Partager la publication "Les signes lumineux de l’Apocalypse"
Par Yves Germain
Résumé : Les signes lumineux de l’Apocalypse, tantôt familiers (chandeliers, étoiles…), tantôt grandioses (soleil, lune…), se laissent décrypter en référence à la tradition des Pères, elle-même nourrie de la tradition juive (qu’elle renouvelle et prolonge). L’auteur nous propose ainsi une lecture simple et claire des multiples « luminaires » évoqués tour à tour par saint Jean et conclut en relisant ainsi l’histoire des rapports entre la Synagogue (figurée par la lune) et l’Eglise des Gentils (figurée par le soleil).
« Je te conseille de m’acheter… un collyre dont tu t’oindras pour recouvrer la vue. »
(Lettre à l’Eglise de Laodicée – Ap 3,18)
« Le voici qui vient sur les nuées et tout œil le verra… » (Ap 1,7)
Il y a ainsi dans l’Apocalypse une invitation à ouvrir l’œil. Si l’on se rappelle le rôle important donné à l’œil dans l’Evangile, on saisit mieux l’intérêt de cette recherche des signes lumineux. Il y a tant de ces signes dans l’Apocalypse que nous les classerons, pour la commodité, en 4 catégories :
– Les grands symboles,
– Les signes cosmiques dont le grand signe de la Femme et du Dragon,
– La chute des étoiles et l’étang de feu.
Les grands symboles :
– Les sept chandeliers d’or et les sept étoiles tenus dans la main droite sont les premiers des symboles évoqués dans le chapitre 1er à partir du verset 12 ; il en sera fait écho au début des 2ème et 3ème chapitres (2,1 ; 3,1).
L’explication en est donnée dans l’Apocalypse elle-même : « les sept étoiles sont les sept anges des sept églises et les sept chandeliers sont les sept églises. » L’Apocalypse commence en effet par une lettre adressée à chacune des sept églises, car il s’agit aussi d’églises réelles (l’église qui séjourne à Ephèse, à Smyrne… -toutes églises d’Asie mineure-).
L’ensemble de sept a un caractère d’universalité dans l’espace comme dans le temps. Donc l’Eglise est l’ensemble des chandeliers, des chandeliers complets, avec leurs chandelles. A celles-ci le feu est mis par sept étoiles, donc par sept anges.
Que faut-il entendre par «anges » ? Traditionnellement les étoiles représentent ces êtres spirituels que sont les anges : sans doute s’agit-il ici des anges protecteurs des églises. Mais dans l’Apocalypse, « ange » peut encore signifier autre chose, par exemple dans les passages où il est demandé à Jean d’écrire « à l’ange de l’église de : … » ; les anges sont aussi les messagers, les envoyés, voire les épiscopes qui prolongent les apôtres.
Remarquons par ailleurs qu’il est question dans la lettre à l’église de Sardes, à côté des sept étoiles, des sept esprits de Dieu ; il s’agit bien évidemment des sept dons du Saint-Esprit et d ‘une évocation du charisme particulier à chacune des églises.
Chandeliers et étoiles sont des signes très clairs : la lumière, c’est la vie et la vérité qui nous viennent de Dieu et du Christ par l’intermédiaire de l’Esprit-Saint et de ceux qui sont les envoyés habituels.
– L’étoile du matin
« A celui qui sera vainqueur… je lui donnerai aussi l’étoile du matin » (fin du message à l’église de Thyatire – 2,28).
L’étoile du matin, c’est naturellement l’étoile du berger ; lorsqu’elle est visible le matin, Vénus précède de peu le soleil ; c’est l’ange, l’envoyé, messager du jour de Dieu.
Il y a dans ce message à l’Eglise le signe qu’elle accueillera celui qui annoncera le jour de Dieu. C’est une prophétie relative à la Parousie.
D’une certaine manière, l’étoile du matin, c’est aussi Jean dans son Apocalypse.
Ainsi l’étoile du matin peut être associée aux sept étoiles et aux sept chandeliers ; ils correspondent à la même chose : un message reçu et transmis.
Les signes cosmiques :
Les éclairs sont nombreux (4,5 ; 8,5 ; 11,19 et 16,18).
Ils symbolisent la fulgurence de l’intervention divine ; c’est la violence de la vie de Dieu qui se manifeste aux hommes et qui leur apporte la lumière instantanée, un flash dirions-nous aujourd’hui.
La lumière est signe de Dieu comme le montrent ces passages : « Son visage était comme le soleil quand il luit dans sa force » (1,17) « Devant le trône brûlent sept lampes ardentes » (4,5) ; ce sont les sept dons du Saint-Esprit.
Plus loin, au chapitre 18, alors qu’il s’agit du triomphe, la vision présente la terre illuminée de l’éclat de l’ange annonciateur. La lumière, signe de Dieu, descend sur la terre : c’est la Parousie.
Signes favorables sous formes de la transparence :
« Comme une mer de verre » (15,2)
Le fleuve de l’eau de vie est « brillant comme le cristal » (22,1).
Le verre, comme le cristal, laisse passer la lumière.
La perte de la lumière est, en revanche, symbole du malheur :
« Le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang » (6,12)
Le signe de la cinquième coupe est plus précis :
« Et le cinquième ange répandit sa coupe sur le trône de la Bête, et son royaume fut plongé dans les ténèbres ; les hommes se mordaient la langue de douleur… » (Ap 16,10)
Le trône de la bête, nous l’avons déjà vu, représente le pouvoir politique sans Dieu. Un temps viendra où il agira dans « l’obscurité ».
Les prophètes avaient annoncé l’obstacle que constituent les pouvoirs païens qui privent le monde de soleil (l’Eglise) : « Les étoiles du ciel ne donneront plus leurs lumières (les chrétiens), il sera ténèbres le soleil… et la lune (pouvoirs publics) ne fera plus luire sa lumière. » (Is 13,10)
« Jour de ténèbres et d’obscurité, jour de nuage et de nuée !… Le soleil, et la lune se sont obscurcis et les étoiles ont retiré leur lumière. » (Joël 2,1)
Plus loin, on voit à nouveau la punition par les ténèbres : « Jamais plus on ne verra briller chez toi la lumière de la lampe » (chute de Babylone : 18,23)
Si l’on ne voit plus la lumière de la lampe, c’est qu’il n’y a plus de vie. L’absence de lumière, c’est l’absence de vie dans Babylone.
« Le quatrième ange sonna de la trompette : le tiers du soleil fut atteint, avec le tiers de la lune et le tiers des étoiles, si bien qu’ils furent obscurcis pour un tiers, que le jour perdit le tiers de sa clarté et la nuit de même. » (8,12)
C’est une destruction partielle.
« C’est lors qu’un grand prodige apparut dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles. Sur le point de devenir mère, elle criait dans les douleurs de l’enfantement, souffrant d’enfanter. » (Ap 12, 1-2)
La lecture de ce signe nous rappelle Isaïe : « La Vierge va concevoir et enfanter un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel. » (Is 7,14)
Le verbe « enfanter » suivi de « douleurs » nous fait penser à Eve, puis à Marie, nouvelle Eve. Quand la femme fuira « au désert », nous y verrons aussi Israël.
Cela d’autant mieux qu’après la ruine de Jérusalem en l’an 70, les Romains frappèrent une médaille. Elle représentait une femme enveloppée d’un manteau. Au-dessous, on pouvait lire : « La Judée captive ».
Mais nous devons remarquer que le verbe (basanizein) exprime les tourments atroces. Il est utilisé par Saint Jean pour exprimer les tourments infligés par Dieu aux démons (Ap 9, 9-5 ; 11,10 ; 14,10 ; 18,7 ; 20,10).
Nous comprenons dès lors que cette femme qui souffre ainsi, c’est surtout l’Eglise ! Comme Marie, elle fait la volonté de Dieu, c’est pourquoi, elle nous apparaît dans le soleil, symbole d’Amour et de Vérité. Le Christ est « soleil de justice ».
Les 12 étoiles nous rappellent les 12 tribus, les 12 prophètes et les 12 apôtres.
La femme dans le soleil est surtout l’Eglise. La lune représente alors ce qui est second : les autorités.
Quant au soleil et à la lune, il nous faut revenir à la Genèse pour bien comprendre certains aspects de ce symbolisme.
Il est extrêmement riche, car, dès les premières lignes de ce grand livre, nous voyons que le jour se compose de 2 temps : le soir et le matin. Ce qui est d’ailleurs choquant, car nous dirions plus facilement : matin et soir.
Il y a aussi, dans cette vision, 2 sources lumineuses qu’il nous faut bien examiner, car elles éclairent toute l’humanité.
La lumière du soleil représente l’Evangile. La femme, nous l’avons vu, est l’Eglise. Elle prend appui sur une autre source de lumière, l’ancien Testament ; la lune étant le symbole d’Israël.
En effet, l’exégèse juive explique : « L’histoire d’Israël se compare, dans sa grandeur et sa décadence, à la montée et à la descente de la lune… Comme la lune qui va en croissant du premier au 15ème jour du mois, ainsi le peuple juif effectua son ascension en 15 générations d’Abraham à Salomon, tandis que 15 générations de rois qui suivirent marquèrent la décadence jusqu’au moment de la chute du temple…(Bahya). Les destinées de la maison davidienne sont ainsi tracées dans la trajectoire de la lune ». (E. Munk, La voix de la Thora, I p.399, p.466)
Nous comprenons alors pourquoi l’histoire de l’humanité se déroule en deux temps, dans un ordre bien précis : « Il y eut un soir, et il y eut un matin ».
Le soir est le temps de l’Ancien Testament et le matin celui de l’évangile, car la lumière de la « lune » ne suffit pas à l’humanité pour lui éviter de marcher dans les ténèbres… Mais elle est base , racine, comme l’a montré le Cardinal Lustiger (Le choix de Dieu).
Les ténèbres sont donc « nuit », car « Dieu appela les ténèbres : nuit. » (Gn 1,5)
Et le monde ira de la nuit à la lumière. Matthieu, reprenant Isaïe, nous dit aussi : « Plongé dans les ténèbres, le peuple a vu une lumière. » (Mt 4,16) et le mouvement se fit du soir vers le matin « afin qu’ils passent des ténèbres à la lumière. » (Ac 26,18)
« Celui qui nous a appelé des ténèbres à la lumière. »
(1 Pi 2,9)
« Soleil levant pour ceux qui sont dans les ténèbres. »
(Lc 1,79)
Dans cette symbolique, il ne faut pas conclure que la lune (Ancien Testament) n’apporte aucune lumière. Il faut en déduire que le soleil (Evangile) est une lumière infiniment plus forte.
La parole de Jérémie reste vraie : « Le Seigneur a réglé la lune pour éclairer la nuit. » (Jé 31,35)
Car il est bien dit : « Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes… mais parfaire. » (Mt 5,17)
Nous avons remarqué que la femme (l’Eglise) s’enfuit… car l’Eglise est en marche… Ce qui veut dire que, bien que composée de pécheurs, mais bénéficiant des 7 dons de l’Esprit et des 7 sacrements, elle parfait progressivement son enseignement et qu’un jour elle sera reconnue par tous les peuples : « Lumière des nations. » (Mt 4,16 ; Is 9,1)
Cela est aussi sûr que les 7 couleurs ont besoin d’un certain mouvement pour apparaître lumineuses…
Pour l’exégèse juive, le soleil représente les non-juifs, la gentilité.
Mais nous pouvons noter ce commentaire d’ Elie Munk, dans son étude déjà citée : « Certes, cet astre (la lune) doit souvent s’effacer devant son frère jumeau, le soleil, qui l’emporte par sa marche éblouissante au-dessus des hommes, mais le prophète Isaïe n’a-t-il pas prédit l’avènement des temps où la lumière de la lune égalera celle du soleil ? »
Effectivement, ce passage d’Isaïe est capital : « La lumière de la lune deviendra comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera 7 fois plus grande – comme serait la lumière des 7 jours ensemble – lorsque le Seigneur aura bandé la plaie de son peuple, et qu’il aura guéri la blessure qu’il aura reçue. »
(Is 30,26)
Pour nous, chrétiens, le message est clair . « La lumière du soleil sera 7 fois plus grande » : Nous comprenons que l’Eglise aura atteint sa plénitude. Et la « lumière de la lune », qui devient la même que celle du soleil, nous force à comprendre qu’alors les Juifs seront dans l’Eglise. Il n’y aura plus qu’une seule « lumière ».