Accueil » Vision scientifique et biblique du monde ?

Par Dominique Tassot

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Résumé : Il semble que la science ait acquis comme un monopole sur toutes les connaissances : un homme qui sait, sur quelque sujet que ce soit, est le scientifique spécialisé. Et de l’assemblage des ces connaissances a résulté toute une « vision du monde » dans laquelle Dieu, quand il subsiste, est cantonné à la sphère des émotions intimes. Or les fondateurs de cette science moderne étaient, eux, profondément pénétrés par l’idée d’une Intelligence créatrice, seule explication rationnelle et opératoire à un univers finement ordonnancé et accessible à notre raison. L’explication d’un tel paradoxe est simple. La seule vision vraie est la vision biblique du monde, celle que l’Auteur même des choses nous a révélée. Dans cette vue, la science a naturellement toute sa place, étant aussi une des voies par lesquelles l’homme se tourne vers Dieu. En revanche, la vision matérialiste et athée du monde, cet assemblage hétéroclite de données faussement présentées comme des certitudes absolues, n’est nullement scientifique : c’est un pur produit du scientisme, prétention abusive des rationalistes à connaître l’univers tout en méconnaissant Celui qui l’a conçu et réalisé.

Peut-on à bon droit admettre qu’il existe une « vision scientifique du monde » ? La science, en effet, jette son regard propre sur l’univers, le décrit avec pertinence, y découvre certaines lois et accumule un savoir transmissible si considérable que nul ne peut en dominer l’ensemble. Tel est donc ce que pensent et croient la plupart de nos contemporains : pour connaître la vérité, pour aller au fond des choses, pour parler avec objectivité, c’est au scientifique spécialisé qu’il faut faire appel. La police a ses laboratoires comme les professionnels du lin ont leur institut technique. Y compris quant aux profondeurs du psychisme humain, des experts attitrés prétendent en exposer les attentes et les ressorts.

Cet édifice impressionnant, celui de La science, jouit ainsi du monopole de la connaissance certaine ; elle-seule – semble-t-il – peut énoncer avec autorité la vérité sur les choses. Quand la science a parlé, nul ne saurait contester ; et si quelques points de détails sont encore disputés entre spécialistes, ces saines et légitimes divergences ne font que montrer la solidité de l’édifice, celui-ci une fois construit sur le consensus entre experts.

Une difficulté apparaît toutefois. Chaque science est comme une tentacule d’intelligibilité lancée vers le monde et rapportant une parcelle de connaissance. Mais quel peut être le sens pour la pensée d’une telle connaissance partielle, quelles que soient par ailleurs les applications utiles que l’on en tire ? Ainsi, concernant l’être vivant, la moitié peut-être des chercheurs contemporains travaillent sur l’immunologie ou sur la biologie moléculaire, disciplines récentes ayant renouvelé si complètement nos conceptions qu’on peut se demander ce qui restera de théories vieilles d’un siècle ou plus, qui façonnent pourtant notre univers mental. Connaître vraiment, c’est accéder aux causes, mais la cause immédiate relève elle-même d’une autre cause et l’ensemble des causes relève d’un principe général qui fait l’unité du monde. Chaque connaissance est donc comme une pièce d’un puzzle : sans cesser d’être ce qu’elle est par elle-même, elle tire son sens du dessin général dont elle est issue.

Or la science actuelle prend bien soin d’affirmer qu’elle procède « comme si Dieu n’existait pas ». L’hypothèse « Dieu » n’a plus sa place ; elle n’a même plus aucune place. Pourtant, quand on lit les textes fondateurs de la science moderne, ceux de Galilée, de Descartes, de Leibniz ou de Newton, le mot Dieu y revient souvent ; il est constitutif de la vision du monde dans laquelle leur recherche de lois mathématiques s’insère. Descartes le justifie même ainsi : « C’est Dieu qui a établi ces lois en la nature ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume1. » Sans doute est-ce là le « Dieu des philosophes et des savants », celui que contestera Pascal en lui opposant le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », Celui qui intervient dans l’histoire personnelle et collective des hommes ; mais Dieu demeure pour eux le concept essentiel qui unifie tant l’univers que leurs pensées et en assure la cohérence d’ensemble.

Jusqu’aux années 1900, le mot « Dieu » apparaît encore à l’occasion dans la bouche des savants, au détour d’une réflexion générale, d’une allusion à la cause suprême qui rend compte de l’intelligibilité du monde…

Il n’en va plus ainsi dans la littérature savante d’aujourd’hui, toujours finement ciblée, presque fière de se cantonner à une infime portion du cosmos comme si la parcellisation était un gage de certitude, une preuve de sérieux méthodologique.

Or, écrit Fernand Brunner : « Comment connaîtrait-on quelque chose de la vérité ou de la beauté du monde sans référence au principe du monde ? La connaissance de Dieu est requise dès le moment que l’on pense selon le vrai et le beau ; elle est le point d’origine et le point d’arrivée de toute démarche authentique de l’esprit. Si Dieu ne peut être connu, le vrai, le beau et le bien perdent leur essence. Ils ne sont plus que des conceptions subjectives de portée limitée, et relatives au hasard ou au déterminisme des circonstances sociales. C’est pourquoi il ne saurait y avoir de science véritable sans connaissance de Dieu2. »

Nous sommes donc devant une situation tout à fait étonnante : en un sens, la connaissance est aujourd’hui plus étendue qu’elle n’a jamais été depuis 2 000 ans3. En même temps, le scientifique qui s’élève à des considérations générales, qui regarde son sujet d’étude comme un élément dans un ensemble dont la compréhension – fût-elle limitée – élargit le sens de sa recherche et lui permet d’atteindre un niveau supérieur de vérité, un tel chercheur se marginalise et s’écarte du chemin des honneurs. Il est significatif qu’il ait fallu inventer le concept de médecine « holistique » pour désigner une approche de la santé prenant en compte – du moins y vise-t-elle – tous les aspects de l’homme. Encore à la fin du XIXe siècle, le Pr Armand Trousseau était connu pour commencer son cours à la faculté de Paris par ces mots : « Messieurs, il n’y a pas de maladies ; il n’y a que des malades ! »

Une semblable formule sonnerait aujourd’hui comme une incongruité face à une médecine qui ne se définit plus comme l’art de guérir mais comme une science, si encombrée de protocoles thérapeutiques et d’analyses biologiques qu’un enseignement positif sur la santé globale semble y avoir disparu.

Dans les sciences physico-chimiques, le progrès des instruments d’observation masque mal le peu de découvertes fondamentales faites depuis un siècle, et l’extrême disproportion entre les complexes modèles mathématiques et leurs résultats pratiques, malgré le coût faramineux d’équipements tel que l’accélérateur de particules du CERN près de Genève4. Certes, se forment à foison des équipes multidisciplinaires, mais la prise de conscience d’une insuffisance des connaissances parcellaires, l’addition mécanique de plusieurs vues tronquées sur les réalités, ne compenseront pas l’oubli que chaque vérité découle nécessairement de la Vérité à l’origine des choses. Que des athées se satisfassent d’une telle science subjective5, élaborée par l’homme seul guidé par ses préoccupations individuelles, est dommageable mais compréhensible : il est logique de chercher à comprendre sans Dieu un monde dont on pense qu’il s’est fait sans Dieu. Mais que des esprits religieux adhèrent à une telle vision de la science, et donc du monde, signale un grave désordre intellectuel.

En effet, écrit Brunner : « À quoi servirait de poser l’existence de Dieu pour cultiver ensuite une science et un art fondés sans référence à Dieu, sur des préoccupations individuelles ? En quoi cette attitude différerait-elle de celle de l’athée qui conçoit du même point de vue scientifique et tout humain une vie intellectuelle où Dieu est absent ? Quel bénéfice enfin veut-on tirer de l’affirmation de l’existence de Dieu si on laisse l’univers des sciences, des arts et des techniques se développer selon des critères intrinsèques où n’intervient pas la considération de Dieu ?

On admire les spéculations de la métaphysique, on respecte les pratiques de la religion, mais quand il s’agit de connaissance et d’action, on se contente d’une règle autonome de vérité et tout se passe comme si Dieu n’existait pas. En vérité, la méditation de l’existence de Dieu nous invite à chercher une science du monde qui ne soit pas seulement un rapport entre les choses et nous, mais aussi l’explicitation de la relation des choses avec Dieu. Cette science du monde, indissociable de la science de Dieu, est essentiellement la connaissance des êtres dans leur nature dernière, leur origine et leur fin.

[…] Voici une assemblée de théologiens dont l’objet est de traiter d’une question touchant la connaissance du monde. Elle s’ouvre par l’aveu de l’existence et de la réalité de Dieu. Puis, quand elle en vient au problème posé, elle ne traite plus que des modes rationnels et expérimentaux d’une science constituée du point de vue de l’individu ; la connaissance de Dieu semble oubliée et une cloison la sépare de la connaissance du monde. Certes, ce mur est très légitime si l’on veut préserver la connaissance de Dieu des spéculations sur le monde dont l’individu est le centre. Mais ne vaudrait-il pas mieux consacrer l’effort de la pensée à découvrir la relation du monde avec Dieu, de manière qu’entre la connaissance de Dieu et celle du monde il n’y ait pas de coupure? La connaissance du principe du monde ne suffit-elle pas à nous donner celle de l’être du monde ? Vous dites que nous ne pouvons atteindre la connaissance de Dieu. Je réponds qu’il faut d’abord y consacrer toute la pensée et que c’est une étrange manière de préserver la science divine que d’admettre que la réflexion peut s’exercer sans avoir égard à elle.

Or, c’est bien le fait de la science moderne dont l’essence n’implique pas la considération de Dieu, mais la simple recherche expérimentale de proche en proche et la prévision calculable envisagée pour elle-même. C’est le fait aussi de l’art d’aujourd’hui fondé sur les impressions subjectives des individus. C’est le fait de l’économie actuelle qui relève des besoins purement matériels, développés sans tenir compte de la fin de l’homme. […] On ne considère plus ce que signifie l’affirmation de Dieu pour la pensée ; on oublie qu’étant la raison de toutes choses, Dieu est le suprême connaissable et que c’est en Lui que nous avons à connaître le monde puisque le monde vient de Lui.

Nous Le déclarons inconnaissable en soi pour vaquer à nos préoccupations propres et c’est en elles que nous prétendons Le connaître.

Le connaître, ce n’est pas sonder son infinité, car cela ne se peut, c’est se mettre en présence de Lui seul. En Lui est la source de toute science et de tout art qui n’usurpent point les noms de vérité et de beauté, de sorte que, du haut en bas de l’échelle des pensées et des êtres, il n’y ait qu’une seule vérité et qu’une seule beauté. Pour que l’affirmation de l’existence de Dieu reçoive la plénitude de son sens et pour qu’elle influe sur nos pensées et nos actes, il faut donc reconnaître que s’Il est la vérité, nous ne pouvons rien connaître de la vérité avant de connaître Dieu.

Si Dieu existe, la réflexion nous contraint d’admettre qu’il ne peut y avoir une pensée ou un geste qu’Il ne commande. Notre devoir est alors d’enraciner la pensée en Lui et de ne rien connaître qui ne procède de la connaissance que nous avons de Lui, d’affirmer la vérité absolue pour que toute autre vérité en dépende, et l’être absolu pour y rattacher notre être. Ainsi nous serons d’accord avec nous-mêmes et nous éviterons l’erreur de ceux qui affirment l’existence de Dieu et s’en détournent ensuite pour fonder une connaissance sans Dieu ; qui déclarent que la connaissance de Dieu est impossible pour rendre possible une connaissance sans Dieu.

Si j’affirme consciemment que Dieu existe et qu’en Lui sont la vérité et l’être, je ne puis apprendre nulle part ailleurs qu’en Lui ce que sont la vérité et l’être. De la plénitude de la connaissance en Lui, je descendrai alors par voie d’application aux différents domaines du connaissable. Le rapport qui m’unira à Dieu sera pur de toute équivoque et je pourrai dire à bon droit que je participe de la perfection de Dieu6. »

Or ce sont aujourd’hui les autorités chargées de rappeler aux hommes la réalité de Dieu, sa présence et son activité urbi et orbi,qui ont renoncé à cette nécessaire interpénétration des vérités de tous ordres.

Ainsi, en Documents Épiscopat numéro sept, commis en 2007, est-il affirmé sans émoi perceptible : « La science est nécessairement matérialiste »7 !

Certes, on n’insère pas le mot Dieu dans une équation mathématique, mais cette formulation revient à concéder aux athées que la science leur appartient, qu’une connaissance vraie du monde est possible en oubliant le principe qui en assure la cohérence. Le 18 novembre 2017, l’assemblée plénière du Conseil pontifical de la culture, toujours présidé par le cardinal Ravasi, approuvait une pétition adressée quelques jours plus tard au Pape en vue de lever le monitum de 1962 contre Teilhard de Chardin. Le communiqué stipule notamment : « Nous considérons qu’un tel acte non seulement réhabiliterait l’effort sincère du pieux jésuite8 dans sa tentative deréconcilier la vision scientifique de l’universavec l’eschatologie chrétienne, mais représenterait également une formidable stimulation, pour tous les théologiens et les scientifiques de bonne volonté, à collaborer dans la construction d’un modèle anthropologique chrétien qui, en suivant les indications de l’encyclique Laudato Si’, s’inscrit naturellement dans la merveilleuse trame du cosmos9. »

Si cette « vision scientifique de l’univers » évoquée par le communiqué, nécessite une ultérieure « réconciliation avec l’eschatologie chrétienne », c’est bien qu’elle s’est élaborée en dehors et à l’écart de la Révélation. Mais alors, peut-il s’agir d’une authentique vision scientifique du monde ? Ne serait-ce pas plutôt une vision « scientiste » du monde10, regardant les modestes acquis partiels des différentes disciplines de la science comme les soubassements fermes d’une compréhension vraie de l’univers ?

Or, écrit Brunner, « si Dieu existe, la vérité des pensées et des actes doit être tout entière puisée en Lui, de sorte que ce soit Dieu Lui-même que nous retrouvions dans l’action, la science et l’art, plutôt que le contentement individuel ou l’efficacité extérieure. Tout compromis, qui est un reniement de la fin de la pensée, est affligé d’instabilité. Si l’on admet par exemple l’essence autonome de la pure technique, c’est que Dieu ne suffit pas, que son autorité pour nous ne va pas jusque-là ; dans ces conditions, il n’y a pas de limites au développement de la technique et à la séduction de l’intelligence. Même si la métaphysique ou la religion demeure pour rappeler aux esprits distraits que Dieu est le centre immobile de toutes choses, leur divertissement les empêche de comprendre le sens de cet enseignement.

Ils rendent hommage à la connaissance de Dieu, mais sans y pénétrer et sans qu’elle informe leur pensée. Ils avouent que tout est en Dieu, mais ils se tournent encore d’un autre côté pour trouver dans l’accord de l’individu avec lui-même un type autonome d’intelligibilité. Le consentement les rattache à la métaphysique et à la religion, mais nullement l’âme tout entière, et leur science et leur art sont ceux que cultive l’athée. Ils sont donc incapables de défendre la science de Dieu contre l’erreur et de lui redonner l’autorité qui lui manque. Ils tissent devant eux, de leur propre pensée, le voile qui leur cache Dieu.

[…] Sans doute, Dieu étant la pensée suprême, toute pensée formée par nous sans référence à Lui est encore Lui. Mais elle l’est à notre insu et d’une manière cachée. Elle ne laisse donc pas d’être autre que Lui et semblable à nous. En la nommant vérité, nous divinisons ce qui n’est pas Dieu et ce que nous sommes. Ne diviniser que Dieu, c’est ne chercher la vérité qu’en Lui11. »

La vision du monde proposé par le cardinal Ravasi comme étant la pointe ultime de la pensée contemporaine, n’est en réalité qu’un simulacre : le prélat italien la qualifie de « scientifique » parce qu’elle est partagée par la plupart des académiciens dont il recherche l’approbation.

Mais, à la différence des fondateurs de la science moderne, la plupart des savants spécialisés qui prétendent parler au nom de La science se révèlent d’une indigence étonnante lorsqu’il s’agit de vraiment « penser ». Lorsque Jacques Monod reçu son prix Nobel bien mérité en 1970, l’éditeur obtint de lui l’ouvrage où il exposerait sa vision du monde, d’un monde sans Dieu gouverné (comment ? pourquoi ?) par Le Hasard et la Nécessité (qui sont-ils ?). Profitant d’un passage en France, j’entrai dans une librairie du boulevard Saint-Germain où le livre figurait en vitrine. La lecture de deux pages choisies au hasard me suffit pour décider qu’il serait dérisoire de s’encombrer d’un semblable ouvrage12. Avec de tels savants, il ne s’agit pas de vision « scientifique » du monde, mais bien d’une vision scientiste, usurpant le nom de science alors qu’il ne s’agit pour eux ni de connaître ni de comprendre, mais de justifier des convictions acquises sans lien aucun avec une recherche couronnée par la notoriété.

Au fond, le scientisme se ramène à l’athéisme : il absolutise – et donc divinise – des connaissances dont la valeur, la pérennité et la certitude ne peuvent le mériter. Surtout, il tue la dialectique naturelle de l’intelligence qui devrait s’élever des lois de fonctionnement des choses à la cause de leur existence. En revanche, dans la vision biblique et chrétienne d’un monde créé par une Intelligence infinie, la science trouve immédiatement sa place et son rôle, y compris sous la forme abstraite de théories mathématisées. N’est-il pas écrit au Livre de la Sagesse que Dieu « a tout façonné avec mesure, nombre et poids » (11, 20) ? De plus, Dieu, unique raison d’être de tous les êtres, ne peut se contredire. Nous savons donc d’avance que toutes les découvertes, du moins à la mesure de leur vérité, sont cohérentes entre elles et même s’appellent mutuellement. L’oxydation des corps simples, découverte par Lavoisier, explique aussi lumineusement la combustion du bois que la rouille du fer, deux phénomènes à première vue pourtant bien disparates.

Surtout, l’homme, chez qui la conscience de soi et la pensée forment une authentique image du Créateur, trouve dans ce monde sa place éminente : il ne peut y être « de trop » comme Sartre ou certains écologistes voudraient nous le faire accroire. Loin d’une absurde combinaison de hasard aveugle et de nécessité sans but, l’univers se présente comme un « cosmos » harmonieux dans lequel tout, et spécialement l’être vivant, est minutieusement finalisé, interconnecté et mû selon des rythmes admirablement conçus. Pensons aux rythmes lunisolaires qui régissent non seulement notre calendrier (Gn 1, 14), mais aussi, avec leurs multiples et sous-multiples, nos secrétions glandulaires et même cellulaires13.

La vie et l’œuvre de Matthieu Fontaine Maury (1806-1873) illustrent bien cette fructueuse complémentarité entre la science et la vision biblique du monde. Déjà, ce fondateur de l’océanographie avait été lancé dans sa patiente recherche des grands courants marins en lisant le verset 9 du psaume 8, bel exemple de contribution à la connaissance apportée par le texte même de la Bible. Ensuite, les concepts de finalité et d’harmonie dans la nature, découlant immédiatement de la Création par une Intelligence supérieure, dominent clairement sa pensée, lui donnent une ampleur aujourd’hui bien rare et lui permirent de contribuer à la météorologie comme aux diverses branches de l’océanographie. Il écrit : « En observant le fonctionnement et en étudiant les fonctions des différentes parties de la machinerie maintenant le monde en ordre, nous devrions toujours nous rappeler que tout a été fait pour son objectif, qu’il a été conçu selon un projet et organisé pour faire du monde tel que nous le voyons un endroit habitable par l’homme. Aucune autre hypothèse ne permet au chercheur d’acquérir une connaissance utile des propriétés physiques de la mer, de la terre et de l’air14. »

Enfin, de telles découvertes ont exalté sa vie religieuse personnelle et celle de nombre de ses lecteurs. Le capitaine Phinney, commandant la Gertrude, écrivait à Maury en 1855 : « …Je suis heureux d’apporter ma contribution en vous fournissant des informations pour perfectionner votre grand et splendide travail, non seulement en montrant les routes océaniques les plus rapides pour les navires, mais encore en nous enseignant à nous, marins, à regarder autour de nous et à voir les merveilleuses manifestations de la sagesse et de la bonté de Dieu qui nous entourent en permanence. En ce qui me concerne, je puis bien avouer que pendant de nombreuses années j’ai commandé un bateau et, sans avoir jamais été insensible aux beautés de la nature en mer ou sur terre, je sens pourtant que, jusqu’à ce que j’eusse abordé votre œuvre, je parcourais les océans les yeux bandés. Je ne pensais pas; je ne connaissais pas les desseins étonnants et magnifiques de toutes les œuvres de Celui que vous appelez si admirablement « la Grande Première Pensée« . J’estime qu’en dehors de tout le profit pécuniaire tiré de vos travaux, vous m’avez fait du bien en tant qu’homme. Vous m’avez appris à regarder au-dessus, autour et au-dessous de moi et à reconnaître la main de Dieu dans chaque élément qui m’entoure. Je vous suis reconnaissant pour ce bienfait personnel15. »

Pendant la guerre civile, lors d’un discours pour la pose de la première pierre de l’Université du Sud, Maury s’exclamait :

« Moi-même, pionnier dans un compartiment de cette magnifique science, lorsque je découvre les vérités de la Révélation et les vérités de la science s’éclairant mutuellement, comment pourrai-je, comme amoureux de la vérité et chercheur de savoir, manquer d’en souligner la beauté et de me réjouir de cette découverte ?

La réticence en pareil cas serait un péché et si je voulais étouffer l’émotion avec laquelle de telles découvertes devraient saisir l’âme, les « vagues de la mer élèveraient leur voix«  et les pierres de la terre crieraient contre moi16. »

Non, la vision biblique du monde n’est pas ce simple « supplément d’âme » que les Ravasi et leurs émules voudraient surajouter artificiellement à un édifice élaboré sans Dieu. C’est l’exact contraire : ce sont les sciences qui, à proportion de leur vérité, s’insèrent tout naturellement dans notre vision d’un univers que le Créateur a conçu pour nous, pour qu’en l’explorant nous cheminions vers Lui de cette façon aussi. Selon le mot du pape Pie XII lors de la canonisation de son prédécesseur saint Pie X, acceptons la foi en la vérité biblique comme « un hommage raisonnable » rendu à Dieu et à sa Révélation : « Coordonnant ainsi Foi et Science, la Foi comme extension surnaturelle, et parfois même confirmation de la Science, et la Science comme voie introductive à la Foi, [saint Pie X] restitua à l’homme chrétien l’unité et la paix de l’esprit, qui sont des prémisses imprescriptibles de vie17. »


1R. DESCARTES, Lettre du 15 avril 1630 au père Mersenne, in Œuvres par S. de SACY et G. RODIS-LEWIS, Paris, Club Français du Livre, 1966, t. Ier, p. 264.

2 F. BRUNNER, Science et Réalité, Paris, Aubier-Montaigne, 1954, p. 164 : passage intégral repris dans Le Cep n°11, avril 2000, p.8.

3 Il est certain que les Anciens et les hommes antédiluviens avaient des connaissances théoriques et pratiques que nous ne possédons plus, mais c’est là une terra incognita sur laquelle nous ne chercherons pas à spéculer.

4 Plus de 4 milliards d’euros !

5 Il serait plus exact de dire « intersubjective », puisque c’est le consensus momentané entre plusieurs subjectivités qui forme alors l’objectivité.

6 Ibid., p. 10-12. 

7« Le créationnisme, entre convictions religieuses et données scientifiques », avec Jean-Michel MALDAMÉ o.p., François EUVÉ s.j. et Maurice VIDAL pss, in Documents Épiscopat n° 7, 2007, p. 10. Cf. « La matière n’existe pas », in Le Cep n°66, janvier 2014, p. 3.

8 Ce n’est pas ici le lieu de commenter cette proposition dont chaque mot appellerait des commentaires. Cf. « Le teilhardisme, une “religion de l’Évolution” », Le Cep n°32, p. 1.

9 Correspondance Européenne, n°344, 2017.

10 Wolfgang SMITH (Interview with), Unmasking the faces of Antichrist, Triumph Communications, 2017, p. 21.

11 F. BRUNNER, op. cit., in Le Cep n°11, p. 13.

12Aujourd’hui je l’aurais acheté à titre de munitions, de réservoir inépuisable de citations montrant les carences de pensée chez un esprit, par ailleurs, d’une grande intelligence spécialisée.

13 Dr Laurence DEJARDIN, « Les rythmes circaseptains », Le Cep n°71, p. 86.

14 Matthieu F. MAURY, The physical Geography of the Sea and its Meteorology (1855), édit. John Leighly, Massachusetts, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1963, p. 114. Sur la vie et l’œuvre de Matthieu F. Maury, se reporter à John T. MEYER, « Vie et philosophie de Matthieu Fontaine Maury, pionnier de la mer », trad. in Le Cep n° 24 & 25, juillet & octobre 2003, p. 32 & 27.

15 In Memoriam : Matthew Fontaine Maury, LL.D. 1873. Actes de l’Academic Board de l’Institut militaire de Virginie, Lexington, Va. À l’occasion de la mort du Commodore M. F. Maury, LL.D. Pr de physique à l’Inst. milit. de Virginie, p. 21-22, trad. in Le Cep n°25, p. 49.

16 Discours de Matthieu F. MAURY lors de la pose de la première pierre de l’Université du Sud, à Sewanee Mountain dans le Tennessee Est. Cf. l’ouvrage A Life of Matthew Fontaine Maury, USN & CSN, compilé par sa fille Diane FONTAINE MAURY, Sampson & Low & Co, 1888, cité par CORBIN ; trad. in Le Cep n° 25, p. 33.

17 PIE XII, « Allocution prononcée le 29 mai 1954 lors de la canonisation de saint Pie X », AAS, Ann. XXXXVI, sér. II, vol. XXI, 310-311 (traduction J. B.)

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