Partager la publication "L’hérésie des scientifiques"
Par Tassot Dominique
Résumé : Étymologiquement, hérésie veut dire « choix ». L’hérésie consiste à choisir une vérité partielle, à l’isoler des autres vérités, à l’exacerber, alors que la vérité est un point d’équilibre où convergent tous les pensers vrais. On peut donc parler d’hérésie lorsque l’homme de science systématise ou extrapole indûment une chose, par ailleurs valide dans un certain domaine ou dans certaines conditions. Ainsi des « réchauffistes » qui attribuent au CO2 produit par l’homme une influence déterminante sur le climat. Ainsi des radiocarbonistes qui, en 1988, avaient déclaré médiéval le Linceul de Turin, simplement parce que leurs résultats semblaient y conduire, sans même se préoccuper d’examiner l’ensemble des travaux scientifiques sur la question. Le drame, ici, ne vient pas tant de ces hérésies en elles-mêmes – il y aura toujours des penseurs à l’esprit de système – que de l’autorité intellectuelle dont le grand public est induit à les parer, car il ne distingue pas entre la théorie à la mode et la vérité empirique, toujours relative au contexte dans lequel elle s’est affirmée.
Toutes les vérités se tiennent et se renforcent mutuellement. Aussi l’idée qu’on puisse choisir une vérité et s’y tenir exclusivement sans se préoccuper des autres vérités possibles aboutit à la rendre fausse : fausse à force d’être partielle. C’est, au sens propre comme au sens étymologique, une hérésie, mot qui vient du grec αἵρεσις (haïrésis), « choix, préférence ». Ainsi de la défense des bébés phoques par ces personnes bien intentionnées qui, par ailleurs, approuvent l’avortement des petits d’homme. Le respect de la vie n’est vrai que s’il s’étend à toutes les formes de vie, y compris la vie de l’âme et la respiration de l’intellect.
Parmi les innombrables démarches hérétiques, il en est qui sont propres aux scientifiques. Ainsi, en 1988, lorsque fut publiée la datation du Linceul de Turin par le carbone 14, nombre d’esprits rigoureux conclurent aussitôt qu’il s’agissait d’une relique médiévale. En effet, le Dr Tite, du British Museum, chargé de présenter à la presse le résultat obtenu par trois laboratoires, avançait une date comprise entre « 1260 – 1390 ! » AD, avec une probabilité de 98%.
Or, à cette époque, un grand nombre d’approches scientifiques convergeaient pour affirmer l’authenticité du Linceul : le style de tissage, abandonné après le IIIe siècle de notre ère, les anomalies picturales du visage du Christ dans l’iconographie byzantine, les pollens caractéristiques de plantes halophytes (adaptées aux milieux salés) du désert de Judée, la poussière de serpentine caractéristique des pavés de Jérusalem, etc. Surtout, deux particularités excluaient la thèse du faussaire médiéval, thèse qu’affirmaient implicitement les radiocarbonistes1 : le sang coagulé sans arrachement de ses fibrines et la nature mystérieuse d’une image tridimensionnelle que la technologie du XXe siècle n’a jamais su reproduire. Le souci de vérité requérait donc qu’on fît un examen général des faits connus, une hypothèse vraie devant être cohérente avec tous, à la manière d’un témoin véridique dont le témoignage est confirmé à mesure qu’on l’interroge plus en détail. Ce fut pourtant la thèse hérétique qui l’emporta, du moins sur le moment : le radiocarbone, datation supposée « absolue », avait parlé ! L’objet était donc médiéval. Toutes les expertises antérieures, notamment les études poussées menées par le STURP en 1973, semblèrent oubliées, comme n’ayant jamais existé2. Telle est bien la démarche hérétique : préférer s’en tenir à une vérité partielle – c’était faux, mais on pouvait à l’époque considérer que le taux de radiocarbone mesuré était valide –, puis cesser de réfléchir en refusant de prendre en compte les objections.
Un autre cas significatif est celui du rayonnement cosmique à 2,7° K découvert par Penzias et Wilson en 1965. Gamow avait prédit que, si la théorie du Big bang était vraie, on devrait observer une radiation à 20°K (valeur portée par le suite à 30°K par P. J. E. Peebles).
Cet écart de 10 à 1 entre la prévision et l’observation n’a pas empêché de voir dans la mesure faite une confirmation de la théorie et l’on parle couramment de rayonnement « fossile » du Big bang, ce dernier passant ainsi du statut d’hypothèse physico-mathématique à celui de fait, à ce point certain désormais qu’il en est question dans les cours de catéchisme ! C’est là oublier à la fois les données astrophysiques incompatibles avec le Big bang3 et l’existence d’interprétations alternatives pour ce rayonnement cosmique, notamment la théorie de l’état quasi stationnaire de Burbidge, Hoyle et Narlikar, ou la physique du plasma de Hannes Alfvén4. Ici, la démarche hérétique des tenants du Big bang se double de la volonté d’affirmer que les considérations gravitationnelles suffisent, à elles seules, à fonder une cosmologie, choix d’autant plus discutable que les forces électriques dépassent de plusieurs ordres de grandeur ces forces gravitationnelles dont la nature nous demeure aussi mystérieuse qu’elle l’était aux yeux de Newton.
Dans un autre ordre d’idées, en histoire, on présente souvent la Révolution française comme une révolution politique. Certes elle eut (et conserve) des conséquences politiques, comme la chute de la monarchie, les guerres avec les pays voisins et la nouvelle carte administrative du pays. Mais la Révolution française déploya dès l’origine une dimension religieuse : la Constitution civile du clergé fut votée avant l’emprisonnement du roi ; le culte de la « déesse Raison » et de l’Être suprême accompagna les fermetures d’églises ; la persécution s’abattit sur bien des prêtres qui ne demandaient qu’à servir les âmes.
Or, les manuels scolaires et bien des récits d’historiens présentent cette dimension religieuse de manière secondaire, comme un « excès » malheureux et non pour ce qu’elle fut : une composante intrinsèque. Ainsi le calendrier révolutionnaire est présenté comme une annexe du système métrique, avec ses décimales, alors qu’il fut rejeté parce qu’il s’opposait aux fêtes religieuses et tout particulièrement au dimanche.
On ne saurait mieux dénoncer cette hérésie, ce choix partial des historiens, qu’en reproduisant la célèbre tirade de Mgr Gaume : « Si, arrachant le masque à la Révolution, vous lui demandez : Qui es-tu ? Elle vous dira : “Je ne suis pas ce que l’on croit. Beaucoup parlent de moi, et bien peu me connaissent. Je ne suis ni le carbonarisme qui conspire dans l’ombre, ni l’émeute qui gronde dans la rue, ni le changement de la monarchie en république, ni la substitution d’une dynastie à une autre, ni le trouble momentané de l’ordre public. Je ne suis ni les hurlements des Jacobins, ni les fureurs de la Montagne, ni le combat des barricades, ni le pillage, ni l’incendie, ni la loi agraire, ni la guillotine, ni les noyades. Je ne suis ni Marat, ni Robespierre, ni Babeuf, ni Mazzini, ni Kossuth. Ces hommes sont mes fils, ils ne sont pas moi. Ces choses sont mes œuvres, elles ne sont pas moi. Ces hommes et ces choses sont des faits passagers, et moi je suis un état permanent.
Je suis la haine de tout ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble ; je suis la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu ; je suis la philosophie de la révolte, la politique de la révolte, la religion de la révolte ; je suis la négation armée5; je suis la fondation de l’état religieux et social sur la volonté de l’homme au lieu de la volonté de Dieu ; en un mot, je suis l’anarchie ; car je suis Dieu détrôné et l’homme à sa place. Voilà pourquoi je m’appelle Révolution, c’est-à-dire renversement, parce que je mets en haut ce qui, selon les lois éternelles, doit être en bas, et en bas ce qui doit être en haut”6. »
Semblablement, Jeanne d’Arc est souvent présentée comme une héroïne nationale boutant l’Anglais hors de France en galvanisant les énergies, mais cette vérité partielle a pour contrepartie d’écarter les interventions clairement surnaturelles telles que les « voix », la sainteté personnelle, les circonstances providentielles, et donc la mission divine qui s’en déduit pour la France.
En biologie, la lecture évolutionniste des faits met l’accent sur les ressemblances entre les êtres vivants, chacune d’elles étant interprétée comme la preuve d’un ancêtre commun. Ainsi l’unicité du code génétique montrerait que toute la vie remonte à une cellule primitive7. Or les êtres vivants, outre les ressemblances, présentent aussi des différences : celles qui permettent de distinguer et de classer les espèces. Une bonne explication des faits doit donc rendre compte aussi bien des unes que des autres. Mais comme la variabilité réellement observée demeure intra-spécifique, limitée à des caractères secondaires, les évolutionnistes ont coutume de peu en parler et, quand ils le font, de taire le caractère minime de la variation observée. Il s’agit donc bien d’une « hérésie » scientifique8 : l’énoncé d’une vérité partielle (la ressemblance), mais affirmée de manière à faire perdre de vue l’ensemble des données sur la question. Un bon juge doit mener l’instruction à son terme, quitte – s’il recherche vraiment la vérité – à prolonger l’enquête. Une enquête partielle, ou biaisée, peut conduire à un jugement erroné, même si tous les éléments pris en compte sont, chacun d’eux et par eux-mêmes, exacts. C’est le tout qui fait le vrai ; la vérité, c’est le tout.
En matière de climat, le simple fait qu’existe une école « réchauffiste » nous signale l’hérésie : le choix, parmi les innombrables mesures de températures effectuées sur et autour du globe, de certaines mesures de préférence à d’autres.
Nous savons en particulier ceci : le GIEC avait décidé que les températures postérieures à l’an 2000 ne seraient pas utilisées dans ses rapports, la tendance observée depuis ne confirmant pas l’augmentation de température moyenne annoncée. Les choses en sont au point que, lorsque l’Académie pontificale des Sciences organisa, le 28 avril dernier, une conférence au Vatican ayant pour but de cautionner l’encyclique Laudato si, alors simplement annoncée, les « climato-sceptiques » en ont été écartés.
Ainsi Philippe de Larminat, auteur en 2014 d’un livre de fond sur la question9, s’est vu, au dernier moment, interdit de participation. Suite à cette conférence, l’Américain Harold Doiron, s’exprimant au nom d’un groupe d’anciens de la NASA, a écrit au pape François ce qui suit :
« Cette lettre est respectueusement soumise au nom d’une équipe indépendante de plus de 20 bénévoles aujourd’hui vétérans du programme Apollo et retirés de la NASA, qui se sont réunis en février 2012 pour effectuer un travail, non-financé, une étude scientifique sur les revendications concernant un réchauffement global significatif causé par l’activité humaine, connu comme Anthropogenic Global Warming (AGW) (…). Nous nous sentons obligés de vous écrire parce que nous sommes profondément troublés par les injonctions produites par l’Académie Pontificale des Sciences10affirmant que le CO2 dégagé par l’activité humaine est susceptible de causer une catastrophe climatique, qui doit être immédiatement atténuée en adoptant les propositions de l’Organisation des Nations Unies édictant le contrôle des émissions de CO2 à l’échelle mondiale. »
Doiron écrit encore : « Il n’y a aucune raison scientifique ou humanitaire convaincante pour promulguer immédiatement le contrôle mondial des émissions de CO2, que l’ONU vous exhorte à recommander dans votre encyclique, bientôt publiée, surl’environnement (…). Cela est particulièrement vrai quand on sait que le CO2 est un gaz très spécial, incolore, inodore et non-polluant conçu par notre Créateur pour être un composé chimique essentiel pour le maintien de toutes les plantes, des animaux et de la vie humaine (…). Jusqu’à présent, les combustibles fossiles ont été un cadeau de Dieu extrêmement important.
Comprenons-nous vraiment le choix de Dieu en ce qui concerne les émissions de CO211? Pour cela, il faudrait une bien meilleure compréhension du climat, en lien avec les enjeux de production alimentaire, donc poursuivre la recherche scientifique, et prier pour que la sagesse et le discernement éclairent cette question12. »
Notons au passage qu’Harold Doiron n’a pas jugé déplacé, au sujet du climat, de mentionner le Créateur, ce Pilote prévoyant qui a enfoui du charbon sous nos pieds pour permettre la première industrialisation et le développement qui s’en est suivi. Sans doute d’autres formes d’énergie plus « propres » vont-elles advenir, mais la prétention de l’homme à régir les sociétés sans les secours et les conseils divins indique une méconnaissance suicidaire de sa condition. Est-il une folie plus grande que celle de croire à notre action globale sur le climat ?
Si le « réchauffisme » n’était pas une hérésie, le mot lui-même n’aurait pas été inventé et les spécialistes débattraient sur les valeurs à donner à cette augmentation de température et sur l’extrapolation des courbes, mais la tendance générale ferait l’objet d’un consensus relatif.
À la réflexion, on se rend compte que beaucoup de doctrines scientifiques sont des hérésies ou du moins le deviennent dès qu’elles se doublent de la volonté d’en faire des vérités exclusives. À ce danger, il est possible d’échapper. Une parole fut prononcée il y a près de 2 000 ans : « Je suis la vérité » (Jn 14, 6). Certains tentent d’affadir cette formule en prétextant que l’hébreu תמא (émèt)signale la « sincérité, la probité » plus que la « vérité ».
Mais, comme pour le grec αλήθεια (alêthéia), les deux sens sont bien attestés : ils se complètent sans se contredire. De plus, dès lors que l’Auteur de cette formule « Je suis la vérité » est aussi le Créateur des mondes, la véracité de ses mots en implique la vérité objective. Aucune vérité ne peut exister, même en science, qui ne se rattache de quelque manière au Verbe divin. Saint Thomas d’Aquin a cette formule : « L’être des choses flue (lat. fluit) du Verbe comme d’une certaine source originaire » (in Som. théol, Ia, q. 58, a. 6).
Ainsi, à la nécessité métaphysique qui veut que toutes les vérités se tiennent – et en ce sens il n’y a jamais qu’une vérité – s’ajoute une nécessité théologique. Tout ordre rationnel évoque une hiérarchie : hiérarchie des causes, des êtres ou des savoirs. Or – le mot l’indique assez : iερός (hiéros), en grec, désigne le « sacré » –, toute hiérarchie renvoie à une vision sacrale de l’univers, celle dont les commanditaires de la Révolution ont fini par nous priver, celle qui ressurgira inéluctablement lorsque le temps accordé au Tentateur sera écoulé. Alors, nous cesserons de ne plus lire dans le ciel nocturne qu’une suprême futilité de notre existence, alors redeviendra compréhensible, même aux astrophysiciens, ce verset du Psaume 18 trois fois millénaire : « Les cieux racontent la gloire de Dieu. »
1 Implicitement et même explicitement, car un écriteau du British Museum donnera le Linceul de Turin comme exemple de faux, et il faudra une intervention du CIELT pour faire retirer cette mention. Notons que le British Museum remplacera l’exemple du Linceul par celui de l’Homme de Piltdown : un faux indiscuté d’autant plus dommageable qu’à son sujet le British Museum fut mis en accusation à la Chambre des Communes, le site de Piltdown ayant été aménagé à grands frais en tant que “monument national”.
2 Heureusement, une réaction se fit jour dès novembre 1988 et le Symposium international tenu à Paris en septembre 1989 devait établir que le problème était plutôt du côté de la seule expertise divergente, le C14, soit que la méthode ne fût pas fiable, soit que la mesure eût été mal faite, soit les deux. Il est à noter que le Dr Christopher RAMSEY, actuel directeur du laboratoire de radiocarbone d’Oxford, a reconnu l’inexactitude de cette mesure à laquelle il avait participé, tout en ajoutant – bien sûr ! – que, « si on la refaisait aujourd’hui, elle serait fiable »…
3 Cf. la « Lettre ouverte à la communauté scientifique » signée par 200 chercheurs pour attirer l’attention sur les failles de la théorie, in Le Cep n°31, avril 2005.
4 Pour plus de détails, se reporter à l’article donné par Wolfgang SMITH dans Le Cep n°45, octobre 2008 : « Le piège de la cosmologie astrophysique. »
5 Nihilum armatum, pour reprendre l’expression de saint AMBROISE DE MILAN.
6 GAUME Jean-Joseph (Mgr), La Révolution. Recherches historiques sur l’origine et la propagation du mal en Europe depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, Paris, Gaume Frères, 1856, 12 vol., t. Ier, p. 16-17.
7 En réalité, il existe deux codes génétiques, le second étant propre à certaines bactéries supposées d’origine ancienne, dénommées pour cela « archéo-bactéries », alors qu’elles sont bien contemporaines.
8 L’évolutionnisme est aussi une hérésie religieuse, au sens classique, qui méconnaît à la fois la puissance créatrice de Dieu (création ex nihilo) et la vérité historique des premiers chapitres de la Genèse.
9 Changement climatique, identification et projections, ISTE Éditions, 2014.
10 Lors de la réunion annuelle des prix Nobel, le 3 juillet 2015, à Lindau, 36 sur 65 ont signé une déclaration en faveur d’actions décisives à prendre lors de la Conférence de Paris sur le climat, en novembre prochain (cf. lindau-nobel.org). Mais le Norvégien Ivar GIAEVER s’en est publiquement désolidarisé avec cette formule choc : « Le réchauffement climatique est devenu la nouvelle religion » (MPI du 10/07/15).
11 Ndlr. En particulier une augmentation du taux de CO2 aurait plutôt une action positive sur les rendements agricoles.
12 Media-Presse-Info du 15/06/15.