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Par Gustave Corção
Galilée, le Saint-Office et le sens commun1
Gustave Corção (1896-1978)2
Résumé : Il est toujours utile de revenir sur les fondements et « l’affaire Galilée » demeure un des repères majeurs de la modernité. Mais il faut, pour bien comprendre ce qui s’est passé, analyser la posture, les motivations et les points de vue qu’avaient alors les deux parties. Sa formation scientifique et sa connaissance de l’Église ont permis à Gustave Corção de montrer l’erreur foncière de Galilée, le premier des « scientistes », affirmant sans preuve la fixité du soleil, et, a contrario, le bon sens et la sagesse de théologiens qui anticipaient l’impact inévitable de l’héliocentrisme sur la pensée et sur la foi, donc sur la société.
Je crois pouvoir affirmer qu’un des plus grands pionniers de ce bâtard dégénéré des sciences — le « scientisme » — fut Galileo Galilei (1564-1642). Plus exactement, ce fut « l’affaire Galilée », dont Galilée lui-même fut l’un des agents, mais non le seul. […] On traite souvent cette « affaire » comme s’il s’agissait de défendre les droits de la Science contre les prétentions du Saint-Office, alors qu’il s’agissait en fait des prétentions du « scientisme » et de l’injure faite au sens commun au nom du « progrès de la Science ».
Vu le rôle éminent que ce cas aura joué dans l’affluent révolutionnaire, en amont du grand estuaire des erreurs contemporaines, je ne résiste pas à la tentation d’insérer, sur le mode le plus dense possible, quelques remarques qui présentent à première vue la violence d’une provocation : elles conduisent en effet à conclure que, dans l’affaire, c’est Galilée qui se trompait et le Saint-Office qui avait raison. Avant que les clameurs des mules scandalisées n’encerclent ma chaumière, je m’empresse d’exposer le problème en termes d’exemplaire modération. Et je précise pour commencer qu’il est exclu de comprendre quoi que ce soit à cet imbroglio, sans la maîtrise claire et suffisante d’une demi-douzaine de notions.
Parmi celles-là, il y a lieu de détacher le « sens commun », qui creuse en quelque sorte la première tranchée où nous devons défendre l’humain. Contraint par la place à me contenter de ce que j’en dis dans les pages précédentes3, et du renvoi que j’y faisais à Garrigou-Lagrange4, j’en viens tout de suite à la seconde notion, celle qui se rapporte à la structure et aux méthodes des sciences naturelles : physique, chimie, biologie, astronomie, etc.
Faits et théories
Depuis le Moyen Âge, et surtout depuis saint Thomas, nous savons qu’il faut distinguer dans le capital des sciences, nommées selon leurs objets, deux choses hétérogènes :
1. Première chose : l’ensemble des faits directement observés ou établis par l’observation et l’expérimentation scientifiques sur la base de l’évidence sensible. Donnons à ce patrimoine principal, et principal critère des sciences, le nom de « donnée phénoménale », c’est-à-dire de phénomènes observés ; ou encore, rappelons le nom que lui donnaient les scolastiques : apparentia sensibilia [l’« apparence sensible »], où le mot apparentia ne veut pas dire « ce qui paraît être… » (et moins encore « … et qui n’est pas »), mais bien « ce qui est évident au regard de la connaissance sensible ».
2. Seconde chose : la synthèse interprétative faite de théories qui cherchent à proposer une explication d’ensemble, intégrant les éléments épars des données de l’observation.
Ici prend place une remarque importante : la théorie interprétative, malgré sa stature imposante, reste scientifiquement sujette aux données de l’observation, aux phénomènes ; elle ne tient debout qu’autant que ses articulations et la couture de son tissu d’hypothèses explicatives parviennent à rendre compte des faits de l’observation. Saint Thomas, [en sa Somme de théologie] dans la question 32 de la Ia pars, sur l’éventualité d’une preuve métaphysique de la Trinité, parvient à la conclusion qu’il reste possible — sans les lumières de la Révélation — d’approcher la notion d’un Dieu trine réfléchi par toutes les choses de la création, mais non de l’établir ni de la prouver, comme nous prouvons l’existence de l’Acte Pur ou de l’Être-subsistant-par-soi.
Et pour illustrer génialement son propos par un exemple astronomique, saint Thomas montre qu’il n’y a pas lieu de douter du mouvement des astres, mouvement dont rendait compte à cette époque et depuis quatorze siècles la théorie des épicycles directement héritée de l’Almageste de Ptolémée ; mais le Docteur angélique fait preuve d’une grande lucidité, d’un grand discernement scientifique (qui s’ajoute aux autres), en précisant aussitôt que ce mouvement ne prouve pas la théorie des épicycles : plus tard, une autre théorie interprétative pourra nous apporter une meilleure explication. Ce qui compte, c’est la sauvegarde du « dépôt observé ». Pour le dire comme les scolastiques : — Oportet salvare apparentia sensibilia ; pas question de sacrifier les données à la théorie5 !
Deux exemples de rupture
En matière de rupture entre les phénomènes et la théorie, on relève dans les temps modernes deux exemples curieux et curieusement assortis de circonstances, de résonances diverses. Commençons par le second : la saturation et les premiers revers d’une des théories interprétatives les plus glorieuses de la science moderne, celle de la synthèse newtonienne.
Pendant plus de deux siècles, le monde occidental a vécu si solidairement ancré sur la gravitation universelle de Newton que beaucoup, y compris dans les corporations les plus scientifiques, en vinrent à oublier que toute théorie interprétative peut être remise en question par l’avènement d’une observation phénoménologique nouvelle qui n’arrive pas à trouver sa juste explication. La force de conviction newtonienne, plus scientiste que scientifique, était telle que des millions de personnes n’auraient pas hésité alors à soutenir : nous avons mathématiquement prouvé l’attraction réciproque des corps en raison directe de leurs masses, et autres postulats de la théorie.
Or, cette assurance était dénuée de tout fondement (philosophique), car on ne peut rien démontrer mathématiquement sur les réalités physiques. Il est possible de les observer, de les mesurer mais cela-même ne constitue pas une opération mathématique ; c’est une opération physique.
Nous savons aujourd’hui que la grande synthèse newtonienne ne rendait pas bien compte, par exemple, du mouvement du périhélie de Mercure ni de sa vitesse de rotation ; qu’elle ne parvenait pas non plus à s’assimiler exactement les lois de l’électromagnétisme établies par Maxwell [1831-1879]. Pour ces raisons et pour bien d’autres, avec Planck et Einstein, le monde scientifique dut opérer une transformation du système de synthèse explicative, conformément au précepte scolastique : rendre compte des données de l’observation. Il ne s’agit pas en effet de réformer, de révolutionner, mais bien de découvrir de nouveaux moyens de systématisation dans la continuité du fonds d’expériences acquises et augmentées.
Je n’imagine pas qu’il soit venu à l’esprit d’Einstein ou de Planck que Newton ait été un ténébreux « médiéval » à reléguer loin derrière, bavant dans sa cravate, ou plutôt dans sa collerette, telle qu’on la portait à l’époque, où l’on utilisait aussi l’action à distance comme victoire sur l’aristotélisme.
Il convient d’ailleurs de rappeler que Neptune, découverte par les calculs de Le Verrier [en 1846] dans la plus droite orthodoxie newtonienne, jusqu’à la 6e ou 7e décimale du logarithme, n’a pas replongé dans l’inconnu avec la théorie de la relativité ; de même que les éclipses, dont les bons et loyaux services de l’honorable mécanique céleste nous permettent toujours de calculer l’apparition, n’ont pas cessé d’obscurcir le ciel, au jour et à l’heure prévus par la théorie. Mais il reste incontestable que la « physique newtonienne », que nous nommons ainsi pour traduire son caractère désormais hypothético-explicatif a cédé la place à une autre physique : une physique qui se débat encore, perdue sous une incroyable richesse de données marchant à la recherche d’un nouveau vêtement.
L’autre exemple d’évolution de théorie interprétative pour maintenir le « dépôt observé » fut chronologiquement antérieur à la transmutation Newton-Einstein. Cette évolution intervint dans un climat qui était déjà celui de l’euphorie révolutionnaire. Je veux parler du « cas Copernic » : il mérite un développement spécial, plus d’ailleurs à cause de son vacarme que par sa valeur épistémologique.
La « révolution » copernicienne
La contribution de Copernic, en raison du tournant historique où elle intervient, a provoqué dans le monde une épidémie de stupidité dont celui-ci ne s’est pas encore relevé. Jusqu’à cette époque le système de Ptolémée permettait de prévoir la position des astres et l’apparition des éclipses avec une précision qui ne dépendait que du perfectionnement des appareils de mesure (autrement dit des instruments d’observation physique), le tout construit sur des références fournies par notre Terre et tenues pour immobiles. Du choix de ce référentiel fixé sur l’observateur terrestre résultaient les fameux épicycles pour la prévision adéquate et aussi rigoureuse que possible du mouvement des astres.
Pendant quatorze siècles ce majestueux système rendit compte des données de l’observation : il « sauva les phénomènes », comme disait saint Thomas. Et Copernic fit l’expérience placidement prévue par le Docteur commun ; il imagina de coordonner autrement les axes de rotation des planètes, en les centrant sur le Soleil, pour découvrir que la géométrie d’ensemble du mouvement se simplifiait si l’on plaçait le Soleil au centre du système planétaire, en partant du postulat (nullement fondé sur l’observation) que les planètes décrivent des mouvements circulaires autour du Soleil.
L’intuition de Copernic est certaine, dans le choix de ces nouveaux référentiels, mais il reste une colossale exagération dans la valeur que le monde entier s’obstine à lui prêter. En vérité, ce scientiste ne maîtrisait même pas l’instrument mathématique de sa découverte : ce fut un scientifique allemand, Joachim Rhéticus (1514-1576) qui, ayant entendu parler de sa théorie, vint travailler deux ans en sa compagnie. Avec les données d’observation recueillies au XVe siècle par George Burlach (1423-1461), de l’université de Vienne, et surtout par son disciple Johannes Müller (1436-1476), qui avaient étudié en Italie les versions grecques du texte original de Ptolémée, ils purent ensemble élaborer l’œuvre principale que Copernic publia sous son nom : De revolutionibus orbium cœlestium [Nuremberg, 1543].
Nicolas Copernic meurt l’année même de cette publication, en 1543, sans être inquiété par quiconque, et peut-être sans imaginer qu’il lançait dans le monde une révolution différente du mouvement circulaire des planètes. Car ce qu’on appelle la « révolution copernicienne » constitue réellement une révolution dans le sens que ce livre donne aujourd’hui au mot.
Sans que l’auteur y soit pour rien, cette mutation des axes au sein de la cinématique astrale souleva de grandes émotions culturelles ; bien des gens se sentirent effectivement ébranlés dans leur sens commun, au point qu’aujourd’hui encore les victimes du scientisme divinisent l’événement, négligent les controverses et ignorent que la trépidante « révolution copernicienne » n’a rien découvert dans la nature physique des astres, pour se contenter de réorganiser les axes d’une géométrie du mouvement, c’est-à-dire d’une cinétique.
Mais surtout ces gens-là ignorent que le système de Copernic, bien qu’il facilite les calculs astronomiques pour prévoir l’ascension ou la déclinaison des planètes, et la date des éclipses, n’apportait pas de meilleure approximation que les calculs établis avec les épicycles de Ptolémée.
D’une certaine manière, ce système nous exposait même à des erreurs plus grandes dans la mesure où Copernic, contrairement aux astronomes traditionnels qui collaient aux données de l’observation pour les extrapoler, se fondait lui-même a priori, sans appui dans la réalité physique, sur l’idée très ancienne, pythagoricienne, des orbites circulaires.
On relève ainsi dans la fameuse découverte un anachronisme amusant, issu précisément du fait que l’auteur du De revolutionibus reste plus imaginatif que scientifique, et qu’il n’est pas docile aux données de l’observation comme l’enseignait saint Thomas : Oportet salvare apparentias sensibiles Il est curieux de noter que le célèbre auteur de la révolution copernicienne, outre son apriorisme en matière physique, se montrait rigidement traditionaliste quand il censurait Ptolémée pour le crime de s’être trop éloigné de Pythagore [580-495 av. J.-C.].
Tel est le plaisant paradoxe produit par le mariage du scientisme avec une sorte de mystique, ou de gnose, qui fait de Copernic le précurseur de la Renaissance astronomique en même temps que le plus fidèle disciple de Pythagore, vingt-deux siècles après ! Kepler (1571-1630), en découvrant la forme ellipsoïdale des orbites et les fameuses « trois lois » du mouvement planétaire, dira que Copernic ne sut pas profiter du trésor qu’il avait dans les mains. Il faut cependant remarquer que, même après l’illumination des lois de Kepler sur le mouvement des planètes, la plainte formulée par Francis Bacon contre Galilée et Copernic continue de s’appliquer à l’astronomie de l’époque :
« (Bacon) est adversaire de la méthode élaborée par Galilée et qui consiste à isoler les phénomènes de leur milieu naturel, à n’en étudier que les aspects mesurables et à ériger ensuite de vastes théories mathématiques sur la base des résultats. Bacon désire considérer tous les faits qui peuvent avoir un rapport avec la matière étudiée : par exemple, en astronomie, la nature physique des corps célestes, que Copernic jugeait peu importante, et dans la chute par gravité le rôle de la résistance de l’air, que Galilée laissait de côté6. »
En vérité, à l’époque de Kepler encore, et jusqu’aux travaux de Newton, l’astronomie se réduit à une cinématique fondée sur des mesures d’angles : elle développait une trigonométrie sphérique en mouvement, avec deux dimensions angulaires, et une troisième déterminant la durée t.
[…] Ce que nous pouvons dire, sans exagération, c’est que cette astronomie souffrait d’une telle anorexie physique qu’elle n’avait pas le droit de passer des êtres de raison, ou de la pure théorie interprétative, à une détermination quelconque dans le champ phénoménal, si ce n’est en apportant une preuve physique, réduite expérimentalement à une évidence sensible, une apparentia sensibilia.
Même après les découvertes de Newton (1642-1727), il reste encore prématuré de dire que nous avons physiquement prouvé le mouvement de rotation de la Terre, et physiquement justifié le choix de l’astre qui condense la plus grande masse comme centre du système planétaire. C’est seulement depuis la mesure de la constante g de gravitation, réalisée en laboratoire par Cavendish (1731-1816), que la loi dite de gravitation universelle peut être expérimentalement reproduite, mesurée et, par-là, intégrée dans le « donné » phénoménologique. Mais il est trop tôt encore pour prétendre qu’on ait scientifiquement prouvé que le Soleil attire les planètes en raison directe de leurs masses et en raison inverse du carré de leurs distances, car le verbe « attirer » implique à son tour toute une théorie interprétative. Même la physique moderne n’a pas consolidé, normalisé une tranquille théorie de la gravitation : sa tendance serait plutôt de la poursuivre davantage dans une « forme » de l’espace-temps, autour d’une masse, que dans une action à distance.
Même après Kepler, Newton et Cavendish, il reste prématuré de parler d’une preuve physique du mouvement diurne de la planète Terre ; celui-ci n’intègre le patrimoine du « donné observé » qu’avec les expériences du pendule de Foucault, sous la coupole du Panthéon, à Paris, en 1851.
Science autonome et science « hétéronome »
Sous ces vocables rébarbatifs, ce que nous voulons dire ici est simple et frappant : l’astronomie, la physique, la biologie et toutes les autres sciences empiriques étant composées de deux éléments hétérogènes — l’ensemble des phénomènes observés et la théorie interprétative —, il est facile de deviner la montagne d’équivoques qui ne manquera pas de surgir si nous prenons l’un pour l’autre dans le raisonnement.
Or il faut remarquer que, contrairement aux apparences, le premier élément est beaucoup plus inaccessible et impopulaire que le second : peu de gens entrent en confrontation directe et familière avec le frère-phénomène ; la majorité d’entre eux se contente de lire dans les journaux la présentation des nouvelles synthèses théoriques, presque toujours en termes de vulgarisation brutale et schématisée.
Prenons l’exemple du mouvement diurne de la Terre, c’est-à-dire de son mouvement de rotation complète sur elle-même en l’espace de vingt-quatre heures.
Nous sommes très peu nombreux à avoir fait ou refait l’expérience de Foucault, ou à avoir collé l’œil à l’oculaire du cercle méridien, pour vérifier avec une précision chaque fois plus grande l’uniformité du mouvement angulaire des « points dans l’infini » qui croisent les fils du réticule. Tous les autres, s’ils parlent de la rotation de la Terre, c’est de seconde main. Ils parlent par ouï-dire et non d’une chose vue ou entendue directement7.
Cette vaste et respectable majorité des non-astronomes, le peu qu’elle sait d’astronomie, elle ne le sait pas de science exacte et autonome, mais par information, par foi humaine ou encore par science malingre, inadéquate et « hétéronome ». La plus lucide intelligence du monde, prenons celle de Jacques Maritain, parle en toute simplicité de la sagesse de Galilée, des maladresses du Saint-Office, sans se rendre compte que la vérité « scientifique » du mouvement diurne de la Terre n’a pu venir à sa connaissance qu’au niveau collégial d’une science « hétéronome », recueillie et transmise par l’information.
Ici se dessine un problème philosophique intéressant, et même indispensable à la compréhension des équivoques tissées autour du « cas Galilée ». Le mouvement diurne de la planète Terre serait-il aujourd’huiune simple donnée du consensus général, un savoir réellement « hétéronome » de pure information, ou serait-il devenu une donnée du sens commun et, partant, sous un certain rapport, beaucoup plus dense que de la simple information ?
Respondeo dicendum que, au temps de Galilée et de Copernic, la rotation de la Terre constituait une donnée de théorie interprétative, sans preuve physique pour les propres auteurs et défenseurs de l’idée, qui abusaient de leurs dons intuitifs, divinatoires, ou de leurs facultés oniriques, lorsqu’ils nous présentaient la chose comme physiquement établie. Galilée en vint à dire, sans que rien ne l’y eût autorisé, qu’il le « sentait », ce mouvement de la Terre, comme s’il l’avait touché de ses mains. Le glorieux Florentin, en l’occurrence, forçait ses talents et versait dans la fraude épistémologique. Et qu’on ne vienne pas me dire ici – pour l’amour de Dieu et des vérités mineures – que l’avenir donna raison à Galilée en prouvant la vérité de son affirmation. Non, mille fois non ! L’honneur et la dignité du scientifique ne consistent pas à agiter des intuitions dont les autres, plus tard, apporteront une preuve adéquate au degré du savoir considéré. L’honneur et la dignité de la science ne consistent pas à emporter le gros lot comme dans un tirage au sort qui décide seulement après coup de la justesse du choix : ils consistent essentiellement à donner les raisons de celui qui affirme, et à démontrer ce qu’il dit par des voies adéquates au domaine considéré.
Foucault aurait pu dire, métaphysiquement, qu’il sentait le mouvement diurne de la Terre comme s’il y collait ; Galilée, sans fraude ou sans abus, ne le pouvait pas.
Mais ce n’est pas ici que se situe le nœud de la question : c’est dans la position du problème au regard du sens commun. Nous demandions tout à l’heure si le mouvement de rotation de la Terre était devenu pour nous un simple acquis du consensus, dilué par l’information, ou s’il avait déjà gagné sa place dans le sens commun. Je réponds maintenant en disant qu’aujourd’hui, en effet, le mouvement de la Terre s’est incorporé aux données périphériques du sens commun : parmi les ressorts les plus fondamentaux de la « petite sagesse », la confiance a joué son rôle pour transformer l’information en opinion universelle, incontestée, malgré la microscopique minorité des astronomes.
Tout autre était la situation au temps de Galilée : l’influence du consensus de l’époque disposait peu le sens commun à accueillir une transposition des axes qui oblige à placer l’observateur dans le Soleil, sauf à investir le Soleil d’une immuabilité et d’autres attributs scientifiques, inutiles pour rendre compte du « dépôt observé », mais psychologiquement nécessaires pour amollir les résistances du sens commun et le prédisposer à des nouveautés fantastiques, du domaine de la gnose, où les faits de la science et ceux de la religion se mélangent étroitement.
Le culte du « Dieu-soleil »
L’Histoire est toujours composée de deux faces : l’une claire, consciente, superficielle, où se détachent des dates, de grandes batailles et des changements de régime; l’autre souterraine, où se remplissent les vases capillaires de la mystérieuse, irrationnelle et perpétuelle conspiration ourdie par les hommes dans les profondeurs de l’âme, avec l’illusion de conjurer ainsi les divers malheurs de la vie.
Le siècle de la Renaissance et de la Réforme, en sa clarté stridente, avec toute sa présomption scientiste, ou à cause d’elle, n’a pas échappé à la règle : on pourrait presque dire qu’elle a mis une certaine exagération à la confirmer.
C’est ainsi que dans le propre domaine de cette science qui produira le cartésianisme et le culte des idées claires, surgit le côté ombre représenté par le culte religieux du Soleil, triomphe de l’ère des pyramides, en Égypte et en Mésopotamie.
Lewis Mumford a révélé dans un article cette étrange composition du « progressisme » du XVIe siècle, moitié mécaniciste et moitié gnostique. À noter que la composante gnostique, ésotérique ou magico-superstitieuse ne trouvait pas son origine dans les classes ignorantes : elle venait des « philosophes » en personne, ceux qui divinisaient la science et qui, au siècle suivant, commenceront à préparer la Révolution. Ce que dit Mumford mérite qu’on s’y arrête un instant :
« Si un moment de l’Histoire peut être signalé comme point de départ de la conception moderne du monde, conception mécanique, expression d’une nouvelle religion et base d’un nouveau système de pouvoir, ce moment doit être situé dans la cinquième décade du XVIe siècle. Car cette décade ne vit pas seulement la publication du sensationnel De revolutionibus orbium cœlestium de Copernic, qui devait allumer l’incendie (1543). Ce fut aussi l’époque du traité d’anatomie de Vesalius : De humani corporis fabrica (1543), de l’algèbre de Jeronimo Cardano : Ars magna (1545), et de la théorie de la bactérie pathogène énoncée par Fracastor dans son De contagione et contagionis morbis (1546). Scientifiquement, on peut donc dire que ce fut la décade des décades.
« La manière habituelle d’interpréter la fameuse révolution copernicienne est celle qui considère comme principal effet la rupture avec la vieille conception théologique selon laquelle Dieu aurait placé la Terre au centre de l’univers, pour faire de l’homme l’objet ultime de son intérêt. Si le Soleil se trouve effectivement au centre de l’univers, alors toute la structure de la théologie dogmatique chrétienne — avec son unique acte de création, l’âme humaine prise comme intérêt central de Dieu, et la mise à l’épreuve morale de l’homme dans ce monde comme préparation à la vie éternelle en conformité avec la volonté de Dieu— toute cette structure est menacée de collapsus8. »
J’observe que ce n’est pas la Sacrée Congrégation du Saint- Office qui parle ainsi à Rome aux alentours de 1616. C’est l’auteur si actuel et si lucide de The History of Utopies qui nous décrit ici l’impact culturel, théologique et, par conséquent, l’impact sur la foi catholique exercé par « l’héliocentrisme » ; c’est lui qui nous prépare l’esprit à l’amusante surprise du visible reflux de cet impact sur les auteurs mêmes de ces découvertes, de ces inventions, de ces songes et de ces utopies.
Mumford poursuit :
« Vu au travers des nouvelles lentilles de la science, l’homme a diminué. En termes d’échelle astronomique, le genre humain représente à peine plus qu’une éphémère et fragile moisissure à la surface de notre petite planète. La science, qui devait réaliser cette impressionnante découverte par le simple exercice de nos facultés naturelles et non par la révélation divine, est devenue la source unique des connaissances authentiques dignes de crédit. Tout cela, cependant, qui nous paraît si clair aujourd’hui, ne fut pas immédiatement reconnu par ceux-là mêmes que la nouvelle religion avait le plus profondément captivés9. »
Qu’on nous permette une petite correction : cette diminution (psychologique) de l’homme ne pouvait pas intervenir au XVIe siècle, tout de suite après la formulation de l’héliocentrisme par Copernic, parce que l’échelle astronomique ne fut connue des hommes qu’après la mesure de la distance du Soleil ; on ne pouvait en effet mesurer cette distance, comme celle de la Lune, par une méthode purement trigonométrique basée sur la Terre ; pour s’en faire une idée, il fallut attendre le calcul indirect établi par Halley en 1678, incluant l’observation d’un passage de Vénus sur le disque solaire, passage enregistré par deux astronomes dans la nuit des temps.
Cette distance, qui avoisine les 149 millions de kilomètres, ne devint le mètre de la nouvelle échelle astronomique qu’au XIXe siècle, en 1840, quand Bessel mesura la première parallaxe de la 61e étoile du Cygne, accédant aux dimensions de l’année-lumière, qui passèrent ensuite de 4,3 (celle de l’étoile la plus proche, Alpha du Centaure) à des milliers, des millions et des billions d’années-lumière avec les percées successives de la spectroscopie, de la photométrie, puis de l’actuelle radioastronomie.
Comme, cependant, « tout ceci fut découvert par le simple exercice naturel des facultés humaines », selon la formule de Lewis Mumford, l’inévitable rapetissement de l’homme écrasé par l’échelle astronomique fut suivi alternativement d’accès de narcissisme idolâtrique : l’homme lui-même, au lieu de passer des cavernes à Napoléon, comme dans la tête de Raskolnikoff, oscillait vertigineusement entre Dieu et le Néant. L’oscillation psychologique qu’Olivier Brachfeld appela « complexe de Gulliver »10 n’avait jamais atteint une si délirante amplitude. Jamais, non plus, on n’avait tant négligé le conseil de Pascal : il n’est pas bon de parler de la gloire de l’homme sans évoquer sa misère, comme il n’est pas bon de s’attarder sur sa misère sans rappeler sa gloire.
Seconde correction : Mumford écrit que toutes les énormités du scientisme, qui nous paraissent claires aujourd’hui, ne furent pas perçues aussitôt par ceux que la nouvelle religion captivait profondément. Or, ce qui paraît si clair aujourd’hui à l’un des plus subtils observateurs de l’actualité reste obscur pour les « progressistes » de la nouvelle religion, et ce qu’il nous dit être passé inaperçu des « progressistes » du XVIe siècle n’est pas passé inaperçu du Saint-Office : ses juges en effet sentirent dans le cas de Galilée, à travers un sens commun vivifié par la foi, ou grâce aux dons de l’Esprit Saint, non point seulement une thèse aventureuse et mal fondée en raison, mais tout un processus ficelé de scientisme et de gnose, qui divinisait le Soleil en plein XVIe siècle.
C’est ce que montre Lewis Mumford, quand il écrit :
« La première conséquence de la nouvelle théologie fut de faire revivre des conceptions qui dataient du temps des pyramides en Égypte et en Mésopotamie11. »
Développant dans l’article en question des réflexions qui méritent d’être lues et méditées, Mumford en vient à citer ce propos de Battersfield :
« Copernic se fait lyrique, il en vient presque à l’adoration du Soleil, quand il s’exprime au sujet de sa nature monarchique [regal] et de la position centrale qu’il tient. » Tyllyard signale d’ailleurs que le Soleil, dans l’ère élisabéthaine, était généralement considéré comme la contrepartie matérielle de Dieu.
Pour en finir avec le cas Galilée
Je crois que nous tenons maintenant, dans la meilleure condensation possible, l’ensemble des notions et des faits qui permettent de passer à l’abordage du cas Galilée : une histoire de plus à exorciser d’urgence, une de ces innombrables histoires mal contées* dont on se sert pour tisser les mensonges de l’Histoire.
Voici les deux propositions qui furent soumises au Saint-Office, en février 1616, sous le pontificat de Paul V :
1. Le Soleil est le centre du monde, et par conséquent exempt de tout mouvement local.
2. La Terre n’est pas le centre du monde, ni par conséquent immobile, mais se meut tout entière en un mouvement diurne.
La réponse fut donnée rapidement :
a. « La première proposition est insensée et absurde en philosophie ; elle est aussi formellement hérétique, pour contredire expressément de nombreux passages de la Sainte Écriture, selon le sens propre, l’interprétation commune, le sentiment des Pères et des docteurs de l’Église. »
b. « La seconde proposition mérite la même censure philosophique et, au regard de la vérité théologique, elle est pour le moins erronée dans la foi. »
Deux jours plus tard, le commissaire du Saint-Office notifie à Galilée la censure prononcée contre l’opinion selon laquelle le Soleil serait au centre immobile de l’univers, tandis que la Terre bougerait. Cette opinion ne doit plus être alimentée ni soutenue. Galilée est prévenu des peines auxquelles il s’expose, et il promet de se soumettre.
Là-dessus s’achève la première partie du cas Galilée. Ceux qui voient dans ces condamnations du Saint-Office un crime de lèse-majesté contre la Science crient aussitôt au scandale. Or, pour incroyable que cela paraisse aux esprits manipulés par le culte de la « libre pensée » (ou plutôt de la « vide pensée », comme nous le verrons), j’ose dire que cette réaction n’est pas justifiée. Maritain lui-même, qui se veut plus anti-moderne que jamais, écrit à ce propos : « Si les juges du Saint-Office se sont trompés si gravement, c’est que, par une erreur de principe encore plus dangereuse parce que de portée générale, ils tenaient la science des phénomènes en son développement propre pour justiciable de la théologie, et d’une interprétation littérale de l’Écriture12. »
Il est possible en effet — je le dis à titre d’hypothèse — que les juges du Saint-Office aient utilisé en la matière un principe épistémologique dénué de fondement ; mais une chose est certaine, et je doute que quelque philosophe ou théologien que ce soit puisse me contredire sur ce point : si elles ne peuvent juger les sciences des phénomènes dans leurs processus intrinsèques, la théologie et le Magistère de l’Église peuvent et doivent juger l’usage que le scientifique fait des intuitions et théories interprétatives du phénomène13. Je sais bien que cette juridiction de l’Église est aujourd’hui contestée d’un bout à l’autre de notre cher nouveau monde glorieusement pluraliste.
Mais il faut se rappeler qu’au temps de Galilée, l’Église et le Saint-Office se sentaient encore responsables vis-à-vis de tous les cas de fiction et de rêve scientifique où la prudence pastorale recommandait la modération.
Une certaine brutalité dans la sommaire condamnation du Saint-Office, qui paraît en effet abuser des termes dogmatiques, s’explique en outre par la très vive conscience qu’il avait d’assumer encore une sorte de paternelle protection sur toute la civilisation chrétienne.
Nous pouvons reconnaître que les assesseurs et les juges du Saint-Office, n’ayant pas la sainteté ni le génie du Docteur Commun, ont eu tort de confondre la censure pastorale que les propositions de Galilée s’étaient bien méritée, avec la censure dogmatique qu’il fallait réserver aux seules erreurs formellement contraires à la Révélation et à la Foi. Mais nous ne pouvons pas omettre de signaler que de telles propositions, lancées sans crier gare dans le contexte culturel de l’époque, où même des astronomes comme Tycho Brahé réclamaient des preuves plus convaincantes, blessaient l’héritage intellectuel et le sens commun de la Chrétienté qui, avec la foi et les mœurs, sont aussi sous la sauvegarde de l’Église.
Remarquons d’ailleurs que l’Église et la civilisation chrétienne seraient impraticables si les juges du Saint-Office devaient tous avoir la stature d’un saint Thomas. Maritain lui-même, lorsqu’il s’emporte contre les juges du Saint-Office, fait remarquer :
« […] S’il est vrai, – et cela est bien vrai – que, comme l’écrit le cardinal Journet, tous les contemporains tenaient pour évident que cette condamnation doctrinale était portée en matière révocable, par une autorité faillible, ils étaient certainement les premiers à savoir qu’ils pouvaient se tromper14. »
C’est le cas de dire : et alors ? Si les juges du Saint-Office ne pouvaient que prouver et censurer de manière faillible, j’en conclus qu’il ne faudrait pas chercher l’erreur dans le personnel, mais bien dans la personne même de cette Église qui a si longtemps reconnu la légitimité du gouvernement des esprits, gouvernement où se trouve nécessairement incluse la possibilité de décisions gravissimes en matière révocable, loin du domaine strict de l’infaillibilité. Si le Saint-Office, au-delà de la grosse bourde, comme disent les Français, a commis ici un véritable « abus de pouvoir » [Maritain], alors il faut conclure à l’impraticabilité radicale du gouvernement même de l’Église, puisque l’exercice de l’infaillibilité doit être précisément réservé aux questions extraordinaires, directement contraires à la foi, et que tout gouvernement exige des mesures pastorales sur l’ensemble des questions ordinaires.
Je répéterai donc, en pleine conscience de heurter sur ce point l’Himalaya des opinions contraires accumulées durant quatre siècles, et aussi un auteur que j’ai toujours eu pour maître en philosophie, que la déclaration du Saint-Office voulait dire simplement ceci : les propositions de Galilée étaient dangereuses pour la foi, nocives à la foi au chapitre du sens commun, c’est-à-dire d’une sagesse (même rustique), qui comme telle reste supérieure et plus digne de soins que les sciences des choses extérieures et inférieures. Ces sciences-là en effet n’ont pas grand’chose à perdre de patienter quelque temps au feu vert des carrefours de l’Histoire ; mais elles mettent en danger toute une civilisation lorsqu’elles revendiquent pour elles-mêmes l’infaillibilité.
Le Saint-Office avait… raison !
!
En outre, on n’insiste jamais assez sur ce point : l’erreur du génial Galilée, dans son propre camp scientifique, fut plus grave et plus fracassante que l’excès de formulation dogmatique avec lequel le Saint-Office l’a repris. L’idée d’un Soleil immobile au centre du monde est beaucoup plus grotesque, plus fantasque, plus insensée que la définition traditionnelle qui situait ce centre sur la Terre où l’homme a pris naissance et où s’est incarné le Verbe de Dieu.
Le Saint-Office, sans le savoir, sans s’immiscer le moins du monde dans les révolutions successives de la science physique, en soutenant que l’héliocentrisme était insensé et absurde « philosophiquement », soutenait exactement ce que soutiendront les physiciens modernes : la proposition qui laisse le Soleil immobile au centre de l’univers est meaningless, elle est dénuée de sens pour le physicien, « et même pour le non-physicien », comme disait Einstein dans de semblables situations. Plus exacte était la proposition philosophique ou théologique qui plaçait le centre du monde où se trouve l’observateur capable de le mesurer en parallaxes et années-lumière, et où est venue vivre dans sa condition charnelle la deuxième Personne de la Sainte Trinité.
Oui, en 1611 comme en 1971, comme en 2611, et jusqu’à la fin des temps, la notion de centre de l’univers n’aura de sens que dans l’ordre de la connaissance et dans celui de l’amour. Le Soleil restera, si l’on veut, centre imaginaire, centre de raison mathématique de l’orbite parcourue par les centres de gravité des planètes : orbite circulaire pour Galilée ; elliptique pour Kepler ; et aujourd’hui complexement hélicoïdale, comme on l’a découvert après que l’analyse spectrale a révélé le déplacement de certaines raies, soit dans la direction du rouge, soit dans la direction opposée, selon qu’on observait certaines étoiles à proximité de la constellation d’Hercule ou de l’autre côté. À partir de cette observation, il fut acquis que messer frate il Sole, notre frère messire le Soleil, loin de la majestueuse et statique immobilité que lui attribuèrent Copernic et Galilée, est un globe incandescent qui tombe, ou mieux, qui erre dans l’espace, Parsifal sans heaume et sans lance, et plus perdu encore que lui.
Le pompeux « héliocentrisme », pauvre vérité de complexion fragile, comme disait Ibsen, s’est pris les pieds dans la pelote capricieusement déroulée sur les statuts successifs de la planète Soleil : maître du ciel, centre du monde, foyer d’une ellipse (déjà du vivant de Kepler), aujourd’hui enfin grain parmi les grains, poussière incertaine et mouvante de notre agitation universelle, notre restless universe, comme Max Born disait.
Pour tout dire, la proposition présentée au Saint-Office par Galilée, présumant la preuve physique de ce qui lui paraissait « évident comme s’il l’avait touché de ses mains », cette proposition constituait un monstre épistémologique, qui mélange les degrés d’abstraction et où l’hypothèse explicative se transforme comme par magie en donnée de l’observation — monstre aggravé d’une fraude par l’obstination de Galilée à inculquer au public la certitude d’une preuve scientifique de sa théorie.
Il me semble indiscutable que sur cet épisode, comme scientifique, Galilée s’est plus gravement fourvoyé dans les termes de sa communication que les juges du Saint-Office ne se trompaient eux-mêmes comme théologiens. En effet, pour défendre en toute justice l’énoncé de leur condamnation, il nous suffit de le situer sur le plan pastoral d’une légitime défense du sens commun sauvagement mis à mal, non par des recherches et observations sur les satellites de Jupiter, non par quelques théories explicatives prudemment présentées sous le manteau de l’hypothèse, mais par une escroquerie délibérée : celle qui prétendait imposer comme acquise une théorie qui devra attendre le résultat de longues études pour faire valoir quelques droits à un énoncé décemment scientifique.
[…] Dans le cas de Galilée, pour en finir, je dirai que nous sommes aujourd’hui plus que jamais en mesure d’apprécier la réelle et profonde intuition du Saint-Office : avoir senti la présence du monstre — le scientisme et non la science — qui enfonçait alors nos portes et se précipitait déjà pour dévaster la civilisation. Mais notre constatation n’a rien de triomphaliste, car nous sommes bien peu, hélas ! à la partager. Elle est plutôt mélancolique. Elle offre toute l’amertume d’une bataille perdue.
1 Repris de Le Siècle de l’Enfer (O seculo do Nada, 1973), Le Barroux, Éd. Sainte-Madeleine, 1994, p. 167-185.
2 Ingénieur électronicien, enseignant et journaliste converti en 1939. Brésilien de culture française, ayant aussi publié dans la revue Itinéraires de nombreux articles aussi remarquables par la force de son style que par la profondeur de ses idées.
3 Il s’agit du sens commun comme d’une « Petite sagesse », comme d’un premier capital sur lequel il sera possible de construire, et qui pourra être enrichi ou déformé par l’environnement culturel.
4 R. GARRIGOU-LAGRANGE, op., Le Sens Commun, Paris, Desclée De Brouwer, 1936.
5 Ndlr. S. Thomas d’Aquin, en sa ST, Ia, q 32, a. 1, ad 2, écrit : «… possunt salvari apparentia sensibilia », (par une hypothèse donnée) « peuvent être sauvées les apparences sensibles. » Mais il ajoute cette phrase importante : « Cependant, ce raisonnement n’est pas adéquatement probant, car peut-être les faits pourraient-ils aussi être sauvés par une autre hypothèse. » Comme le remarque un moine bénédictin : « On voit donc que sauver les apparences n’est pas la meilleure façon de prouver une chose, c’est un pis-aller dû à notre ignorance de la cause réelle. On ne peut pas trop bâtir sur ce fondement. »
6 S. F. MASON, Une Histoire des Sciences, (An History of the Sciences, 1947), trad. de l’angl. par Marguerite VERGNAUD, Paris, Armand Colin, 1956, p. 10.
7 Ndlr. G. Corção écrivait en 1973. Mais même le pendule de Foucault n’est pas un argument dirimant pour un mouvement diurne absolu de la Terre. Se reporter à J. de PONTCHARRA, « Ptolémée, Oresme, Copernic, Brahé, Galilée, Kepler » in Le Cep n°56, juillet 2011, p. 21.
8 L. MUMFORD, « The Megamachine », The New Yorker Review of Books, oct. 1970, p. 10-17.
9 Idem.
10 O. BRACHFELD, Los sentimientos de Inferioridade, Barcelone, Luiz Mirade, 1959, p. 24 sq.
11 L. MUMFORD, op. cit., id.
12 J. MARITAIN, De l’Église du Christ, Paris, Desclée De Brouwer, 1970, p. 345 sq.
13 Souligné par nous.
14 Id.