferait du Pape le Président des Etats‑Unis du Monde, si je puis dire.

Le Créé, l’ensemble de la Création, pour autant qu’il est ré­nové par le Christ qui est Lui‑même l’Origine et comme la « note fondamentale », ou la “pierre angulaire” du Temple de la Création, cet ensemble de la Création, donc, rentre en harmonie avec le Christ. Dans ce contexte, je me permets de le noter comme entre parenthèses, on comprend pourquoi l’Ecriture, à propos du Monde visible et de sa splendeur, parle de “cosmos” (Genèse, chap. 2, au verset 1), c’est‑à‑dire « ornement », temple magnifique, du moins quand il était dans sa beauté première, pour accueillir Celui dont le Corps est un Temple (Jean 2, 19‑21, cf. également Sagesse 9,8).

Précisons cette pensée : en quelque sorte, le Christ est la « racine » de la Création en sa pureté première, Il en est le « modèle».

En ce sens, en s’harmonisant avec le Christ, l’homme, qui est le couronnement de la Création, pourra recouvrer son innocence, imparfaitement certes, puisque la rénovation qu’apporte le Christ se fait DANS LE MONDE ANCIEN DU PECHE.

Cieux nouveaux et Terre nouvelle sont pour après le Jugement, après la fin, après l’accom­plissement de l’Histoire. Le « Monde Nouveau » n’est pas pour le temps de l’Histoire ; notre Espérance n’est pas de créer des institutions parfaites, qu’elles soient imaginées comme “monarchiques” ou “démo­cratiques”. Notre Espérance, c’est la Vie éternelle et la Vision de Dieu. Pas de “Paradis terrestre” dans le futur historique, pour le chrétien ; pas d”‘Ere nouvelle”, au sens strict, pas d’époque paradisiaque, pas de « Règne de l’Esprit » au sens de tant de sectes, pas de messianisme temporel. Mais par contre, il ne faut jamais oublier que Temporel et Spirituel ont la même origine : Dieu Créateur, et c’est pourquoi ils peuvent rentrer en harmonie.

On pourrait dire une infinité de cho­ses sur cette parole du Seigneur: « Rendez à César… » Mais j’ai bon espoir d’avoir dit l’essentiel, du moins relativement à ce qui nous occupe, et fait l’objet de notre examen : l’Islam.

Avec l’expérience de toute une vie, je crois en effet, sinon à peu près vain, du moins bien dangereux, d’examiner l’Islam en dehors du Christianisme. D’autant plus qu’en un sens très vrai, l’Islam se réfère secrètement au Christianisme, et pour ainsi dire cherche à le réfuter.

Saint Jean Damascène l’avait déjà parfaitement compris, qui appelait l’Islam « la centième hérésie »1.

Précisément, l’Islam refuse la distinction du temporel et du spirituel. On comprend mieux peut‑être, après ce que je viens de dire, à quel point cette distinction fameuse correspond intimement à la doctrine du Christ. On comprend aussi pourquoi, très logique avec lui‑même, l’Islam nie le Péché originel et remplace la notion de “péché” par celle d”erreur”. On comprend mieux désormais pourquoi l’Islam a une constante tendance interne à annihiler la volonté, en la soumettant à la nécessité, à la fatalité, au fatalisme. Car là où il n’y a de possibilité que d’erreur, il n’y a point de péché.

Eh oui, la balle de tennis, l’électron, la Lune, suivent leurs lois, ils n’ont pas de liberté, leur trajectoire est “fatale”, parfaitement prévisible – en théorie, du moins -, mais cela a une autre conséquence, aussi inéluctable : dans l’Islam, pour supprimer l’erreur, il n’y a guère d’autre moyen que de supprimer, purement et simplement, le porteur de l’erreur ; dans le Christianisme, il n’en va pas ainsi ; le porteur de l’erreur peut toujours se convertir, et c’est ce qui explique l’incroyable patience des saints visant la conversion de tous !

Le péché exprime, quoique « en creux », dans les ténèbres, la liberté. C’est Maurice Clavel qui disait : « Laissez‑moi mon péché ! », en ce sens : laissez‑moi me reconnaître pécheur, donc libre, capable de retourner vers le bien, capable de revenir à Dieu, capable enfin d’être pardonné !

Je dirais ‑ ne vous scandalisez pas – que la grandeur de l’homme est telle qu’il peut même pécher… L’élec­tron, lui, ne pèche pas. Le fatalisme islamique est cohérent avec tout l’ensemble de la doctrine du Coran et des traditions corani­ques, il est cohérent aussi avec le djihad, et avec la conversion   à la pointe du cimeterre. Il est cependant contradictoire : si tout est « fatal », pourquoi s’ingénier à influencer les faits et les hommes ? Il y a dans l’Islam une structure interne qui, en un sens, ne dépend pas beaucoup des particularités de la doctrine donnée dans le Coran, et versée dans les âmes comme une sorte de boisson eni­vrante.

Dans toutes les religions, sauf dans la religion chrétienne, on retrouve cette “non ‑ distinction” entre temporel et spirituel.

L’Islam absorbe tout dans la religion, et la religion devient aussi la loi civile.

La « laïcité », est la religion d’Etat de l’Etat républicain ; et spécialement la Franc‑Maçonnerie, qui se cache discrètement derrière lui, veut tout réduire à cette “religion” laïque, à cette idéo­logie officielle des “Droits de l’Homme”. Religion “officielle” dont je remarquais récemment à quel point elle dépend d’une méta­physique secrète d’obédience évolutionniste… donc matérialiste !

Le Communisme, issu d’une mystique infernale, veut éliminer la religion, toute religion, et fatalement, tout comme la laïcité maçonnique, il absorbe le spi­rituel dans le temporel.

Mais qu’on absorbe le temporel dans le spirituel, ou le spiri­tuel dans le temporel, on arrive au totalitarisme, qu’il soit « démocratique », ou « théocratique », ou autre…

On saisit mieux pourquoi ceux qui absorbent le temporel dans le spirituel, ou ceux qui absorbent le spirituel dans le temporel, penchent tout naturellement vers une tolérance fausse qui ruine la vérité.

Quelles que soient leurs religions d’origine, ils ressentiront une mystérieuse parenté, ou une complicité secrète, ou une complai­sance plus ou moins consciente vis à vis de l’Islam, de la Maçon­nerie, du Communisme. Facilement, entre eux il y aura collusion ; ils seront souvent évolutionnistes, et s’ils sont chrétiens, ils pous­seront à la négation du Péché originel.

Conclusion – Quel spirituel ?

Le spirituel, détaché du surnaturel, s’étiole pour sombrer vite dans un matérialisme pratique, même camouflé. Aujourd’hui la domination et les forces matérielles se développent démesurément, tandis qu’elles se coupent chaque jour davantage de l’esprit du Christ. L’homme moderne chante la gloire de la matière. Mais parce qu’il s’est égaré loin de la vérité, il oublie que la mort est née du péché, et que la matière a servi de vecteur à cette mort. L’homme, sous le sortilège du Tentateur, chante misérablement son malheur…


1 Ndlr. L’Islam est la seule grande religion post-chrétienne et donc, inévitablement, anti-chrétienne en ce sens qu’elle se définit dès l’origine par opposition au christianisme.

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