Partager la publication "Physiopathologie de la passion"
Par le Dr François Giraud
Résumé : Le Dr Pierre Barbet, après avoir étudié en chirurgien les plaies de la Passion ne supportait plus d’en lire le récit jusqu’au bout, tellement il en revivait et mesurait intérieurement la somme de souffrance. Semblablement mais utilisant les connaissances de la médecine sportive et de la physiologie, l’auteur dévoile une autre face de la Passion : les conséquences de la flagellation. Car l’impact des coups de fouet ne se limite pas à la douleur. Dans l’énorme volume de tissus écrasés, les cellules libèrent leur contenu : la myoglobine va détruire les reins ; le potassium entraîne une arythmie cardiaque ; l’acidose du sang par le gaz carbonique perturbe les réactions enzymatiques et provoque des crampes à répétition, etc… En nous aidant à tracer ce tableau poignant de la Passion, la science contemporaine, s’appuyant sur le Linceul de Turin, met un outil inestimable au service de la foi et de la dévotion.
Introduction :
Nous avons tellement l’habitude de lire ou d’entendre le récit de la Passion que l’enchaînement des faits nous paraît normal, et nous connaissons si bien l’image du Suaire que la position du corps nous semble logique, tant elle ressemble à la position habituelle d’un mort. Pourtant, deux choses devraient nous frapper : le temps très court qui sépare la flagellation de la mort (5 heures) et l’impression que, mis à part les bras, le corps a gardé dans le linceul la position qu’il avait sur la croix.
Le vendredi 14 nisan, probablement de l’année 30, vers 10 heures du matin, la condamnation à mort de Jésus vient d’être prononcée. A midi, après avoir été flagellé, il sera crucifié et il expirera seulement 3 heures plus tard, alors que le supplice de la croix a la réputation de durer longtemps, parfois plusieurs jours, et que Jésus, âgé d’une trentaine d’années, est un charpentier robuste.
Le mécanisme de la mort par crucifixion est maintenant bien élucidé : il s’agit d’une asphyxie, plus ou moins rapide selon la possibilité donnée au condamné de pouvoir soulever son corps, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on lui cloue les pieds.
Les traces visibles sur le Suaire, aussi bien sur le devant des deux pieds que sous la voûte plantaire droite, ne laissent planer aucun doute : ils ont bien été encloués.
Le supplice aurait donc dû durer de nombreuses heures, comme d’ailleurs pour ses deux compagnons d’infortune qu’il a fallu achever
Peu de temps après sa mort, Jésus sera descendu de la croix ; habituellement les cadavres restent souples au moins 6 heures et pourtant, sur le Suaire, le corps est rectiligne, bras et jambes raides, pieds tendus, très loin de l’attitude habituelle de nos pietà.
Ce ne sont ni les horions de la nuit, ni le couronnement d’épines – même s’il a pu provoquer une hémorragie non négligeable – ni le portement de la croix sur une distance de 600 à 700 mètres qui peuvent avoir épuisé la vitalité de cet homme. La seule explication plausible doit résider dans la flagellation.
I. Quantification énergétique de la flagellation :
Essayons de quantifier l’énergie – au sens physique du terme – libérée au cours de la flagellation ; nous connaissons :
le nombre d’impacts relevés sur le Suaire: entre 100 et 120 ; nous prendrons donc 110 comme base de calcul
l’objet contondant : un petit haltère de plomb, d’une longueur de 3 cm, dont le poids peut être estimé à environ 20 g.
Pour calculer l’énergie, il nous faut encore connaître la vitesse de déplacement. Nous avons un point de comparaison possible, c’est le lancer du javelot : sa vitesse initiale est d’environ 100 km/h, soit 28 m/s et il est directement tenu dans la main du sportif, donc à 60 cm de l’épaule ;
les haltères de plomb, eux, étaient fixés au bout d’un fouet mesurant à peu près 1,20 m, donc à environ 1,80 m de l’épaule. Si on considère que le bourreau frappait avec autant d’ardeur que le sportif lançant son javelot, pour un bras de levier 3 fois plus long, à vitesse angulaire égale, la vitesse linéaire sera 3 fois plus grande, soit environ 84 m/s ; ramenons cette vitesse à 60 m/s pour nous mettre dans une hypothèse plutôt basse et ne pas surestimer les conséquences de la flagellation , en nous rappelant que toutes les valeurs ci-dessus ne sont que des estimations et non des calculs ; toutefois, elles suffisent pour donner un ordre de grandeur.
L’énergie totale libérée au cours de la flagellation est donc égale à 110 fois (1/2 m v²) , soit, en arrondissant, 3900 joules ou 400 kgm. Pour comprendre ces chiffres, il faut les comparer avec d’autres valeurs connues :
une balle de 9 mm Parabellum (la munition classique tirée par nos pistolets automatiques) a une énergie de 36,5 kgm (il faut donc 9 balles pour obtenir la même énergie totale !)
une balle de .357 magnum (une des plus puissantes munitions courantes d’arme de poing) a une énergie de 100 kgm (il faut donc l’énergie de 4 balles de .357 pour égaler celle de la flagellation).
Un spécialiste en balistique, M. H. Josserand, a proposé un coefficient d’efficacité pour les munitions, dénommé stopping-power (StP), permettant de classer les munitions selon leurs conséquences pathologiques. Le StP correspond à l’énergie du projectile (en kgm) multipliée par sa surface (en cm²) ; dans le cas présent, nous avons calculé une énergie totale de 400 kgm et une surface d’impact de 2,5 cm² ; le nombre de StP est donc 1000.
Pour une valeur :
inférieure à 5 StP : il n’y a pas d’effet de choc
comprise entre 5 et 35 StP : le choc est plus ou moins fort
supérieure à 35 StP : le choc est important avec effet immédiat d’assommoir.
Pour faire 1000, il faut 28 fois 35 ; autrement dit, 1000 StP correspondent à 28 fois la quantité d’énergie capable de mettre un homme hors de combat ; 28 fois ! Si l’on admet qu’il y avait 2 lanières par fouet et qu’il a donc fallu 55 coups de fouet pour créer les110 impacts, on s’aperçoit qu’à chaque fois que la victime avait reçu 2 coups de fouet, elle avait encaissé une énergie suffisante pour l’assommer.
Bien entendu, il ne faut surtout pas prendre cette comparaison au pied de la lettre, l’énergie étant dissipée beaucoup plus rapidement au cours de l’impact d’une balle qu’au cours de la flagellation et les munitions ci-dessus étant supersoniques, leurs conséquences pathologiques obéissent à d’autres lois de la balistique, mais l’ordre de grandeur des chiffres est correct et on comprend mieux le caractère traumatique gravissime d’une telle flagellation.
* Un autre point de comparaison nous est donné par la puissance d’un coup porté par un boxeur poids lourd : au maximum 40 kgm ; les 400 kgm de l’énergie de la flagellation correspondent donc à 10 de ces coups surpuissants, dépassant largement l’énergie nécessaire pour mettre un adversaire KO.
La moyenne de ces deux comparaisons permet d’estimer que Jésus a encaissé pendant la flagellation à peu près 20 fois l’énergie suffisante pour l’assommer. 20 fois !
Intéressons-nous maintenant à l’aspect médical et calculons la surface de peau lésée et le volume de tissus écrasés :
II. Conséquences physiopathologiques de la flagellation :
En admettant qu’en s’enfonçant brutalement dans la peau, chaque impact comprime violemment non seulement le plan musculo-cutané situé immédiatement au-dessous mais aussi celui situé à sa périphérie sur un espace de 5 mm – ce qui paraît un minimum – , la surface lésée pour chaque impact est de 8 cm² et le volume contusionné de 12 cm3. Pour 110 impacts, nous obtenons une surface lésée de 880 cm² et un volume contus de 1320 cm3, soit 1,3 litre.
Cela représente un volume énorme de tissus écrasés, de cellules gravement endommagées dont les membranes ouvertes vont libérer leur contenu, provoquant des catastrophes biologiques. De plus, en regard de chacun des coups portés, il y aura un hématome, et 110 hématomes entraînent une perte sanguine importante à l’origine d’une hypovolémie avec début de choc hémodynamique.
Regardons la répartition des coups de fouet : on voit qu’ils sont fréquents sur le tronc, notamment à sa face postérieure ; la dissipation de l’énorme énergie encaissée pendant la flagellation va évidemment ébranler fortement l’organisme, provoquant des lésions des organes atteints, non seulement la cage thoracique (la peau, les muscles), et son contenu (les poumons, le cœur), mais aussi les reins situés à la face postérieure du tronc.
Reprenons ces organes un par un et essayons de voir quelles seront les conséquences de leur traumatisme.
A. Les muscles :
Ils sont composés d’eau, de protéines (notamment l’actine et la myosine responsables de la contraction, et la myoglobine dont le rôle sera fondamental dans les troubles rénaux), et de sels minéraux (sodium, potassium et calcium).
En cas de destruction musculaire :
d’abord, les mouvements dépendant des muscles lésés seront difficiles ou impossibles, en tous cas très douloureux et limités.
ensuite, le potassium intracellulaire sera déversé dans la circulation et le calcium sera complexé par une protéine musculaire, entraînant une hypocalcémie. Nous verrons la toxicité cardiaque de ces deux ions.
enfin, la myoglobine libérée par les cellules sera transportée par le courant sanguin jusqu’aux reins qu’elle détruira.
B. Le cœur :
Le cœur est enveloppé dans une membrane séreuse inextensible, le péricarde, à l’intérieur de laquelle il se contracte. La contusion du cœur va entraîner un épanchement liquidien entre le cœur et le péricarde dont la conséquence, en dehors d’une douleur à chaque contraction, sera une gêne mécanique du remplissage cardiaque, pouvant aller jusqu’à le diminuer de façon importante (ce qu’on appelle « la tamponnade »).
L’automatisme de la contraction du cœur repose sur un tissu nerveux particulier et sur des concentrations ioniques précises notamment en calcium et potassium, les deux ions dont nous venons de parler. Une anomalie de ces ions entraînera une arythmie et, parmi ces anomalies, les plus graves seront l’hyperkaliémie et l’hypocalcémie et, pire encore, leur association.
Pour fonctionner correctement, le cœur doit alterner des périodes de repos suffisamment prolongées, pendant lesquelles il se remplit, et des contractions suffisamment fortes et complètes pour se vider. Si, au lieu de cette séquence : repos – contraction – repos – contraction, il fait une suite ininterrompue de petites contractions superficielles entrecoupées de repos minimes, il ne va plus ni vraiment se vider ni vraiment se remplir, et son débit va chuter au point de devenir inefficace : c’est ce qu’on appelle la fibrillation ventriculaire. Celle-ci est mortelle en quelques dizaines de secondes et elle est favorisée justement par l’hyperkaliémie et l’hypocalcémie.
C. Les poumons :
Ce sont deux sacs remplis d’air, entourés aussi par une membrane séreuse, la plèvre.
En cas de traumatisme thoracique, du liquide sera facilement exsudé dans la plèvre, déclenchant d’une part une douleur à chaque mouvement respiratoire et réduisant d’autre part le volume disponible pour les poumons, entraînant une diminution de la ventilation.
Le rôle des poumons est de permettre au sang d’avoir un taux constant en oxygène et en gaz carbonique, ce dernier étant l’une des deux grandes composantes acides du sang. En cas d’hypoventilation, il y a bien sûr insuffisance d’apport en oxygène, mais aussi accumulation d’acide carbonique dans le sang à l’origine d’une acidose et d’une transpiration importante qui aggravera l’hypovolémie due à l’hémorragie du couronnement d’épines et de la flagellation.
D. Les reins :
Ils sont situés à la face postérieure du tronc, juste en dessous du diaphragme, modérément protégés par la cage thoracique, puisque seule leur moitié supérieure est cachée par les dernières côtes ; ils seront donc facilement lésés par un traumatisme postérieur. Leur contusion va entraîner un œdème et altérer leur fonctionnement, ce que l’on appelle une insuffisance rénale.
Chaque rein est constitué de plus de 1 million de petits tubes poreux de 5 cm de longueur dont une extrémité s’ouvre directement dans les voies urinaires et l’autre, fermée par une membrane filtrante, est au contact d’un bouquet artériolaire ; toutes les molécules dont le poids moléculaire est inférieur à 68000 vont traverser librement cette membrane puis circuler dans le tubule où elle seront plus ou moins réabsorbées en fonction des besoins de l’organisme.
La myoglobine issue de la destruction des muscles sera entièrement filtrée puisque son PM (17000) est largement inférieur au seuil de filtration de 68000 ; en raison de sa trop grande concentration dans les tubules, elle y précipitera, provoquant leur obstruction et l’arrêt du fonctionnement des reins ; les conséquences les plus rapidement graves seront l’accumulation du potassium dont nos avons vu le rôle toxique pour le fonctionnement cardiaque, et la rupture de l’équilibre acido-basique avec acidose métabolique. Si elle s’ajoute à l’acidose respiratoire, on aboutit à une acidose mixte dont l’organisme ne pourra plus se débarrasser. Cette acidification générale de l’organisme sera cause du dysfonctionnement de nombreuses réactions enzymatiques.
E. Faisons la synthèse de ce que nous venons de voir :
Après la flagellation, Jésus est groggy : 20 fois de suite, il vient d’encaisser un choc suffisant pour le mettre KO ; il titube, tombe et ne pourra même pas porter seul une poutre de 20 kg sur 600 mètres, lui, le charpentier !
Sa peau et ses muscles sont lacérés sur près de 900 cm², son cuir chevelu est déchiré, il a saigné, il a une contusion thoracique rendant la respiration difficile et douloureuse, des épanchements sont en train de se constituer dans son péricarde et sa plèvre ; plus insidieusement, ses reins sont virtuellement détruits : pour l’instant, ils fonctionnent encore, faiblement en raison de l’état de choc hypovolémique, mais dans quelques dizaines de minutes ils seront détruits par la myoglobine et l’insuffisance rénale sera alors totale.
C’est cet homme, encore en bonne santé il y a moins de deux heures, maintenant épuisé, détruit, que l’on va pendre par les mains à une croix jusqu’à ce qu’il y meure asphyxié.
Une fois crucifié, aux lésions causées par la flagellation vont s’ajouter celles de la pendaison par les mains, les deux s’intriquant jusqu’à devenir indissociables et atteignant tous les organes que nous venons de voir :
le travail musculaire se fera en anaérobiose, avec un rendement ridicule mais un dégagement de chaleur maximal, entraînant une hyperthermie et une acidose lactique.
l’hypoxie et l’hémorragie déclenchent une accélération cardiaque réflexe ; le cœur est donc soumis à une augmentation de son travail alors que l’oxygène et les aliments dont il a besoin commencent à manquer et que les déchets s’accumulent.
l’importante difficulté à mobiliser la cage thoracique aggrave l’hypoxie et l’hypercapnie
l’élimination rénale est complètement bloquée
Il n’existe plus aucune voie de secours biologique pour compenser les troubles métaboliques ; ceux-ci vont donc s’accumuler.
F. La rigidité cadavérique :
La mort est inéluctable et va survenir par défaillance cardiaque ; mais, auparavant, l’épuisement total de l’organisme va entraîner une conséquence peu habituelle : la rigidité cadavérique ne va pas s’installer progressivement, sur 12 à 18 heures, comme lors d’une mort par maladie ou accident, mais elle sera d’emblée totale. Pour comprendre ce phénomène, regardons le fonctionnement d’une cellule musculaire.
Pour effectuer leur travail, les muscles puisent leur énergie dans la combustion aérobie des glucides et des lipides, stockant l’énergie libérée sous forme d’ATP1 qui est la source énergétique immédiatement disponible de toutes nos cellules. Tant que l’oxygène est en quantité suffisante, l’ATP provient :
d’une part, de la glycolyse intracytoplasmique, donnant 3 ATP et 2 pyruvates qui seront ensuite brûlés dans le cycle de Krebs intramitochondrial pour donner encore 35 ATP.
d’autre part, de la combustion intramitochondriale des acides gras (donnant 128 ATP pour une molécule de palmitate).
enfin, de la combustion des corps cétoniques (26 ATP pour une molécule d’acide hydroxy-butyrique).
Quand l’oxygène vient à manquer, le cycle de Krebs, paralysé par l’accumulation d’enzymes réduits, interdit l’accès aux mitochondries ; la combustion des lipides devient alors impossible (anéantissant ainsi la meilleure source d’ATP) et, les pyruvates, issus de la combustion intra cytoplasmique des glucides – avec production de seulement 3 ATP au lieu de 38 -, ne pouvant pénétrer dans les mitochondries, s’accumulent dans le cytoplasme où ils seront transformés en acide lactique, majorant ainsi l’acidose métabolique.
La contraction musculaire, tout comme la décontraction, font appel à des cascades de réactions biochimiques nécessitant la présence d’ATP comme source énergétique.
Lorsqu’un stimulus parvient à une cellule musculaire, il déclenche la libération intracellulaire de calcium, puis, grâce à l’énergie fournie par une première molécule d’ATP, l’actine et la myosine se combinent, provoquant le raccourcissement musculaire. Si le stimulus cesse, la calcium est recapté, une seconde molécule d’ATP peut se fixer sur la liaison actine-myosine, fournissant ainsi l’énergie nécessaire à sa rupture et le muscle peut se détendre.
Donc, tant qu’il y aura stimulation, il y a aura contraction et consommation d’ATP, et si ce dernier vient à être consommé entièrement, le relâchement ne pouvant plus s’amorcer, le muscle restera en contraction maximale.
Dans le cas d’un organisme épuisé par un travail excessif et sans possibilité de repos, en hypoxie et insuffisance rénale, toutes les conditions sont réunies pour avoir une consommation intégrale de l’ATP sans possibilité de régénération ; on aboutit ainsi au décès avec une rigidité musculaire totale et immédiate et donc conservation de la position du corps.
G. Examinons attentivement cette position du corps sur le Suaire :
Le calcul des angles des membres inférieurs donne les résultats suivants :
l’angle des chevilles est d’environ 165°, ce qui correspond à la position des pieds en hyperextension maximale ;
l’angle des genoux est aussi d’environ 165°, c’est-à-dire que les genoux sont à peine fléchis.
Cette position est très difficile à prendre volontairement et son maintien ne peut excéder quelques secondes sans que commencent à apparaître des contractures puis, très rapidement, de vraies crampes.
Entre la mort de Jésus et sa descente de la croix, il a dû s’écouler au moins 1/2 heure.
Il serait logique de penser que pendant ce temps le corps de Jésus se serait affaissé sous l’action de la pesanteur, les bras se tendant, les genoux se pliant, l’angle des genoux se rapprochant ainsi de 110°, celui des pieds de 140°.
Après la descente de croix, il a fallu plusieurs personnes pour emmener Jésus jusqu’au tombeau, le portant à la fois par le tronc et par les pieds.
Dans cette position, si le corps avait gardé une certaine souplesse, et en admettant les valeurs angulaires ci-dessus, l’angle des genoux se serait effectivement ouvert et la valeur de 165° n’aurait rien d’exceptionnel, elle aurait même pu atteindre sans difficulté 180°. Mais, dans ce cas – et c’est ce qui est très important – l’angle des pieds avec les jambes aurait conservé la valeur de 140° qu’il avait sur la croix, et les pieds n’auraient laissé sur le Linceul que l’empreinte des talons.
Or, sur le Suaire, nous avons l’empreinte complète du pied droit, ce qui prouve que ce pied était à plat sur le linge et, comme il n’y a aucune raison de penser que l’on ait appuyé fortement sur lui pour l’obliger à prendre une position difficile et dénuée de tout intérêt, nous sommes contraints de conclure que la position des membres inférieurs n’a pas varié du tout entre la mort sur la croix et la mise au tombeau.
Ceci ne peut s’expliquer que par la rigidité complète et immédiate de ses muscles, et la raison de cette contracture invincible se trouve dans l’absence totale d’ATP et donc dans une mort par épuisement absolu.
Cette rigidité immédiate, rare, a déjà été décrite sur des combattants épuisés, et par ailleurs, Pierre Barbet en cite deux exemples dans son livre La Passion selon le Chirurgien.
Conclusion :
Les ressources modernes de la biochimie et de la physiopathologie nous permettent d’expliquer des éléments de la Passion dont le Suaire est le fidèle témoin. Mais il ne faudrait pas se contenter de regarder le suaire uniquement avec des yeux de scientifique.
A trop manipuler le microscope, la pipette, les équations ou le scalpel, on finit par oublier qu’il s’agissait d’un homme jeune, qui a connu une soirée d’angoisses, suivie d’une nuit complète de garde à vue et d’interrogatoires agressifs, sans pouvoir ni se reposer ni se nourrir ; puis, après avoir été flagellé avec une rare violence , puis avoir reçu une couronne d’épines enfoncée sur le crâne à coups de roseau, il a été chargé d’une poutre de bois et mené vers le lieu de son supplice où on l’a cloué à la croix par les poignets et les pieds, et laissé mourir d’asphyxie, de crampes et d’épuisement complet ; derrière ces heures, ces faits, ces mots, se cache une douleur de chaque seconde, intolérable, atroce.
Il y a la douleur de la peau, arrachée, écorchée, contusionnée en plus de 120 endroits, il y a la douleur des muscles écrasés par les impacts de la flagellation, la douleur de chaque contraction cardiaque, la douleur de chaque mouvement respiratoire, l’épouvantable douleur des clous qui s’enfoncent dans les articulations en les disloquant, l’intolérable douleur des poignets disjoints supportant tout le poids du corps uniquement par ces deux clous qui frottent sur les nerfs, la douleur de la soif ardente et des muqueuses desséchées, l’horrible douleur des crampes qui ne cessent pas une seconde, la douleur physique et morale de l’étouffement, la fatigue intense, épuisante jusqu’au bord de l’évanouissement que seule l’intensité même de la douleur empêchera ; c’est un océan de douleur qui va durer 3 heures, jusqu’à ce que l’âme quitte enfin ce pauvre corps épuisé, au sens propre du terme, littéralement vidé de la moindre parcelle d’énergie, raide de crampes comme un cep de vigne. C’est cela, la Passion, c’est cela que nous raconte le Suaire, et c’est cela que nous devons essayer de ne pas oublier pendant que nous en poursuivons l’étude2.
1 ATP : adénosine triphosphorique (acide) : la principale source d’énergie dans l’organisme. Cette substance intervient dans le métabolisme cellulaire, la contraction musculaire et la synthèse des hormones corticosurrénales.
2 On trouvera d’utile compléments à cet article sur le site (polyglotte) du Dr Giraud : http://perso.wanadoo.fr/gira.cadouarn/