La morale de la feuille d’automne

Par Antoine de Bizemont

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“Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant.” (P. Le Prévost)

« Si le Dieu infini n’existe pas, il n’y a pas de vertu, on n’en a même pas besoin » (Dostoievsky). Autrement dit : si Dieu n’existe pas, tout est permis.

Notre époque décadente est incapable de comprendre cette profonde vérité, et si par hasard elle accepte d’y réfléchir, donc d’en constater l’évidence, elle préfère la rejeter pour se précipiter vers des raisonnements aussi absurdes que dénaturés qui génèrent une forme d’autodestruction.

Dostoievsky le décrit de saisissante façon dans une scène entre Ivan et Smerdiakov ; l’athéisme forcené rend l’âme aveugle, Smerdiakov ne trouve qu’une issue : le néant dans le suicide. Il attribue les manifestations de sa conscience à une faiblesse qu’il ne peut dominer.

L’intuition du péché n’affleure même plus, puisque l’on pèche par rapport à une vérité transcendante. Pécher contre une loi humaine n’a aucun sens puisque celle-ci est évolutive et varie avec le temps et le lieu (ainsi l’avortement, puis bientôt l’euthanasie). La morale de Rakitine est celle de notre époque, particulièrement et de flagrante façon celle de nos hommes politiques : « tout est permis à l’homme intelligent » ; l’imbécile est celui qui se fait prendre (Machiavel : la ruse mise au service de la cupidité).

L’idée d’un bien autonome rappelle une feuille qui vole au gré des vents. Cette notion d’une prétendue éthique donne froid dans le dos car elle est l’origine de nos déviations les plus monstrueuses (le Marxisme, le Nazisme et autres corruptions moins spectaculaires mais tragiques).

Certains ont voulu malgré tout aller vers des apaisements à cette inquiétude fondamentale qui finit par percer les carapaces les plus endurcies.

Pour se rassurer on imagine un Dieu à la mesure mesquine de ses engagements : un Dieu infiniment bon qui se plie à cette morale humaine que chacun se forge au gré de ses désirs ou de ses fantaisies. On évacue toute exigence en triant ce qui arrange, une sorte de menu à la carte traitant Dieu comme un maître d’hôtel qui doit subir tous les caprices, voire les avanies, avec le sourire. La gloire de Dieu passe par les arcanes de nos envies et de nos décrets ; elle n’a aucune intégrité propre, elle est malléable par chacun comme un scénario de film dont on décide du déroulement et de la fin. On est finalement ramené au cas précédent, à ce « tout est permis », avec un fantôme de morale qui donne bonne conscience. Au mieux, de temps en temps, on fait à Dieu l’aumône d’une pensée ou d’une prière avant de se replonger rapidement dans ses occupations ou ses plaisirs.

Si l’on aime, les exigences ne peuvent rebuter ; un amour sans exigences n’est qu’une structure molle et inconsistante qui se dérobe sans cesse. Les exigences, en revanche, exaltent l’amour et l’élèvent vers sa quintessence.

La présence de Dieu dans le monde appelle une « philosophie vertueuse » avide de trouver l’essence de l’harmonie véritable qui doit mener nos vies. Cette révélation de l’harmonie se retrouve dans l’art authentique, créateur de beauté par nature (sinon il dérape vers ces zones d’ombre où « tout est permis »). L’âme qui s’est coupée de l’inspiration véritable du souffle Divin ne peut qu’exalter cette ambiance des profondeurs où la lumière n’a pas pénétré. Les « fleurs du mal » ont remplacé cette paisible fraîcheur d’un printemps de Botticelli qui était une forme de transfiguration de la nature, d’élévation, d’aspiration vers le beau restitué.

Il faut avoir cette perception du beau qui nous entoure, le magnifier, l’extraire du quotidien, le restituer à son Créateur. Il y a une perfection de la création qui se fond dans cette immensité d’une universalité du temps et des lieux, à l’image de l’immensité de la pensée divine créatrice.

L’humble fleur dans son fragile éclat est une parcelle de la beauté de l’univers ; elle s’y intègre parfaitement comme chaque goutte d’eau d’un rivage participe à l’océan.

Dieu irradie dans la beauté du monde créé, et l’artiste véritable est celui qui restitue ce rayonnement d’harmonie.

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