Le Suaire d’Oviedo

Par: Dr Jean-Maurice Clercq

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Le Suaire d’Oviedo[1]

Résumé : Conservé à Jérusalem jusqu’en 614, le Suaire dut chercher refuge contre les Perses, d’abord à Alexandrie, puis en Espagne où il arriva par Carthagène. Devant la conquête arabe, il migra vers le Nord et demeure depuis 812 à Oviedo, capitale des Asturies, où une crypte fut construite spécialement dans la cathédrale. Ce linge fut enroulé autour de la tête du Crucifié aussitôt sa mort, puis un pan fut replié sur le visage après la descente de la Croix. On y trouve des empreintes de sang correspondant aux plaies de la tête, ainsi que du liquide sérohématique expulsé à quatre reprises par les narines lors de manipulations du cadavre. Les plaies du visage ont pu être superposées avec celle du Linceul de Turin. L’étude du tissu et des pollens confirme l’origine palestinienne du Suaire. Une expertise médico-légiste détaillée fut réalisée entre 1989 et 1993. Elle confirme le sang de groupe AB et permet de préciser certains détails de la mort du Christ (inclinaison de la tête, etc.) et des événements qui ont précédé la mise au tombeau. Plus qu’un message, le Suaire d’Oviedo est un témoin qui devrait réveiller notre incrédulité.

« La langue me colle aux mâchoires. » [Ps 21 (22)

« Et inclinant la tête, il remit l’esprit. » [Jn 19, 30]

Le Suaire d’Oviedo, relique maintenant redevenue populaire en Espagne, demeure encore peu connue en France. Ce linge  de lin est une sorte de grand mouchoir à « essuyer» la  sueur (suaire).
            La tradition historique le considère comme le linge « qui couvrait la tête » dont parle l’Évangile de Jean (Jn 20, 5-7). Il avait été posé sur la tête de Jésus pour cacher son visage aussitôt qu’il eût expiré sur la Croix, car la loi hébraïque imposait la pose d’un linge sur la face de toute personne décédée par fait de violence.

C’est celui qui fut retrouvé dans le tombeau, « non pas posé avec les linge, mais roulé dans un autre endroit ». Il est porteur de plusieurs taches ensanglantées qui se sont superposées.

Histoire:

La tradition nous rapporte que les disciples de Jésus-Christ firent construire un coffre en bois de cèdre pour recueillir pieusement différents souvenirs provenant de Jésus et de sa Sainte Mère. Ce coffre, qui contenait aussi le Suaire, était proposé à la vénération des fidèles de Jérusalem jusqu’en 614. Cette année-là, la ville fut prise d’assaut par les Perses menés par Chosroes II. Un prêtre nommé Philippe réussit à s’enfuir de la ville avec le Saint Coffre pour le mettre en sûreté à Alexandrie, en Égypte. Les menaces de conquête de l’Égypte et de l’Afrique du nord par les Perses se précisant, les autorités ecclésiastiques d’Alexandrie se virent contraintes de faire évacuer le Saint Coffre vers des lieux plus sûrs, en direction de l’Espagne par le Nord de l’Afrique. Il y arrivera par le port de Carthagène, accueilli par l’évêque Saint-Fulgence, et sera déposé à Séville puis Tolède. L’année exacte n’est pas connue, mais les anciens dictionnaires ecclésiastiques d’Espagne signalent la présence du coffre contenant le Suaire dans la première moitié du VIIème siècle, donc avant l’an 650. Peu avant 718, le vieux coffre de cèdre sera remplacé par un solide coffre de chêne qui sert toujours à contenir la relique de nos jours. Sous la pression d’Arabes qui envahissaient le sud de la Péninsule Ibérique, le coffre, que l’on avait chargé avec d’autres reliques, entreprit un long repli vers le Nord qui ne s’achèvera qu’en 812-814 à Oviedo, capitale du royaume des Asturies, où il restera.

Le roi Alphonse II (759-842) fit édifier dans la cathédrale d’Oviedo une crypte spéciale pour contenir la relique, et son successeur entreprit de fortifier le bâtiment afin d’en assurer la meilleure protection possible.

Désormais, Oviedo devint une ville étape sur le trajet Nord du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Devant l’afflux de pèlerins, le roi Alphonse VI ordonna l’inventaire du Saint Coffre le 14 mars 1075. L’inventaire dressé sera signé par la suite royale, le roi et sa sœur, le Cid Campeador et par tous les évêques et les dignitaires ecclésiastiques présents. L’embellissement du coffre est décidé en 1113 : il sera recouvert d’argent travaillé représentant les douze apôtres, les quatre évangélistes et le Christ. En 1556, la cathédrale fortifiée sera démolie pour laisser place à une nouvelle construction de style gothique flamboyant, tout en conservant la crypte du IXème siècle. Ce sera aussi l’occasion de refaire l’inventaire du coffre.

La Toile:

C’est une toile de lin mesurant environ 53 x 83 cm, ce qui représente 1 x 1,5 fois la coudée gréco-romaine en usage à l’époque du Christ. Ces dimensions sont à rapprocher de celles du Linceul qui lui est taillé selon la même coudée gréco-romaine (2 x 8 coudées).

Les études textiles menées sur le Suaire permettent de reconnaître que le tissage est archaïque et que la structure textile est identique à celle du Linceul, excepté l’absence de chevrons et la position relative de l’ourdissage de la trame. Ces deux linges ont donc bien été tissés à la même époque.

Les pollens:

Les pollens n’ont été étudiés que par Max Frei[2] (c’est aussi lui qui, le premier, avait identifié ceux du Linceul), par des prélèvements effectués en 1978. L’identification des pollens confirma l’origine moyen-orientale du Suaire et son trajet par l’Afrique du nord.

Comparé au Linceul (de Turin) bien moins de types différents de pollens ont été retrouvés, ce qui est cohérent:

– les régions traversées possèdent une variété botanique plus pauvre,

– la surface du Suaire est beaucoup plus petite que celle du Linceul de Turin (8,5 fois plus petite),

– il a fait l’objet de peu d’ostensions.

Le rapport d’expertise indique qu’aucun des pollens des régions d’Anatolie ou de Turquie orientale présents sur le Linceul n’ont été retrouvés sur le Suaire, tandis qu’ont pu être identifiées 13 variétés de pollens spécifiques des régions traversées par le Suaire, ce qui confirme la tradition historique. Parmi ces treize variétés de pollens identifiés, six proviennent de Palestine et avaient déjà été retrouvés sur la toile du Linceul de Turin, et parmi ces six pollens communs entre Suaire et Linceul, il y en a deux qui sont tout particulièrement spécifiques de la zone désertique (plantes xérophiles) et salée (plantes halophytes) de la région de la mer Morte et de la vallée du Jourdain. Ces deux pollens sont assez  lourds et ne se propagent pas facilement, d’autant plus qu’ils se situent dans des dépressions géographiques profondes. Le rapport de l’expertise palynologique de Max Frei conclut que rien ne s’oppose à ce que les deux toiles aient pu être en contact entre elles (même lieu, même époque de l’année).

L’analyse médico-légiste des taches ensanglantées:

1. Les taches ensanglantées

Ce sont ces taches ensanglantées qui retiennent l’attention de l’observateur qui regarde la toile. Que signifient-elles ? D’où proviennent-elles ? Comment se sont-elles formées ? Quelle en est la composition ?

C’est bien évidemment à ce genre de question qu’a répondu l’équipe multidisciplinaire des spécialistes espagnols qui se sont penchés sur la relique en 1989-1990 et en 1993. Les résultats de leurs recherches ont fait l’objet de plusieurs rapports d’expertise médico-légiste[3]

Ces taches sont bien des taches ensanglantées : le sang y est mélangé à un liquide biologique d’origine pulmonaire dans la proportion de un pour six. Un travail long, complexe et minutieux a été nécessaire pour comprendre le mécanisme de formation des taches. Elles sont de formes symétriques, situées autour d’une déformation (dépression) du linge provoquée par la proéminence du nez. Cet élément couplé aux écoulements du nez a permis de retrouver la position du Suaire sur la tête et d’effectuer une analyse géomètrico-anatomique des traces après expérimentations et vérifications.

Fig. 1. Suaire d’Oviedo. Avers dans son cadre.

2. Les expertises

Elles apportent les informations suivantes :

– Ce linge a été posé en enroulement sur la tête d’un cadavre d’homme adulte portant barbe et moustaches, puis replié sur la face dans un second temps.

– Il avait les cheveux longs en partie rassemblés sur la nuque, ce qui a permis d’y attacher le Suaire à l’aide d’une épingle dont les perforations sont restées visibles sur la toile.

– Une fois la toile repositionnée, on découvre une série de petites taches de sang situées sur la nuque, ce qui évoque sans conteste la couronne d’épines. Ces blessures punctiformes se sont formées alors que l’homme du Suaire était encore en vie. Elles ont arrêté de saigner une heure avant la pose du linge sur la tête.

– Quatre grandes taches ensanglantées se sont formées en nappe, en se surajoutant les unes sur les autres, avec un temps de séchage intermédiaire.

Figure 2. Suaire d’Oviedo. Revers.

– Ces taches se composent d’un liquide biologique sérohématique provenant des poumons, mélangé avec du sang dans une proportion de 6 pour 1.

– Le sang, d’origine humaine, est de groupe AB (comme pour le Linceul de Turin et la Tunique d’Argenteuil).

– Le liquide s’est écoulé principalement par le nez.

– Lorsque les taches ensanglantées se sont formées, l’homme était mort et avait été victime d’un grand œdème pulmonaire consécutif à un état de détresse physique dans un processus terminal débouchant sur la mort.

– La mort est survenue lorsque le cadavre était en position verticale. Il est resté dans cette position pendant une heure avec, au moins, le bras droit levé et la tête infléchie d’environ 70° vers l’avant et 20° vers la droite (par rapport à la verticale).

3. Apport des conclusions médico-légistes

La forme des taches a permis de déduire les aspects suivants :

– La bouche était fermée.

– Le nez était dévié vers la droite, vraisemblablement à la suite d’une fracture, ce qui a déjà été constaté sur la face du Linceul.

– La première tache s’est faite lorsque le corps était en position verticale, la tête penchée en avant et inclinée à droite. Elle permet de positionner le nez et les deux sourcils.

-Le corps est resté dans cette position une heure environ. Le Suaire entourait la tête, attaché sur la nuque par une épingle.

– La deuxième tache s’est formée lors de la descente du corps de la Croix. Puis il fut couché sur le côté (plus exactement : mis en position de décubitus latéral droit). La rotation de la tête de 20° étant maintenue, penchée en avant en présentant un angle de 115° par rapport à la verticale (ce qui reste conforme à l’information apportée par le Linceul de Turin) avec le front appuyé sur une surface dure. Il est resté à nouveau une heure dans cette position, ce qui a contribué à redresser légèrement la tête.

-Au bout d’une heure, on a retiré l’épingle de la nuque et rabattu (replié) un pan du linge sur l’autre, de façon à doubler l’épaisseur de la toile couvrant le visage.

– Puis on remit le corps sur le dos et on ramena les bras sur le ventre pour transporter le cadavre, ce qui provoqua un troisième écoulement. Les emplacements de mains et de poings fermés exerçant une pression sur le nez pour tenter de juguler les écoulements ont pu être décrits avec précision.

– Le dernier écoulement ensanglanté s’est formé lorsque l’on mit le corps à plat, en décubitus dorsal (lors de la mise au tombeau).

– Une fois retrouvé le mécanisme de la formation des taches et la position de la toile sur la tête, à partir du nez et des sourcils, il a été possible de comparer le Suaire avec la face de l’Homme du Linceul. On constate alors une superposition parfaite entre l’anatomie et les taches de sang des deux reliques, ceci indiquant qu’elles ont bien été posées sur la même tête, à deux moments différents.

Reconstitution de la fin de la Passion:

L’écoulement de liquide pulmonaire par le nez dont fait état le rapport médico-légiste va permettre de préciser un point des souffrances supportées par Jésus en Croix. Ce liquide est différent du liquide incolore, entremêlé au sang, que l’on découvre au niveau de la plaie du cœur sur le Linceul de Turin (causée par le coup de lance): c’était là du liquide péricardique provenant de la séreuse qui entoure le cœur et permettant de déduire que Jésus souffrait d’une crise cardiaque. Sur le Suaire d’Oviedo, ce liquide pulmonaire provient de sécrétions qui encombraient les poumons et entravaient la  respiration, et peut-être aussi de la plèvre. La flagellation, en effet, avait déclenché une pleurésie traumatique avec un très fort œdème des plèvres, engendrant une insuffisance respiratoire ainsi qu’une compression mécanique du cœur  et gênant plus encore son fonctionnement.

Sur la Croix, Jésus souffrait de déshydratation par perte de sang, mais surtout par tous les mécanismes de contractures musculaires dont tout le corps avait été victime. La température du corps s’était élevée jusqu’à 41°. La soif était alors intense (elle est confirmée en Jn 19, 28). Il se produit alors une acidose de l’organisme, lequel n’arrive plus à éliminer les déchets métaboliques: le corps s’empoisonne. De ce fait, se produisent dans les poumons de très fortes sécrétions qui entravent encore plus la respiration. C’est tout cela qui s’est évacué par le nez lors des mouvements du corps de Jésus. Les médecins légistes ont estimé que pour former ces taches, il a dû s’évacuer quelque 30 cl de liquide pulmonaire.

Figure 3. Suaire d’Ovido. Superposition des taches sur le Linceul.

La cage thoracique se trouvait alors en hyperextension maximale (ce qui est conforme avec le Linceul de Turin), la respiration était devenue extrêmement pénible et la parole ne pouvait s’exprimer qu’en un souffle, comme pour pousser un cri, ce qui a été observé par les évangélistes Matthieu (Mt 37, 50: « Mais Jésus criant à nouveau d’une voix forte rendit l’esprit ») et Marc (Mc 15, 37: « Mais poussant un grand cri, Jésus expira »).

Toutes ces études minutieuses menées sur le Suaire ont permis de reconstituer la pathologie interne du crucifié et aussi de définir en temps et en mouvement tout ce qui s’est passé depuis la pose du Suaire sur la Croix ou, plus précisément, depuis le coup de lance.

Chronologie reconstituée de la fin de la Passion:

A partir de tous ces éléments collectés par l’expertise médico-légiste, la fin de la Passion peut se reconstituer comme suit :

– 15 h: mort de Jésus sur la croix (neuvième heure de la journée).

– 16 h-16 h 15 : coup de lance sur le thorax de Jésus et, aussitôt après, pose du Suaire.

– 17 h 15-17 h 30: dépose du corps de Jésus de la Croix par Joseph d’Arimathie.

– 17 h 30-18 h 40: adoration de Marie devant le cadavre de Jésus pendant une bonne heure.

– 18 h 45: Marie, accompagnée de l’apôtre Jean, retourne à Jérusalem; transport du corps de Jésus au tombeau.

– 19 h: fermeture du tombeau.

– 19 h 08 : les trompettes du temple annoncent le début du sabbat (une heure après le coucher du soleil, à 18 h 08 ce jour-là). On comprend mieux, maintenant l’intérêt considérable du Suaire  d’Oviedo qui confirme et complète les informations apportées par le Linceul de Turin, tous deux en parfait accord avec les textes évangéliques


[1] Extrait adapté du petit livre Les grande Reliques du Christ, synthèse et concordance des dernières études scientifiques (Paris, F.-X. de Guibert, 2007, 162 p., 18 €) dont nous ne saurions trop recommander la lecture intégrale. A notre connaissance, c’est le seul ouvrage d’ensemble sur les trois reliques majeures de la chrétienté. Le Dr Jean-Maurice Clercq nous y fait comprendre à quel point se complètent la Tunique d’Argenteuil (témoin de la Passion), le Suaire d’Oviedo (attestation mortuaire) et le Linceul de Turin (témoin de la Résurrection).

[2] Max Frei était directeur du Laboratoire de Criminologie de Zurich (Suisse) spécialisé dans les microparticules et aussi les trucages photographiques. Botaniste de formation, il s’intéressa aux pollens et avait dû établir des cartes de palynologies alors inexistantes. Étant de confession protestante, d’une église hostile à tout culte des reliques, il ne fallait pas s’attendre à quelque concession que ce soit de sa part.

[3] Pour plus de détails lire : Jean-Maurice Clercq, La Passion de Jésus, de Getsemani au Sépulcre, Paris, F.-X. de Guibert, 2004, ainsi que : ¿ El Sudario de Oviedo y la Sindone de Turin, dos reliquias complementarias ? (Actes du 5ème Congrès national d’études sur le Linceul, Cagliari, 29-30 avril 1990, d’où sont reproduites les figures ci-après), 1991 ; Sidone, Quatro misteros, 1991 ; Centro Espanol de Sidonologia, Linteum, n’ 12-13, 1994.

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