Quelles méthodes de datation pour les australopithèques ?

Par Guy Berthault

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Les dessous de le préhistoire

Résumé : Dans un récent ouvrage, Yves Coppens et Pascal Picq signalent une hypothèse faite pour dater les fossiles du Rift africain par la méthode potassium argon : la “remise à zéro de l’horloge”. On suppose qu’il n’existait plus d’argon dans la lave avant l’éruption. Ainsi tout l’argon radioactif mesuré doit-il provenir de la désintégration du potassium 40 et, connaissant le rythme de cette dernière, on peut en déduire l’âge de la lave. Or, des mesures faites à la demande de l’auteur sur une dacite prélevée au mont Saint Helens (éruption contemporaine : an 1980, abondamment filmée) ont donné des âges apparents très variables : de 0,34 à 2,8 millions d’années, selon le composant analysé dans le même échantillon de lave. On est donc certain que l’horloge n’est pas remise à zéro, ce qui fragilise toutes les dates avancées pour la préhistoire de l’Afrique orientale.

Tel est le titre d’un chapitre de l’ouvrage de deux paléontologues renommés, MM. Yves Coppens et Pascal Picq, intitulé « Aux origines de l’humanité », publié en novembre 2001.

L’une de ces méthodes est la datation 40K/Ar de tufs plus ou moins éloignés des strates contenant les fossiles. Dans le Glossaire de l’ouvrage, p.599, il est écrit : « Les laves et les cendres volcanique contiennent du 40K et de l’Ar. Ce dernier s’échappe au moment de l’éruption sous l’effet de la chaleur. L’horloge atomique est donc remise à zéro puisqu’il ne reste que du 40K. Dès lors le 40K et l’argon sont prisonniers des cristaux de micas, de feldpaths ou d’amphiboles. La mesure du taux de 40K/Ar donne un âge absolu des tufs. Cette méthode ne s’applique que dans les régions volcaniques de 300.000 ans à l’âge de la formation de la terre ».

Néanmoins, le chapitre précité fait référence à une controverse significative, celle du tuf KBF auquel la datation 40K/Ar attribue deux âges : 2,4 et 1,7 millions d’années.

J’avance l’explication suivante . En 1986 un échantillon de dacite  fut extrudé et refroidi  sur le nouveau dôme de lave à l’intérieur du cratère formé en 1980 au Mont Saint-Helens (USA)1. Or cet échantillon, provenant d’une éruption contemporaine, fut daté selon la méthode précitée à 350.000 ans.

Cet âge évidemment aberrant est dû à une quantité d’argon bien supérieure à celle résultant de la désintégration du potassium depuis le dépôt des cendres. Cela signifie que, contrairement à l’affirmation que tout l’argon s’échappe au moment de l’éruption sous l’effet de la chaleur, une quantité importante d’argon ne s’est pas libérée. De plus les composants de cette  dacite furent ainsi datés :

  • Pyroxène : 2,8 MA,
  • Amphibole : 0,9 MA,
  • Feldspath : 0,34 MA.

En ce qui concerne les tufs, les cristaux de micas, de feldspaths et d’amphiboles qui les composent, sont déjà consolidés avant l’éruption. Le « Précis de géologie » (1967) de Jean Aubouin indique en effet au chapitre « Les débris clastiques solides » que toute éruption rejette des produits déjà consolidés lors de leur transit à l’intérieur des cheminées. Donc les cristaux qui forment les tufs.

Le même ouvrage précise au chapitre « Pétrographie des matériaux volcaniques » que la formation des phénocristaux paraît être tellurique. On ne sait donc pas quand la cristallisation – qui est fonction de la température, pour chaque type de cristal – a commencé.

L’intérêt d’avoir daté les composants de la dacite est de mettre en évidence que leurs âges respectifs décroissants (pyroxène 2,8 MA, amphibole 0,9 MA, feldspath 0,34 MA ) sont fonction de leurs températures décroissantes de cristallisation. Or  la radioactivité 40K/Ar existe dans le magma avant cristallisation.

Le « Précis de Géologie » signale la décantation par gravité des ions , notamment 40K et Ar, dans le magma en mouvement ; ce qui constitue un facteur d’hétérogénéité du contenu relatif 40K/Ar déterminant « l’âge » des échantillons de tufs. S’y ajoute l’hétérogénéité de leur composition en cristaux de mica, feldspath ou amphibole, dont les âges respectifs ne sont pas les mêmes. Ceci peut expliquer des différences d’âges pour le tuf KBF.

Ainsi les cristaux, avant même l’éruption, peuvent contenir des quantités d’argon ( et de 40K) accumulées depuis des temps indéfinis, bien avant leur cristallisation, malgré une déperdition d’argon du fait de la différence de température possible entre le cristal formé et le magma, différence somme toute assez faible.

La déperdition d’argon sera plus forte après l’éruption, de par la grande différence de température entre les cristaux incandescents et l’air ambiant. Mais du fait qu’il s’agit de cristaux et non de liquides , la structure cristalline peut faire partiellement écran à cette déperdition.. C’est ce que semble établir la datation de la dacite, qui indique une rétention d’argon.

Comme il n’est pas prouvé que, dans tous les cas, l’argon s’échappe totalement après l’éruption , il suffit – concernant les tufs – que les cristaux incandescents éjectés par l’éruption retiennent une partie, même faible, d’argon , pour « vieillir » l’âge des tufs.

Certes nos auteurs précisent bien  que la méthode ne s’applique qu’à partir  de 300.000 ans ; mais ils ne disent pas pourquoi. Il y aurait donc un grand intérêt à mesurer l’âge 40K/Ar de roches et de tufs provenant d’éruptions datées historiquement et de comparer les deux âges pour en tirer tous les enseignements utiles. Ces mêmes remarques valent pour la datation 40K/Ar des échantillons de basaltes sous-marins sur lesquels on mesure le champ paléomagnétique. (Le 25 mars 2002)

Tableau annexe :

Datation au potassium-argon du nouveau dôme de dacite formé sur le volcan Saint- Helens en 1980.

DOME-1 « Roche totale »DOME-1L Feldspath etc.DOME-1M amphibole etc.DOME-1H pyroxène etc.
K (%)0.9241.0480.5810.466
40K (ppm)1.1021.2500.6930.555
Ar total (ppm)0.00180.00240.00270.0015
40Ar (ppm)0.00002250.00002250.0000370.000054
40Ar/Ar total0.01250.01050.01350.036
40Ar/40K0.0000220.0000220.0000530.000096
« Age » (millions d’années)  0.35 ± 0.05  0.34 ± 0.06  0.9 ± 0.2  2.8 ± 0.3

1 Steve Austin : « Excess Argon within Mineral Concentrates from the new dacite lava dome at Mount St Helens Volcano », CEN Tech J., vol. n°3, 1996.

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