Partager la publication "De la trahison des élites à l’inéluctable renouveau"
Par Tassot Dominique
Résumé : Notre si étrange actualité frappe par la déliquescence sans doute définitive des démocraties représentatives : les décisions échappent désormais visiblement à ceux que les élections désignent pour porter la voix des peuples. Les élus se taisent pourtant. Or, loin d’être un fait simplement politique, ce désintéressement des élites pour le sort et les besoins des sans-grades est, sauf exceptions, une constante qui affecte toutes les branches de nos sociétés : le tissu social s’est défait peu à peu et la responsabilité en revient nécessairement à ceux qui avaient le pouvoir, dans leur champ d’action, de contrarier cette évolution, qu’il s’agisse des politiques, mais aussi des intellectuels, des chefs d’entreprises, des artistes et même des clercs.
Il n’est pas difficile d’apercevoir ici à l’œuvre celui dont l’Écriture nous dit qu’il fut menteur et homicide dès le Commencement. Alors la lumière se fait, la vraie nature du combat se fait jour et la solution apparaît : laisser de côté les illusions de confort et de facilité pour s’associer à l’unique Sacrifice rédempteur de Celui qui a dit « sans Moi, vous ne pouvez rien faire », du moins rien qui tienne la route dans la durée et qui s’accorde au vrai plan de Dieu pour l’humanité. Et l’on découvrira alors que, malgré les apparences actuelles contraires, Dieu n’échoue pas !
En 2018, dans sa trilogie sur les prophéties des derniers temps1, Christian Darcourt intitulait le premier tome : La trahison des élites et la ruine des peuples. Devant l’étrange spectacle que donne notre société face au COVID-19, quelle justesse dans ce titre ! Chacun des mots –- nous allons le voir – sonne juste. Quant aux « élites », il s’agit bien sûr des élites sociologiques, des personnages haut placés dans la hiérarchie sociale. Le mot est au pluriel car le phénomène touche bien l’ensemble des secteurs : politique, économie, finance, pensée, santé, art et même religion.
Le mot « trahison » cependant n’était-il pas excessif ? Ne seraient-ce pas des hommes de bonne volonté, mais mal informés, mal conseillés, un peu bornés et donc incapables de prendre la mesure des choses. Dans le domaine de la santé, le Pr Christian Perronne intitulait d’ailleurs son livre à succès Y a-t-il uneerreur qu’ils n’ont pas commise ? (Paris, Albin Michel, 2020).
Errare humanum est : on ne peut en vouloir à celui qui se trompe de bonne foi, par incapacité à bien analyser les situations ou par ignorance des faits ou des hommes.
Il apparaît toutefois que tel n’est pas le cas. Un premier indice ressort du niveau d’études. Il est fini le temps des hommes d’État autodidactes ayant quitté l’école sans le baccalauréat comme avait pu l’être Antoine Pinay (1891-1994), célèbre ministre des Finances et Président du Conseil. Même si la réussite scolaire n’est pas prédictive de la capacité ultérieure à diriger, elle dénote un minimum d’agilité mentale, de savoirs théoriques et de capacité de travail.
Un second indice est donné par la corruption généralisée. La vertu, jointe à la compétence, n’a pas toujours été un frein pour accéder aux échelons supérieurs de la société : les antiques règles d’anoblissement en témoignent et les exemples abondent dans l’Histoire, même récente, sans avoir à remonter à Sully, à saint Éloi ou à Joseph. Or tout se passe aujourd’hui comme si celui qui n’aurait pas quelque cadavre dans son placard se trouve à quelque moment barré dans son ascension. De là cette corruption pandémique, affligeant les cinq continents, qui oppose un obstacle insurmontable à tous les redressements durables.
Lors donc que les autorités de la Santé interdisent de vieux médicaments aux effets secondaires bien connus au moment même où on leur découvre une indication nouvelle, salutaire contre le virus du jour, il est impossible de croire qu’elles ignorent qu’un très grand nombre de prescriptions médicales se font couramment hors indication thérapeutique reconnue, sur le seul fondement de l’expérience personnelle du médecin et sous sa responsabilité. On ne peut donc parler ici d’incompétence et il faut conclure à l’intention maligne, fût-ce sous le prétexte d’une insuffisance d’études cliniques ciblées. Il en irait de même si, de nuit, un maire interdisait la sirène des pompiers sous prétexte de tapage nocturne. « En toute chose il faut considérer la fin » (La Fontaine).
La divergence entre le motif officiel justifiant une décision et le mobile réel qui la dicte signale assurément l’intention manipulatrice. Or cette divergence est désormais quasi systématique. Il n’est pas une guerre récente qui ne fût déclenchée sous un prétexte fallacieux. Pensons à l’Irak, à l’Afghanistan ou à la Lybie.
On pourrait objecter que toutes les guerres, depuis toujours, ont des raisons cachées que même les historiens sont parfois bien en peine de démêler.
Mais dans un cas simple comme l’interdiction de soigner faite aux médecins par le ministère de la Santé, avec l’aval de l’Ordre des médecins et celui de l’Académie de médecine et, dans le même temps, une pression exercée par ces mêmes autorités pour injecter massivement un produit expérimental à de jeunes populations peu menacées, le mot de trahison ne paraît plus excessif.
Ce mot appelle encore une explication : comment en sommes-nous arrivés là ? Le 29 mai 2005, le peuple souverain rejeta par référendum2 une intégration plus poussée de la Communauté européenne. Puis, le 4 février 2008, le Congrès se réunit à Versailles pour adopter sans débat public le traité de Lisbonne (élaboré en catimini en 2007 et qui reprenait – dispersées parmi plusieurs centaines de pages – les clauses rejetées en 2005). Nul ne peut croire un instant que les représentants du peuple n’eurent pas conscience de réaliser ce qui avait été refusé par leurs mandants. « Trahison » n’est-il pas alors le mot juste ? Déjà, dans les années 1970, l’indication d’origine (Made in France, Made in Japan, etc.) avait disparu subrepticement des étiquettes et des objets industriels. Comment croire que les députés l’ayant votée ne voyaient pas l’impact de cette mesure qui, en quelques années, fit disparaître l’industrie textile. On objectera que, influencés par quelques économistes théoriciens, ils crurent de bonne foi que la division internationale du travail conduirait à la prospérité générale, comme si les emplois peu qualifiés n’étaient pas aussi indispensables à l’harmonie sociale que les autres.
Un célèbre tableau de David représente les députés du Tiers-État, s’étant constitués en Assemblée nationale le 17 juin 1789, prêtant le 20 juin le serment de donner une constitution à la France. Y figure au premier plan le seul opposant, Joseph Martin-Dauch, député de Castelnaudary, non qu’il fût personnellement contre ce vote à mains levées, mais parce qu’il ne s’estimait pas mandaté pour une telle décision.
Or il est constant aujourd’hui que les Assemblées s’autorisent, par un simple vote majoritaire, toutes sortes de transformations, comme si une société d’hommes était une simple pâte molle qu’il fût loisible de rendre conforme aux lubies de quelques centaines de personnes plus souvent inspirées par un esprit partisan que par le bien commun véritable. Alors, c’est le tissu social lui-même qui se délite, tous ces liens naturels qui font du souci des autres le ciment collectif.
L’esprit faussé des élites politiques signale ainsi la trahison des élites intellectuelles. En 1927, parut le livre à succès de Julien Benda, mondialement diffusé : La Trahison des clercs. « Clerc » y était pris en un sens étendu à tous les lettrés qui, en particulier dans le sillage de l’affaire Dreyfus, mirent leurs talents au service d’un camp en oubliant leur vocation première à discerner et à défendre la vérité, fût-elle désagréable. Même si Benda n’était peut-être pas lui-même entièrement indemne du reproche fait à ses confrères, son diagnostic s’avère si juste qu’il s’est renforcé avec le temps, en particulier du fait qu’aujourd’hui presque tous les intellectuels – principalement les universitaires et les chercheurs – sont des salariés. Selon la formule de Daniel Bosquet : « les hommes suivent les idées ; les idées suivent l’argent. » Des modes dans les idées peuvent apparaître ou disparaître en très peu de temps, comme par enchantement, ce qui serait impossible s’il s’agissait de véritables convictions.
Alors que les révolutionnaires eux-mêmes prenaient grand soin à s’autoriser de l’exemple de « grands ancêtres », la mode est aujourd’hui à la détestation générale des gloires passées. Les historiens qui entrent dans ce jeu trahissent ainsi la noble mission qui leur venait d’Hérodote, tout comme les médecins qui modifièrent le serment d’Hippocrate pour autoriser l’avortement : la grossesse n’est pas une maladie. Or un corps constitué, s’il est convaincu, peut beaucoup : il a suffi que les pompiers de Marseille – qui sont des militaires – refusent la « vaccination » anti-COVID pour que celle-ci ne puisse être imposée d’emblée à une armée française pourtant portée sur les vaccinations obligatoires3.
La trahison des élites artistiques n’est pas moins douloureuse à constater. Sous le prétexte fallacieux d’une certaine personnalisation du goût, le concept général d’harmonie s’est trouvé écarté. Deux anecdotes rapportées lors d’une conférence au CEP le montreront bien.
Lors de la correction d’une épreuve de composition musicale, le professeur pose soudain un doigt réprobateur sur la partition écrite par un étudiant : « Mais, je vois ici un accord parfait ! » Et l’étudiant, comme un étourdi pris en faute, de baisser la tête. À ce régime, Mozart aurait été recalé d’office ! Certes l’originalité de l’artiste est un trait créatif, fructueux dans la civilisation latine4, mais le nouvel impératif catégorique : « N’importe quoi, sauf ce qui se faisait avant ! », n’apporte guère les fruits escomptés.
Ces mêmes musicologues le savaient bien qui, se retrouvant le soir après une journée à noter les pianistes sur des partitions modernes, jouent entre eux, pour se détendre, du Bach ou du Liszt. Le 11 octobre 2006, le Pr Maciej Giertych, député polonais, avait organisé une audition au Parlement européen sur l’enseignement de l’évolution en Europe. Une polémique s’ensuivit lors de laquelle le ministre polonais de l’éducation avait déclaré : « On ne devrait pas enseigner à l’université une théorie fausse, de même qu’on n’enseigne pas le laid dans les écoles des Beaux-Arts ! » Malheureusement, tel est bien ce qui se passe en réalité…
Le monde de l’industrie n’a pas échappé à la trahison. Là où l’efficacité devrait être la règle d’or, on voit des modes idéologiques (la parité) ou des groupes de pressions s’imposer artificiellement5.
Le plus navrant, dans ce paysage de fin de civilisation, reste toutefois la trahison des « clercs » au sens strict du terme : celle des élites religieuses. La doctrine des deux glaives – la société tenue en équilibre entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle – faisait de l’Église un contre-pouvoir naturel.
La résistance au communisme assumée sans compromission par le cardinal Joseph Mindszenty en Hongrie, puis par le cardinal Stefan Wyszyński en Pologne, porte aujourd’hui encore ses fruits visibles, même si la révolte de Budapest, en 1956, fut trahie par les dirigeants occidentaux (qui se gardèrent bien d’intervenir, démentant ainsi leur propre propagande antisoviétique).
Or ce sont bien les élites religieuses qui ont privé le peuple fidèle de la beauté liturgique ou architecturale qui rehaussait son existence quotidienne. Ce sont elles, surtout, qui ont affadi la doctrine et délayé les exigences morales. Ce sont elles, aujourd’hui encore, qui se plient sans résistance aux règles irrationnelles des diktats sanitaires, tels ces « chiens muets » que fustigeait Isaïe (Is 56, 10).
Et cet esprit de trahison vient de haut. En 1956, le cardinal Mindszenty s’était réfugié à l’ambassade américaine de Budapest, d’où il restait au milieu de son peuple, animant sa résistance. Dans le contexte de la guerre froide, cette situation ne gênait pas les États-Unis mais sabotait la reprise en main de la Hongrie par les Soviétiques. Que se passa-t-il ? Ce fut le pape Paul VI qui imposa au primat de quitter Budapest pour venir à Rome, lui ôta son titre de primat de Hongrie puis, à sa mort, nomma à la place un évêque plus conciliant envers le régime.
Tout récemment encore, le secrétaire d’État du Vatican a signé avec le gouvernement de Pékin (lire : Parti communiste chinois ou PCC) un accord secret mettant l’Église dite souterraine à la merci du Parti, obligeant les évêques restés fidèles à Rome (souvent au prix de tortures, de longues années de détention et parfois de leur vie) à s’effacer devant les évêques de l’Association dite « patriotique » (seule reconnue officiellement). Outre que cet accord contient des clauses restées secrètes (que l’on peut donc présumer inavouables car à l’avantage du régime rouge), le fait est que les persécutions religieuses en sortent plutôt renforcées en Chine, avec destruction d’églises, interdiction de catéchiser les enfants, amenant les autres persécutés (protestants, ouïghours, bouddhistes, etc.) à se plaindre des retombées d’un tel accord. Face aux millions de martyrs qui, depuis 70 ans, ont ensemencé pour l’avenir la terre de Chine, comment qualifier la politique de l’actuel secrétaire d’État sinon de trahison ?
Une trahison analogue – mais pire par bien des aspects – à celle dont furent victimes les Cristeros du Mexique en 1927.
Ayant déposé les armes, suite aux accords conclus entre le Vatican et le gouvernement Calles, beaucoup d’entre eux furent arrêtés et massacrés, une fois la paix revenue6.
Ces deux grands traits de notre actualité – mort et mensonge – font assez voir quel en est l’inspirateur derrière les exécutants visibles : celui qui est « homicide, dès le commencement […]. Il est menteur, et le père du mensonge » (Jn 8, 44). Le prince de ce monde règne donc presque sans partage, semble-t-il, puisque ceux qui auraient pu s’opposer à lui ont trahi. Or, par nécessité théologique, le plan de Satan fait partie du plan de Dieu. Les perspectives sont donc excellentes, puisque Dieu est désormais comme tenu d’intervenir Lui-même : nous ne pouvons plus recourir à des contre-pouvoirs humains, toujours faillibles et bornés. Or nous savons par ailleurs que le temps de Satan lui est compté. La mort et le mensonge vont donc s’amplifier : Jésus-Christ règne aujourd’hui, mais par les calamités liées à son absence. Pour qu’Il règne enfin par les bienfaits de sa présence, les hommes devront comprendre que le salut ne viendra ni d’un vaccin ni d’une élection ni d’une théorie économique, mais de la conversion des cœurs et par là des intelligences. Car il existe encore des hommes de bonne volonté, ceux dont il est écrit : « Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9, 40)7. Tous les espoirs sont donc permis pour le monde d’après, en gardant du moins en mémoire ce leitmotiv biblique : « (Seuls) ceux qui croient ne seront pas confondus !8 » Concluons avec saint Augustin : « De même que les impies font servir au mal les œuvres bonnes de Dieu, Dieu au contraire sait faire servir au bien les actions coupables des hommes9 »
1 Cf. Le Cep n°91, p. 42.
2 En France, puis, trois jours plus tard aux Pays-Bas.
3 Cette « vaccination » revient cependant par la petite porte : on l’impose pour les opérations extérieures et pour l’« opérations sentinelle ».
4Par opposition à la civilisation byzantine où le grand art consiste en menues variantes par rapport à un modèle canonique.
5 Relire à ce sujet le courrier d’un ingénieur licencié pour faute grave pour avoir critiqué une exposition itinérante destinée à banaliser l’homosexualité dans son groupe industriel (Le Cep n°95, p. 87).
6 On notera avec intérêt que le seul cardinal ayant donné ses encouragements écrits à un document anti-évolutionniste (La Création et le Temps, disponible sur demande au Secrétariat du CEP) est le cardinal Juan Sandoval, archevêque émérite de Guadalajara, la ville qui fut l’épicentre du soulèvement Cristero. Le séminaire de Guadalajara compte 600 séminaristes !
7 Noter la différence avec la phrase plus connue : « Qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12, 30) : les disciples sont tout autres que le Maître…
8 Rm 9, 33 et 10, 11 ; 2 P 2, 6 ; mais aussi Si 2, 10 et 23, 7 et divers Psaumes.
9 Saint AUGUSTIN, Traité 27 (sur Jn 6), 10.