Les dinosaures dans les chroniques anglo-saxonnes (2ème partie)

Par Bill Cooper

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« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »
(Marcel François)

Résumé : Le poème épique de Beowulf est le plus célèbre de ces anciens récits qui narrent les combats de l’homme contre les dinosaures. Mais les commentateurs modernes sont paralysés devant cette perspective et récusent une telle lecture littérale. Ils présentent le monstre Grendel, tué par Beowulf, comme un “troll” (génie malfaisant) ou un être imaginaire personnifiant le mal. Ces lectures allégoriques méconnaissent la nature, le style et le langage du poème. Le héros a bien sa place dans la généalogie des rois saxons, et les événements de sa vie sont connus à l’année près. Tous ces faits nous conduisent à affirmer l’historicité du poème de Beowulf, même si elle est incompatible avec les préjugés des modernes à l’égard de nos ancêtres.

Beowulf : L’histoire

Le poème de Beowulf ne subsiste que dans un seul manuscrit datant de l’an 1000 environ. Les critiques modernes pensent souvent que ce manuscrit (British Museum.Cotton.Vitellius A.XV) est la copie d’un original anglo-saxon du milieu du 8ème siècle. Cet original à son tour est décrit comme un poème essentiellement chrétien. Cependant cette affirmation répétée de l’origine supposée chrétienne du poème ne tient visiblement pas compte des faits suivants.

Premièrement, on ne trouve pas la moindre allusion, dans le poème, à un événement, un personnage ou un enseignement du Nouveau Testament. Il y a des allusions précises à certains faits et personnages de l’Ancien Testament, à savoir  Dieu,  la création,  Abel et Caïn, mais ce sont là les mêmes allusions historiques que l’on trouve dans les autres généalogies et récits anglo-saxons pré-chrétiens.

Comme ces récits, tout en montrant une nette réminiscence de certains événements et personnages apparaissant aussi dans le récit de la Genèse, le poème est manifestement antérieur à toute connaissance du christianisme proprement dit chez les Anglo-Saxons.

Ceci étant, il n’est guère surprenant de découvrir que les sentiments du poème sont fortement païens : exaltation des vertus très contestables de la vengeance, accumulation de pillages, célébration de la force et de la prouesse humaine et confiance en elles.

Des allusions sont également faites à des serments, des sacrifices, des sentiments et des rites d’enterrement incontestablement païens. Aucun sentiment véritablement chrétien ne s’exprime dans ses 3182 vers.

Nulle part dans le poème ne se trouve la moindre référence aux Iles Britanniques ni à un roi ou événement historique britannique (ou anglais). Tout simplement parce que Beowulf est antérieur à la migration des Saxons dans ces îles. Et comment comprendre le passage suivant ? [Lignes 1957 – 1961 dans la langue primitive, non reproduites ici]

Alexander [éditeur moderne de Beowulf] le traduit ainsi:

« Ainsi était cet Offa (roi des Angles continentaux), brave avec sa lance, célèbre à l’étranger à cause de ses guerres et de ses dons; il gouverna avec sagesse la terre de sa naissance. Il eut pour fils Eomer, compagnon des héros… »

Le Offa mentionné ici était l’ancêtre (d’avant la migration) de son homonyme du 8ème  siècle, le roi Offa de Mercia (757 – 796) que nous trouvons dans les généalogies saxonnes primitives. Nous rencontrons Eomer dans les mêmes généalogies sous le nom de Eomaer (à strictement parler, le petit-fils et non pas le fils d’Offa). Ces anciennes généalogies étaient manifestement fraîches dans la mémoire de l’auteur de Beowulf, ce qui nous renseigne sur l’époque de composition du poème.

D’autre part, il n’y a pas de flagornerie dédicatoire du poème à quelque roi anglo-saxon chrétien, pas même au roi Offa dont l’ancêtre est immortalisé dans le poème et sous les auspices duquel, selon quelques érudits modernes, serait écrit le poème.

D’autres érudits optent pour une date plus récente encore du poème ; pourtant les personnages peuvent être historiquement datés de la fin du 5ème et du début du 6ème siècles, soit bien des années avant l’adoption du christianisme par les Saxons. Bref, le poème appartient nettement à l’époque païenne dont il traite.

Beowulf, le personnage en l’honneur de qui le poème fut écrit, était fils de Ecgtheow et naquit en 495. A l’âge de sept ans, en 502 il fut amené à la cour de Hrethel, son grand-père maternel (445 – 503) alors roi des Geatingas, une tribu habitant le sud de la Suède (et dont le fondateur éponyme, Geat, apparaît également dans les généalogies anciennes).

Après une jeunesse peu prometteuse et frivole, années pendant lesquelles eurent lieu les guerres entre les Geatingas et les Suédois, notamment la bataille de Ravenswood (Hrefnawudu) en 510, Beowulf entreprit son célèbre voyage au Danemark, pour rendre visite à Hrothgar, roi des Danois. Ceci se passait en 515, vingtième année de Beowulf. Ce fut aussi l’année de la mise à mort du monstre Grendel, que nous étudierons bientôt.

Six ans plus tard, en 521, le roi Hygelac, oncle de Beowulf, était assassiné.

On sait que Hygelac a vécu de  475 à 521, étant monté sur le trône des Geatingas en 503, année de la mort de son père Hrethel. Il est mentionné dans L’Histoire des Francs de Grégoire de Tours sous le nom de Chlochilaichus. Là et dans d’autres sources latino-franques, il est décrit comme un roi danois (Chogilaicus Danorum rex) et non pas comme un Geat, mais la même erreur est commise par nos propres chroniqueurs anglais lorsqu’ils incluent les Vikings norvégiens sous le nom générique de « Danois ». Le Liber monstrorum, cependant, fait correctement allusion à lui comme roi des Geat (Rex Getarum). Saxo le mentionne aussi comme le Hugletus qui écrasa le chef suédois Homothus. Homothus, à son tour, est le même que l’Eanmund décrit ligne 2612 du poème de Beowulf.

A la mort d’Hygelac, Beowulf déclina l’offre de succéder à son oncle sur le trône des Geatingas, préférant le rôle de tuteur du prince Heardred, le fils d’Hygelac, pendant sa minorité. Heardred vécut de 511 à 533.

Il était donc dans sa dixième année lorsqu’il devint roi. Heardred fut tué par les Suédois en 533 (il avait donné refuge aux neveux du roi de Suède Onela) et ce fut cette année là que Beowulf prit les rênes du royaume. Beowulf régna sur son peuple en paix pendant cinquante ans, mourant à l’âge de 88 ans en 583. Les circonstances de sa mort sont cependant particulièrement significatives pour notre étude, comme nous le verrons.

Beowulf et les dinosaures

Nous devons d’abord chasser une idée fausse qui a embrouillé les études dans ce domaine depuis des années.

Depuis la « redécouverte » du poème au début du 18ème siècle, les savants ont voulu, dans leurs traductions du poème, assimiler les monstres à des « trolls ». Le monstre Grendel aurait été un troll et la femelle plus âgée, que les Danois prenaient pour sa mère, est pareillement appelée une femme-troll.

Le mot « troll » est d’origine nordique ; dans les contes de fées de l’Europe du Nord il désigne un nain ressemblant à un homme, malfaisant et chevelu, qui substitue des enfants-troll aux enfants d’hommes au milieu de la nuit. Mais les trolls sont parfois décrits comme des géants malfaisants et hirsutes dont certains vivent sous les ponts ou dans les caves.

Or le mot « troll » est entièrement absent du texte original anglo-saxon de Beowulf ! Le poème est plein d’expressions que nous appellerions des termes zoologiques se référant à toutes sortes de créatures. Mais aucune d’elles n’a rien à voir avec des nains, des géants, des trolls ou des fées, malfaisants ou non. Et puisque nous sommes sur le sujet, le monstre Grendel fit sa proie des Danois pendant douze longues années (503-515). Allons-nous sérieusement croire que ces Vikings danois, dont les sauvages guerriers frappaient d’une telle crainte les coeurs de leurs voisins, furent pendant 12 ans rendus impuissants par la peur d’un nain chevelu ou même d’un géant ? Car c’est cela que certaines traductions fautives voudraient nous faire croire.

A l’époque de la mise à mort du monstre Grendel, en 515, Beowulf lui-même était déjà devenu un chasseur de dinosaures confirmé. Il était célèbre chez les Danois, à la cour de Hrothgar, pour avoir débarrassé les chenaux locaux d’animaux monstrueux dont la nature prédatrice rendait la vie hasardeuse sur les bateaux sans pont des Vikings. Heureusement le poème anglo-saxon, écrit pour célébrer son héroïsme, nous a conservé non seulement la description physique de quelques uns des monstres rencontrés par Beowulf, mais même les noms sous lesquels certaines espèces de dinosaures étaient connues des Saxons et des Danois.

Cependant, pour comprendre exactement ce que nous lisons quand on examine ces noms, nous devons observer la nature de la langue anglo-saxonne.

Les Anglo-Saxons (comme les Allemands et les Hollandais) avaient une méthode très simple pour construire les mots ; et leurs mots pour les objets courants peuvent paraître amusants à nos oreilles. Un corps, par exemple, était simplement une « maison d’os » (banhaus) et une articulation une « serrure d’os » (banloca).

Lorsque Beowulf parle à son interrogateur danois, on dit très littéralement qu’il a « débloqué son stock de mots » (wordhord onleoc). Le nom lui-même de Beowulf signifie ours et il est construit de la façon suivante. « Beo » est le mot saxon pour abeille et Beowulf signifie littéralement abeille-loup. La tête de l’ours ressemble à celle d’un chien et pour ceux qui l’observaient à distance respectueuse il semblait manger les abeilles lorsqu’il faisait un raid sur leurs ruches pour le miel. Alors ils appelèrent simplement l’ours un « abeille-loup ». De même le soleil s’appelait woruldcandel , soit « monde-chandelle ». C’était donc une langue très terre à terre mais en même temps très poétique, ayant un fort pouvoir descriptif dépourvu d’ambiguïté.

Le massacre de Grendel est évidemment la plus fameuse des rencontres de Beowulf avec les monstres et nous examinerons attentivement la description physique de l’animal telle qu’elle est donnée dans l’épopée. Mais dans le repaire de Grendel, un grand lac marécageux, vivaient d’autres espèces de reptiles désignées collectivement par les Saxons sous le nom de wyrmcynnes, littéralement espèce de ver, une race de monstres et de serpents.

Beowulf et ses hommes les rencontrèrent lorsqu’ils poursuivirent la femelle de Grendel jusque dans son repaire, après qu’elle eût tué et dévoré le ministre du roi Hrothgar, Asshere. La tête à moitié dévorée du malheureux fut trouvée au sommet de la falaise surplombant le lac.

Parmi ces créatures, il y en avait que les Saxons et Danois appelaient saedracan (dragon marin) et on pouvait les voir du haut de la falaise plongeant soudain dans les eaux profondes du lac. Peut-être percevaient-ils l’arrivée des humains. D’autres créatures reposaient au soleil lorsque les hommes de Beowulf les découvrirent, mais au son de la corne de guerre, elles se précipitèrent vers l’eau et se glissèrent sous les vagues.

Ces autres créatures comprenaient une espèce connue des Saxons comme le nicor (au pluriel : niceras), et ce mot a des connotations importantes pour notre étude dans la mesure où il devint plus tard knucker, mot du moyen-anglais désignant un monstre ou un dragon marin. Le monstre de Lyminster dans le Sussex était un « knucker« , tout comme plusieurs des autres dinosaures signalés dans cette région.

L’étang dans lequel vivait le dragon de Lyminster s’appelle encore aujourd’hui le Trou du Knucker. Les îles Orcades, dont les habitants, c’est significatif, sont des Vikings et non des Ecossais, ont eux aussi leur Nuckelavee, ainsi que les habitants des îles Shetland. Sur l’île de Man, ils ont un Nykir.

Parmi les animaux généralement appelés wyrmas (serpents) et wildeor (bêtes sauvages) vivant dans le lac, il y en avait un en particulier appelé ythgewinnes. Intrigué par lui, Beowulf lui décocha une flèche et l’animal fut alors harponné par ses hommes utilisant un eoferspreotum (« épieu modifié »). Une fois le monstre mort, Beowulf et ses hommes sortirent le ythgewinnes de l’eau et étendirent son corps pour l’examiner. Ils avaient, après tout, une sorte d’intérêt professionnel pour les animaux qu’ils combattaient. Cependant, parmi les monstrueux reptiles qu’ils avaient rencontrés dans le lac, on disait que certains faisaient une sortie en milieu de matinée et provoquaient des ravages parmi les bateaux dans les chenaux marins.

Beowulf réussit à nettoyer les voies maritimes entre le Danemark et la Suède de certains monstres marins qu’il appelait merefixa et  niceras. Après cette opération, les carcasses de neuf de ces créatures (niceras nigene – Alexander traduit par erreur nigene par sept) furent étalées sur la plage pour les examiner de plus près, et ce sont ces niceras que l’on retrouve constamment comme figures de proue des bateaux Vikings.

Reptiles volants

Le dernier monstre tué par Beowulf (qui mourut suite à cette rencontre, en 583) était un reptile volant vivant sur un promontoire surplombant la mer à Hronesness, sur la côte sud de la Suède. Les Saxons (et sans doute les Danois) connaissaient les reptiles volants en général qu’ils appelaient lyftfloga (volants dans l’air), mais cette espèce particulière de reptile volant, celle de Hronesness, ils l’appelaient widfloga, littéralement « volant très loin », et la description qu’ils nous en ont laissée correspond à celle d’un Ptéranodon géant. Les Saxons ont aussi décrit cette créature comme un ligdraca , ou « dragon-feu », ayant 15 m de long (ou peut-être d’envergure ?) et environ 300 ans d’âge. Le grand âge est un trait commun, même chez les reptiles contemporains non-géants.

Ce qui est particulièrement intéressant pour nous, le nom de widfloga aurait distingué cette espèce particulière de reptile volant d’une autre semblable mais capable seulement de vols courts, que les paléontologues modernes appellent le Ptérodactyle.

Mais qu’en est-il du fameux monstre qui fut certainement le plus féroce de tous les dinosaures rencontrés par Beowulf ?

Grendel

On pense à tort que le nom de Grendel était le nom propre par lequel les Danois désignaient cet animal particulier. De même qu’on appelle son cheval Dobbin ou son chien Fido, ce monstre, croit-on, s’appelait Grendel. En réalité, Grendel est le nom que nos ancêtres donnèrent à une espèce particulière de reptiles géants.

En 931 le roi Athelstan de Wessex accorda une charte dans laquelle un certain lac dans le Wiltshire (Angleterre) est appelé (comme au Danemark) « lac aux grendels » [grendles mere]. D’autres lieux, mentionnés dans les vieilles chartes, Grindles bec et Grendeles pyt  par exemple, étaient ou avaient été également des lieux de résidence de cette espèce particulière d’animal. Grindelwald, littéralement « forêt de Grendel » en Suisse, est un autre de ces endroits. Mais d’où le nom de Grendel vient-il lui-même ? Quelle était son origine et quelle information apporte-t-il ? Plusieurs mots anglo-saxons partagent la même racine que Grendel. En vieil anglais le mot grindan par exemple, d’où dérive notre mot grind  [écraser, broyer], signifiait un destructeur. Mais l’origine la plus vraisemblable du mot est simplement que Grendel est le terme onomatopéique dérivé du norvégien ancien grindill  signifiant un orage ou de grenja  signifiant mugir. Le mot Grendel rappelle fortement le grognement profond émis par un très gros animal pour devenir en moyen-anglais grindel  signifiant en colère.

Pour les malheureux Danois, qui étaient victimes de ses raids, Grendel cependant n’était pas qu’un animal. Pour eux il était semblable à un démon, quelqu’un qui était synnum beswenced  (accablé de péchés). Il était godes ansaca  (ennemi de Dieu), le synscatha  (le malfaisant), wonsaeli  (damné), véritable feond on helle  (démon de l’enfer) !

C’était l’un des grundwyrgen, un de ces monstres meurtriers et maudits dont les Danois disaient qu’ils descendaient de Caïn lui-même. De telles descriptions de la nature de Grendel font comprendre l’angoisse des hommes de cette époque appréhendant  ses raids sur leurs foyers.

Quant à la description physique bien plus intéressante de Grendel, avec ses habitudes et la localisation de ses repaires, elle se présente comme suit. Dans les lignes 1345 – 1355 du poème, Hrothgar donne à Beowulf les renseignements suivants lorsqu’il décrit Grendel et l’un des compagnons du monstre:

« J’ai entendu dire par certains de mes sujets qui habitent la campagne, conseillers de cette cour, qu’ils ont vu une paire de gigantesques errants hantant les marécages, des êtres de l’autre monde.

Et l’un d’eux, pour autant qu’ils aient pu en juger, avait l’apparence d’une femme; mais une forme d’homme, bien que tordue, et suivait aussi le chemin de la retraite, sauf qu’elle était gigantesque, plus que n’importe quel être humain. Les gens de la campagne l’appellent depuis longtemps du nom de Grendel… »

Dans ce passage les mots clés dont nous tirons une information importante sur l’aspect physique de Grendel sont « avait l’apparence d’une femme » et « une forme d’homme« . Les Danois qui avaient vu les monstres croyaient que la femelle était la plus âgée des deux et qu’elle étaient la mère de Grendel. Mais que nous disent de si important les termes de la description ? Simplement ceci: que la femelle avait l’apparence d’une femme et que le mâle ressemblait à un homme. En d’autres mots ils étaient tous deux bipèdes, mais plus grands que n’importe quel humain.

Un autre détail important est ajouté ailleurs dans le poème à propos de l’apparence de Grendel lorsque le monstre attaqua les Danois pour ce qui devait être la dernière fois. Aux lignes 815 – 818 où l’on nous raconte en détail comment Beowulf infligea une blessure fatale au monstre (Beowulf tint le monstre par une clé au bras qu’il tordit ensuite: ligne 964), on trouve l’information suivante:

« Une douleur brûlante s’empara du monstre terrifiant lorsqu’une blessure béante apparut sur son épaule. Les tendons claquèrent et l’articulation du bras éclata en deux« .

Pendant 12 ans les Danois avaient essayé de tuer Grendel avec des armes conventionnelles: couteaux, épées, flèches et le reste. Mais sa peau impénétrable les avait toutes défiées et Grendel pouvait attaquer les Danois en toute impunité. Considérant cela, Beowulf décida que la seule façon d’attaquer le monstre était de l’empoigner en combat rapproché.

Les membres antérieurs du monstre, que les Saxons appellent eorms  (bras), et que certains traduisent par pattes, étaient petits et relativement malingres. Ils étaient le point faible du monstre et Beowulf s’y attaqua directement. Beowulf était déjà célèbre pour sa prodigieuse force de poignet et il l’utilisa pour littéralement arracher l’un des petits bras de Grendel.

Grendel est cependant décrit, ligne 2079 du poème, comme un muthbona , quelqu’un qui tue avec sa bouche ou ses mâchoires et la rapidité avec laquelle il pouvait dévorer sa proie humaine nous donne une idée de la taille de ses mâchoires et de ses dents. Pourtant c’est la taille même des mâchoires de Grendel qui a permis à Beowulf d’attaquer les membres antérieurs car, en se précipitant sur la poitrine de l’animal entre ses bras il se plaçait sous ces mâchoires à l’abri des terribles dents de Grendel. On nous raconte que dès que Beowulf eût saisi les pattes du monstre (et nous devons nous rappeler que Grendel n’était qu’un jeune et pas du tout un adulte mâle), l’animal, surpris, tenta de s’échapper au lieu d’attaquer Beowulf. L’animal comprit d’instinct le danger dans lequel il se trouvait et il voulut échapper à l’étreinte de l’homme qui constituait une menace inattendue et qui lui infligeait une si terrible douleur. Mais c’est justement cette tentative de fuite qui mit Grendel à la merci de la stratégie de Beowulf. Ce dernier dans la lutte qui s’ensuivit, fut capable d’arracher l’un des bras de l’animal comme cela est si bien décrit dans le poème. A cause de cette effroyable blessure, le jeune dinosaure retourna à son repaire où il saigna à mort.

Fig 1. La prise utilisée par Beowulf pour tuer Grendel était-elle si nouvelle ?.. Cette gravure sur un antique sceau babylonien montre un homme saisissant le membre antérieur d’un monstre en vue de l’amputer.

Fig. 2. Une page (folio 160a) du manuscrit Cotton. Vitellius. A. XV où se trouvent les lignes 1355 à 1376 de l’épopée de Beowulf. On y trouve la description du repaire de Grendel, un grand et lugubre marécage. Le mot Grendel se lit sur la deuxième ligne à partir du bas.

En ce qui concerne ses repaires et ses habitudes, Grendel chassait seul, et les habitants effrayés, on le comprend, qui voyaient parfois au clair de lune sa silhouette descendre des landes couvertes de brume l’appelaient atol angengea , le « terrifiant solitaire ». C’était un mearcstapa  (rôdeur des confins), un être qui chassait dans les confins et autres lieux périphériques (« hantant les landes », traduit Alexander).

On comprend comment Beowulf fut si richement récompensé et devint si célèbre pour avoir tué le monstre.

Il chassait la nuit, s’approchant des habitations, et attendait en silence dans l’obscurité que sa proie s’endorme, avant de s’abattre sur elle tel un sceadugenga  (un marcheur de l’ombre, de la nuit). Glissant silencieusement le long de l’étendue stérile et désolée des marécages (fenlith) il jaillissait de la profonde obscurité de la nuit tel l’ombre de la mort (deathscua).  Les Danois utilisaient un veilleur de monstres (eotanweard ) pour prévenir de l’arrivée de Grendel, mais souvent en vain. L’approche de Grendel était si discrète lorsqu’il chassait dans l’obscurité de la nuit que parfois le eotanweard  lui-même était surpris et dévoré.

Au cours d’une nuit mémorable, pas moins de trente guerriers danois furent tués par Grendel.

Finalement, une image complète et assez horrifiante de Grendel ressort des pages de Beowulf et je doute que le lecteur ait besoin de mon aide pour savoir à quelle espèce de dinosaure prédateur les détails de cette description correspondent le mieux. Les commentateurs modernes, élevés dans les idées de l’évolutionnisme, sont contraints de suggérer que les monstres tels que Grendel sont des personnifications primitives de la mort ou de la maladie et autres absurdités. On a une fois suggéré qu’il personnifiait la Mer du Nord ! Mais, en réalité, les données ne confirment pas de telles interprétations. Une publication moderne et agréablement honnête fait sur le poème un commentaire plus instructif:

« En dépit d’allusions au diable et aux idées abstraites du mal, dans Beowulf les monstres sont des créatures tangibles. Ils n’ont pas de dons surnaturels sinon une force exceptionnelle, et ils sont vulnérables et mortels.

 Le public du haut Moyen Age prenait ces monstres pour des monstres, et non pour des symboles de la peste ou de la guerre, car de telles créatures étaient bien réelles« .

Conclusion

L’étude des dinosaures vivants dans les récits anciens est passionnante et nous n’avons examiné ici que quelques uns des cas relatés.

Un ou deux de ces récits (non abordés ici) pourraient être récusés, soit parce qu’ils sont manifestement imaginaires, soit parce qu’ils sont si irrémédiablement corrompus qu’aucune connaissance exacte ne peut en être tirée. Mais la grande majorité des récits, tels ceux que nous avons examinés, sont des compte-rendus sérieux et détaillés des créatures, pas toujours malveillantes, que nos ancêtres  rencontrèrent. Les reptiles volants de Galles, qui ont survécu jusqu’à une époque très récente, en sont un autre exemple. Ceux des Indiens d’Amérique du Nord en sont un autre. Les récits sont étonnamment concordants  ; ensemble ils démentent les accusations calomnieuses que des érudits modernes profèrent si souvent contre nos ancêtres.

On peut dire pendant un temps que les récits et les traditions sont des inventions et que leurs auteurs sont soit des menteurs invétérés sans scrupules et des imposteurs, soit les sots les plus crédules de l’histoire. Mais arrive un moment où il faut soit reconnaître que les vieilles chroniques signifient quelque chose, soit oublier ces récits eux-mêmes. Les modernistes ont choisi ce dernier parti.

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Appendice

Les reptiles volants et autres dinosaures du pays de Galles.

Les reptiles volants ont été une particularité du Pays de Galles plus commune que beaucoup ne pourraient le croire, jusqu’à une date étonnamment récente.

En vérité, au début du 20ème  siècle, les gens âgés de Penllin (Glamorgan) parlaient d’une colonie de serpents ailés vivant dans les bois près du château de Penllin. Marie Trevelyan raconte:

« Les bois autour du château de Penllyne avaient la réputation d’être fréquentés par des serpents ailés qui terrorisaient jeunes et vieux. Un habitant âgé de Penllyne, mort il y a quelques années [au tournant du siècle] racontait que dans son enfance les serpents volants étaient décrits comme très beaux. Au repos ils étaient enroulés et paraissaient comme couverts de bijoux. Certains avaient des crêtes étincelant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel« . Lorsqu’ils étaient dérangés, ils glissaient rapidement, « étincelant de partout« , vers leur cachette.

Lorsqu’ils étaient en colère, « ils volaient au-dessus de la tête des gens, leurs ailes brillantes déployées, parfois leurs yeux brillants aussi, semblable aux plumes de la queue d’un paon« . Il disait que ce n’était pas « une vieille histoire inventée pour effrayer les enfants » mais un fait bien réel. Son père et son oncle en avaient tué quelques-uns car ils étaient « aussi nuisibles que les renards pour la volaille« . Le vieil homme attribuait l’extinction des serpents ailés au fait qu’ils étaient « la terreur des basses-cours et des halliers« .

Une vieille femme que ses parents, dans sa prime enfance, emmenèrent visiter Penmark Place, à Glamorgan, dit qu’elle entendit souvent les gens parler des ravages des serpents ailés dans ce voisinage. Elle les décrivait de la même façon que l’homme de Penllyne. Il y avait « un roi et une reine » des serpents ailés, dit-elle, dans les bois autour de Bewper…Son grand-père lui raconta une rencontre avec un serpent ailé dans les bois près de Porthkerry Park, pas loin de Penmark.

Lui et son frère « avaient décidé d’en attraper un et ils attendirent un jour entier que le serpent s’envole. Alors ils tirèrent sur lui et l’animal tomba blessé mais pour se relever et attaquer mon oncle, frappant sa tête avec ses ailes« . Elle dit qu’un combat sévère s’ensuivit entre les hommes et le serpent, lequel fut finalement tué. Elle avait vu sa peau et ses plumes, mais elles furent jetées après la mort du grand-père.  

Ce serpent était aussi célèbre que « n’importe quel renard dans les basses-cours et les halliers autour de Penmark. »

Signe d’authenticité pour ce récit : les créatures concernées n’étaient pas des dragons solitaires et monstrueux, mais de petits animaux vivant en colonie. Ils devaient être exterminés, malheureusement, à cause de leur prédilection pour la volaille locale. Nous devons nous rappeler que de nombreux « dinosaures  » fossiles connus sont fort petits, certains n’étant pas plus gros que des oiseaux. Les vieillards qui se souvenaient des serpents gallois s’accordaient pour dire que ces créatures étaient très belles à voir, surtout lorsqu’elles volaient.

Une espèce différente de reptiles volants nichait sur un ancien tumulus à Trellecha’r Betws dans le comté gallois de Dyfed.

Il semble cependant, qu’il s’agissait d’une espèce plus grande que celles de Penmark et de Penllyne.

Puisque nous sommes au Pays de Galles, notons qu’à Llanbadarn-y-Garrag (Powys), (est-ce que Garrag est une corruption de carrog, ou le contraire ?) l’église contient la sculpture d’un reptile géant local dont les traits peuvent être familiers à certains d’entre nous : grandes nageoires ressemblant à des pagaies, long cou et petite tête. Nous l’appellerions un Plésiosaure.

En dehors des lieux du Pays de Galles cités dans cet article, Glaslyn (Snowdon) est un autre lac où l’on parle d’afrancs qui y ont été vus, l’un aussi récemment que dans les années 1930. En cette circonstance, deux grimpeurs sur le flanc de la montagne regardèrent en bas vers la surface du Glaslyn et virent l’afanc qu’ils décrivirent comme ayant un long corps gris, montant des profondeurs du lac, et levant la tête pour plonger ensuite.

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