L’argent fictif peut sauver un tissu social malade

Par Georges Lardeau

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Résumé : Georges Lardeau, l’un des initiateur du système des bons d’échange à Lignières-en-Berry, livre son témoignage et expose les raisons qui ont conduit la municipalité à stopper l’expérience.

        J’ai participé à l’expérience de Lignières-en-Berry qui a eu lieu dans les années 50. Je suis un dinosaure – ou un précurseur – sans doute les deux. Cette expérience était fondée sur la monnaie franche, d’après les données de Gesell, et elle a fonctionné d’une façon extraordinaire. Pourquoi l’avons-nous faite ? Parce que le pays se cassait la figure. On a d’abord fait des essais qui avaient le même défaut que la monnaie actuelle, ils étaient thésaurisables. Et nous avons rencontré un homme extraordinaire, qui avait documenté Sylvio Gesell pour son livre : « L’ordre économique naturel« .

         Au départ, on se demandait si c’était un fou. Mais dans la discussion, on s’est aperçu que c’était un vrai génie. Il nous a appris la technique exacte. Ce qu’il faut en retenir, c’est que la monnaie est à l’économie ce que le sang est au corps humain : plus la monnaie circule, mieux marche l’économie. C’est la même chose pour le sang humain : si vous avez trop de sang, ça ne marche pas ; si vous n’en avez pas assez, ça marche pas non plus.

         Il faut donc pénaliser l’inertie et non l’énergie. Notre expérience a duré deux ans et demi, et le gouvernement de Guy Mollet a pris une ordonnance pour tenter de nous arrêter. Mais un juriste très célèbre, de l’Université de Besançon, nous a confirmé que sur le plan juridique, nous étions absolument inattaquables. Nous avons donc continué et nous avons fait des disciples à Marans, en Charente-Maritime. Nous avons aussi téléguidé une expérience à Porto-Allegre, au Brésil qui, malheureusement, n’a pas fonctionné correctement parce que les gens stockaient la monnaie franche au lieu de la faire circuler, à cause d’une dévaluation de plus de 30%.

         La monnaie franche est taxée de 1% une fois par mois ; ce n’est pas grand chose mais avec ce 1% nous avons pu donner 5% d’augmentation à tous les salariés… Ils changeaient leur salaire en bons d’achats. Et on leur donnait 5% de plus au change. Tout le monde était d’accord, sauf les syndicats. Le patron était d’accord : on augmentait ses ouvriers, sans rien lui demander. C’est par la rotation, la circulation de la monnaie, que ça fonctionnait. On pourrait penser que 1% par mois, ça fait 12 % par an… Dans la réalité, ce n’est pas vrai : ne paie le 1% que celui qui ne veut pas être coopératif, parce que s’il fait travailler quelqu’un d’autre avec ce billet, ce n’est pas lui qui paiera les 1%.

         Ca marche très bien. Les gens qui ne voulaient pas avoir une pénalité se dépêchaient d’aller dépenser leur argent. Ainsi, ils faisaient travailler les autres et ceux-ci, ne voulant pas payer leurs pénalités, en faisaient travailler d’autres encore… Et le dernier, celui qui arrivait en bout de chaîne, même s’il payait 1% ce n’était pas très grave. Si vous employez une carte de crédit, ça vous coûte plus cher que ça !

         Nous avons eu, sur plainte de la Banque de France, une intervention musclée de la brigade spéciales des finances. Ils pensaient nous emmener avec les menottes aux poignets, mais tous les soirs, on leur offrait l’apéritif qu’on payait avec la monnaie franche. Ils n’ont rien trouvé – nos comptes étaient affichés tous les jours et on savait exactement où on allait. De nombreux économistes constataient que la recette miracle marchait bien, les commerçants avaient doublé leur chiffre d’affaire, les paysans vendaient leurs marchandises, les ouvriers étaient augmentés. Ils voulaient connaître le secret de notre miracle.

         Notre ami Soriano, qui nous avait initiés, nous avait donné une réponse toute faite : « tu ne sais pas, tu payes. » C’est-à-dire : s’il y a quelque chose que vous ne savez pas faire, eh bien, vous payez pour ça. Et c’est normal. Notre devise était :  « enrichir les pauvres sans appauvrir les riches« .

         Nous avons eu aussi des ennemis précieux. Le Parti Communiste, plus ou moins en accord avec le Parti Socialiste,  avait donné ordre à tous ses membres de déchirer les bons d’achats qui leur tombaient sous la main. Alors chaque fois que nous émettions de l’argent, nous déposions une somme équivalente à la banque, sur un compte rémunéré, bien sûr, ce qui nous permettait de donner l’augmentation et de doter nos mariés ! Nos amis communistes déchiraient donc les bons d’achat, mais comme on avait la contrepartie, ils nous libéraient en même temps la même somme à la banque. Chez nous, on avait l’air malheureux  parce qu’on disait : « Quel dommage, on veut faire quelque chose qui marche bien, puis voilà ce que vous faites !… » Nous prenions un air navré mais, au fond de nous-mêmes, on rigolait.

         En fait, l’expérience s’est arrêtée parce que ça marchait trop bien. Le gouvernement n’a pas voulu nous transformer en victimes – on aurait été encore plus dangereux. Il a fait pression sur les consommateurs ; les ouvriers risquaient d’être licenciés et les commerçants d’avoir des contrôles fiscaux. Tous étaient désolés mais disaient qu’ils ne pouvaient continuer parce qu’ils ne voulaient pas de contrôle fiscal ni être licenciés. Nous avons alors pris la décision d’arrêter. Il faut quand même rappeler que la monnaie, c’est une création de l’homme, ce n’est pas quelque chose qui pousse toute seule ; c’est une création de l’homme, avec tous ses défauts.

DIVERS

Sur les traces de Sainte Hildegarde

        La clôture prématurée de l’exposition de Mayence a rendu caduc notre projet pour le début de septembre et la tentative de rapprocher le voyage d’un mois s’est heurtée à l’indisponibilité de la plupart des personnes intéressées, soit pour partir, soit pour être prévenues.

        Nous nous sommes donc rendus en petit groupe à Mayence où l’exposition, exceptionnelle, valait à elle seule le déplacement, par le nombre et la qualité des objets exposés et leur présentation remarquablement bien faite.

        Ceux de nos amis qui passeront un jour dans cette belle région du Palatinat Rhénan auront à cœur d’esquisser un parcours du souvenir de Sainte Hildegarde, dans les vignobles et la campagne boisée, notamment par les sites de :

– Bermersheim, village natal et lieu de baptême,

– Disibodenberg, ruines imposantes et serines du couvent de ses 37 premières années religieuses,

– Bingen, où il ne reste rien du monastère de Rupertsberg, fondé par elle, lieu de sa mort,

– Eibingen, où sa dernière fondation revit dans une abbaye du XIXè siècle où les moniales cultivent toujours la vigne, au-dessus du bourg de

– Rüdesheim (sur Rhin) où se trouve l’imposante chasse de ses reliques en face de

– Rochuskappelle (La Chapelle de St Roch) où un autel à beau retable lui est dédié.

        Un catalogue de l’exposition présente par photo l’intégralité des objets et des textes d’accompagnement dans une édition superbe. En allemand seulement.

Editeur : Verlag Philipp Von Zabern

(Postfach  190930.D – 80609 München, Coût : 78 DM + Port)

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