Science et Démonstrations fallacieuses (2ème partie)

Par R.P. Jouvenroux

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Résumé : Dans Le Cep n°23, l’auteur dénonçant l’idéologie scientiste étalée dans le livre récent de Georges Charpak et Henri Broch « Devenez sorciers, devenez savants ». Il en vient ici au préjugé entreligieux qui amène un Prix Nobel de Physique à vouloir écarter, assez maladroitement du reste, l’énigme posée à la science par le Linceul de Turin.

2.11 – Le Linceul de Turin: Où les auteurs font une certaine fixation sur un objet qui semble les obséder.

Le ‘Saint Suaire’ ne pouvait manquer d’être l’objet de l’attention de C&B. Cependant, le lecteur va rester terriblement sur sa faim. Alors que ceux-ci nous affirment :

‘Nous ne combattons pas l’irrationnel, nous luttons simplement pour quelque chose. Par exemple, pour que les gens aient au moins les deux facettes d’une information.’

 ‘Les superstitions ne gênent personne sauf si elles sont présentées comme des phénomènes validés.’

Le moins que l’on puisse dire est que cette belle leçon de morale n’est guère suivie par C&B qui, à propos du Saint Suaire, se contentent de ne donner qu’un seul type d’information : celle en faveur de la thèse du faux… Ils évoquent le Saint Suaire à plusieurs endroits (nous mettons en italiques les textes tirés du livre de Charpak et al.):

p.99-100 : critique du ‘tirage au hasard’ des 40 membres du STURP (environ une page sur ce sujet),

puis en bas de page 100 :

1.- Pour une étude détaillée du saint suaire de Turin, tant sur le plan historique que sur le plan scientifique, concluant qu’il s’agit d’un pur produit ‘made in France’ au XIVè siècle, nous renvoyons au chapitre qui lui est consacré dans Henri Broch, « Le paranormal », Paris, Seuil, ‘Point-Sciences’, 2001.

2.- Cf. l’annexe ‘Composition d’un groupe et probabilités’ pour le détail du calcul. Afin que tout soit clair et qu’il n’y ait pas de mauvaise interprétation, un groupe formé de 39 athées militants sur 40 membres prêterait évidemment au soupçon d’un a priori du même type.

Et p.111 : passages sur les phénomènes surprenants

‘… un saint suaire placardé par le vent sur le mur de la maison voisine ‘ avec note en bas de page : ‘C’est authentique ! Il y a en effet quelquefois des saints suaires qui sèchent tranquillement à la fenêtre du bureau de Henri Broch’. (C’est Charpak qui le dit….)

Puis p.165 : ‘Les corps radioactifs font aujourd’hui l’objet d’une diabolisation saugrenue.’

‘Le XXè siècle a vu leur éclosion puis leur intrusion galopante dans beaucoup d’activités humaines, de la recherche en biologie à la datation des vieux suaires,…’ avec une note en bas de page :

Par exemple la datation au carbone-14 du fameux “ saint suaire de Turin » a donné comme date 1325 + – 65, confirmant ainsi la datation historique du XIVème siècle.’

La phrase ‘Le XXème siècle…’ est suivie sur la même page d’un paragraphe sur les ‘effroyables cataclysmes de ce siècle’… et diverses digressions politico-antireligieuses… 

Enfin p.218-219 : critique probabiliste sur la composition de l’association internationale d’étude du Saint Suaire : le STURP (plus d’une page sur ce sujet, pour un livre où le texte couvre 218 pages). Nous lisons :

COMPOSITION d’un groupe et probabilités (p.218-219) :

‘Le STURP (Shroud of Turin Research Project’ compte 40 membres : 39 croyants, 1 agnostique.

Quelle est la probabilité pour qu’un groupe formé de 40 scientifiques américains choisis au hasard parmi des milliers ait une telle composition ?

La loi binomiale (cf. annexe : ‘lancer de pièces et probabilité’) nous permet de calculer cela. Il suffit de connaître la probabilité  p  pour qu’un scientifique américain soit croyant. Paul Kurtz (chairman du CSICOP) a rapporté lors d’un colloque international à l’Université de Maastricht en 1999 qu’une large enquête avait montré que, parmi les scientifiques des Etats-Unis, 60% ne croient pas et 40% croient en un dieu (NB : l’enquête montrait également que, si l’on se restreignait aux scientifiques d’un niveau académique élevé, le taux de croyance en un dieu était beaucoup plus faible). La probabilité p que nous pouvons donc prendre est de 0.4.

La probabilité d’obtenir un groupe composé comme le STURP est alors de :

P(39) = C40 39 (0.4)39 (0.6)1 = 7.3.10-15 soit 7 chances sur un million de milliards !

Pour information, voici les résultats pour d’autres valeurs de p :

  • Si p=0.25 _> P(39) =1.0.10-22, No comment.
  • Si p=0.50 -> P(39) = 3.6.10-11, soit moins de 4 chances sur 100 milliards.
  • Si p=0,75, même avec une probabilité p aussi élevée, nous aurions encore pour la formulation du groupe une probabilité P(39)= = 1.3.10-4, soit une chance sur dix mille !’

Et le livre se termine là.  Sur ce raisonnement spécieux.

Cela est symptomatique du parti pris sous-jacent de nos deux auteurs. En effet dans cette affaire, le calcul qui précède n’a rien à voir avec la valeur des études scientifiques consacrées au Linceul de Turin. Le STURP est un organisme américain qui n’a en rien l’exclusivité de l’étude du Linceul de Turin. D’ailleurs dans le Colloque de Rome (UPINSKY (1993)), le nombre de communications était de 45 dont 9 américaines seulement.

Ces travaux n’émanaient donc que très faiblement du STURP. De plus aussi bien parmi les 45 intervenants que parmi les quelques 200 participants le nombre de scientifiques était parfaitement impressionnant…

Messieurs Charpak et Broch veulent-ils les discréditer tous, et y compris le Professeur Lejeune alors assis à nos côtés ?1 

A propos de la véracité du Linceul, les auteurs auraient mieux fait de se pencher, -on l’attend d’ailleurs, à titre d’exercice de cours-, sur les analyses statistiques approfondies de VAN HELST, JOUVENROUX (1995) (1997) ou d’autres qui sont sérieuses et montrent l’incompétence et les manipulations des statisticiens du British Muséum impliqués dans la validation statistique des analyses radiocarbone effectuées sur le Linceul. Mais si l’Université française héberge des Professeurs de ‘zététique’2 qui arrivent à faire gober à des étudiants la fausseté du Linceul de Turin avec des démonstrations telles que celles citées en italique, il faut reconnaître que le British Museum est largement battu.

C&B auraient pu au moins évoquer, surtout pour le plus compétent en matière de radioactivité, la variabilité des analyses, le problème des valeurs aberrantes, les lois de probabilités (inconnues) sous-jacentes aux AMS3 et surtout les incertitudes liées aux protocoles et à la valeur des analyses. Pourquoi ne rien dire de tout cela ? Il faut aussi préciser que les éléments d’analyse apportés ailleurs par BROCH (2001) n’apportent rien de neuf et ignorent tout des études historiques et scientifiques innombrables sur ce sujet. La façon dont les ‘outliers’ (‘valeurs aberrantes’) ont été escamotés dans les études conduites sous la direction de Monsieur Tite du ‘British Museum’ est d’ailleurs symptomatique du danger de trop faire confiance à la ‘Science’ ou à certains ‘scientifiques’, en matière de sciences expérimentales. Sur l’utilisation perverse des sciences voir par exemple UPINSKY  (1985).

La critique de la composition du STURP n’a aucune espèce de fondement (C&B reprennent d’ailleurs GOVE, cité par Van OOSTERWYCK (1999), p.162).

Par exemple, la façon dont les jurys de thèse sont constitués en France pourrait recevoir la même critique : à supposer des jurys de 5 membres, choisis par cooptation par le directeur de thèse, ce qui est toujours le cas, la probabilité que calculerait Monsieur Broch serait de (1/5)5= 0.00032 pour 1, soit de 0.03 %, presque 100 fois plus petite que 1%, autrement dit qu’elle est nulle. La validité des thèses françaises est donc totalement nulle !..

En continuant ce raisonnement, moins de 3 professeurs d’université sur 10 000 peuvent prétendre à la qualité de scientifique ! Que dire des jurys du temps de l’URSS ! Mais pour suivre ce raisonnement totalement faux, pourquoi son initiateur ne s’intéresse-t-il donc pas à la façon dont le protocole de datation du Linceul a été conduit : trois laboratoires non choisis au hasard, qui, comble de la malhonnêteté en matière scientifique, connaissaient, avant de les tester, les âges ‘estimés’ par l’orchestrateur que fut le Dr Tite…. Voir pour cela Van OOSTERWYCK (1999), p.92 et sv…. C&B peuvent-ils nous assurer, après cela, que les protocoles ont été faits de façon scientifique et objective ?

3. Conclusion :

S’il y avait fort à dire sur le sujet de la science et de la foi, -où les supercheries et les idées a priori sont nombreuses, des deux côtés-, le livre de Charpak-Broch ne fera certainement pas date. Le domaine est pourtant vaste. On pourra se reporter aux livres de MAJAX (1992) pour la  magie et à celui du magicien RANKY (1999), celui de DEBRAY-RITZEN (1991) sur la psychanalyse et encore à celui de  DURANDIN (1972) sur le mensonge. Quant à l’illusion et à la vérité ce sujet a été abordé par de nombreux autres chercheurs. Il a aussi été abordé par BERTHAULT (1985) dans un très intéressant opuscule.

Pour la ‘croyance en Dieu’ de la part de scientifiques, et dont C&B voudraient nous faire croire qu’il s’agit d’un reliquat de gens arriérés, nous en différons la réponse tant le sujet est vaste. En attendant se référer à  EYMIEU (1920), De LAUNAY (1925), De FLERS (1928), JIP (1936), ALPHANDERY (1962)…

Pour ce qui est de comprendre ce qu’est réellement la philosophie, dont Monsieur Charpack n’a qu’une vision très personnelle, nous lui conseillons d’essayer de retrouver les ouvrages de l’abbé ROBERT (1914), de JOLIVET (1942) et de BOUTROUX (1917). Dans ce domaine il ne paraît pas qu’Yves Coppens soit très versé en logique élémentaire.

Pour l’objectivité nous préférons ces quelques mots de MAJAX (1992), p. 8 :

‘En me promenant dans le monde entier, j’ai continué de rendre visite aux mages, sorciers et autres thaumaturges de grande réputation. Je n’ai découvert que de fascinants truqueurs. De talentueux artistes, sans doute, mais aussi des professionnels de l’esbroufe qui savaient présenter leurs miracles en maîtres de la communication.’

Là nous sommes d’accord ; nous le sommes beaucoup moins sur les démonstrations de C&B.

Nous avons d’abord montré qu’en matière d’astrologie, non seulement C&B ignoraient le sujet, mais qu’ils réutilisaient l’argument cent fois repris de la précession des équinoxes, en pure perte. Il suffit ici de citer la lettre adressée au CIA (1972),  du 1er mars 1972, par M. Jacques LEVY, astronome titulaire de l’Observatoire de Paris :

‘Vous défendez une astrologie purement solaire et planétaire, et cette astronomie-là n’est évidemment pas sensible à la précession des équinoxes.’ (…‘en vous recommandant de ne pas me faire dire que les astrologies de type purement planéto-solaire sont à l’abri des critiques, je vous prie d’agréer’…).

Ensuite, nous avons montré  que l’affaire des tuyaux  de Monsieur Broch  relève d’une parfaite ignorance des phénomènes électromagnétiques tels que ceux décrits par Y. Rocard. L’appel aux mathématiques est ici fallacieux.

L’expérimentation de Broch était sans intérêt, le résultat étant connu de tous les sourciers sérieux. Par contre, en profiter pour discréditer les sourciers, est malhonnête. Cela met aussi en cause l’utilisation abusive des sciences et des mathématiques que le public ne peut comprendre aisément.

L’affaire Broch, est à ce titre exemplaire de ce que l’on peut appeler de la désinformation scientifique.

Enfin, pour ce qui concerne le Linceul de Turin, il conviendrait que nos deux auteurs se penchent sur les extraordinaires découvertes faites ces dernières années sur cet objet.

Prendre le parti des signataires de l’article de la revue Nature, comme le font C&B, relève de la plus obscurantiste crédulité en une science manipulée. Outre les idées préconçues, les pseudo démonstrations pour discréditer les chercheurs américains relèvent encore de calculs de probabilités qui peuvent faire illusion, mais sont parfaitement fallacieux et ne discréditent que leurs auteurs.

Il est très révélateur que dans beaucoup d’exemples de ce livre, les mathématiques soient utilisées pour convaincre abusivement le lecteur. Et il est dommage que Monsieur Charpak soit tombé dans l’illusion de croire qu’il défendait ainsi la science. Il y avait pourtant lieu de s’intéresser à de nombreux sujets,  dont celui de la radioactivité, surtout dans les domaines où les compteurs Geiger sont peu sensibles…

_______________

Nota 1 : Cet article a été écrit indépendamment d’une conférence de Claude TIMMERMAN (2002) sur le livre de C&B, donnée au Colloque du CEP à Chevilly-Larue en 2001, conférence qui apporte des arguments et renseignements complémentaires. La cassette est disponible au CEP.

Nota 2 : Nous profitons de cet article pour compléter celui que nous avons publié dans les Actes de Rome où le bas du Tableau 1.1 concernant le laboratoire d’Arizona a été coupé à l’impression . Nous en reproduisons les trois  dernières lignes et les en-têtes :

Echantillons :Linceul
( ?-650)
Tombe/Nubie
(980-885 BP)
Cleop. de Theb.
(1915-1825 BP)
Louis d’Anjou
(720-695 BP)
Moyenne Pondérée :646.4927.41995.2721.6
Chi2 pondéré :8.69.05 22.316.7
Niveau de confiance % :3(3df)           5(4df)0(4df)0(4df)

Et puis pour terminer rappelons ce que nous écrivions alors (p.202): En l’état actuel des choses, personne ne saurait accepter la conclusion de ‘Nature’ sur les bases statistiques retenues par cette revue. Ni les calculs, partout entachés d’erreurs, ni les méthodes, toutes critiquables du fait d’hypothèses fausses ou invérifiables, ne peuvent apporter la moindre crédibilité aux conclusions présentées. 


1 Ndlr. R.P. Jouvenroux figurait parmi les intervenant à ce symposium du CIELT à Rome, avec une communication intitulée : Intervalles de confiance et datation radiocarbone du Linceul de Turin (Actes du Symposium de Rome, Ed. F.-X. de Guibert, Paris, 1995)

2 Ndlr. « Zététikos », en grec désigne celui qui aime à rechercher, à examiner. Mais sous cette belle étymologie s’abrite ici, avec Broch, une association d’athées militants, analogue au CSICOP américain.

3 AMS : les spectrographes de masse utilisés pour les mesures de radiocarbone sur le Linceul de Turin en 1988.

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