Les publications scientifiques

Par Jean de Pontcharra

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Résumé : Publier est un besoin vital pour le chercheur : la publication le fait passer du non-être à l’existence puis, pour un petit nombre, à la notoriété. Mais l’envoi d’un article pour publication ouvre une période délicate : les réviseurs peu scrupuleux peuvent s’emparer de l’idée ou de l’expérience et la publier pour leur compte ou celui de leurs amis. Ces pratiques courantes (ce fut le cas de Darwin, lorsque Lyell eut connaissance de la communication déposée par Wallace) ont au moins un mérite : faire descendre les scientifiques du piédestal d’impeccabilité où l’idéologie régnante voudrait les installer.

L’homme de la rue se fait en général une très haute idée de l’honnêteté des scientifiques et le respect qu’il porte aux publications spécialisées est proportionnel à son ignorance du sujet traité. Notre époque fait un usage immodéré du prestige de la science, dans un but de manipulation des esprits. Le savant représente l’autorité morale que l’on consulte sur toutes les questions, surtout celles où il n’est pas compétent (cf. Einstein). Il a évincé le prêtre et usurpé un rôle qu’il est incapable d’assumer par ses propres forces.

Voici quelques pratiques courantes dans le milieu bien particulier des éditeurs scientifiques. Ceux-ci jouissent d’un monopole de la pensée, par concentration des maisons d’édition, chacune couvrant plusieurs spécialités. Ces éditeurs ont comme principe de faire juger les articles qui leur parviennent par des comités de lecture anonymes (en réalité deux ou au maximum trois spécialistes de la question). Le ou les auteurs sont ainsi assurés d’être jugés par leurs “pairs”, slogan ronflant pour faire croire à une quelconque garantie d’objectivité. Tout cela est bien pensé, mais dans la réalité, les travers de la nature humaine et l’action diabolique s’y retrouvent comme partout ailleurs.

Supposons que vous envisagiez de publier un article apportant des résultats expérimentaux nouveaux, mais qui soit gênant pour une théorie en vogue. Il ne sera jamais publié, le comité de lecture vous décernant les plus mauvaises notes, et ceci sans discussion publique. Vous pouvez chercher un nouvel éditeur, mais avec le même résultat final et une perte de temps considérable.

Il vous reste l’auto-édition, les revues non conformistes (leur diffusion est très restreinte) ou le “camouflage” des résultats controversés en édulcorant les conclusions, mais en essayant de faire passer une partie du message.

Supposons qu’une équipe de recherche prenne de l’avance dans une expérience délicate et souhaite publier rapidement ses résultats : elle envoie plusieurs exemplaires  à l’éditeur (il y a déjà là un sérieux problème de confidentialité !) qui les transmet aux “reviewers” anonymes.

Un ou plusieurs de ces scientifiques appartiennent à un laboratoire concurrent (sur les sujets “pointus”, les spécialistes sont très peu nombreux).

Ils épluchent le mode opératoire, transmettent les données à leurs collaborateurs (ce que la déontologie interdit), reproduisent les expériences puis proposent leur propre publication dans la même revue, à un colloque ou à une conférence. Dans une deuxième phase, ils submergent les auteurs de demandes de précisions, explications, modifications, corrections (y compris orthographe et grammaire !). Plusieurs allers et retours seront nécessaires pour satisfaire les exigences de ces correcteurs zélés. L’article d’origine finit par être publié plusieurs mois après sa soumission, mais l’antériorité revient à l’article concurrent. En principe la date de réception chez l’éditeur doit être mentionnée, mais souvent la date retenue est celle de réception de l’article corrigé. Même si ces deux dates figurent, personne n’y prête attention : c’est la date de publication qui apparaît dans toutes les références.

Un papier de valeur, mais mal écrit, ou en mauvais anglais aura beaucoup de difficultés à passer dans les revues anglo-saxonnes, obligeant les auteurs étrangers à faire appel à un traducteur ou à un correcteur anglophone.

Le copinage et le piston font rage dans les conférences et colloques : telle contribution médiocre sera acceptée car proposée par un des organisateurs qui gonflera ainsi son “curriculum vitae”.

En théorie il est interdit de proposer le même papier à plusieurs revues ou colloques simultanément, mais c’est pratique courante de changer 2 ou 3 figures et quelques phrases… et le tour est joué !..

Eventuellement, il suffit de choisir des revues moins prestigieuses ou sans comité de lecture, ce qui ne nécessite pas de retouches à l’article.

Ces comportements maffieux sont encouragés par certaines dispositions des organismes de recherche qui notent la valeur de leurs chercheurs au kilo de papier publié (c’est le cas du CNRS, par exemple). On a tenté d’affiner ce critère en introduisant la notion de “travail cité” ultérieurement par d’autres auteurs (critère de notoriété).

Mais là aussi, on se cite entre copains, passant sous silence les travaux des concurrents directs, ou on cite soi-même ses travaux antérieurs autant de fois que possible1.

En conclusion, les milieux scientifiques n’ont pas été exemptés du Péché Originel, contrairement à l’opinion de l’homme de la rue. Les scientifiques sont des hommes, avec des qualités et des défauts, et peut-être avec beaucoup plus de défauts que de qualités, étant donné leur formation exclusivement cérébrale et l’attitude anti-religieuse d’une science qui se croit au-dessus des lois divines.


1 Une récente étude vient opportunément de relativiser la valeur des indices qui mesurent automatiquement “l’impact” d’une publication (Impact factor : use and abuse, M. Amir & M. Mabe, Perspective in Publishing n°1, oct. 2000, Elsevier Science, Oxford).

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