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Par Georges Salet
Marée noire et rogations1
Résumé : Le naufrage de l’Erika nous rappelle opportunément que nous vivons en permanence sous la menace de catastrophes. C’est donc l’occasion de rappeler quelle leçon Georges Salet avait su tirer, en 1980, d’une « marée noire » : Dieu agit sur les éléments naturels ; c’est donc à lui qu’il faut demander de nous protéger . Loin d’une superstition, semblable démarche reste en pleine harmonie avec les lois de la Mécanique : elles s’appliquent encore, mais d’une autre manière, comme lorsque notre volonté fait mouvoir nos membres.
Le jeudi 16 mars 1978, un pétrolier géant, l’Amoco Cadiz, qui transportait 230.000 tonnes de pétrole, avait une avarie de barre au large de l’île d’Ouessant. Il s’agissait d’un incident banal auquel on aurait pu remédier par les moyens du bord si une tempête, en dépit des efforts d’un remorqueur, n’avait rapidement poussé le bâtiment vers les rochers qui bordent le petit village breton de Portsall sur lesquels le pétrolier s’échoua.
Sous l’effet conjugué de la tempête et des marées qui ne cessaient de croître, car on approchait de l’équinoxe, le bâtiment se disloqua entièrement, et, en une quinzaine de jours, les 230 millions de litres de pétrole se répandirent dans la mer.
Comble de malchance, pendant ces quinze jours, le vent ne cessa de souffler de l’Ouest ou du Nord-Ouest, poussant le pétrole vers le côte bretonne qui fut souillée depuis la pointe Saint-Mathieu jusqu’à la Côte de granit.
Devant l’émotion provoquée par une catastrophe d’une telle ampleur, le gouvernement prit des mesures de précautions fort coûteuses : surveillance de tous les bateaux, mise en place de puissants moyens de secours aux pétroliers en difficulté, etc…, et il affirma aux Bretons que pareille catastrophe ne se renouvellerait plus.
Mais deux ans après et presque jour pour jour, un pétrolier malgache, le « Tanio » se coupait en deux.
La catastrophe n’eut pas l’ampleur de celle de 1978, mais la côte bretonne n’en fut pas moins souillée à nouveau. Des équipes munies de seaux et de pelles entreprirent une nouvelle fois de nettoyer les côtes mais on ne sait plus quoi faire des tonnes et des tonnes de sable pollué car on s’est aperçu qu’en les enterrant dans des fosses en arrière des côtes comme on l’avait fait jusqu’ici, on polluait souvent les nappes phréatiques ce qui rendait dangereuse l’utilisation de l’eau des puits.
Marée noire et catastrophes naturelles. Le vent.
L’industrie et l’agriculture souffraient déjà de bon nombre de fléaux naturels : inondations, grêle, doryphores, phylloxéra et autres agressions contre les plantes et les animaux. La « marée noire » n’est pas une catastrophe naturelle au sens propre du terme, puisqu’elle est d’abord due au transport du pétrole, mais ce nouveau fléau n’en est pas moins sous la dépendance d’un facteur naturel sur lequel l’homme ne peut rien : le vent.
Car enfin, s’il n’y avait pas eu de tempête, l’avarie survenue à la barre de l’Amoco Cadiz n’aurait eu aucune conséquence, et si le vent n’était pas venu d’Ouest, ce pétrolier n’aurait pas été jeté à la côte où il s’est disloqué.
Mais même à supposer qu’on n’ait pas pu empêcher les 230 millions de litres de pétrole de se déverser dans la mer, la côte bretonne n’aurait subi aucun dégât si le vent avait bien voulu souffler vers l’Ouest. Car c’est un fait : pendant les 10 à 15 jours cruciaux, le vent s’entêta à souffler dans la direction exacte qu’il ne fallait pas, à croire qu’il était dirigé par un malin génie bien décidé à occasionner à nos côtes un maximum de dégâts.
I. De quoi ou de qui dépendent les phénomènes ?
Le vent est un phénomène naturel et, de tout temps, les hommes se sont demandé de quoi ou de qui ces phénomènes dépendaient.
Quatre réponses ont été données à cette question :
– celle des primitifs.
– celles des savants matérialistes des 18ème et 19ème siècle.
– celles des catholiques « modernes et adultes ».
– la vraie doctrine chrétienne, presque oubliée aujourd’hui, bien qu’elle soit en parfaite harmonie avec la science actuelle, et même avec celle du 19ème siècle correctement comprise.
La réponse des primitifs
Les primitifs avaient – du moins c’est ce que l’on nous dit – une « conception magique de l’Univers ». Ce sont des dieux ou des génies qui font tomber la foudre ou souffler la tempête. Il faut donc se les concilier par divers procédés : sacrifices, opérations magiques, voire prières.
La réponse des matérialistes des 18ème et 19ème siècle
Elle partait d’une idée juste : si l’on fait abstraction de l’action de l’homme, le monde physique obéit à des lois. Les planètes, par exemple, ne se déplacent pas n’importe comment sur la voûte céleste, et, par des calculs fondés sur la loi de Newton, on peut prévoir leurs positions exactes des années à l’avance.
Imaginons, disaient alors ces matérialistes, qu’une intelligence assez puissante puisse avoir connaissance de l’état exact de l’Univers et de toutes les particules qui le composent à un instant donné. Alors, cette intelligence pourrait, en partant des lois supposées toutes connues, faire pour les particules ce que les astronomes font pour les planètes : calculer leur position et leur vitesse à un instant ultérieur quelconque, autrement dit, prévoir tous les phénomènes.
Tout dans le Monde, disaient-ils, est donc rigoureusement déterminé : la tempête, le vent soufflant obstinément de l’Ouest, cela résulte uniquement des lois du monde physique ; on n’y peut donc rien. Tout ce que l’on peut espérer, c’est que l’on améliorera la prévision météorologique ce qui permettra de prendre à temps toutes les précautions nécessaires.
Cette manière de voir serait peut-être exacte dans un univers dans lequel l’homme serait absent ou dans lequel il n’agirait pas.
Mais l’observation banale montre qu’elle est fausse dès qu’intervient l’action libre de l’homme. Je m’explique.
A coups de revolver, Paul a expédié Jacqueline au cimetière, et on le juge en Cour d’Assise. Les faits sont patents et Paul ne les conteste pas. L’accusation et la défense sont donc d’accord : c’est Paul qui a tué Jacqueline.
On va cependant passer des heures et même des journées entières pour établir le degré de responsabilité de Paul. On l’a fait examiner par des psychiatres et le procureur et l’avocat vont, dans de longs discours, tenter de démontrer, le premier que Paul est responsable et le second qu’il ne l’est pas.
Pourquoi cette dépense de salive ? C’est que le traitement qu’on va infliger à Paul ira de l’acquittement à la guillotine, selon sa responsabilité.
Je sais bien que cette conception est aujourd’hui battue en brèche par les adversaires de la peine de mort qui soutiennent implicitement qu’il n’y a pas d’hommes responsables mais seulement des malades qu’il faut soigner ou des victimes d’une société qu’il faut réformer. Il n’empêche qu’il n’est pas question de supprimer les Cours d’assises et qu’on continuera à faire examiner les criminels par des psychiatres auxquels on demandera quel est, à leur sens, le degré de responsabilité de l’accusé.
Eh bien, si étrange que cela puisse paraître au premier abord, ce comportement social est en relation avec la Physique. Si, en effet, Paul est déclaré « responsable » au sens que tout le monde donne à ce mot, cela veut dire que ce n’est pas le déroulement aveugle des lois de la nature qui a expédié Jacqueline au cimetière, cela veut dire qu’en dépit de ces lois, Jacqueline aurait pu continuer à couler des jours heureux si Paul, responsable, n’en avait décidé autrement.
En d’autres termes, si l’on admet que le mot « responsable » a un sens, cela veut dire que le mot « liberté » en a un également et que, par un processus qui nous échappe, nous, les hommes, avons le pouvoir de mettre en défaut, dans une certaine mesure, le déterminisme des lois de la Nature proclamé par les savants matérialistes des 18ème et 19ème siècles.
Autrement dit, nous les hommes, pouvons, dans une certaine mesure, orienter le déroulement des phénomènes dans le sens que nous voulons.
Et qu’on n’objecte surtout pas que c’est notre corps, parcelle de l’Univers, qui agit. Notre corps n’est, en effet, que l’instrument de notre volonté. C’est bien le doigt de Paul qui a appuyé sur la détente du revolver, mais ce doigt a obéi à la volonté libre de Paul.
Le processus par lequel notre « moi » peut commander les mouvements de notre corps et par là agir sur l’Univers est un profond mystère mais le fait ne peut être nié. Il est donc prouvé que, dans une certaine mesure, la matière obéit à l’esprit.
Mais, s’il en est ainsi, c’est que le déterminisme n’est pas la loi suprême du monde physique. Et si l’esprit de l’homme peut, par l’intermédiaire de son corps, agir sur les phénomènes, on ne voit pas pourquoi d’autres causes spirituelles comme Dieu ou les anges ne le pourraient pas.
La physique du 20ème siècle.
Comme on vient de le voir, ces conclusions s’imposent en ne partant de rien d’autre que de la notion de liberté humaine.
Mais il convient d’ajouter qu’elles sont en particulière harmonie avec la Physique actuelle qui a singulièrement assoupli la conception déterministe intransigeante de beaucoup de savants du 19ème siècle.
Aujourd’hui, le déterminisme est considéré comme étant de nature statistique, ce qui veut dire que tout en affirmant qu’il y a bien déterminisme à notre échelle, les physiciens ne sont plus sûrs qu’il règne à l’échelle des atomes et des particules. Autrement dit, une loi physique quelconque (à notre échelle), résulterait seulement d’une compensation statistique entre des mouvements plus ou moins libres des particules élémentaires. Disons encore que les prévisions que nous faisons en les déduisant de « lois » seraient en fait d’une nature analogue à celle que fait la S.N.C.F. lorsque, sans même connaître les voyageurs et donc sans nuire en rien à leur liberté, elle n’en prévoit pas moins assez exactement le nombre des personnes qui emprunteront tel train.
Mais que peut bien vouloir dire qu’une particule est libre ? Contrairement à ce que pensait Teilhard de Chardin, la particule ne pense pas. Si alors elle va dans telle direction plutôt que dans telle autre, n’est-ce pas qu’elle obéit à quelqu’un qui pense ?
J’arrête là ces considérations qui demanderaient de longs développements en disant seulement qu’on aperçoit maintenant comment une entité spirituelle : notre âme, un ange ou Dieu peut fort bien diriger les phénomènes dans tel ou tel sens sans déroger en rien aux lois profondes de la Physique. Tout cela n’est évidemment qu’hypothèse mais il n’en apparaît pas moins certain que les « lois » de la Nature sont beaucoup moins rigides qu’on ne le pensait au siècle dernier et qu’elles permettent à « l’esprit » d’influer sur les phénomènes d’une manière qui n’est pas négligeable.
Les deux modes d’action de Dieu
Le déterminisme n’est donc pas aussi absolu que certains savants l’ont pensé au 19ème siècle, mais il n’en est pas moins vrai que les phénomènes qui se déroulent dans l’Univers obéissent à des lois. C’est une loi que les corps s’attirent, que l’oxygène en s’unissant à l’hydrogène donne de l’eau, etc…
Mais Dieu est le maître absolu des phénomènes et son action n’est limitée par rien. Il arrive alors que, pour donner un signe de sa puissance ou pour authentifier le caractère divin d’un message, Dieu suscite des phénomènes en contradiction avec les lois. C’est ainsi que le Christ a ressuscité des morts et changé de l’eau en vin. Ces prodiges sont « les miracles » et ils ont toujours une finalité spirituelle.
Une grave erreur couramment commise aujourd’hui, est de croire que Dieu n’agit que par des miracles. La théologie, cependant, a toujours soutenu que Dieu agissait aussi par les causes secondes et que c’est même là son mode d’action le plus courant.
Il faut reconnaître qu’il est assez difficile de croire que Dieu agit par des causes secondes lorsqu’on croit au déterminisme absolu. Mais si l’on veut bien admettre que, pour les raisons exposées plus haut, le déterminisme n’est pas aussi rigide qu’on le pensait au 19ème siècle et que des entités spirituelles peuvent, sans violer en rien les lois profondes de la Physique, diriger dans une certaine mesure les phénomènes, alors, la notion traditionnelle de Dieu agissant par les causes secondes ne se heurte plus à aucune difficulté.
L’erreur des catholiques « adultes »
C’est sans doute pour avoir méconnu ce mode d’action de Dieu qu’un évêque aurait prononcé cette phrase historique à l’occasion des Rogations :
« Il ne faut pas demander à Dieu ce qu’on peut demander à l’engrais » !
Dieu, pensent aujourd’hui les catholiques « adultes », a donné à l’homme une intelligence et l’a établi roi de l’Univers. Ces catholiques estiment donc peu sage, voire contraire à la dignité de la personne humaine, de demander à Dieu d’agir à notre place. C’est à l’homme de prévoir les tempêtes et de prendre toutes les mesures utiles pour éviter qu’elles jettent les pétroliers à la côte.
Fort bien ; laissons donc l’homme, enfin « adulte », se débrouiller seul. Mais le résultat n’est pas brillant puisqu’en dépit des milliards dépensés depuis 1978, les côtes bretonnes sont à nouveau gravement souillées.
Conclusion
L’action providentielle de Dieu ainsi que l’efficacité de la prière sont des notions traditionnelles. Elles sont de plus affirmées en d’innombrables passages de l’Ecriture. Au hasard :
« Et moi je vous dis : demandez et on vous donnera »
(Luc XI – 9)
« La prière fervente du juste a beaucoup de puissance. Elie était un homme soumis aux mêmes misères que nous. Il pria instamment qu’il ne tombât point de pluie et la pluie ne tomba pas sur la Terre pendant trois ans et six mois. Il pria de nouveau et le Ciel donna de la pluie et la Terre produisit ses fruits. » (Jac. V 16-18).
Ce dernier texte est particulièrement intéressant. Elie a-t-il accompli un miracle ? A mon avis, non. Les lois profondes de la Physique n’ont probablement pas été violées comme elles l’ont été dans le miracle de l’eau changée en vin. A la demande d’Elie, Dieu a probablement agi par les causes secondes en utilisant cette marge de liberté que la physique moderne reconnaît aujourd’hui aux particules dont la matière est faite.
Mais le croyant n’a pas besoin de connaître la Physique moderne. Il lui suffit de savoir que les récits historiques contenus dans l’Ecriture sont vrais. Il est donc vrai que, miraculeusement ou non (cela importe finalement assez peu), Dieu a obéi à la prière d’un Homme en empêchant la pluie de tomber pendant plus de trois ans.
Les Rogations
C’est en application de cette doctrine traditionnelle que fut instituée, il y a plus de 15 siècles la procession des Rogations. Je rappelle ce que l’on peut lire dans les anciens missels :
« A la suite de calamités publiques qui s’abattirent au Vème siècle sur le diocèse de Vienne, en Dauphiné, Saint Mamert établit une procession solennelle de pénitence de trois jours qui précédaient la fête de l’Ascension. Par une prescription du Concile d’Orléans (511), cet usage se répandit dans le reste de la France. En 816, Léon III l’adopta pour Rome et bientôt il fut étendu à l’Eglise entière.
Les litanies des Saints, les Psaumes et Oraisons que l’on y chante sont des prières de supplication, de là leur nom de Rogations.
Elles ont pour but d’éloigner de nous les fléaux de la Justice de Dieu et d’attribuer les bénédictions de Sa miséricorde sur les biens de la Terre1.1«
Il y a tout dans ce texte qu’on devrait lire, relire et méditer longuement. On notera également que c’est en France que fut instituée il y a 15 siècles la procession des Rogations, étendue par la suite à l’Eglise universelle.
Au cours de la procession des Rogations, on faisait cette prière :
« Nous demandons à votre Bonté, Dieu Tout-Puissant, que les fruits de la Terre que Vous daignez développer par l’influence tempérée de l’air et de la pluie, soient pénétrés de la rosée de vos bénédictions. »
Comme on le voit, on ne demandait pas de miracle ; on ne demandait nullement à Dieu de remplacer l’engrais ; on se contentait de Lui demander d’agir « par l’influence tempérée de l’air et de la pluie » c’est-à-dire par les causes secondes. Et pendant 15 siècles, le peuple chrétien a fort bien compris ces vérités fort simples qui échappent au « catholique adulte » d’aujourd’hui.
Supplique aux évêques de Bretagne
Pour éviter le renouvellement d’une catastrophe comme celle de l’Amoco Cadiz en 1978, on a dépensé des milliards pour établir un centre de surveillance et de secours des pétroliers et pour acheter des pompes, des barrages, des détergents, des coagulants, etc… Et malgré cela, en moins catastrophique qu’il y a deux ans, certes, la marée noire est revenue.
Alors je dis : sans remettre en question les sages précautions prises, ne devrait-on pas aussi rétablir en France la procession des Rogations ?
Ce n’est plus possible avec la mentalité actuelle, nous dit-on. Les Bretons auraient-ils donc oublié leurs innombrables calvaires, témoins de la piété de leurs pères ?
Auraient-ils donc déserté leurs célèbres « pardons » ? Auraient-ils oublié leur bonne Mère et Patronne Saint-Anne ? Mais il suffit d’aller à Sainte-Anne d’Auray un 26 juillet pour constater à quel point la foi est toujours vive chez le peuple breton.
Alors nous osons supplier les évêques et les curés bretons de rétablir la procession des Rogations en expliquant clairement son but. Qu’ils sachent bien qu’ils seront suivis par la quasi totalité de leurs ouailles et que les protestations seront limitées à un petit nombre de « militants » qui savent faire beaucoup de bruit, mais qui ne représentent guère qu’eux-mêmes.
1 Repris du bulletin « De Rome et d’Ailleurs » n°11; mai 1980. L’article y était signé du nom de plume Michel Martin.
1 Missel quotidien et vespéral de Dom Gaspard Lefebvre. Grande édition. Imprimature de 1934.