Accueil » L’evolution: toujours une théorie en crise!

Par Bonneau, Xavier

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Résumé : Le généticien australien Michael Denton s’était gagné une réputation méritée avec la parution, il y a plus de trente ans, d’un livre dont le titre résonna comme un coup de tonnerre : Évolution : une théorie en crise (Adler & Adler, 1985). Quiconque tourne la dernière page de cet ouvrage, en effet, est convaincu que l’auteur ne croit pas en l’évolution. Puis, les circonstances ont amené Michael Denton sur une position de compromis intellectuellement décevante, mais certainement plus facile à vivre pour un universitaire chargé de famille : oui, la théorie darwinienne, avec son gradualisme, est indéfendable, mais il n’y a pas lieu de s’interroger sur l’Évolution en elle-même, puisqu’il s’agit d’un « fait ». De là un deuxième livre, au titre interrogatif cette fois : L’Évolution a-t-elle un sens ? (Fayard, 1997). Assez naturellement, M. Denton s’est donc retrouvé dans le courant de l’Intelligent Design1, lequel récuse le hasard darwinien sans se prononcer clairement sur l’Évolution elle-même. Avec son troisième livre paru l’an dernier – Évolution : une théorie toujours en crise2–, on pouvait se demander si M. Denton, aujourd’hui retraité, sortirait de l’ambiguïté grâce à ce nouvel ouvrage rétrospectif composé pour le trentième anniversaire de son Évolution : une théorie en crise. Or il n’en est rien, puisque nous y apprenons simplement que la crise se poursuit et que de nouveaux arguments sont venus s’ajouter à ceux du premier livre.
Outre l’intérêt propre à un ouvrage solidement documenté, comme le premier, c’est toujours un critère de vérité que de voir se confirmer la thèse défendue en 1985, dans un domaine rempli de découvertes majeures comme la biologie. Il importait donc de le signaler dès sa parution en anglais, malgré la déception légitime qu’il nous cause : le compromis et l’ambiguïté n’ont pas leur place dans les sciences et la question posée devra bien un jour être tranchée.

Le but de cet ouvrage est de savoir si, trente ans après la parution du premier livre : Évolution : une théorie en crise paru en 1985, les arguments avancés à l’époque pour réfuter l’explication darwinienne de la complexité du vivant se sont trouvés renforcés ou au contraire affaiblis.

Le message est clair : ce qui avait été annoncé en 1985 n’a fait que se confirmer et se renforcer au fil du temps.

L’auteur en est fier : il avait bien perçu les failles du système darwinien à l’époque et, depuis lors, les preuves se sont accumulées au point que de plus en plus de scientifiques de renom proclament ouvertement leur « darwino-scepticisme ».

Deux conceptions diamétralement opposées du monde vivant s’opposent en effet depuis le XIXe siècle :

– D’un côté les typologistes ou structuralistes, adeptes de la primauté de la structure sur la fonction. Il y a des types définis immuables et absolument pas déterminés par une contingence adaptative. La variation3 existe mais seulement à l’intérieur du cadre de ces formes immuables.

– De l’autre les gradualistes ou fonctionnalistes, adeptes de la primauté de la fonction sur la structure. Il n’y a pas de formes fixes, tout change graduellement avec le temps sous la pression de sélection.

L’auteur a fait une liste de différents points qui, d’après lui, renforcent l’hypothèse typologiste au détriment de l’hypothèse gradualiste.

Invariance des types

Nous en recensons ici quelques uns, les plus cités pour la démonstration, sachant qu’il y a beaucoup d’autres types de structures invariantes :

– le plan 1-2-5 des membres des tétrapodes ;

– le corps segmenté des insectes : tête – thorax (à 3 segments) – abdomen (à 11 segments maximum) ;

– la plume des oiseaux (qui n’est pas une écaille évoluée) ;

– le diagramme floral à 4 cercles concentriques des plantes angiospermes (pistil, étamines, sépales, pétales) ;

– les gènes-architectes conduisant à des structures homologues ;

– l’articulation de la mâchoire au crâne : un type poisson, un type reptile, un type mammifère ;

– les hématies sans noyau des mammifères.

Il y a de fortes variations selon les espèces, mais toujours dans le cadre d’un même type : par exemple, les membres des tétrapodes s’adaptent pour devenir fonctionnels dans le milieu où vit l’espèce (membre antérieur fouisseur de la taupe, membres allongés et à phalanges soudées des ongulés de la savane, ailes de la chauve-souris, membres postérieurs vestigiaux des baleines…), mais ils relèvent invariablement du même plan architectural.

Ces structures invariantes par grands groupes de classification des êtres vivants ont des causes formelles internes ; elles ne sont pas le résultat de contingences externes, d’une causalité adaptative. C’est vrai pour les êtres vivants d’aujourd’hui comme pour les fossiles.

Ces types invariants ne procurent en eux-mêmes aucun avantage évolutif au sens darwinien du terme. Il n’y aucune raison d’aboutir à l’invariance de ces structures par sélection darwinienne : d’ailleurs, si tel était le cas, existeraient probablement plusieurs types qui se transformeraient sans cesse au fil du temps. Or ce n’est pas du tout ce que l’on observe.

Modalité de la descendance

Par opposition à la « descendance par évolution », dans la « descendance avec modification » des organes nouveaux apparaissent brusquement et de façon parfaitement fonctionnelle dans une lignée, pour donner une nouvelle classe d’espèces.

L’organe nouveau existe de façon latente, en puissance (sans s’exprimer), puis devient brusquement opérationnel, en acte, et remplace alors l’organe ancien.

Par exemple : le passage de la nageoire du poisson au membre pentadactyle du batracien ou le passage de l’écaille du reptile à la plume de l’oiseau. Dans les deux cas, les structures ne sont absolument pas homologues, aucun scénario darwinien ne permet d’expliquer le passage de l’une à l’autre par petites touches successives, à l’aveugle.

Le postulat darwinien : « natura non facit saltum » « la nature ne fait pas de saut », est ainsi battu en brèche. Pour expliquer les changements brusques intervenus dans la faune et la flore à l’échelle géologique, les darwiniens avaient déjà été contraints d’admettre qu’il y avait des exceptions à ce postulat. Mais voilà : ce ne sont plus des exceptions, c’est carrément la règle ! Les grandes transformations par sauts qualitatifs brusques, pour passer d’un type à un autre, sont un phénomène qui semble bien plus répandu qu’on ne le pensait et surtout hors de portée des changements progressifs à cause de la multitude requise des intermédiaires.

Structures épigénétiques

Les capacités du cerveau humain non liées aux opérations de survie ne procurent aucun avantage sélectif ; elles ont dû rester à l’état latent pendant des millénaires. Par exemple le langage est propre à l’homme (il n’existe ni chez les animaux, ni chez les ordinateurs) et invariant dans sa structure. Où sont les gènes du langage ? Il n’y en a pas. On avait pensé au gène FOXP2 qui est un peu différent entre l’homme et le chimpanzé. Mais ce gène est apparu, au fil du temps, comme plus « généraliste » que s’appliquant au seul langage. La capacité de parler viendrait plus d’un processus auto-organisé à partir de quelques mécanismes déclencheurs.

D’une façon générale, le génome humain ne fournit pas suffisamment d’informations pour expliquer à lui seul toute la complexité du cerveau.

Certaines structures cellulaires ont aussi une capacité d’auto-organisation qui ne dépend pas que de l’information donnée par les gènes dont elles sont issues.

Par exemple la structure en 3D des protéines est certes initiée par la succession des acides aminés, dont la protéine est constituée, et cette chaîne d’acides aminés est elle-même directement issue du décodage des gènes constructeurs. Les lois chimiques de répulsion ou d’attraction entre extrémités des acides aminés voisins font que la protéine aura tendance à adopter telle structure spatiale plutôt que telle autre. Mais cette structure spatiale dépend aussi beaucoup de l’état physique et chimique du milieu dans lequel la protéine se dessine, suivant des lois d’arrangement de la matière, qui se surimposent au message génétique en orientant son expression.

Les gènes déterminent les briques dont sont faites les biomolécules, mais les phénomènes d’auto-organisation des composants de la nature vivante obéissent à des lois qui font le reste. Ces lois d’organisation de la matière vivante sont aussi contraignantes et immuables que celles qui régissent la matière inerte.

Il est ainsi difficile d’expliquer les propriétés de telle molécule complexe et a fortiori d’un organe encore plus complexe uniquement par l’addition des propriétés de ses composants. L’auteur prend l’analogie avec la molécule d’eau H2O : ses propriétés en tant que molécule n’ont rien à voir avec les propriétés respectives des deux atomes : H et O, qui la composent.

L’acte de décès du darwinisme est signé sur cet argument épigénétique (p. 263). Aussi inconfortable que puisse être cette position pour les jusqu’au-boutistes darwiniens, il est incontestable que leur approche réductionniste du « tout est dans les gènes » ne tient plus la route.

Progrès dans la génomique en 30 ans

Le mythe de l’ « ADN-poubelle » (déjà dénoncé par Hugh OWEN, in Le Cep n° 62 en 2013) est bien fini. Cette molécule a des propriétés beaucoup plus variées et complexes qu’on ne le croyait il y a trente ans, quand elle était vue comme un simple double filament destiné à coder pour des triplets d’acides aminés et avec une grande partie inerte.

Il apparaît que le fonctionnement de la machine reproductrice (l’ADN, les ARN et les protéines associées) est beaucoup plus complexe, coordonné et interdépendant qu’il ne le semblait.

Il y a eu par exemple la découverte des « gènes-architectes ». Ils ne codent pas eux-mêmes pour telle succession d’acides aminés, mais contrôlent le déclenchement de plusieurs « gènes-ouvriers » qui, eux, codent pour tel élément constitutif d’un organe. On imagine la quantité de signaux déclencheurs, de signaux répresseurs et d’autres types de mécanismes de contrôle nécessaires et mis en jeu ici, afin que tous ces éléments aillent se placer au bon endroit et au bon moment pour permettre l’auto-construction de l’organe dans l’embryon !

Il y a dans le génome de chaque espèce des programmes « clefs en main » constructeurs des organes, spécifiques à chaque type d’êtres vivants (on découvre de plus en plus de tels gènes ORFAN, c’est-à-dire typiques d’un seul taxon).

Il est de plus en plus difficile d’imaginer comment des programmes aussi finement organisés auraient pu se mettre en place par simples processus aléatoires dans la « soupe prébiotique » sans un fil conducteur ayant abouti à la structure cellulaire telle que nous la connaissons. Le fossé entre la structure de la cellule vivante et les structures cristallines du monde minéral n’a fait que se creuser avec le temps.

Le cercle protéine-acide nucléique, qui posait déjà beaucoup de difficultés aux évolutionnistes de la génération de la révolution biologique, n’a pas été brisé ; il apparaît au contraire de plus en plus fermé et difficile à casser. La cellule vivante est davantage le résultat d’une « merveilleuse construction » que d’un « coup de chance fantastique ». Et plus on fait de découvertes en cytologie et en biologie moléculaire, plus on constate qu’il nous en reste énormément à découvrir (p. 225).

Conclusion

La nature est « désespérément discontinue » et rebelle à toute explication strictement darwinienne.

Les structures homologues sont robustes et durables.

Tel être vivant a des prédispositions à évoluer dans certaines directions et pas dans d’autres, les lois de la biologie sont en cela analogues à celles de la physique et de la chimie.

Notons que l’auteur ne remet pas en cause le système de datation en vigueur. Il est vrai que, dans son propos, une datation longue ou courte ne change rien à l’affaire.

Les formes vivantes font partie d’un ordre cosmique construit. L’évolution est dirigée, avec en filigrane des chemins tracés pour aboutir aux formes de vie que nous connaissons aujourd’hui, dont la plus aboutie : Homo sapiens.

À chaque étape, les changements de type sont brusques et complets : on passe d’un type A parfaitement fonctionnel à un type B aussi parfaitement fonctionnel, sans étape intermédiaire, si ce n’est une lignée possédant les deux : le type nouveau est à l’état latent, potentiel, puis s’exprime, s’actualise, à un certain moment et remplace le précédent.

Il est de plus en plus clair que le fonctionnalisme darwinien est dépassé alors que la typologie structuraliste est de plus en plus convaincante. Même si les implications métaphysiques de la recherche des causes ultimes de l’origine et du développement de la vie ne sont qu’implicites ou qu’effleurées dans le chapitre final, la théorie typologiste implique de façon inévitable qu’un Chef d’orchestre – peut-être invisible et muet, mais incroyablement intelligent – a dirigé la manœuvre ! Cela irait beaucoup mieux si Denton s’était autorisé à le dire.

1Sur l’Intelligent Design et son histoire, on se reportera avec profit aux deux articles majeurs donnés par Claude EON dans Le Cep n° 35 et 37.

2DENTON M., Evolution : still a theory in crisis, É-U., Seattle, Discovery Institute Press, 2016, 354 p. (existe en Kindle)

3Ndlr. Michael Denton utilisait ici le mot « évolution » afin d’entretenir la confusion entre les variations, bien attestées au sein de types distincts, et l’hypothétique passage trans-spécifique, jamais observé. Comme il s’agit d’exposer ici les vues de M. Denton, nous signalons son langage ambigu, ambiguïté d’autant plus regrettable que la thèse typologiste ne se comprend bien qu’en abandonnant toute idée de filiation entre les espèces proprement dites : les passages non-graduels que Michaël Denton évoque (tout comme les branches de « l’arbre généalogique de la vie ») sont des vues de l’esprit.

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