Partager la publication "Chronique étymologique"
Par Claude Pouyès
Résumé : Voici une famille dont les mots expliquent bien des choses de la vie courante, et d’une façon tellement claire et évidente, que cela va peut-être infléchir le cours de vos pensées et vos relations avec les autres. Comme de nombreuses racines, celle-ci est née d’un objet de la vie courante, désigné par l’onomatopée qui l’évoque. Quel est donc cet objet millénaire évoqué par le son :
KRA-KRA, KRA-KRA ?
Fermez les yeux, vous y êtes : C’est un tamis !
KR = tamis
Un jolie famille : la famille KRA-KRA
Telle quelle, la racine se retrouve en français pour désigner l’objet ancestral d’origine ; le CRible.
Et l’oiseau, dont le plumage évoque irrésitiblement un damier, un tamis comment le nomme-t-on ? GRive !
Passons au domaine des idées. Cribler la pensée d’autrui, c’est lui appliquer des CRitères, et donc exercer une CRitique. On voit tout de suite pourquoi la critique est haïssable : soumettre ce que j’ai tamisé à l’épreuve du tamis d’un autre !.. Car comme il n’y a pas deux tamis semblables, je suis sûr d’avance que mon produit ne sera pas accepté tel quel. Et l’on voit bien que cela n’avance à rien que je fasse mon auto-critique. Pour me mettre à l’abri de la critique, je peux essayer d’affirmer, péremptoirement, que mon produit a déjà été tamisé plusieurs fois. Cela s’énoncera en disant que c’est CeRtain, la preuve étant que je peux produire un CeRtificat.
Mais il y a plus désagréable que la critique. C’est lorsque le tamis de l’autre est secoué en haut lieu, par exemple dans l’inaccessible capitale. De là vient que tout ce qui est déCRété est haïssable.
Plus désagréable encore : lorsque le tamis de l’autre est très personnel, caché, invisible. D’où la méfiance à l’égard de ce qui est seCRet et l’atmosphère particulière des seCRétariat. Remarquons en passant que les glandes qui déversent leur séCRétion à l’intérieur du corps sont nommées glandes endoCRines.
Mais revenons à nos tamis d’idées. Il y a encore plus désagréable que le décret et le secret. C’est quand votre interlocuteur tamise ce que vous dites sans avoir l’air de rien. Il tamise « en douce », par en-dessous. Il a pour nom hypoCRite.
En fait, chacun de nous est un tamis, donc haïssable. Chacun exerce sur ce qui l’environne son esprit critique. C’est faire preuve de disCeRnement.
Mais si chacun est haïssable, comment arriver à avoir une vie de groupe, une vie de société, qui ne soit pas basée sur l’hypocrisie évidemment ? Et bien, l’étymologie va nous le dire. Pour que chacun soit heureux de faire partie du groupe, il faut que tous secouent le même tamis ! C’est tout bête. Et c’est ce qui s’appelle, tout naturellement, la conCeRtation, sans laquelle, bien sûr, chacun se trouve déconCeRté, et grâce à laquelle, évidemment, chacun se sent conCeRné. Nos anciens connaissaient la musique : cela s’appelle agir de conCeRt…
Et si alors quelqu’un viole la loi morale admise par tous, si son produit ne passe pas à travers le tamis que tous secouent, on dit qu’il commet un CRime. Crime de lèse-majesté, crime de mettre l’eau dans son vin, crime de faire ceci ou cela. En fait, on instaure des disCRiminations, ce qui ne va pas, naturellement, sans des réCRiminations, ce qui est étymologiquement évident !
On peut alors se demander- la fonction d’un tamis étant de tamiser – quel nom on a bien pu donner à ce qui ne passe pas à travers le tamis, au rejet. C’est bien simple : on l’a appelé « hors du tamis ». En bon français : exCRément.
Et l’on retrouve que le langage populaire est tout simplement ancestral : car quand votre idée « ne passe pas » au tamis de votre interlocuteur, vous vous entendez répliquer, crûment et sans hypocrisie : « ton truc, c’est de la m…. ! », ce qui étymologiquement est parfaitement exact.
Et une société dans laquelle tout le monde tamise pour soi, égoïstement, en disant « m….! »au voisin, elle est tout simplement en train de traverser une CRise…
Or donc, en vous regardant dans un miroir, souvenez-vous que vous êtes un membre de la famille KRA-KRA, avec vos discriminations, vos critères, vos certitudes. Et restez à l’écoute de vos ancêtres qui, au travers du simple langage quotidien, vous disent tant de précieuses vérités…