Partager la publication "La confession de Rakovski (5ème partie)"
Par le Dr Landowsky
Résumé : Après avoir admis la victoire durable de Staline ( cf. Le Cep n°29), le trotskiste Rakovski fait maintenant découvrir à son interlocuteur comment Staline, objectivement « bonapartiste» et « contre-révolutionnaire », va pouvoir et devoir jouer le rôle qui lui est réservé dans les plans internationaux du communisme : une alliance tactique avec Hitler contre la Pologne (comme jadis entre Catherine de Russie et Frédéric II ) entraînera l’Europe des nations dans une guerre aussi suicidaire que le fut la première guerre mondiale.
R.- Nous allons simplifier. Puisque manque l’objet pour lequel la puissance militaire allemande avait été créée, à savoir nous donner le pouvoir en URSS, l’objectif est désormais de nous permettre une avancée sur tous les fronts et de diriger la poussée hitlérienne non plus vers l’Est mais vers l’Ouest .
G.- Précisément, mais avez‑vous pensé au plan de réalisation pratique ?
R.- J’ai eu à la Loubianka tout le temps nécessaire pour cela, et même plus. J’ai examiné la question.
Alors, voyez : s’il a été difficile de trouver des points d’entente entre nous et que tout le reste a pris ensuite son cours normal , le problème se repose maintenant d’essayer d’établir en quoi consistent les similitudes entre Hitler et Staline.
G.- Oui, mais admettez que tout cela reste problématique.
R.- Problématique, mais pas insoluble comme vous le pensez. En réalité, les problèmes ne sont insolubles que lorsqu’ils incluent des contradictions dialectiques subjectives, et même alors nous considérons une synthèse comme toujours possible et essentielle: il suffit de surmonter ce que les métaphysiciens chrétiens désignent comme « moralement impossible » .
G.- Vous vous remettez encore à théoriser !
R.- C’est à cause de ma formation intellectuelle: pour moi, c’est essentiel. Les personnes d’une grande culture préfèrent envisager le concret à partir de la généralisation, et non l’inverse.
Avec Hitler et Staline, on peut trouver un terrain commun, car tout en étant des individualités très différentes, ils ont tous deux les mêmes racines; si Hitler est un sentimental à un degré pathologique alors que Staline est au contraire normal, ce sont l’un et l’autre des égoïstes : ils ne sont idéalistes ni l’un ni l’autre, et c’est pourquoi ce sont tous deux des bonapartistes, c’est- -à-dire de classiques impérialistes. Et si telle est bien leur position, il n’est plus difficile désormais de leur trouver un terrain d’entente. Pourquoi pas en effet, s’il a pu s’en trouver un entre une Tsarine et un Roi de Prusse ?
G.- Rakovski , vous êtes incorrigible !
R.- Vous ne devinez pas ?
Si la Pologne fut à l’époque le point d’accord entre Catherine, la Tsarine de Russie, et Frédéric le Roi de Prusse, pourquoi donc la Pologne ne pourrait‑elle servir à trouver un nouveau terrain d’entente entre Hitler et Staline ? En Pologne, les personnalités d’Hitler et de Staline peuvent coïncider, ainsi que les deux stratégies tsariste‑bolchevique et nazie. Ce sera notre axe, mais c’est aussi le LEUR, car la Pologne est un État chrétien , et même, ce qui rend la question encore plus complexe, catholique.
G.- Et que ressort‑il de cette triple coïncidence ?
R.- S’il y a communauté d’intérêt alors il y a une possibilité d’entente.
G.- Quoi, entre Hitler et Staline ?… C’est absurde ! Impossible !
R.- En politique, il n’y a rien d’absurde ni d’impossible.
G.- Imaginons, par simple hypothèse, qu’Hitler et Staline envahissent la Pologne…
R.- Permettez‑moi d’interrompre. Une attaque ne peut qu’entraîner l’alternative suivante : la paix ou la guerre.
Vous l’admettez ?
G.- Oui, et alors ?
R.- Pensez‑vous que l’Angleterre et la France, avec leurs armées et leurs aviations surclassées par celles d’Hitler, puissent attaquer Hitler et Staline unis ?
G.- Cela me semble très difficile… à moins que l’Amérique…
R.- Laissons les Etats‑Unis de côté pour l’instant.
Serez‑vous avec moi d’accord que si Staline et Hitler attaquent tous les deux la Pologne, il ne peut y avoir de guerre européenne ?
G.- Votre raisonnement est logique, cela semble impossible.
R.- Dans ce cas, une attaque ou une guerre serait donc sans intérêt.
Elle n’entraînerait pas la destruction des Etats bourgeois, et la menace hitlérienne contre l’Union Soviétique continuerait d’exister après la division de la Pologne, puisque l’Allemagne et l’URSS se seraient renforcées au même degré. En pratique, Hitler se renforcerait même davantage, puisque l’URSS n’a pas besoin d’un territoire agrandi ni de davantage de matières premières, alors que Hitler, lui, en a besoin.
G.- C’est une vue correcte… mais alors il n’y a pas de solution.
R.- Si, il y a une solution.
G.- Laquelle ?
R.- Que les démocraties attaquent et n’attaquent pas l’agresseur !
G.- Qu’est‑ce que vous dites ? Qu’est‑ce que c’est que cette hallucination ? En même temps attaquer et ne pas attaquer ? … C’est tout à fait impossible …
R.- Vous le pensez ? Allons, calmez‑vous… Est‑ce qu’il n’y a pas deux agresseurs ? Ne nous sommes‑nous pas d’accord que du fait qu’ils sont deux, il n’y aurait pas d’attaque ? Mais qu’est‑ce qui empêche l’attaque contre l’un d’eux seulement ?
G.- Que voulez vous dire par là ?
R.- Simplement que les démocraties ne déclareront la guerre qu’à un seul agresseur, et que ce sera à Hitler…
G.- Certes, mais c’est une hypothèse gratuite.
R.- C’est une hypothèse, mais elle est fondée.
Considérez ceci : tout Etat qui doit combattre contre une coalition d’Etats ennemis a pour objectif stratégique de détruire ceux‑ci séparément, l’un après l’autre. C’est une règle si connue qu’elle n’a pas besoin de preuve.
Aussi vous serez bien d’accord avec moi qu’il n’y a pas d’obstacles à créer de telles conditions. Je pense donc que la question que Staline ne se sente pas agressé en cas d’attaque contre Hitler est déjà réglée. N’est‑ce pas ?
En outre, la géographie impose cette attitude , et pour la même raison la stratégie également. Car, aussi stupides que puissent être la France et l’Angleterre en se préparant à combattre simultanément contre deux pays, dont l’un veut préserver sa neutralité alors que l’autre ‑même pris isolément‑ représente pour elles un adversaire sérieux, d’où et de quel côté pourraient‑elles entreprendre une attaque contre l’URSS ?
Elles n’ont pas de frontières communes avec elle à moins de franchir l’Himalaya…
Reste évidemment le front aérien, mais avec quelles forces ? Et d’où pourraient-elles envahir l’URSS ?
Par rapport à Hitler, elles sont en infériorité sur le plan aérien. Tous les arguments que je viens de mentionner ne sont en rien secrets, mais bien connus. Comme vous le constatez, tout cela se simplifie considérablement.
G.- Oui, vos arguments semblent logiques dans le cas où le conflit se limiterait à ces quatre pays ; or en réalité il n’y en a pas seulement quatre, mais davantage, et la neutralité n’est pas une petite affaire dans une guerre sur une telle échelle.
R.- Certes, mais l’éventuelle participation de nombreux pays ne change pas le rapport des puissances.
Pesez bien cela dans votre esprit, et vous verrez que la balance de puissances se conserve, même si d’autres ou éventuellement tous les Etats d’Europe entraient en guerre. En outre, et ceci est très important, pas un de ces États qui entreront en guerre aux côtés de la France et de l’Angleterre, ne pourra les priver de leur leadership, d’où il résulte que les raisons qui empêcheront celles‑ci d’attaquer l’URSS conserveront tout leur sens.
G.- Vous oubliez les Etats‑Unis.
R.- Vous allez voir dans un moment que je ne les oublie pas. Je me limiterai à rechercher leur rôle dans la phase préliminaire du programme qui nous occupe jusqu’ici, et je dirai que l’Amérique ne pourra pas forcer la France et l’Angleterre à attaquer Hitler et Staline simultanément. Cela amènerait en effet les Etats‑Unis à devoir entrer dans la guerre dès le premier jour. Mais c’est impossible.
D’abord parce que les Etats‑Unis ne sont jamais entrés en guerre sans avoir été attaqués et qu’il ne le feront donc pas avant. Ses dirigeants peuvent évidemment s’arranger pour qu’ils le soient, si cela leur convient. Cela, je peux vous en assurer. Dans les cas où la provocation était restée sans succès et que l’ennemi n’avait pas réagi, on inventa alors l’agression. Dans leur première guerre internationale, celle contre l’Espagne dont ils étaient assurés de la défaite, ils inventèrent une agression, ou plus exactement, ce fut EUX qui l’inventèrent.
A dire vrai, on peut bien discuter techniquement s’il y en eut une, mais la règle sans aucune exception est : qui attaque soudain et sans préavis le fait toujours à l’aide d’une provocation. Mais attention: cette splendide technique américaine, que j’approuve et attends, est sujette cependant à une condition: c’est que l’agression survienne à un moment convenable, c’est à dire au moment requis par les Etats‑Unis qui doivent être attaqués, ce qui veut dire… quand ils seront armés. Cette condition existe t‑elle actuellement ? Il est évident que non. Il y a actuellement en Amérique un peu moins de cent mille hommes sous les armes, et une assez faible aviation ; seule la flotte est imposante. Alors vous comprenez que l’Amérique ne puisse persuader ses Alliés d’entreprendre la guerre contre l’URSS, puisque l’Angleterre et la France n’ont de prépondérance que sur mer. Je vous ai ainsi prouvé que de ce côté-là non plus, il ne peut y avoir de changement dans les forces respectives en jeu.
G.- Je suis bien d’accord, mais alors je vous demande de m’expliquer encore une fois la réalisation technique.
R.- Comme vous l’avez vu, étant donné la coïncidence des intérêts de Staline et de Hitler en ce qui concerne une attaque de la Pologne, tout revient à la formalisation de cette pleine similitude d’ objectifs et à établir un pacte en vue de cette double attaque.
G.- Et vous croyez cela facile ?
R.- Franchement, non. Il y faut une diplomatie qui soit plus expérimentée que celle de Staline. Cela aurait été possible avec celui que Staline a décapité ou avec cet autre qui désormais croupit à la Loubianka… Dans le temps, Litvinov en aurait été capable, bien qu’avec difficulté et que sa race aurait représenté un grand obstacle à des négociations avec Hitler, mais actuellement c’est un homme fini, et il est anéanti par une épouvantable panique : il a une crainte animale de Molotov, plus même que de Staline. Il consacre tout son talent à les assurer qu’il n’est pas trotskyste. S’il devait apprendre qu’il lui faut arranger des relations plus étroites avec Hitler, cela reviendrait pour lui à se fabriquer lui‑même la preuve de son Trotskisme . Non, je ne vois personne qui soit capable d’une pareille tâche. Dans tous les cas ce devrait être un Russe de pure race. Je pourrais simplement m’offrir de le conseiller.
Pour l’instant, je suggérerais à celui qui commencera les entretiens que ceux‑ci restent strictement confidentiels, mais qu’ils se déroulent dans une grande sincérité apparente. Compte tenu du mur de préjugés divers qui existe, seule la véracité est capable de tromper Hitler.
G.- Encore une fois, je ne comprends pas vos paradoxes.
R.- Excusez‑moi, mais le paradoxe n’est que d’apparence, c’est cette synthèse qui m’y force. Je voulais dire qu’avec Hitler il faut jouer franc jeu à propos des questions concrètes et les plus pressantes. Il faut lui montrer que l’on ne cherche pas à le pousser à la guerre sur deux fronts. Par exemple, on doit pouvoir l’assurer et lui prouver au moment le plus opportun que notre mobilisation se limitera à un petit nombre de forces, juste ce qu’il faut pour envahir la Pologne, et que ces forces ne seront pas importantes. Selon notre plan, nous devrons disposer l’essentiel de nos forces de manière à faire face à une attaque anglo‑française.
Staline devra en outre se montrer généreux avec les premières fournitures de matières premières qu’Hitler demandera, surtout pour le pétrole. Voilà, pour l’essentiel, ce qui m’est venu à l’esprit pour le moment. Mille autres questions de nature semblable feront surface à leur heure qu’il faudra résoudre de façon telle qu’Hitler, constatant en pratique que nous ne cherchons qu’à occuper notre part de la Pologne, en soit bien persuadé ; et comme jusque là en pratique il ne s’agira que de cela, il sera trompé par la vérité.
G.- Mais où est la tromperie alors ?
R.- Je vais vous laisser quelques minutes pour y réfléchir, afin que vous puissiez découvrir par vous-même en quoi il y a tromperie envers Hitler. Mais d’abord, je veux insister sur le fait, et vous voudrez bien le noter, que le plan que je viens d’indiquer est logique et normal, et je pense qu’un tel plan doit permettre d’arriver à faire se détruire entre eux les Etats capitalistes, pourvu que l’on provoque un conflit brutal entre leurs deux ailes : la fasciste et la bourgeoise.
Je répète que le plan est logique et normal. Comme vous avez pu le voir, il n’y a là nulle intervention de facteurs mystérieux ou inhabituels. En bref, pour que quelqu’un puisse réaliser ce plan, « LEUR » intervention n’est pas nécessaire. Maintenant j’aimerais pouvoir deviner ce que vous pensez. N’êtes-vous pas en train de vous dire qu’il serait stupide de perdre son temps à vouloir prouver leur existence improuvable et la puissance qu’ILS détiennent ? N’est‑ce pas vrai ?
G.- Oui, en effet.
R.- Allons, soyez franc. Réellement, ne constatez‑vous pas LEUR intervention ? Je vous ai informé, pour vous aider, que leur intervention existe et est décisive, et que pour cette raison le caractère logique et naturel de ce plan n’est que d’apparence… Est‑ce que vraiment vous ne LES voyez pas ?
G ‑ Très sincèrement, non.
R.- La logique et le caractère naturel de mon plan n’existent qu’en apparence. Car ce qui serait logique et naturel, c’est qu’Hitler et Staline s’infligent mutuellement une défaite. Pour les démocraties, ce serait une chose simple et facile que de mettre en œuvre un tel plan. Pour elles, il leur suffirait de » permettre » à Hitler, notez bien le terme, lui « permettre » d’attaquer Staline. N’allez pas me dire que l’Allemagne risquerait d’être vaincue. Certes les distances en Russie et l’épouvantable crainte chez l’Axe hitlérien envers Staline avec ses hommes de main infiltrés, même jointe à la vengeance des victimes de l’armée nazie, peuvent ne pas suffire à mettre l’Allemagne à genoux…
Mais rien n’empêchera les démocraties, voyant que Staline s’affaiblit, de commencer à l’aider avec circonspection et méthode, et de poursuivre leur aide jusqu’à ce que les deux armées soient totalement épuisées.
Voilà en réalité ce qui serait facile, naturel et logique, si les motifs et les buts mis en avant par les démocraties et que croient la plupart de ceux qui les suivent, étaient vrais et non pas ce qu’ils sont en fait, des prétextes.
En réalité, il n’existe qu’un but, un seul, c’est le triomphe du Communisme; ce n’est pas Moscou qui imposera sa volonté aux démocraties, mais New‑York; ce n’est pas le Komintern, qui l’imposera, mais le Kapintern, sur Wall Street.
Qui d’autre que Wall Street pourrait imposer à l’Europe une contradiction aussi évidente et aussi absolue ?
Quelle force peut la mener à son complet suicide ?
Une seule force le peut, et c’est l’argent. L’argent est puissance, et c’est l’unique pouvoir.
G.- Je serai franc avec vous, Rakovski : je vous reconnais un talent exceptionnel.
Vous possédez une dialectique brillante, persuasive et subtile, et lorsque cela ne suffit pas, votre imagination dispose alors des moyens de développer vos plans sous les plus belles couleurs, d’inventer de brillantes et claires perspectives. Mais tout cela, tout en provoquant mon enthousiasme, est insuffisant.
Il me faut vous poser un certain nombre de questions, en faisant l’hypothèse que je crois ce que vous venez de dire.
R.- Eh bien ! je vous donnerai mes réponses, mais à une seule condition : c’est que vous n’ajoutiez rien à mes paroles, ni n’en retranchiez rien.
G.- Soit, c’est promis. Vous affirmez qu’ILS empêchent ou empêcheront une guerre germano‑soviétique, qui est pourtant logique du point de vue des Capitalistes ? Me suis‑je bien exprimé ?
R.- Oui, c’est exact.
G.‑ Mais la réalité actuelle est qu’ils ont permis à l’Allemagne de réarmer et de s’étendre. C’est bien un fait. Je sais, d’après vos explications, que ceci faisait partie du plan trotskyste, qui s’est écroulé grâce au « nettoyage » qui a lieu actuellement ; aussi l’objectif est‑il maintenant hors d’atteinte.
Face à la nouvelle situation, vous conseillez seulement qu’Hitler et Staline signent un pacte et se partagent la Pologne. Alors je vous demande : comment pouvons-nous obtenir une garantie qu’avec ce pacte ou sans lui, en opérant ce partage ou sans y procéder, Hitler n’attaque pas l’URSS ?
R.- Cela ne peut pas être garanti.
G.- A quoi bon continuer la discussion alors?
R.- Ne vous emballez pas. La menace contre l’URSS est réelle et existe. Ce n’est pas une simple hypothèse ni une menace verbale. C’est un fait et un fait contraignant. ILS ont déjà la suprématie sur Staline, une suprématie irrécusable. Ce qui est seulement offert à Staline, c’est le choix entre les deux membres d’une alternative, le droit de choisir mais pas en toute liberté. L’attaque d’Hitler surviendra de toute manière à son initiative ; ILS n’ont pas besoin de faire quoi que ce soit pour qu’elle se produise, rien d’autre que de lui laisser la possibilité d’agir.
Telle est la réalité fondamentale et déterminante que vous aviez oubliée, par suite de votre tournure d’esprit par trop attachée au Kremlin… L’égocentrisme, mon cher, l’égocentrisme !…
G.- Qu’est‑ce à dire : le droit de choisir ?
R.- Je vais vous le définir une fois encore, brièvement. Ou bien il y aura une attaque contre Staline, ou bien on procédera à la réalisation du plan que je vous ai exposé, suivant lequel les Etats capitalistes européens se détruiront mutuellement. J’ai attiré votre attention sur cette alternative, mais comme vous le voyez elle n’est que théorique. Si Staline veut survivre, il sera bien forcé de réaliser ce plan, proposé par moi et ratifié par EUX.
G.- Et s’il refuse ?
R.- Il ne pourra pas le refuser. L’expansion et le réarmement de l’Allemagne vont se poursuivre.
Quand Staline devra faire face à cette immense menace, que fera-t-il ?
La solution lui sera alors dictée par son propre instinct de conservation.
G.- Il semble ainsi que les événements ne doivent se dérouler que selon LEURS instructions ?
R.- Oui, tel est bien le cas. Naturellement, en URSS aujourd’hui les choses en resteront ainsi, mais un jour ou l’autre, elles se présenteront tout à fait de cette manière. Il n’est pas difficile de prédire et de suggérer quelque chose, si ce quelque chose est profitable à celui qui doit le réaliser : dans le cas présent à Staline, qui n’est pas du genre à envisager le suicide. Il est beaucoup plus difficile de donner un pronostic et de forcer à agir dans le sens désiré quelqu’un à qui ce n’est pas profitable mais qui doit néanmoins agir, dans le cas présent les démocraties. J’ai réservé cette information jusqu’à cet instant, afin de vous donner une image concrète de la situation réelle. Rejetez donc l’idée fausse que vous seriez les arbitres dans la situation présente, car ce sont EUX les arbitres.
G.- EUX, à la fois dans le premier cas et dans le second… Alors, il nous faut traiter avec des ombres?
R.- Les faits sont‑ils des ombres ? La situation internationale va devenir extraordinaire, mais pas fantomatique : elle sera réelle, bien réelle. Il n’y a pas là de miracle. La future politique est ici prédéterminée… Pensez‑vous donc que ce soit l’oeuvre de fantômes ?
G.- Enfin, voyons… Supposons que votre plan soit accepté… Mais il nous faut avoir quelque chose de tangible, de personnel, afin d’être en mesure d’entreprendre des négociations.
R.- Par exemple ?
G.- Quelqu’un muni d’un mandat, un représentant officiel. R.- Mais pour quoi faire ? Juste pour le plaisir de faire sa connaissance? Pour le plaisir d’une conversation ? Mettez‑vous dans l’esprit que le personnage que vous évoquez, s’il se présentait, ne vous présenterait aucune lettre de créance avec sceaux et armoiries, et ne porterait pas un uniforme de diplomate, du moins s’agissant de quelqu’un venant d’EUX ; s’il devait dire ou promettre quelque chose, cela n’aurait aucune force juridique ni le sens d’un pacte…
Comprenez bien qu’ILS ne sont pas un Etat. ILS sont ce qu’était l’Internationale avant 1917, et ce qu’elle est toujours : rien, et pourtant tout. Imaginez, autant que cela soit possible, que l’URSS entreprenne des négociations avec la franc‑maçonnerie ou avec une organisation d’espionnage comme les Kornitadji macédoniens ou les Oustachis croates : ces négociations seraient‑elles suivies de quelque accord écrit ayant forme juridique ?
Des pactes tels que celui conclu entre Lénine et l’Etat‑major Général allemand, ou comme le pacte de Trotsky avec EUX, ont lieu sans document écrit et sans échange de signatures. La seule garantie à leur exécution tient à ce fait que l’entreprise sur laquelle on s’est mis d’accord, est profitable aux deux parties qui en sont convenues ; cette garantie est la seule réalité du pacte