Recherche : la liberté ou la mort

Par Jacques Benveniste

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Résumé : Jacques Benveniste vient de passer dans l’autre monde. Esprit tourmenté, privé des lumières de la foi, comme de la paix intérieure que procure la confiance en la Providence divine, il aurait pu figurer dans les biographies rédigées par Pierre Lance sous le titre « Savants maudits, chercheurs exclus »1, s’il n’avait été longtemps Directeur de Recherches à l’Inserm avec une grande autonomie de fonctionnement et tous les avantages liés à son statut officiel.
Mais la publication dans Nature (revue difficilement qualifiable d’officieuse ou de farfelue) de ses travaux sur « la mémoire de l’eau » allait déclencher une vaste polémique internationale dont les remous durent encore. Nous l’avions visité alors dans son laboratoire, et nous avons pu observer une expérience dans laquelle une solution aqueuse recueillait une information électromagnétique et produisait les effets attendus sur les battements d’un cœur de poulet. Même s’il est resté à mi-chemin dans sa recherche de la Vérité, nous avons cru convenable de rendre ici hommage à la démarche du chercheur en reproduisant un « courrier des lecteurs » qu’il avait envoyé à la revue Science et Avenir à la suite d’un dossier, publié en janvier 2002, sur « les hérétiques de la science ». Surmontant un ressentiment compréhensible, J. Benveniste dépasse une critique stérile et propose des mesures de redressement pour la recherche publique française.

Le dossier sur les hérétiques, excellent, est peut être l’amorce d’un débat sur le confinement dogmatique de la recherche scientifique. Ou peut-être pas, car le système scientifico-industriel fera encore le gros dos. Quoi qu’il en soit, il faut pousser l’analyse, vu l’importance pour l’avenir de rétablir la liberté de la recherche.

Les six « hérétiques » n’ont pas décidé « d’entrer en dissidence ». Ce sont des chercheurs classiques, souvent très impliqués dans l’institution, comme je le fus. Ils n’ont pas «disjoncté» un jour, adhérant à un autre modèle d’acquisition des connaissances, divinatoire par exemple.

Ils ont fait ce qui est le coeur, l’essence, l’essentiel du travail de découverte : observer des résultats « anomaux » qui pourraient conduire à modifier des théories établies, et ne pas les rejeter, comme le commanderaient prudence, négligence et conservatisme. Cela s’appelle un changement de paradigme, mouvement normal de la science, apparemment interdit désormais. Ce n’est pas une décision de quelques-uns. C’est que l’appareil de recherche s’est monstrueusement hypertrophié, avec de colossaux enjeux médiatiques, politiques et économiques. Comme la Sorbonne au Moyen Âge, il s’est ossifié dans le conformisme, le respect de certitudes en fait éparses et embryonnaires, déclarées socles intangibles d’une Science-Vérité, absolue et définitive, qui ne peuvent être questionnées sous peine d’excommunication. Combien de fois ai-je entendu de la bouche d’apparatchiks aveugles à la réalité du processus de recherche, au pouvoir pourtant, et aussi de scientifiques authentiques, ces mots aux accents théologiques : « Je n’y crois pas ! » ? Et cela sans qu’ils aient examiné les résultats, les faits dont le scientifique est, devrait être, l’esclave.

La question centrale n’a pas été posée: « Que reproche-t-on à ces chercheurs ? » Au pire, de se fourvoyer dans des hypothèses absurdes nées de résultats douteux. On condamne l’erreur supposée. Or, pour le paradigme dominant, toute nouvelle hypothèse est absurde et tout résultat « aberrant » est douteux. L’erreur est intrinsèque de toute exploration vraie, pas celle du n-ième gène de l’obésité. C’est le moteur de la recherche scientifique. « If we knew what it was we were doing, it would not be called research, would it? »2 (Einstein) Cette réprobation manichéenne, infantile, de l’erreur (comme si l’on renvoyait Zidane pour avoir manqué 3 buts) est une redoutable menace pour les idées nouvelles en science. Conséquence : la technologie actuelle, abusivement confondue avec la recherche scientifique (voir la génétique), prospère sur les fondamentaux acquis entre 1900 et 1950.

Où sont les pairs actuels des Newton, Einstein, Planck (dont Maddox3 m’a dit que Nature ne publierait pas aujourd’hui la théorie des quanta), Bohr, Heisenberg, Curie, Dirac, de Broglie…?

Cette obsession pseudo-rationaliste exerce ses ravages en France plus qu’ailleurs, tant les lobbies, se réclamant des Lumières pour mieux « fatwer » toute pensée déviante, « obscurantiste », y sont politiquement et médiatiquement puissants. Les médias « de gauche », les magazines scientifiques, censés être aux avant-postes du combat pour la liberté de penser une science différente, sont tellement complaisants pour la Science, qu’ils occultent tout ce qui paraît menacer sa quiétude impériale. Pour mesurer le décalage entre l’arrogance et la médiatisation outrée des lobbyistes et leur modeste rang international, rappelons quelques scandaleux et menaçants zéros que les médias et les politiques font semblant de ne pas voir : zéro prix Nobel pour l’Inserm, les secteurs sciences de la vie du CNRS et de l’Ecole normale supérieure, le Collège de France, l’Inra, le CEA… et, depuis 36 ans, l’Institut Pasteur. Pas un médicament français dans les 20 nouveaux les plus vendus dans nos pharmacies. Aucun pour le sida. Notre recherche en pharmacologie disparue, « délocalisée » aux Etats-Unis. « No comment », sur les NTIC (40 000 Français émigrés à la Silicon Valley !) et les biotechnologies, les deux sources de la croissance. Les plans de soutien aux « jeunes pousses » se succèdent dans l’échec, sans comprendre que le blocage est en haut. Désastre national dû, comme celui de 1940, à l’abdication des politiques devant les « experts » statufiés de la guerre précédente. Faillite mortelle dont les dirigeants politiques et économiques, naïvement éblouis par ces « savants » à la réputation hexagonale auto-entretenue, n’ont pas, je le sais d’expérience, la moindre conscience.

Le « Saint-Office scientifique » condamne les six pour hérésie. Mais leur condamnation condamne le système qui la prononce.

De ce constat navrant, mais arithmétiquement indiscutable, devrait émerger une autre politique de recherche, certes plus audacieuse que d’engouffrer des milliards dans des « organismes puits sans fond », selon l’expression lucide mais impuissante d’un ministre en exercice. En voici les grands traits :

1) Démantèlement des grands organismes (aucun n’est innovant dans le monde) en mini-Instituts régionaux (comme aux Etats-Unis, où les ayatollahs, puissants, ne peuvent contrôler le jaillissement diffus des innovations), 1’Etat se réservant la programmation, le financement, la mise en oeuvre et l’évaluation des grands projets technologiques, où nous sommes « bons ». 

2) Suppression du ministère de la Recherche, coûteux et inutile (les pays qui trouvent n’en ont pas) et des centaines de comités, agences et commissions chronophages et budgétivores, enfantés par cette néo-structuromanie qui ronge notre système de recherche.

3) « Défonctionnarisation » progressive des chercheurs, leur emploi à vie quoi qu’ils fassent – ou ne fassent pas – étant une spécialité française, risée du monde entier.

4) Interdiction de programmer la recherche fondamentale, toute programmation tuant l’innovation.

5) Enfin, une mesure, simple mais essentielle (elle devrait devenir constitutionnelle et être promue par Science et Avenir en ces temps préélectoraux) : 5 % des crédits de recherche, y compris ceux des associations d’utilité publique, seront alloués à des projets refusés par les experts qui, par définition, perpétuent la science établie. Ce serait un « espace de dissidence », si vitale pour la recherche et pour toute la société. Echec assuré, pour 99 % des projets, mais la France redeviendrait en 10 ans une puissance scientifique et industrielle novatrice.

L’innovation est la source d’une culture autonome, souveraine, donc libre, donc rebelle, donc hérétique. Plus que jamais pour notre pays, c’est la liberté de chercher ou la mort.

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Précision: le laboratoire à Washington où nos expériences ont été reproduites ne dépend pas du National Institute of Health (voir www.digibio.com).


1 Ed. Trédaniel, Paris, 2003

2 Si nous savions ce que nous étions en train de faire, on ne parlerait pas de « recherche » !

3 Le rédacteur en chef de Nature

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