Les merveilles de la nature

Par Louis Racine

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Regard sur la création

Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil quand on Le considère dans ses ouvrages.” (Romains, 1 : 20)

Résumé : Deuxième fils du grand Racine, Louis (1692-1763) n’avait que 7 ans à la mort de son père. Reçu dès 1719 à l’Académie des Inscriptions il renonça au barreau et fit carrière aux finances (directeur des gabelles à Soissons). Mais il conserva une âme de poète. Les vers suivants sont extraits d’un grand « poème didactique », composé en 1742, sous le titre significatif : La Religion1. L ‘inspiration profondément religieuse explique sans doute pourquoi ces vers, pourtant de qualité, bien dits et bien pensés, ne se rencontrent jamais dans nos manuels scolaires. On appréciera le charme des annotations.

Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire ;
Mais tout caché qu’il est, pour révéler sa gloire,
Quels témoins éclatants devant moi rassemblés !
Répondez, cieux et mers ; et vous, terre, parlez.
Quels bras peut vous suspendre, innombrables étoiles2
Nuit brillante, dis-nous qui t’a donné tes voiles ?
O cieux, que de grandeur et quelle majesté !
J’y reconnais un maître à qui rien n’a coûté,
Et qui dans nos déserts a semé la lumière,
Ainsi que dans nos champs il sème la poussière ;
Toi qu’annonce l’aurore, admirable flambeau,
Astre toujours le même, astre toujours nouveau3,
Par quel ordre, ô soleil, viens-tu, du sein de l’onde,
Nous rendre les rayons de la clarté féconde ?
Tous les jours je t’attends, tu reviens tous les jours4 ;
Est-ce moi qui t’appelle, et qui règle ton cours ?

Et toi dont le courroux veut engloutir la terre5,
Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre ?
Pour forcer ta prison, tu fais de vains efforts :
La rage de tes flots expire sur tes bords.
Fais sentir ta vengeance à ceux dont l’avarice,
Sur ton perfide sein va chercher son supplice.
Hélas ! prêts à périr, t’adressent-ils leurs vœux ?
Ils regardent le Ciel, secours des malheureux.
La nature qui parle en ce péril extrême,
Leur fait lever la main vers l’asile suprême :
Hommage que toujours rend un cœur effrayé6
Au Dieu que jusqu’alors il avait oublié.

La voix de l’univers à ce Dieu me rappelle.
La terre le publie. Est-ce moi, me dit-elle,
Est-ce moi qui produis mes riches ornements ?
C’est celui dont la main posa mes fondements.
Si je sers tes besoins, c’est lui qui me l’ordonne :
Les présents qu’il me fait, c’est à toi qu’il les donne7.
Je me pare des fleurs qui tombent de sa main8
Il ne fait que l’ouvrir, et m’en remplit le sein9.

(…) Ainsi parle la terre ; et, charmé de l’entendre,
Quand je vois, par ces nœuds que je ne puis comprendre,
Tant d’êtres différents l’un à l’autre enchaînés,
Vers une même fin constamment entraînés,
A l’ordre général conspirer tous ensemble,
Je reconnais partout la main qui les rassemble,
Et d’un dessein si grand j’admire l’unité,
Non moins que la sagesse et la simplicité.
Mais pour toi, que jamais ces miracles n’étonnent,
Stupide spectateur des biens qui t’environnent :
O toi qui follement fais ton Dieu du hasard9
Viens me développer ce nid qu’avec tant d’art,
Au même ordre toujours architecte fidèle,
A l’aide de son bec maçonne l’hirondelle10.
Comment, pour élever ce hardi bâtiment,
A-t-elle, en le broyant, arrondi son ciment ?
Et pourquoi ces oiseaux, si remplis de prudence,
Ont-ils de leurs enfants su prévoir la naissance ?11
Que de berceaux pour eux aux arbres suspendus !
Sur le plus doux coton que de lits étendus !
Le père vole au loin, cherchant dans la campagne
Des vivres qu’il rapporte à sa tendre compagne ;
Et la tranquille mère, attendant son secours,
Echauffe dans son sein le fruit de leurs amours12.
Des ennemis souvent ils repoussent la rage,
Et dans de faibles corps s’allume un grand courage13.

(…) Ceux qui, de nos hivers redoutant le courroux14
Vont se réfugier dans des climats plus doux,
Ne laisseront jamais la saison rigoureuse
Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse.
Dans un sage conseil, par les chefs assemblé,
Du départ général le grand jour est réglé.
Il arrive, tout part : le plus jeune peut-être
Demande, en regardant les lieux qui l’ont vu naître,
Quand viendra ce printemps par qui tant d’exilés
Dans les champs paternels se verront rappelés ?
A nos yeux attentifs que le spectacle change.
Retournons sur la terre, où jusque dans la fange.
L’insecte nous appelle, et, certain de son prix,
Ose nous demander raison de nos mépris.

De secrètes beautés quel amas innombrable !
Plus l’auteur s’est caché, plus il est admirable15
Quoiqu’un fier éléphant, malgré l’énorme tour16
Qui de son vaste dos me cache le contour,
S’avance, sans ployer, sous ce poids qu’il méprise
Je ne t’admire pas avec moins de surprise,
Toi qui vis dans la boue, et traînes ta prison ;
Toi que souvent ma haine écrase avec raison17
Toi-même, insecte impur, quand tu me développe
Les étonnants ressorts de tes longs télescopes ;
Oui, toi, lorsqu’à mes yeux tu présentes les liens
Qu’élèvent par degrés leur mobiles soutiens
C’est dans un faible objet, imperceptible ouvrage,
Que l’art de l’ouvrier me frappe davantage.

Dans un champ de blés mûrs, tout un peuple prudent
Rassemble pour l’Etat un trésor abondant.
Fatigués du butin qu’ils traînent avec peine.
De faibles voyageurs arrivent, sans haleine ,
A leurs greniers publics, immenses souterrains
Où par eux en monceaux sont élevés ces grains18,
Dont le père commun de tous tant que nous sommes,
Nourris également les fourmis et les hommes :

(…) Quelle foule d’objets l’œil réunit ensemble19
Que de rayons épars ce cercle étroit rassemble !
Tout s’y peint tout à tour. Le mobile tableau
Frappe un nerf qui l’élève, et le porte au cerveau
D’innombrables filets, ciel ! quel tissu fragile20 !
Cependant ma mémoire en fait son asile,
Et tient, dans un dépôt fidèle et précieux,
Tout ce que m’ont appris mes oreilles, mes yeux :
Elle y peut à toute heure et remettre, et reprendre.
M’y garder mes trésors, exacte à me les rendre.
Là ces esprits subtils, toujours prêts à partir21
Attendent le signal qui les doit avertir.
Mon âme les envoie, et, ministres dociles,
Je les sens répandus dans mes membres agiles.
A peine ai-je parlé qu’ils sont accourus tous,
Invisibles sujets, quel chemin prenez-vous ?
Mais qui donne à mon sang cette ardeur salutaire ?
Sans mon ordre il nourrit ma chaleur nécessaire.
D’un mouvement égal il agite mon cœur ;
Dans ce centre fécond il forme sa liqueur :
Il vient me réchauffer par sa rapide course :
Plus tranquille et plus froid il remonte à sa source.
Et toujours s’épuisant, se ranime toujours.
Les portes des canaux destinés à son cours
Ouvrent à son entrée une libre carrière,
Prêtes, s’il reculait, d’opposer leur barrière.
Ce sang pur s’est formé d’un grossier aliment,
Changement que doit suivre un nouveau changement
Il s’épaissit en chair dans mes chairs qu’il arrose,
En ma propre substance il se métamorphose.
Est-ce moi qui préside au maintien de ces lois22
Et pour les établir ai-je donné ma voix ?

Je les connais à peine. Une attentive adresse23
Tous les jours m’en découvre et l’ordre et la sagesse.
De cet ordre secret reconnaissons l’auteur.
Fut-il jamais des lois sans un législateur ?
Stupide impiété, quand pourras-tu comprendre
Que l’œil est fait pour voir, l’oreille pour entendre ?
Ces oreilles, ces yeux, celui qui les a faits,
Est-il aveugle et sourd ? Que d’ouvrages parfaits,
Que de riches présents t’annoncent sa puissance !

(…) Et tu crois, ô mortel, qu’à ton moindre soupçon.
Au pied du tribunal qu’érige ta raison,
Ton maître obéissant doit venir te répondre !
Accusateur aveugle, un mot doit te confondre.
Tu n’aperçois encore que le coin du tableau.
Le reste t’est caché sous un épais rideau ;
Et tu prétends déjà juger de tout l’ouvrage !
A ton profit, ingrat, je vois une main sage
Qui ramène ces maux dont tu te plains toujours.
Notre art, des poisons même emprunte du secours.

(…) Telle est de l’univers la constante harmonie.
De son empire heureux la discorde est bannie
Tout conspire pour nous, les montagnes, les mers,
L’astre brillant du jour, les fiers tyrans des airs.
Puisse le même accord régner parmi les hommes !
Reconnaissons du moins celui par qui nous sommes.
Celui qui fait tout vivre et qui fait tout mouvoir.
S’il donne l’être à tout, l’a-t-il pu recevoir ?
Il précède les temps : qui dira sa naissance ?
Par lui, l’homme, le Ciel, la terre , tout commence.
Et lui seul infini n’a jamais commencé.
Quelle main, quel pinceau dans mon âme a tracé
D’un objet infini l’image incomparable ?
Ce n’est point à mes sens  que j’en suis redevable.
Mes yeux n’ont jamais vu que des objets bornés,
Impuissants, malheureux, à la mort destinés.
Moi-même je me place en ce rang déplorable,
Et ne puis me cacher mon malheur véritable.
Mais d’un être infini je me suis souvenu
Dès le premier instant que je me suis connu.
D’un maître souverain redoutant la puissance
J’ai, malgré ma fierté, senti ma dépendance.

             _________________

La raison dans mes vers conduit l’homme à la foi :
C’est elle qui, portant son flambeau devant moi,
M’encourage à chercher mon appui véritable,
M’apprend à le connaître, et me le rend aimable.
Vous donc, qui la vantez, daignez du moins l’entendre
Et vous, qui du saint joug connaissez tout le prix
C’est encore pour vous que ces vers sont écrits.


1 « La Religion, poème didactique », chant premier, par Louis Racine, Paris, Lecoffre, pp.7-53.

2 Les anciens, qui croyaient voir toutes les étoiles, croyaient aussi pouvoir en fixer le nombre ; mais, depuis que le télescope nous en a tant fait connaître que nos yeux seuls ne peuvent découvrir, les astronomes avouent que les étoiles sont innombrables.

3 La grandeur des corps célestes nous paraît inconcevable. Saturne, disent nos astronomes, est 1000 fois plus gros que la terre. Jupiter 1.000 fois ; le soleil 1.400.000 fois. Notre imagination se perd dans l’espace immense qui renferme tous ces grands corps. C’est une sphère infinie, dit M. Pascal, dont le centre est partout, la circonférence nulle part. La petitesse des animaux que le microscope nous fait découvrir est également inconcevable ; en sorte que nous nous trouvons placés entre deux infinis, l’un en grandeur, l’autre en petitesse et notre imagination se perd dans tous les deux.

4 Il rend et retire sa lumière insensiblement, parce que, s’il nous la rendait tout à coup, nos yeux seraient éblouis, et s’il disparaissait tout à coup, l’horreur des ténèbres nous alarmerait. S’il était plus ou moins grand, ou plus ou moins éloigné, nous serions brûlés ou glacés. Qui donc a réglé, suivant nos besoins, la grandeur, la distance et la marche de ce globe de feu ?

5 Quelque grande idée que les astres nous donnent de la puissance de Dieu, nous devons encore dire avec l’auteur du psaume 92 : Mirabiles elationes maris, mirabilis in altis Dominus. Ces flots, qui dans leur colère menacent si souvent la terre d’un nouveau déluge, viennent se briser à un grain de sable ; et quelque furieuse que soit la mer en approchant de ses bords, elle s’en retire avec respect, et courbe ses flots pour adorer cet ordre qu’elle y trouve écrit : Usque huc venies et non procedes amplius. Job 33.

6 Quand l’homme voit de près la mort, dit Pline le jeune, c’est alors qu’il se souvient qu’il y a des Dieux et qu’il est homme : Tunc Deos, tunc hominem esse se meminit. Plus d’un esprit fort a changé de langage dans ce moment, et a fait dire de lui :                   Oculis errantibus, alto

              Quaesivit caelo lucem, ingemuitque reperta.

7 Pline dit que la nature nous vend bien cher ses présents : Hominis causa videtur cuncta alia genuisse natura, magna et saeva mercede contra tanta sua munera : ut non sit satis estimare parens melior homini, an tristior noverca fuerit. La nature est devenue marâtre, depuis que l’homme est devenu rebelle à Dieu : ce que Pline ne savait pas.

8 Dans la moindre fleur, la moindre feuille, la moindre plume, Dieu, dit saint Augustin, n’a point négligé le juste rapport (convenientia) des parties entre elles : Nec avis pennulam, nec herbae flosculam, nec arboris folium, sine partium suarum convenientia reliquit.

9 La fécondité des plantes prouve le dessein du Créateur, qui non seulement veille à la conservation de l’espèce, mais au besoin de tant d’animaux qui se nourrissent de ses graines. Ceux qui ont des terres disent souvent que l’abondance du blé est un malheur, parce qu’il ne se vend pas. Dieu, qui n’écoute pont ces plaintes de notre cupidité, prodigue le grain nécessaire aux hommes. Isaac (Gen. 26, 12) retira le centuple du blé qu’il sema près de Gerare. Pline le naturaliste (liv. 18) , assure qu’un boisseau de blé en produit quelquefois cent cinquante, et qu’un gouverneur envoya à Néron trois cent soixante tuyaux sortis d’un seul grain ; ce qui lui fait faire cette réflexion, qu’il n’y a point de grain plus fertile que le blé, parce qu’il est le plus nécessaire à l’homme : Tritico nihil fertilius : hoc ei natura tribuit, quoniam eo maxime alat hominem. Par la même raison, c’est le grain qui se conserve le plus longtemps. On a mangé du pain fait avec un blé qui avait plus de cent ans. Pline, qui savait si bien admirer les merveilles de la nature, chose étonnante ! en oublie l’auteur. Cependant elles ramènent si nécessairement à Dieu, que la philosophie, comme dit saint Cyrille, est le catéchisme de la foi : Philosophia catechismus ad fidem.

9 Les matérialistes ne se servent pas du mot de hasard, mais de celui de nécessité. Les personnes éclairées comprennent aisément que je puis également me servir de l’un ou de l’autre de ces termes, puisqu’ils désignent la même chose, c’est-à-dire des effets sans cause. Le hasard d’Epicure, la nécessité de Spinoza, la vertu plastique de Cudworth, la raison suffisante de Leibnitz, sont tous mots qui signifient la même chose, parce qu’ils ne signifient rien.

10 Cicéron admire la prudence des oiseaux : Aves quietum requirunt ad pariendum locum, et cubilia sibi nidosque construunt, eosque quam possunt mollissime substernunt. De Nat. Deor.

11 On trouve dans le Spectateur, discours 47, une réflexion qui mérite d’être rapportée : « Si nous ne supposons pas, dit-il, que la sagesse infinie d’un Être suprême nous gouverne, comment expliquer cette exacte proportion qu’il y a dans toutes les grandes villes entre ceux que l’on y voit naître et mourir, aussi bien qu’à l’égard des garçons et des filles qui viennent au monde ? Qui est-ce qui fournirait à chaque nation de recrues si exactement proportionnées à ses pertes, et qui est-ce qui partagerait ce nouveau surcroît d’habitants avec tant d’égalité entre l’un et l’autre sexe ? Le hasard ne pourrait tenir d’une main si ferme la balance toujours égale. Si un souverain inspecteur ne réglait toutes choses, tantôt nous serions accablés sous la multitude, et tantôt nos villes seraient réduites en déserts : nous serions quelquefois, suivant l’expression de Florus, populus virorum, et une autre fois un peuple de femmes.

 Nous pouvons étendre cette réflexion à toutes les espèces de créatures vivantes, qui depuis plus de cinq mille ans se conservent. Si nous avions des billets mortuaires de tous les animaux dans tous les continents, que dis-je, dans chaque bois, marécage ou montagne, quelles preuves étonnantes n’y verrions-nous pas d’une Providence qui veille sur tous ses ouvrages ! »

12 Rien ne naît que par le concours des deux sexes : Nil nisi conjugio sexus utriusque creatur. Et tout animal a eu, comme l’homme, ses aïeux, excepté le premier, comme dit encore le Cardinal de Polignac, (Anti-Lucr).

13 Les plus timides sont courageux alors. Les poules même veulent attaquer l’homme. Cette tendresse finit sitôt que les petits n’ont plus besoin de secours ; les pères et les enfants ne se reconnaissent plus.

14 Un auteur anglais, amateur d’opinions singulières, a avancé sérieusement que les oiseaux de passage s’envolaient dans la lune. Il est certain que plusieurs passent les mers : les autres restent engourdis dans le creux des rochers.

15 La nature, dit Pline, n’est jamais si entière que dans les petites choses et sa majesté, comme resserrée à l’étroit, n’en devient que plus admirable : Natura nunquam magis quam in minimis tota… in arctum coarctata naturae majestas, nulla sui parte mirabilior. Elle s’y réunit comme dans un point ; c’est là qu’elle se retranche tout entière.

16 Nous admirons, dit Pline, ces épaules des éléphants chargées de tours, turrigeros elephantorum miramur humeros. Mais quelle perfection incompréhensible dans ces petits animaux qui ne sont rien ! in his tam parvis, atque tam nullis, quam inextricabilis perfectio !

17 Le traducteur allemand de ce poème s’écrie ici dans sa note : « Qu’a donc fait à M. Racine le pauvre limaçon ? » Les dégâts qu’il fait dans nos jardins justifient ma haine ; mais, quoique odieux, sa machine est admirable. Aristote avait avancé que les animaux à coquilles n’avaient pas d’yeux. Le microscope a fait  revenir de cette erreur. Les cornes du limaçon sont des nerfs optiques, au haut desquels chaque œil est placé ; c’est ce que nous assurent plusieurs célèbres observateurs.

18 On a prétendu même qu’elles en rongeaient le germe pour prévenir l’inconvénient de l’humidité. Aldrovandus dit avoir vu leurs greniers. Derham en rapporte plusieurs autres particularités étonnantes. Cependant M. de Réaumur prétend que les fourmis dorment toute l’année et ne mangent point ; que les grains qu’on leur voit emporter ne servent qu’à la construction de leurs édifices : voilà donc tous leurs magasins détruits. Mais en attendant que la nouvelle observations soit généralement connue, on peut parler suivant l’opinion ancienne qui est autorisée non-seulement par Salomon, mais par plusieurs naturalistes. Si les fourmis n’ont pas de greniers, il faut du moins admirer leurs édifices, qui sont toujours une preuve de leur prévoyance de l’avenir. Enfin, Derham parle de petits animaux qu’on trouve dans l’Ukraine, qui passent tout l’hiver sous terre après avoir pendant l’été amassé leurs provisions.

19 Nous avons deux yeux sans voir les objets doubles, afin que l’un puisse réparer la perte de l’autre. Les araignées en ont quatre, six et huit, parce que, n’ayant point de cou, et ne pouvant remuer la tête, la multiplicité des yeux supplée au défaut de ce mouvement. Le dessein du Créateur paraît en tout. C’est ainsi que les dents ne viennent aux enfants qu’après l’âge où ils sont à la mamelle ; parce que , si les dents venaient plus tôt, elles seraient préjudiciables aux nourrissons et aux nourrices.

20 Que de choses différentes renfermées dans le spacieux magasin de la mémoire ! Tout se présente au premier signal ; quand ce que nous n’appelons pas se présente malgré nous, nous savons l’écarter : quaedam statim prodeunt, quaedam requiruntur diutius, quaedam catervatim proruunt. Saint Augustin, Conf, L. 10.

21 Je veux parler : que de mouvements dans ma langue, dans mes lèvres, dans mes poumons ! Suivant que je regarde de loin ou de près, ma prunelle se dilate ou se resserre, ma volonté n’y contribue pas elle ne peut suspendre ou précipiter ma respiration, ce qui est avantageux pour parler. Cependant, quand je dors, je respire sans le savoir et sans le vouloir : ce qui prouve que si notre âme a un empire sur notre corps, elle ne tient pas cet empire d’elle-même, mais d’une puissance plus grande que la sienne.

22 De toutes les extravagances dont l’esprit humain est capable, celle des épicuriens paraît la plus grande. Ils s’imaginaient que le hasard avait tout fait : que les parties de notre corps n’avaient point été destinées à quelque usage : mais que nous en avions fait usage, parce que nous les avions trouvées : que les premiers hommes naquirent de la terre chauffée par le soleil. La terre dans sa jeunesse, dit Lucrèce, L.5, enfanta des hommes et des animaux : depuis elle devint stérile comme une femme le devient par l’âge. Cette opinion, qui commença en Egypte, paraissait vraisemblable aux anciens, à cause de ces grenouilles qu’ils s’imaginaient voir naître de la terre dans le temps de pluie. Nos physiciens nous ont appris à rire de cette erreur.

23 L’anatomie, qui s’est beaucoup perfectionnée dans ces derniers temps, nous doit rappeler à Dieu autant que l’astronomie M. Fontenelle, après avoir parlé dans ses Eloges de la piété de M. Cassini, et de celle de M. Meri ajoute cette judicieuse réflexion : l’astronomie et l’anatomie sont les deux sciences où sont les plus sensiblement marqués les caractères du souverain Etre. L’une annonce son immensité l’autre son intelligence. On peut même croire que l’anatomie a quelque avantage. L’intelligence prouve encore plus l’immensité.

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