Autour de l’Homme du Moustier

Par Dr. Jean-Maurice Clercq

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LES DESSOUS DE LA PREHISTOIRE

            La préhistoire, comme les autres sciences, est une production humaine. Elle se prête donc aux même biais, et aux même erreurs : de faits, de jugements, d’hypothèses ou de raisonnements. Elle s’y prête même d’autant mieux que l’enjeu idéologique y culmine : en décrivant le passé de l’humanité, on se trouve inévitablement confronté aux récits religieux sur l’origine de l’homme et la tentation est grande, selon ses inclinations, de vouloir confirmer ou (le plus souvent) infirmer ces récits et tout particulièrement celui de la Genèse. Il a donc paru souhaitable de montrer un autre visage de la préhistoire, celui qui ne figure jamais dans les manuels ni les encyclopédies, cette face obscure d’une activité humaine soumise à ce titre aux passions et aux intérêts comme aux préjugés.

   

            On donnera ci-après, et sans commentaires, deux lettres inédites précédées d’une courte notice biographique des préhistoriens concernés : Otto Hauser, Denis Peyrony et l’Abbé Breuil. Les maladresses du style ont été respectées.

            Abbé Henri Breuil (1877-1961) : Personnalité incontournable de la préhistoire, en particulier de la période Cro-Magnon du Périgord (- 30.000 à -8.000 « ans »1 ) dont il étudia et releva presque tous les dessins, peintures et gravures. L’étude de la grotte de Lascaux le rendit célèbre auprès du public. Professeur d’ethnographie préhistorique à l’Institut de paléontologie humaine, dès sa fondation par le prince de Monaco en 1910, puis au Collège de France (1927-1947), il a reconnu l’existence d’écoles artistiques dès les temps paléolithiques.

Il connut une carrière de préhistorien exceptionnellement longue puisqu’il publia dès le début du XXème siècle (Rapport sur les fouilles dans la grotte du Mas d’Azil, 1902) jusqu’en 1952 (400 Siècles d’Art pariétal).

            Otto Hauser : Allemand d’origine suisse, spécialisé dans les fouilles préhistoriques au Périgord dans un but essentiellement mercantile. Ce fut lui qui découvrit en 1907 le squelette de l’Homme du Moustier (- 80.000 ans)2 . Il le vendit pour 100.000 marks à l’empereur Guillaume II qui en fit don au musée d’anthropologie de Berlin. Personne ne s’offusquait officiellement de cette activité et O. Hauser entretenait des relations avec les préhistoriens français dont l’Abbé Breuil et Peyrony… tout au moins jusqu’à la déclaration de la 1ère guerre mondiale quand un soi-disant sursaut patriotique devint un élégant moyen de chasser ce concurrent.

            Denis Peyrony : Né en 1869, Denis Peyrony fut nommé instituteur au village des Eyzies en 1891 et, de là, s’intéressa à la préhistoire. A cette époque, le grand loisir de certains habitants de la région consistait à s’armer de pelles et de pioches et à parcourir la campagne à la recherche de sites préhistoriques, creusant et fouillant souvent sans vergogne et sans demander d’autorisation aux paysans. Les silex étaient gardés pour des collections personnelles et aussi vendus à des amateurs. Ainsi se sont montés des collections dignes de certains musées. En 1910, Peyrony fut Chargé de mission au ministère de l’Instruction publique. Sous son impulsion, le château du bourg devint le musée de préhistoire dont il sera le conservateur jusqu’à sa retraite en 1936. Son fils lui succéda jusqu’en 1966. Il a occupé aussi la fonction de délégué du ministère des Beaux-Arts. Son nom est inséparable de bien de sites préhistoriques du Périgord.

Dr O.HAUSER

Schöneiche. Waldstr.70

Bln. – Friedrichshagen                                              

Le 23 juin 31 

          Cher Beaudet,

            Hier je suis rentré d’un petit voyage et j’ai trouvé vos deux caisses ; ce matin je les ai déballées. Le matériel se compose, le tout, de pièces d’études, 4ème qualité, bon, seulement pour faire des études sur la manière de leur fabrication ; mais tout de même je vous en remercie. Je prends toujours telles pièces, qui ne sont pas dommage d’en faire des essais. Ce soir, j’irai à la poste et vous enverrai directement à votre domicile la somme de frs 9240. S’il y aura une prochaine fois des pièces de 1ère et 2ème qualité (entre les autres) je paierai volontiers d’avantage.

            Mes remerciements aussi pour votre lettre au sujet de la plaine de chez Pagès. N’oubliez jamais que le Français Brenié et son compagnon d’affaire Peyrony sont la cause de la plus grande corruption dans notre science, faussaires et tricheurs et grands marchands ; la « Dépêche de Vichy » porte souvent des articles là-dessus et Peyrony vivra encore quand il sera complètement dévoilé !!! Aussi les trouvailles de chez Pagès sont déjà sujet des méfaits de ces misérables.

            Breuil possède, d’après les nouvelles qui me sont parvenues dernièrement, une fortune de 4 millions de francs ; un Américain qui a travaillé avec lui, le dénonce pas mal !! Ici en Allemagne Breuil fait un commerce pas ordinaire avec toute sorte d’antiquités ; actuellement il cherche à vendre une collection de bronzes d’Espagne 50.000 marks!! Par hasard on m’a donné le tout à expertiser, ne sachant pas que je reconnaisse l’écriture de ce fameux Breuil. Du reste lui et Peyrony ont vendu un squelette (de France), fouille classée, pour leur compte, comme on me disait à Chicago. Bonnes affaires.

            Tenez-moi, je vous en prie, au courant de ce qui se passe : ne pouvez-vous pas ajouter un jour 1 à 2 pièces de cette plaine à un envoi de vous à moi ?

            Cordialement, bonne santé, hommage à Madame Dilnent, bonjour et fidèle à vous.

          O.Hauser

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Schöneiche/Berlin 

Le 25/V/31

            Monsieur le Docteur Morlet

            Une maladie grave m’a empêché de répondre plus tôt à votre aimable lettre du 3 avril.

            Breuil est complètement reconnu comme très grand marchand, il a traité (et les traite encore) des grosses affaires avec beaucoup de monde ; entre autres un américain, qui ne travaille plus avec Breuil, en a donné preuve à Mr. Leyssalles Père, Hôtel Cro-Magnon, Les Eyzies (dernièrement). Breuil exporte en gros à l’étranger (avec Peyrony). Breuil fait aussi un grand commerce avec des bronzes ibériques ; il se sert du fameux Obcornaier (Madrid-Bavière) comme expert.

            Il y a quelques mois que j’ai reçu un inventaire sur des objets pareils, écrit par la main de Breuil et attesté par Obcornaier et on m’a demandé mon opinion là-dessus. Pensez que Breuil ne s’en doutait pas !! Les bronzes sont à Berlin !

            Mr Otto Spengler, Directeur d’un bureau de (conformes) à New York (l’adresse suffit) a été chez moi le 5 décembre 1928, de 10 ½ à 13 h et il m’a raconté qu’il avait vu un squelette…etc (comme je l’avais déjà écrit à Mr le Directeur de la Dépêche).

            Au sujet de Breuil et Obcornaier, vous renseignerait aussi bien Mr le docteur en médecine Desalaers à Crefeld qui a lancé toute une série d’articles contre ces sujets.

            Peyrony continue à arranger les couches paléolithiques de la Dordogne. Actuellement il triche dans son musée des Eyzies les couches de la Micoque et cela avec des silex trouvés et numérotés par moi, volé de moi par Peyrony. S’il s’agit d’un squelette du Cap-Blanc je ne sais pas, en tout cas cet objet n’a jamais été découvert par le Dr Lalanne que je connaissais comme honnête homme, mais par ses ouvriers Peyrille, et Leblantier qui a été en prison.

            Toujours à votre service

           Dr Hauser

1 En indiquant ici les « âges » communément associés aux différents sites préhistoriques, nous n’attribuons bien entendu aucune valeur absolue à ces estimations.

2 Le squelette néanderthalien du Moustier fut dégagé le 7 mars 1907, puis recouvert et remis à jour à plusieurs reprises en attendant le dégagement  officiel qui eut lieu en août 1908 en présence d’une commission d’experts archéologues exclusivement germanique… Le procès-verbal, tout préparé, fut signé la veille du dégagement officiel au cours d’un plantureux repas copieusement arrosé. Des enfants du pays, visitant les fouilles, réussirent même à dérober une partie des ossements de l’Homme du Moustier pour s’amuser et se virent poursuivis par le boiteux Hauser qui furieux leur brandissait sa canne.

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