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Par le Pr Gladys Sweeney
Vers une psychologie chrétienne1 ?
Résumé : Dans Le Cep n°14, la confession du Dr William Coulson (un psychothérapeute américain, disciple de Rogers) avait montré quel effet destructeur la psychologie peut exercer sur la foi (en l’occurrence celle d’une congrégation féminine enseignante). Cette entrevue avec le Pr Sweeney montre qu’une autre psychologie est possible, ouverte à l’anthropologie chrétienne et donc respectueuse des richesses intérieures que procurent la prière ou les sacrements. Au lieu de s’opposer stérilement à la foi, cette approche apportera en revanche un véritable réconfort à ceux qui souffrent de réels troubles psychologiques.
Une psychologie enracinée dans une vision chrétienne de la personne humaine est non seulement fidèle à la science mais aussi à Dieu. C’est ce que déclare Gladys Sweeney, recteur de
l’« Institute for Psychological Sciences2 », qui cherche à intégrer la psychologie dans la foi et la raison. Gladys Sweeny a fait part à Zénit de sa conviction selon laquelle la science de la psychologie se met au service de l’Eglise dans la mesure où elle rend les personnes plus libres d’être de meilleurs chrétiens et de bénéficier d’une vie sacramentelle.
– Zénit : Que peut faire un catholique souffrant de dépression ?
– G. Sweeney : Souvent la dépression ou d’autres formes de maladies mentales constituent un obstacle au libre arbitre. Un traitement psychologique efficace est très utile, parce qu’il est destiné essentiellement à libérer la personne, non seulement pour la rendre capable de voir le « bien » d’une manière plus réaliste, mais également de choisir le « bien ».
Traditionnellement il existait une méfiance réciproque entre la psychologie et les catholiques. La psychologie tendait à voir la foi comme un comportement superstitieux, alors que les croyants tendaient à voir la psychologie comme une science inutile pour eux. Une foi suffisamment forte devait pouvoir venir à bout de tous les problèmes, quels qu’ils fussent.
Aucune de ces deux positions ne reflète la vérité. Une psychologie enracinée dans la vision catholique de la personne humaine n’est pas seulement fidèle à la science mais aussi à Dieu. La science de la psychologie a beaucoup à offrir aux personnes dont le libre arbitre s’est affaibli.
Prenons par exemple le cas d’une personne excessivement scrupuleuse. Cette personne pourrait en effet être affectée d’une « névrose obsessionnelle compulsive ». Si elle n’est pas soignée correctement, ce désordre psychologique peut s’aggraver au point de la rendre incapable de vivre normalement.
Des catholiques, bons et fidèles, pourraient par exemple cesser d’aller se confesser pour éviter l’impression d’avoir fait une confession invalide, ayant oublié de confesser
« tous » leurs péchés. Ils pourraient en fait cesser d’aller communier par crainte de recevoir le Seigneur de manière indigne. Ce désordre est facilement diagnostiqué et soigné.
La science de la psychologie est au service de l’Eglise : en aidant cette personne à retrouver une vie normale, elle la libère de la névrose. Mais la liberté n’est pas seulement une « liberté de », mais également une « liberté pour » : une liberté pour être de meilleurs chrétiens et pour pouvoir bénéficier d’une vie sacramentelle.
Si l’on pose correctement le problème, il n’existe aucun conflit entre une psychologie fondée sur une saine anthropologie et les enseignements de l’Eglise. Le défi est de trouver des psychologues bien formés, dans cette perspective, qui ont la volonté de respecter les valeurs religieuses de leurs patients, sans jamais les mettre en danger.
– Zénit : Quelles sont aujourd’hui les erreurs les plus courantes dans le traitement de la dépression ?
– G. Sweeney : L’une des erreurs les plus graves et les plus courantes dans le traitement de la dépression est la conviction que « seul » un traitement médical peut soulager la dépression.
Même s’il est vrai que l’usage des anti-dépresseurs a apporté un énorme soulagement aux patients affectés par cette maladie, avoir recours exclusivement au traitement pharmaceutique, en excluant des formes plus traditionnelles de psychothérapies, n’est pas le meilleur traitement.
L’un des traitements les plus efficaces contre la dépression est ce que les psychologues appellent la « restructuration cognitive ». Ce type de traitement tend à réordonner les sentiments selon la raison.
Souvent, dans les cas de dépression, un sentiment de désespoir et d’impuissance envahit toute la personne, et le patient n’est plus en mesure de voir la réalité de manière objective. C’est comme s’il apercevait le monde au travers de lunettes noires. Un événement sans conséquence peut être interprété par une personne déprimée comme négatif ou agressif, même s’il n’en est rien.
Le traitement consiste à aider la personne à restructurer ses propres pensées, à l’aider à reconstruire ses schémas désordonnés et négatifs. On l’entraîne à ordonner ses sentiments selon la raison et à voir les situations de manière plus objective. Il s’agit d’un traitement qui s’est avéré extrêmement efficace dans l’aide aux personnes affectées par cette pathologie.
Il est important de noter que parfois les personnes dépressives ne réagissent pas bien, au début, à cette thérapie. C’est souvent le cas quand la dépression est profonde.
Dans ce cas, le meilleur traitement est d’associer des médicaments à une thérapie cognitive. Dans tous les cas, la prise de médicaments, seule, n’est jamais une bonne solution au problème à long terme.
– Zénit : De quelle manière une vie vécue dans le Christ, c’est-à-dire à travers la participation aux sacrements, une vie de prière, la direction spirituelle, peuvent-elles aider à soigner les troubles psychologiques ?
– G. Sweeney : La participation à la vie sacramentelle, la prière et la direction spirituelle sont autant de moyens pour recevoir la grâce divine.
La spiritualité chrétienne signifie vivre dans le Christ, dans la grâce de l’Esprit Saint qui nous fait grandir dans la foi, dans l’espérance fondée sur la foi et surtout dans l’amour comme plénitude de la foi, en marchant sur le droit chemin vers la communion dans la Sainte Trinité.
Puisque la grâce perfectionne la nature, cette spiritualité est en totale harmonie avec la santé psychologique. Mais santé spirituelle et santé psychologique ne sont pas exactement la même chose, et ne sont pas toujours proportionnelles.
Une personne affectée d’une névrose obsessionnelle compulsive, qui n’arrive pas à faire face à la confession, voire même la communion, a besoin de se soigner afin de pouvoir profiter des moyens de recevoir la grâce sanctifiante. Toutefois, la santé mentale, comme la santé physique, ne sont pas une condition nécessaire pour la sainteté.
Une personne plongée dans un état d’anxiété n’a pas besoin de soigner ce désordre pour pouvoir ensuite développer les vertus de courage et de force ou grandir dans la confiance en Dieu. Cela aide certes, mais ce n’est pas une condition sine qua non pour grandir dans les vertus humaines. Les difficultés rencontrées dans le combat pour venir à bout de problèmes psychologiques peuvent en effet faire grandir certaines vertus, ou être motifs de plus grandes grâces et d’un approfondissement de la vie spirituelle.
Ainsi, il est extrêmement important que la personne souffrant de problèmes psychologiques participe activement à la vie sacramentelle, même si elle est sous traitement, à moins que les problèmes dont elle souffre n’empêchent cette participation.
Les effets de la grâce, combinés à un sain traitement psychologique sont très efficaces pour l’obtention de la guérison. Tout catholique souffrant de maladie mentale devrait continuer à recevoir les sacrements le plus souvent et de la manière la plus digne possible, tout en conservant une vie de prière équilibrée.
Un bon directeur spirituel peut être de grande utilité à ce propos, en se présentant comme un guide sur le chemin de la croissance spirituelle. Que ce soit à travers la thérapie ou à travers la spiritualité, c’est toujours le Christ qui guérit.
– Zénit : Un catholique souffrant de problèmes psychologiques doit-il nécessairement se faire soigner par un médecin catholique ?
– G. Sweeney : Chaque théorie psychologique se base sur des thèses déterminées relatives à la nature et au destin de la personne humaine. Les théories actuelles sont toujours laïques et parfois ouvertement anti-religieuses. Parfois elles nient la liberté humaine, les absolus moraux et donc la réalité du péché.
C’est pour cette raison que le Saint-Père dans son exhortation apostolique Reconciliatio et poenitentia (2 déc.1984), affirme dans le n. 18 : « Ce sens du péché disparaît également dans la société contemporaine à cause des équivoques où l’on tombe en accueillant certains résultats des sciences humaines. Ainsi en partant de quelques-unes des affirmations de la psychologie, la préoccupation de ne pas culpabiliser ou de ne pas mettre un frein à la liberté porte à ne jamais reconnaître aucun manquement ».
Ainsi les catholiques doivent être très prudents face à l’assistance psychologique et à l’influence de modes psychologiques sur leurs vies.
En outre, les psychologues en général ont souvent tendance à voir la religion d’une manière plutôt négative, ce qui crée des difficultés supplémentaires aux catholiques. Dans la psychothérapie, le médecin peut influencer son patient de manière subtile et lui ôter progressivement ses convictions religieuses.
Avec un bon psychologue catholique en revanche, la foi et la pratique religieuse des patients sera encouragée et l’on pourra même parler ouvertement de questions religieuses pendant les séances. Un tel psychologue travaille en se basant sur une vision authentique de la personne humaine, fondée sur les enseignements de l’Eglise et renforcée par de solides éléments psychologiques.
Ce type d’approche est absolument essentiel pour n’importe quel catholique cherchant de l’aide pour une question de santé mentale
– Zénit : Qu’offre l’Eglise aux chrétiens confrontés à des problèmes psychologiques ?
– G. Sweeney : L’Eglise nous offre le Christ, qui est la révélation de l’amour du Père et la révélation de l’homme à l’homme.
Le Christ nous révèle le sens de notre vie et les réponses aux désirs profonds de notre cœur. En nous offrant le Christ, l’Eglise nous donne ce que nous désirons le plus et l’unique chose qui est en mesure de nous satisfaire véritablement.
Dans cette « vallée de larmes », nous trouverons inévitablement désillusions, tragédies et souffrances. Mais l’Eglise nous indique, au-delà de cet horizon, le cœur de la Trinité, où le Christ nous prépare une demeure. Le Christ nous montre ainsi le sens salvifique de la souffrance. A travers les sacrements de l’Eglise, nous rencontrons le Christ et nous sommes continuellement renouvelés et transformés à mesure que grandit notre union avec lui.
Toutefois, l’Eglise doit être consciente du service unique que la science de la psychologie peut offrir, notamment si celle-ci est placée entre les mains de psychologues bien formés et équilibrés, qui comprennent l’enseignement de l’Eglise sur la liberté et la dignité humaine. La collaboration entre les sciences humaines et le travail pastoral est d’une très grande importance. Une collaboration harmonieuse peut amener des âmes au Christ et favoriser la venue du Royaume de Dieu sur la terre.
Prière et longévité :
« Avoir la foi et pratiquer sa religion prolongerait de 29% l’espérance de vie ». Cette conclusion inattendue est le résultat « d’une compilation de 42 recherches portant sur l’engagement religieux et la longévité, réalisée par l’épidémiologiste David Larson (…).»
La mécanique scientifique est simple. La prière ou la méditation « active l’hypothalamus. Or, cette partie du cerveau joue un rôle clé pour ce qui est du rythme cardiaque et de la pression artérielle ; elle régule aussi la sécrétion d’hormones comme le cortisol (lié au stress) et influe sur le fonctionnement du système immunitaire. »
« Se plonger dans un roman ou prendre un bain relaxant provoque aussi des effets physiologiques bienfaisants. Mais ils sont beaucoup plus faibles que ceux observés lors d’une prière fervente ou d’une méditation intense. »
Un véritable cauchemar pour les anticléricaux !….
(Le Courrier international du 9 septembre 2004)
1 Entretien donné à l’Agence Zénit le 16 janvier 2005.
2 L’Institute for Psychological Sciences (www.ipsciences.edu) est situé à Crystal City, Virginia, près de Washington, aux Etats-Unis.