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Par Vienne Michel
Jeton de caddie1
De la sereine léthargie d’un bocal,
Je sombrais à fond de porte-monnaie
En pleine cohue d’un métal malveillant.
Un jour, remarqué pour ma belle prestance,
J’en fus extrait pour intégrer la pochette
D’un trousseau de clefs bien éduquées, très calmes.
Inutile de s’attarder sur mes ballades,
Blotti dans la vigie d’un caddie fringant,
Bercé par son erratique va-et-vient.
Parfois, j’en ai supporté de bien mauvais,
Éclopés, grinçants, roulettes de guingois,
Broutilles face à mon avenir plein d’angoisse.
Les caddies asservis aux cartes bancaires,
De leur contenu, afficheront le dû,
En percevront le règlement numérique.
Victime collatérale non programmée,
Je finirai mes jours dans la solitude
Désespérante d’un tiroir d’abandon.
(Le Touquet, le 3 avril 2020)
1 Chacun de nous a un gentil compagnon à qui ils ne prête qu’une attention médiocre : il s’agit du jeton qui libère les caddies de leur chaînette. Ces jetons ont une vie propre ; en tout cas, c’est net pour le mien : il a ses humeurs, ses joies et sa déprime. Je vous invite à être gentils avec eux. Le mien a voulu résumer sa vie en un court poème, il exprime aussi sa grande crainte de disparaître un jour, suite à la mise en place de caddies connectés.
Le jeton, c’est aussi chacun de nous qui, après la griserie de consommation de ces dernières décennies, symbolisée par le caddie, au lieu de finir dans un tiroir, est confiné dans des tiroirs pour jetons humains : les appartements. Comme le jeton, le tout virtuel, le tout connecté, rendrait chacun de nous inutile, et c’est déjà commencé !