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Par l’Abbé Jean-Marie Borbouse
Témoignage à propos du linceul de Turin1
Résumé : L’auteur fut un observateur privilégié de trois des quatre Symposiums Scientifiques Internationaux du CIELT, ceux qui se sont tenus respectivement deux fois à Paris, et une fois à Rome. Ces Symposiums ayant été organisés afin de tenter d’aboutir à l’authentification du Linceul de Turin, l’auteur a cru devoir révéler pour la première fois au grand public l’incident dont il fut témoin. Les faits qu’il rapporte occasionneront sans nul doute des réactions et auront des répercussions tant au niveau du public qu’auprès d’instances scientifiques et de hauts dignitaires ecclésiastiques. Il nous a paru opportun d’ajouter cette pièce au dossier.
Il se fait que j’ai été le témoin direct d’une série d’événements qui me semblent importants. D’abord, et brièvement, je vous rappellerai que l’initiative du Symposium International qui s’est tenu du 7 au 8 septembre 1989 à Paris, résultait d’une perplexité des scientifiques devant les résultats de la radiodatation du Linceul de Turin. Le carbone 14 fixait une datation médiévale pour le linceul et ce, en contradiction flagrante avec toutes les conclusions scientifiques qui avaient prévalu jusqu’alors. Ce premier symposium fut marqué par l’intervention et l’exposé remarquables du professeur Upinsky qui fit apparaître les dysfonctionnements et la non-recevabilité scientifique des
résultats du C14. Il y eut consensus de la plupart des scientifiques pour réfuter cette curieuse datation. Au terme de ce premier symposium, je ressentis (comme l’immense majorité des participants et observateurs) une immense frustration.
De nombreuses interrogations subsistaient sur le pourquoi et le comment des blocages empêchant la reconnaissance officielle de l’authenticité du Saint Suaire. Le lendemain du dernier jour du
symposium, je me suis rendu en habit de prêtre dans la salle du sous-sol où se donnaient les petits déjeuners. Elle était parsemée de larges colonnes, et j’y aperçus deux personnes. Elles étaient en grande conversation et ne remarquèrent pas ma présence. Je reconnus le Pr Giovanni Riggi di Numana qui avait procédé aux prélèvements des échantillons du Saint Suaire, le 21 avril 1988, attablé avec le Pr Jacques Evin, directeur du Laboratoire de Radiocarbone du C.N.R.S. à l’Université Claude Bernard (Lyon). On soupçonnait une manipulation du résultat des analyses (sinon une substitution des échantillons) afin de satisfaire à des impératifs «laïques». Nous étions nombreux à croire, comme certains le déclareront plus tard, tel le Cardinal Ballestrero limogé dans ses fonctions de gardien à vie du Suaire, à l’existence d’une possible conspiration afin de jeter le discrédit sur le Linceul. Car l’idée de la fraude est apparue très vite, mais nous n’en possédions pas la moindre preuve. Amoureux de vérité, nous devions éclaircir le mystère constitué par cette «impossible» datation.
Il était cependant apparu que le protocole relatif aux prélèvements des échantillons n’avait pas été entièrement respecté. Le Pr Riggi, en effet, à un moment donné de la translation des tissus, s’était trouvé isolé, échappant à tout contrôle. Nous pensions légitimement – mais sans en avoir la preuve – qu’une substitution d’échantillons avait pu être effectuée, dès lors qu’elle avait été rendue possible !
Est-ce la Sainte Providence qui m’avait fixé rendez-vous? Sans aucun doute! Prêtant l’oreille j’entendis le mot échantillon prononcé par l’un des interlocuteurs. Je me suis rapproché discrètement et assis derrière une colonne. J’entends encore les mots prononcés par le Professeur Evin s’adressant au Professeur Riggi: «Vous croyez vraiment, professeur, que personne n’a rien remarqué ni suspecté?». Et le professeur Riggi de répondre avec suffisance: «Mais non, mais non…». «Moi, professeur je ne suis pas d’accord avec vous», dit Evin. «Il ne faut pas les prendre tous pour des imbéciles!»
Je ne suis plus certain de chaque mot employé; mais le sens y est.
À cet instant je n’ai pu m’empêcher de surgir et me suis carrément planté devant eux. Je vous rappelle que j’étais dans ma tenue d’ecclésiastique. La foudre ne leur aurait pas fait plus d’effet. Voyant leur stupeur, je me suis exclamé: «Parce que vous croyez que l’on n’a rien remarqué?» J’avais pressenti que l’élément faible était le professeur Jacques Evin, et qu’il était visiblement fort embarrassé dans sa situation. Alors, le regardant, je lui ai dit plutôt froidement, tout en pointant vers lui un doigt accusateur: «Vous avez pris une grave responsabilité et je n’aimerais pas être à votre place, vous risquez de sérieux problèmes!».
Je dois confesser que l’effet avait porté ses fruits. Ils étaient en état de choc et se trouvaient dans une sorte d’affolement bien compréhensible. Le professeur Evin eut un sursaut de protestation et s’exclama, tout en désignant le professeur Riggi du doigt et s’écartant de lui par un mouvement de rotation sur sa chaise: «Non, pas moi, pas moi… lui, lui. C’est lui qui a des problèmes!» A cet instant j’ai croisé le regard du professeur Riggi, véritablement métamorphosé. Je ne m’attendais pas à une telle réaction d’agressivité contenue. Il ne prononça pas un mot, et ne fit aucun geste. Mais on eut dit Satan démasqué! Le malaise et la tension étaient difficilement supportables, aussi, j’ai tourné les talons et me suis réfugié dans ma chambre.
C’est en emportant ce souvenir dans mon bagage que je me suis rendu au second Symposium à Rome, en juin 1993, avec la ferme intention de ne plus être un simple observateur mais un intervenant actif en coulisses. Sitôt arrivé, je m’adressai à un membre directeur du CIELT, Monsieur de Brienne si mon souvenir est exact, et lui relatai l’incident. Celui-ci ne marqua pas de réelle surprise et me convia à en avertir immédiatement le Président Van Cauwenberghe. Je rencontrai donc celui-ci. Lui, non plus, ne fut guère étonné. Il me conseilla d’en parler, dès que possible, au professeur Jérôme Lejeune. Celui-ci n’étant pas libre dans l’immédiat, je dus remettre l’entrevue au lendemain.
Rendez-vous fut pris dans sa chambre. C’était le jour où nous fûmes conviés à une audience pontificale.
Il survint (et la parenthèse mérite d’être ouverte en cela qu’elle est cocasse) que je m’étais occasionné un accroc vestimentaire. L’épouse du professeur Lejeune, présente à l’entretien, s’en fit la réparatrice.
Ainsi, et pour la durée de l’entrevue, je portai une paire de pantalons appartenant au grand homme.
Ce qui me surprit, ce fut sa volonté manifeste de ne pas tirer les conclusions qui auraient dû normalement s’imposer. Il se comporta en véritable juge d’instruction donnant l’impression de vouloir invalider mon témoignage, ou du moins d’en diminuer singulièrement la portée. Cela m’a attristé. Il me coûte de le signaler; mais en définitive, avec le recul, beaucoup de choses s’expliquent.
Je garde à l’esprit son attitude équivoque. Il s’était désolidarisé du Pr Upinsky; et s’était même opposé à lui. J’ai appris qu’il avait été le seul à voter contre certaines propositions d’authentification. Le professeur donnait l’impression de jouer un double jeu. N’avait-il pas affirmé à Arnaud Upinsky, qui lui demandait explicitement la marche à suivre vis-à-vis du Saint-Siège pour la reconnaissance du Suaire, qu’il n’y avait aucun dossier sur le Linceul de Turin à l’Académie pontificale des Sciences? Étrange, car le double caractère scientifique et religieux de l’Académie la prédisposait à s’occuper du Linceul mieux que quiconque2.
Comme l’affirma par la suite et à plusieurs reprises le professeur Upinsky, s’il y avait bien un objet au monde qui méritât toute l’attention de l’Académie, c’était celui-là!
Je me souviens du climat régnant lors du premier symposium de Paris, et des conclusions de celui-ci. Je me trouvais à trois pas du professeur Lejeune lors de son allocution de clôture. Ce fut réellement un moment d’émerveillement suivi d’une mémorable salve d’applaudissements. L’émotion était extrême. Il avait alors une position parfaitement tranchée. Il semblait, à cette époque, en parfaite symbiose avec Upinsky; lequel lors d’une démonstration époustouflante, avait tourné en ridicule les résultats du carbone 14. Il fut, sans contexte, et à l’unanimité des participants, celui qui jeta les jalons de la reconnaissance scientifique à venir et qui allait plus tard avancer l’argument clé du XVIIIème point, celui de la radiation inexpliquée du Suaire.
Le professeur Lejeune était un grand et honnête homme, un éminent scientifique.
Il n’avait pas reçu le prix Nobel de médecine, n’étant pas inféodé à une obédience maçonnique.
Je le respecte pour ses immenses qualités de chercheur, mais en tant que membre de l’Académie pontificale des Sciences, je dois constater qu’il se devait de suivre les impératifs de l’Église et donc ne pas se mettre en porte-à-faux avec ses directives ni ses options stratégiques. Il se trouvait probablement prisonnier d’un mystérieux devoir d’état.
Mon sentiment personnel, sans que je puisse rien connaître des intentions cachées de Rome, et nous connaissons et regrettons la crise profonde, démentielle, qu’elle traverse, est qu’elle n’est pas prête à proclamer l’authenticité du Saint Suaire, ou qu’il n’est plus en son pouvoir de le faire…
Le Saint Suaire est une pièce capitale. Il constitue le fait fondateur du christianisme: «le disciple vit et il crut» (saint Jean).
Arnaud Upinsky a raison lorsqu’il affirme que le chiffre s’est substitué au verbe jusqu’au coeur de Rome. Cela ne fait-il pas l’objet du troisième secret de Fatima relatif à l’apostasie ? Rome connaît aujourd’hui son Golgotha et attend, comme le reste du monde, sa Résurrection.
1 Repris de la revue Les Grands mystères de l’Histoire n°13, juin 2004
2 Ndlr. L’abbé Borbouse ignore qu’en réalité l’Académie Pontificale des Sciences avait bien été chargée de valider et de superviser cette radio-datation. Mais cette mission lui fut ôtée pour être laissée au seul British Muséum, en la personne du Pr Tite. Pour quelle raison ? Le soir du 7 septembre 1989, à l’issue de la première journée du Symposium, je me suis trouvé dans le métro seul avec le Pr Luigi Gonella, qui devait intervenir le lendemain en sa qualité de Conseiller Scientifique de l’Archevêque de Turin, le cardinal Ballestrero. J’en profitai pour lui poser la question, et voici sa réponse. Plusieurs dicastères romains sont concernés par le Linceul de Turin, le plus important d’entre eux étant le Secrétairerie d’Etat. Tout au long des deux années que dura la procédure, des courriers parfois contradictoires arrivaient à Turin. Mais, dans tous les cas, un leitmotiv émergeait : il fallait qu’en aucun cas on ne puisse dire que l’Eglise avait voulu influencer le résultat ! Or, l’Académie Pontificale des Sciences a beau être tout sauf un club chrétien (et il y aurait là matière à bien des digressions…), avec la proportion de Prix Nobels la plus élevée de toutes les académies, l’adjectif « pontifical » fut perçu comme compromettant, et le British Muséum resta seul en charge de coordonner la datation entre les trois laboratoires de Zurich, Tucson et Oxford, de faire la synthèse des résultats et de les publier. On sait ce qu’il en advint !..Quant à « l’impartialité » du British Muséum à l’égard des radiocarbonistes, elle avait trouvé son illustration dès le mois de mars. Un entrefilet du Daily Telegraph, le 25/03/89, nous apprenait en effet que le directeur du laboratoire d’Oxford, le Pr Edward Hall (qui prétexta d’un conseil d’administration impromptu pour ne pas venir à Paris : c’est M. Tite qui lut sa communication) venait de recevoir de 45 industriels un subside d’un million de livres sterling pour « avoir établi que le Linceul de Turin était un faux médiéval ». A quoi devait servir cet argent (d’un montant assez inhabituel pour récompenser un scientifique méritant) ? A créer une chaire d’Archéologie scientifique à Oxford, chaire destinée au Pr Tite « qui a joué lui aussi un rôle prépondérant dans le démasquage de la fraude du Linceul de Turin ». On le voit, en radiocarbone aussi, il y a la théorie et la pratique !.. Reste qu’en se retirant du protocole de la datation, l’Eglise y laissa régner un autre esprit que celui de la pure objectivité scientifique. (D.T.)