Une profession de foi naturaliste

Par le Père Emmanuel

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Une profession de foi naturaliste1

Résumé : Curé d’une petite paroisse de l’Aube de 1849 à 1903, le P. Emmanuel reste un modèle d’intelligence pastorale par sa pensée claire et profonde à la fois. Sa critique de cette science naturaliste qui sous-tend la laïcisme contemporain, n’a rien perdu de sa justesse. Car le refus du surnaturel débouche sur le refus du principe de causalité et conduit à la négation de tout ce qui surpasse la matière et ainsi, paradoxalement, à une science qui devient une croyance intolérante.

À Paris, la ville‑lumière, comme dit Victor Hugo, un homme non baptisé publie un journal appelé La Justice, dans lequel nous lisions naguère une déclaration de principes naturaliste, énoncée en ces termes:

« Ce qui distingue la science de la religion, ce n’est point le dogme théologique, c’est la notion même du surnaturel. Les religions se querellent entre elles pour savoir s’il y a un seul Dieu ou plusieurs dieux… si les hommes ont des âmes… La science n’aborde pas de telles discussions. Tout ce qui échappe à l’observation ou à l’expérience lui est étranger. Elle tient en égale indifférence les conceptions du judaïsme, du catholicisme, du brahmanisme, du fétichisme, du déisme, du théisme, du spiritualisme et de toutes les théories qui reposent sur l’absolu et sur une pure hypothèse. L’instruction laïque ne devant avoir pour base que la science… »

Nous nous permettrons d’examiner cette profes­sion de foi.

« Ce qui distingue la science de la religion, c’est la notion même du surnaturel. » Si l’auteur avait voulu dire que la science est un bien de l’ordre natu­rel, et la religion un bien de l’ordre surnaturel, nous ne pourrions qu’applaudir à son langage. Mais sa pensée est loin de là, et, pour lui, la science est la science parce qu’elle rejette la notion du surnaturel. Et nous disons, nous, que cela n’est pas du tout scientifique. Nous voyons, en effet, la science agir de diverses manières sur les natures qui nous sont inférieures.

Tantôt l’homme décompose un corps, le transforme, le fait pour ainsi dire passer d’une nature en une autre. Tantôt, prenant un agent natu­rel, il le fait opérer d’une manière tout à fait extra­naturelle pour le corps ainsi dominé par la science.

Est‑il naturel au feu de conduire sur la terre les voi­tures, et sur la mer les navires ?

Est‑il naturel au fer de transmettre la pensée à des distances incommen­surables avec une rapidité que rien n’égale sinon la foudre ? Ne voyons‑nous pas là une action humaine, réellement naturelle en l’homme, mais extranaturelle et dès lors quasi surnaturelle en la matière élevée par la science à une puissance qu’elle n’avait pas ?

Et si l’homme exerce ainsi son pouvoir, en éle­vant, à la hauteur de la science, les natures qui lui sont inférieures, n’est‑il pas logique d’admettre que Dieu peut exercer un pouvoir analogue sur sa créa­ture, et élever l’homme à l’état surnaturel ?

La science a senti la puissance de cette raison d’analogie; aussi, craignant d’être amenée à recon­naître le surnaturel divin, si elle reconnaissait la nature divine, elle en est venue à nier l’existence de Dieu. Or, quand une fois on est entré dans la voie des négations, on va loin, nous en aurons bientôt la preuve.

Écoutons notre auteur : « Les religions… » Nous avons le regret d’être obligé de dire que ce mot n’est pas français. La religion est une, comme l’hu­manité, comme la vérité, comme Dieu lui‑même. On ne dit pas plus les religions, qu’on ne dit les humanités, les dieux. Mais comme la vérité est une, et que l’erreur peut être multiple, on dit les fausses religions comme on dit les faux dieux. Passons.

« Les religions se querellent entre elles pour savoir s’il y a un seul Dieu ou plusieurs dieux. La science n’aborde pas de telles discussions. » Pour­tant, de telles discussions sont très dignes d’un être raisonnable et raisonnant. Il n’y a pas d’effet sans cause; et à la vue des merveilles de la nature, il ne serait pas digne de la science de remonter à la cause de tout ce que nous voyons?

L’homme, qui ne s’est pas fait lui‑même, n’agirait pas selon la science s’il cherchait à se raisonner son existence, à connaître la cause et la fin de son être ? Il y a là, certes, une science que la science peut ne pas dédaigner.

Mais distinguons, il y a science et science. Il y a une science qui confesse qu’il y a une cause, une cause première, mais, dit‑elle, cette cause nous échappe. En d’autres termes, nous apercevons bien la vérité, la vérité qui est Dieu, mais nous ne vou­lons pas de cette vérité.

Voilà bien la science du jour. Dieu lui fait peur, elle le nie. Sa négation n’est pas un acte de science, c’est un effet de la peur.

Mais la science vraie est sans peur et sans crainte. Grâce à la raison que Dieu nous a donnée, elle nous démontre l’existence et l’unité de Dieu, la distinction de l’esprit et de la matière, la spiritualité de nos âmes. La science vraie jouit de ces vérités, et l’étude qu’elle fait de Dieu et de ses oeuvres lui montre que Dieu peut agir et agit effectivement sur notre nature, tantôt par une action qui laisse la nature dans l’ordre naturel, comme quand il nous donne la santé, la force, l’intelligence, tantôt par une action qui élève notre nature au‑dessus d’elle­-même, comme quand il nous donne la foi, la cha­rité, la béatitude.

Tout cela est bien autrement scientifique que les négations de la science du jour. Mais étudions‑la de plus près : « Tout ce qui échappe à l’observation et à l’expérience lui est étranger. » La science vraie emploie précisément ces deux grands moyens : l’expérience et l’observation. Elle observe qu’il n’y a pas d’effet sans cause, et dès lors, elle remonte à la cause première, qui est Dieu. Elle observe que les êtres créés sont contingents, et dès lors elle remonte à l’être nécessaire, qui est Dieu. Tout cela nous paraît scientifique au premier chef. D’autre part, l’expérience nous démontre l’impossibilité d’êtres qui se succèdent par génération sans qu’ils aient eu un commencement qui n’était pas la génération, et qui n’a pu être que la création. L’expérience vient encore nous démontrer le Créateur, qui est Dieu. Mais, pour notre auteur, l’observation intellec­tuelle n’existe pas. Pour lui il n’y a que l’observa­tion matérialiste, positive, et après avoir nié Dieu, par peur, il lui faudra en venir à nier l’intelligence humaine.

C’est un pas en avant dans la voie des négations; la science matérialiste devra aller encore plus loin. Elle ira, et pour notre édification, nous l’y suivrons.

« Elle [la science] tient en égale indifférence les conceptions du judaïsme, du catholicisme, du brah­manisme, du fétichisme, du déisme, du théisme, du spiritualisme et de toutes les théories qui reposent sur l’absolu et sur une pure hypothèse. »

Remarquons tout d’abord que, seules, les conceptions du matérialisme ne sont pas tenues en indifférencepar notre auteur.

Le matérialisme, pour lui, c’est la science. Son énumération est calculée à sa manière, elle est scientifique. Elle débute par le judaïsmeet le catholicisme. Voilà qui est parfaite­ment bien, et conforme à la tradition de l’humanité. La vérité passe avant tout, et notre auteur n’a pas complètement perdu son patrimoine. Faisons la réflexion de Tertullien : « Ô témoignage d’un esprit naturellement chrétien! »

Notre auteur jette les yeux sur l’Asie, et dit : du brahmanisme, puis sur l’Afrique et l’Océanie et dit : du fétichisme ; c’est tout : le monde entier y a passé.

Il fait ensuite une synthèse philosophique, et revenant des régions de l’erreur aux pures lumières de la vérité, il dit : du déisme, du théisme, du spiri­tualisme. C’est vraiment bien. Mais le faible arrive vite, il ajoute : et de toutes les théories qui reposent sur l’absolu et sur une pure hypothèse. Puisque notre auteur a de la philosophie, il doit comprendre qu’en niant l’absolu, il rend impossible le relatif. Et dès lors il n’y aura plus ni hommes, ni science, ni thèse, ni hypothèse.

Après avoir nié Dieu, il aurait fallu nier l’intelligence humaine, puis il aurait fallu nier tout. Le dernier mot de  la science sera une négation complète. La science se sera creusé cette fosse, et sur sa tombe on écrira un point d’interrogation : Quoi ?

Il nous reste à goûter ce petit mot : « L’instruction laïque ne devant avoir pour base que la science… ». Nous voudrions bien savoir comment la science démontrera à un enfant que son père est son père, que sa mère est sa mère. « Tout ce qui échappe à l’observation et à l’expérience lui est étranger. »

Par quelles observations, par quelles expériences l’enfant arrivera-t-il à se démontrer son père, à se démontrer sa mère ? Jusqu’ici l’enfant apprenait à croire à son père et à sa mère comme il apprenait à croire en Dieu ; mais la science changera tout cela.

L’enfant va se trouver en face d’une pure hypothèse, d’un absolu inadmissible. Il ne pourra que s’établir en une égale indifférence, et décréter au nom de la science que son père n’est pas, que sa mère n’est pas, et qu’il est l’enfant de la nature, si tant est qu’il soit l’enfant de quelque chose.

Nous n’exagérons rien, car les conséquences monstrueuses de ce naturalisme impie sont admises par l’école qui veut l’abolition du mariage.

Terribles conséquences de la logique. Après avoir renié son Père qui est au cieux, il faut en venir à renier son père qui est sur la terre. Et voilà la profession de foi du naturalisme. C’est entendu !

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Pour en savoir plus sur la vie et l’œuvre étonnante du P. Emmanuel, on pourra se reporter à l’ouvrage « Le Père Emmanuel », écrit par Dom Bernard Maréchaux (480 pages, Editions sainte Jeanne d’Arc, Les Guillots, F-18260 Villegenon, 25€ + port 4,8 €)


1 Repris de la brochure Le Naturalisme (DMM, 1998, pp.24-31).

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