Histoire du moine Abel

Par André Belossi

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Le moine Abel est né en mars 1757 dans la famille d’un forgeron et paysan d’Akoulouvo, près de Toula. Il fut prénommé Vassili. Il témoigna très tôt d’un grand intérêt pour la spiritualité et, dès 19 ans, il quitta la maison paternelle pour entreprendre un périple à travers la Russie, apparemment sans dessein bien mûri.

En 1785, soit neuf ans plus tard, on le retrouve au monastère de Varlaam, dirigé par le père supérieur Nazzari. Assez rapidement il se retira dans une maison à l’écart du monastère où il vécut comme un ermite, tout en remplissant les astreintes de la vie religieuse puisqu’il était devenu le moine Abel.

Deux ans après son arrivée à Varlaam, Frère Abel acquit le don de divination. On dit qu’il aurait été emporté au ciel par deux êtres d’aspect humain qu’il appelait esprits. Ils lui auraient montré deux livres dont il rapporterait le contenu. Il entend aussi des voix qui l’avertissent des événements à venir.

Il entreprit la rédaction d’un ouvrage où il consigna tout ce qu’il lui avait été donné de connaître. Étant dans un couvent, il dut remettre cet ouvrage à son supérieur et le livre arriva à la direction de la police qui fit immédiatement arrêter le moine.

En mars 1796 le moine fut interrogé par le général Makarov, chef de la sûreté, chez qui était arrivé le manuscrit, jugé « effrayant » par tout le monde. Et le chef de la sûreté réclama aussitôt la peine capitale pour le moine. La police secrète estima le livre « compromettant pour l’honneur et la réputation de l’impératrice » Catherine II. Pire, le moine avait prévu quel jour et à quelle heure elle devait mourir.

Mais Catherine II refusa l’exécution. Le moine fut condamné à la détention perpétuelle dans la forteresse de Schlisselbourg. Il en sortit au bout de neuf ans. L’impératrice rendit son âme à Dieu à l’heure et au jour annoncés par le devin, le 6 novembre 1796, ainsi que l’attesta  le général Ermolov.

Paul 1er, successeur de Catherine II, gracia le moine après avoir tenu à le rencontrer. Abel est transféré dans un monastère où il est entretenu aux frais du nouveau tsar.

Mais le moine écrit un nouveau livre aussi « effrayant » que le premier, où il annonce l’assassinat de Paul 1er. Ce dernier, qui a pris connaissance du livre, fait enfermer derechef le moine dans la forteresse Pierre et Paul à Saint-Pétersbourg. Un jour, il va même le voir dans sa cellule et l’interroge sur l’avenir du pays et sur sa propre destinée. Dans la nuit du 11 au 12 mars 1801, Paul 1er est assassiné, à la date annoncée.

Le nouveau tsar, Alexandre 1er, fait libérer le moine qui écrit alors en 14 mois un troisième livre, toujours aussi « effrayant ». En 1802, il annonce notamment que Napoléon entrera avec son armée dans Moscou. Le tsar décida de faire enfermer le moine Abel jusqu’à ce que ses prophéties se réalisassent.

En 1813, après 11 ans de captivité, le moine retrouve la liberté. Il se rend en pèlerinage, à Jérusalem, à Constantinople, au mont Athos et voyage en Russie où il est arrêté sur ordre de Nicolas 1er, le troisième fils de Paul 1er, qui vient de succéder à son frère. Frère Abel est envoyé au monastère du Saint Sauveur- Saint Euthyme à Souzdal, qui tenait plus de la forteresse que du couvent. Il y restera les quinze dernières années de sa vie et mourra en 1841, âgé de 83 ans et 10 mois. Il avait passé plus de 25 ans en prison.

En fait le moine avait prophétisé pour plusieurs décennies. Et ces secrets étaient couchés par écrit dans un coffret stylisé entouré d’un gros fil de soie rouge, enfermé dans une petite salle du palais de Gatchina près de Saint-Pétersbourg. Paul 1er y avait apposé son sceau personnel et fit l’inscription suivante : « J’ordonne à mon descendant d’ouvrir cette lettre le jour du centième anniversaire de ma mort ».

Le 11 mars 1901, quand le délai indiqué dans le testament eut expiré, l’empereur Nicolas II arriva au palais de Gatchina avec sa suite. Après un service commémorant la mort de Paul 1er, l’empereur ouvrit l’enveloppe et apprit le triste sort qui l’attendait.

La dame d’honneur de l’impératrice, Marie Heringer, qui vit le coffret, et divers proches de la famille impériale dont l’ambassadeur de France, Maurice Paléologue, attestèrent qu’à partir de cette visite au palais de Gatchina, le couple impérial fut triste et préoccupé.

Nicolas II comme l’impératrice Alexandra, n’évoquait jamais l’avenir sans parler de 1918 comme « une année funeste » pour eux et leur dynastie. Le sort de la famille impériale était scellé. Tout le passé était là pour en témoigner avec la réalisation des prophéties du moine devin.

Voilà qui restreint singulièrement la conception que nous nous faisons de notre liberté1.


1 Ndlr. Ou plutôt : notre liberté personnelle, qui reste entière, n’est pas de nature à entraver la réalisation du plan de Dieu, à un niveau supérieur.

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