Partager la publication "La Société sans père"
Par De Willebois Alexandre Dr
Ce n’est pas seulement l’autorité paternelle qui se trouve largement relativisée par l’évolution des mœurs depuis deux siècles, c’est l’image même du père qui s’efface dans une société à la fois individualiste et socialiste où la famille cesse d’apparaître comme le prototype et aussi la cellule de base de la Cité. Le Dr Alexander van der Goes de Willebois (1928-1987) fut un neurologue et psychiatre néerlandais influent : il dirigea le département de neurologie de l’hôpital d’Utrecht, fut membre du Conseil national de la santé et cofondateur de l’Union des médecins. Chrétien engagé, il contribua au périodique Communio et participa au lancement de l’hebdomadaire Katholiek Nieuwsblad.
Ce livre, paru en 1984, avait été traduit en français dès 1985. Il nous donne la vision de l’homme et du monde d’un psychiatre d’une grande culture (plus de 100 références) qui ne se contente pas de dénoncer les manques de la civilisation contemporaine, mais montre dans la famille chrétienne la véritable synthèse entre autorité et liberté, entre transmission et innovation. Il réfute d’avance toutes les fariboles lancées aujourd’hui par les théoriciens du Gender : « Il me semble, écrit-il, que l’on devrait être capable de s’opposer à la ségrégation sans perdre l’esprit de discernement » (p.67).
Il voit bien les limites de la science moderne : « La pensée scientifique rationaliste, ainsi que le développement inouï qu’elle a rendu possible, nous ont induits à nous considérer comme les seigneurs et maîtres de la création, pour qui Dieu est devenu un refuge, et un subterfuge totalement superflus. Or, à première vue, on aurait pu s’attendre à ce que cette attitude s’accompagne d’un concept d’une image de l’homme semblable à Dieu. C’est pourtant le contraire qui s’est produit. Du haut de notre omniscience, “ l’homme ” – on dirait presque qu’il s’agit d’une race ennemie – est dévalorisé, démasqué comme n’étant qu’un singe nu, un comportement conditionné, le produit du hasard d’une évolution aveugle. Ce qui ne contribue donc pas spécialement à nourrir notre sentiment de dignité personnelle » (p. 112-113). « Le darwinisme social mit fin à l’idée d’un Dieu créateur, abandonnant ainsi l’humanité dans un univers arbitraire et sans père. Qui plus est, avec sa théorie de survie du plus apte (la sélection naturelle), liée à la notion de progrès inévitable, il revêtait d’une justification morale la mise au rebut des pères par les fils » (p. 28, souligné par nous).
Il voit dans l’oubli de l’âme la cause de cet appauvrissement scientiste : « Je pense par exemple à Sherrington, le fondateur de la neurophysiologie moderne. Lui non plus n’avait ménagé à l’âme aucune place dans son modèle humain. Pourtant quelques jours avant sa mort, il confiait à son ami Eccles : “ Pour moi maintenant la seule réalité c’est l’âme humaine ” » (p. 112). Citons encore cette réflexion sur la manie du changement : « Sans vouloir dénigrer le dynamisme européen, je crois pouvoir dire qu’à l’heure actuelle l’idée du changement occupe une place si importante parmi les priorités de l’Occident, qu’on dirait presque qu’il s’agit d’un but en soi.[…]Sans doute, la sagesse demeure-t-elle chez les anciens Égyptiens qui partaient du principe que la nouvelle génération viendrait se joindre à l’ancienne pour persévérer dans l’ordre existant, le renouveler et l’améliorer » (p. 21).
Science et bon sens enfin réunis, il y a dans ce livre préfacé par le P. Yannik BONNET bien des ingrédients pour éclairer nos sociétés.
(Éditions de Clairval, 21150 Flavigny-sur-Ozerain, 20€)