Un fraudeur à l’Université de Francfort : le Pr Protsch

Par Luke Harding

Les dessous de la préhistoire :

le Pr Protsch1

Luke Harding2

Résumé : Après le géologue hindou Gupta, naguère démasqué par un étudiant australien, vient d’apparaître un nouveau stakhanoviste de la fraude, Reiner Protsch, qui semble, depuis 30 ans, avoir inventé toutes ses datations. Son appareillage de radio carbone n’a jamais servi ! En datant de 27 400 ans A.C. « l’homme de Paderborn-Sande » (qui serait en réalité mort vers 1750), par exemple, il en avait fait une découverte « sensationnelle » !.. Mais ces allégations n’auraient jamais été démasquées si la police ne l’avait pas épinglé pour avoir revendu les squelettes de l’Université !.. Science sans conscience, une fois de plus.

Ce semblait être l’une des plus sensationnelles découvertes archéologiques. Le fragment de crâne découvert dans une tourbière près de Hambourg avait plus de 36 000 ans; c’était le chaînon manquant entre l’homme de Neandertal et l’homme moderne.

 Du moins, c’est ce que le Professeur Reiner Protsch von Zieten, un distingué anthropologue et fumeur de cigare allemand, annonça à ses collègues scientifiques, applaudi par tous, après avoir été invité à dater ce crâne extrêmement rare.

Cependant, la carrière de 30 ans du professeur s’est maintenant achevée dans la honte, après la révélation qu’il falsifia systématiquement les dates de cette relique, et de beaucoup d’autres, de « l’âge de pierre ».

Hier, son Université de Francfort a annoncé que le professeur avait été contraint de démissionner à cause de ses innombrables « faux et mystifications. » D’après les experts, ses fraudes peuvent obliger à réécrire toute une tranche de l’histoire de l’évolution de l’homme.

L’anthropologie  va  devoir  réviser  complètement  son  image  de  l’homme  moderne  d’il y a 40 000 à 10 000 ans, dit Thomas Terberger, l’archéologue qui a découvert la fraude. » Les travaux du Professeur Protsch paraissaient prouver que l’homme anatomiquement moderne avait coexisté avec l’homme de Neandertal, et qu’ils avaient peut-être même  eu des enfants ensemble. Ceci paraît maintenant absurde. »  

Le scandale est apparu lorsque le Professeur Protsch a été surpris en train d’essayer de vendre aux États-Unis toute la collection de crânes de chimpanzés de son département.

L’enquête  établit plus tard qu’il avait également fait passer de faux fossiles pour des vrais et qu’il avait plagié les travaux d’autres savants. Sa découverte montrait que les Néandertaliens s’étendaient beaucoup plus au nord que ce que l’on croyait.

Mais l’enquête de son université apprit qu’un fragment essentiel d’un crâne de Hambourg, que l’on croyait provenir du plus vieil allemand du monde, un Néandertalien connu sous le nom d’Homme de Hahnhöfersand, n’avait que 7 500 ans d’âge d’après une datation au radiocarbone faite à l’université d’Oxford. Celle-ci montra que les datations d’autres crânes étaient également fausses.

Une autre des découvertes sensationnelles du professeur, la femme de « Binshof-Speyer », vivait en 1300 avant J.C. et non pas il y a 21 300 ans comme il le prétendait; et « l’Homme de Paderborn-Sande », daté par lui de 27 400 avant J.C., était mort depuis deux siècles seulement, en 1750.

« C’est très embarrassant. Évidemment l’Université se sent très mal à l’aise », déclara hier le Professeur Ulrich Brandt, qui conduisit l’enquête sur les activités du Professeur Protsch. Celui-ci a refusé de nous rencontrer, mais nous avons eu 10 séances avec 12 témoins.

« Les histoires qu’ils racontaient à son sujet étaient de plus en plus bizarres. Au bout d’un moment il devenait difficile de les prendre au sérieux. Il fallait rire, c’était vraiment incroyable. En fin de compte, ce qu’il fit était inimaginable. »

Au cours de son investigation, l’Université découvrit que le Professeur Protsch, 65 ans, personnage flamboyant avec une prédilection pour les montres en or, les Porsche et les cigares de Cuba, était incapable de se servir de sa propre machine de datation au radiocarbone.

Après son retour d’Allemagne aux États-Unis, où il fit son doctorat et pris un poste de professeur, il fabriqua simplement ses données. Dans un cas, il avait prétendu qu’un « demi-singe » vieux de 50 millions d’années, appelé « Adapis », avait été trouvé en Suisse, un prodige archéologique. En réalité, le singe avait été déterré en France, où plusieurs autres spécimens avaient déjà été trouvés.

Le Professeur Terberger dit qu’il devint soupçonneux au sujet des travaux du professeur en 2001 après avoir envoyé à Oxford le fragment de crâne pour les tests.

D’autres tests révélèrent que tous les crânes datés par le professeur Protsch étaient en réalité beaucoup plus jeunes que ce qu’il prétendait, ce qui décida le professeur Terberger et un collègue britanique, Martin Street, à écrire un papier scientifique l’année dernière.

Au même moment, la police allemande commença à enquêter sur le professeur pour fraude, à la suite d’allégations selon lesquelles il avait essayé de vendre à un commerçant américain les 278 crânes de chimpanzés de l’université pour 70 000 dollars.

Pourquoi avait-il fait cela ?      

« Si vous trouvez un crâne de plus de 30 000 ans, c’est sensationnel. Si vous en trouvez trois, les gens vous remarquent. C’est bon pour votre carrière » dit le Professeur Terberger. « En fin de compte, c’était une affaire d’ambition. »

D’autres détails de la vie du professeur se lézardaient à l’examen. Avant de disparaître du campus de l’université l’année dernière, le Professeur Protsch raconta à ses étudiants qu’il avait examiné les ossements de Hitler et d’Eva Braun.Il se vantait aussi de posséder des appartements à New York, en Floride et en Californie où, prétendait-il, il traînait avec Arnold Schwarzenegger et Steffi Graf.

Même le titre nobiliaire « von Zieten » du professeur semble être bidon. Loin d’être le descendant d’un fringant général de hussards, le professeur est le fils d’un parlementaire nazi, Wilhelm Protsch, comme le révéla le magazine Der Spiegel en octobre dernier.

L’université enquête sur des milliers de documents déposés dans le département d’anthropologie, concernant les horribles expériences scientifiques des nazis dans les années 1930, et qui furent mystérieusement détruits, prétendument selon les instructions du professeur. On découvrit aussi que pour certains des 12 000 squelettes conservés dans le « cellier à ossements » du département, les têtes manquaient, apparemment vendues à des amis du professeur aux États-Unis  et à des dentistes sympathiques.

Hier, l’Université a reconnu qu’elle aurait dû découvrir beaucoup plus tôt les fraudes du professeur. Mais elle fit remarquer que, comme pour tous les fonctionnaires en Allemagne, il était virtuellement impossible de renvoyer l’anthropologue en vue et qu’il avait été difficile à épingler. « Il savait parfaitement être évasif, » dit hier le Professeur Brandt. « Il alternait les <ce n’est pas vraiment clair> et les propos filandreux. « Je ne suis pas psychologue et ne puis donc dire pourquoi il fit cela. Mais j’imagine que lorsqu’il revint des États-Unis, il y a 30 ans, il réalisa qu’il n’était pas à la hauteur du travail de professeur. Alors il commença à inventer les choses et cela devint rapidement une habitude. »

Hier, le professeur, qui vit à Mayence avec sa femme Angelina, n’a pas répondu aux courriels du Guardian lui demandant son commentaire. Mais dans d’antérieures réponses au Der Spiegel il disait avec insistance qu’il était victime d’une « intrigue. » « Tous les fossiles contestés sont ma propriété personnelle », dit-il au magazine.


1 The Guardian, 19 février 2005, aimablement traduit par Claude Eon.

2 Correspondante à Berlin du quotidien anglais The Guardian

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