Partager la publication "Linceul de Turin : le Carbone 14 enfin réexaminé"
Par Casabianca Tristan
Linceul de Turin : le Carbone 14 enfin réexaminé1
Tristan Casabianca2
Résumé : En octobre 1988, la presse internationale s’empressait de publier que le Linceul de Turin était un faux médiéval : preuve par le Carbone 14 ! Certes les statisticiens avaient remarqué que les données publiées dans la revue Nature ne « collaient » pas. Mais les laboratoires refusèrent de communiquer leurs mesures brutes. Trente ans plus tard, par une requête juridique, T. Casabianca obtint du British Muséum plusieurs centaines de pages d’archives sur la datation. Après étude et révision par deux statisticiens, preuve est désormais faite que la datation de 1988 avait été invalide. Ceci est important pour la défense de l’authenticité du Linceul. C’est aussi un signe que les milieux académiques ont désormais conscience de failles possibles dans les pratiques scientifiques et, par là, une attitude parfois plus ouverte vis-à-vis du « fait religieux ».
Il aura fallu attendre trente ans pour en obtenir confirmation. Les résultats de la datation du Linceul de Turin publiés en 1989 dans la prestigieuse revue scientifique Nature ne sont pas fiables. Notre analyse statistique, reposant sur une documentation inédite, contredit la conclusion de l’article de Nature : il n’y a pas de preuve concluante que le Linceul de Turin remonte au Moyen Âge..
En 1988, après une décennie de difficiles négociations, un morceau du Linceul de Turin avait été prélevé sur un coin, découpé puis partagé entre trois laboratoires pour une datation au carbone 14 : Oxford, Zürich et Tucson (Arizona), sous la supervision du British Muséum. En octobre 1988, une conférence de presse révéla que les échantillons testés dataient du Moyen Âge : « 1260-1390 ! » (avec le point d’exclamation tracé sur le tableau noir par le Pr Tite).
L’intervalle recoupait – avec 95 % de certitude, était-il affirmé – la première apparition documentée avec certitude du Linceul, au cours de la seconde moitié du XIVe siècle.
Ces conclusions, généralement perçues dans le grand public comme une victoire de la science sur la religion, figèrent les publications académiques pendant une quinzaine d’années.
Mais dès la fin de 1988 et pendant trois décennies, des contestations ne cessèrent de surgir, d’abord dans des milieux chrétiens, puis de façon plus large et plus académique. À plusieurs reprises, des chercheurs ont réclamé les données brutes auprès des laboratoires. Ceux-ci ont toujours refusé de les leur fournir. Jusqu’au milieu des années 2000, ces protestations n’eurent guère de place dans les revues scientifiques majeures.
Au milieu des années 2000, un changement commença de s’opérer. Un chimiste américain, Ray Rogers, s’était laissé convaincre par la thèse du rapiéçage de l’échantillon prélevé et publia ses conclusions dans une revue importante de chimie3. La deuxième contestation eut lieu au cours des années 2010, quand des statisticiens renommés, Marco Riani et Anthony Atkinson, suggérèrent l’invalidité de la datation4. Mais, s’ils utilisaient des outils puissants, ils se basaient uniquement sur les quelques données publiées dans Nature, c’est-à-dire sur très peu de données.
En 2017, j’effectuai une requête légale5 auprès des trois laboratoires et du British Museum qui avait supervisé la datation. Les laboratoires n’ont pas communiqué leurs données les plus intéressantes, mais le British Museum accéda à ma demande et me permit d’avoir accès, pour la première fois, à plusieurs centaines de pages détaillant l’analyse au radiocarbone, pages jusqu’alors inconnues des chercheurs. Avec l’aide de la spécialiste italienne du Linceul, Emanuela Marinelli, et de deux statisticiens de l’université de Catane, Giuseppe Pernagallo et le professeur Benedetto Torrisi, nous avons entrepris l’analyse de ces documents.
La conclusion tomba, incontournable d’un point de vue statistique. Les données brutes montrent une hétérogénéité non seulement entre les laboratoires mais également à l’intérieur de l’un d’entre eux, Arizona. Cette hétérogénéité des échantillons est confortée par les rapports écrits trouvés au sein des archives du British Muséum. Les laboratoires ont en effet découvert des éléments étrangers au sein de leurs fils de lin (coton, cire, etc.). De plus, pour s’assurer de la fiabilité des mesures, trois tissus d’âges différents ont également été datés. Or ces échantillons, dits « de contrôle », ne souffrent pas des mêmes problèmes.
Dès lors, certains prérequis pour une datation par le carbone 14 n’avaient pas été réunis : ni le nombre constant d’atomes de carbone 14, ni la représentativité de l’échantillon ne sont garantis. De plus, il est désormais certain que le protocole n’a pas été scrupuleusement respecté : il n’y a pas eu de datation à l’aveugle, et des échantillons donnés au laboratoire d’Arizona n’ont pas été testés (et n’ont donc pas été détruits). Les conclusions générales de l’article de Nature n’offrent plus de fiabilité.
Nos travaux ont paru à la fin du mois de mars sur le site d’Archæometry, une revue publiée pour le compte du même département de l’université d’Oxford qui effectua la datation de 19886. Si quelques commentateurs ont immédiatement souligné l’ironie que cela représente, cela montre surtout que la contestation de la datation est actée au plus haut niveau.
Beaucoup de chercheurs ont souligné que notre découverte a été publiée, de façon surprenante, dans une revue d’Oxford, Archæometry, gérée par ce même laboratoire de recherche qui entreprit la datation de 1988. Ceci peut être perçu comme une évolution significative des mentalités au sein de la communauté académique officielle à propos du Linceul de Turin.
La couverture médiatique fut importante dans le monde anglo-saxon et en Italie7, et, je dois le dire, pour l’instant positive, y compris au sein de la communauté des spécialistes du Carbone 14. Cela s’explique par la crise de la reproductibilité que traverse actuellement la science. Les chercheurs se sont rendu compte qu’il était très difficile de reproduire certains résultats pourtant parus dans des revues prestigieuses. Notre recherche en fournit un exemple supplémentaire.
Il aura fallu un an et demi entre la découverte des archives et la parution de cet article dans une revue universitaire. Le processus dit de « relecture par les pairs » a pris une dizaine de mois, ce qui est courant. À titre de comparaison, en 1988, l’article de Nature avait été presque immédiatement accepté, après une relecture superficielle : environ cinq semaines
Il faut comprendre que nos travaux ne sont pas isolés et s’inscrivent dans un courant puissant de réévaluation de l’authenticité du Linceul. À titre d’exemple, en 2015, une revue du groupe Nature publia un article sur les traces d’ADN trouvées sur le Linceul, dont certains groupes ethniques (Inde, Proche et Moyen Orient) étaient a priori peu compatibles avec l’hypothèse du faussaire médiéval8.
La contestation des conclusions de la radiodatation de 1988 plaide donc en faveur de nouveaux tests. À la suite de nos recherches, une conférence s’est tenue en mai 2019 à l’université de Catane pour examiner si des tests pourraient être effectués sur certains matériaux. Le Professeur Paolo Di Lazzaro a envisagé que des fragments brûlés par l’incendie de 1532, et aujourd’hui conservés à l’archevêché, soient soumis à une datation par le carbone 14 sans endommager le drap. Cela est envisageable car la méthode moderne de datation, déjà utilisée pour dater le Linceul, nécessite une phase de combustion au cours de laquelle les échantillons sont réduits en graphite.
Mais nos recherches sont également susceptibles de participer à la réévaluation du rapport entre la religion et la raison, deux domaines nettement perçus comme conflictuels dans les années 1980. Une vision nuancée est maintenant généralement proposée par les historiens et philosophes des sciences. La lecture des archives du British Muséum montre à quel point les scientifiques restent des êtres humains, et ne sont pas immunisés contre les biais de confirmation, ni contre les pressions de toutes sortes. En cela, notre article soutient implicitement l’hypothèse, aujourd’hui largement mise en avant, d’une crise de la reproductibilité en science – c’est-à-dire la difficulté à reproduire une part non négligeable de résultats publiés dans des revues pourtant exigeantes.
Cette crise de la reproductibilité ne touche pas uniquement les sciences humaines, mais aussi les sciences dites « dures ». On peut alors s’interroger sur notre connaissance pourtant très détaillée du Linceul de Turin, dont des données majeures remontent à une série de publications faite à la fin des années 70 et au début des années 1980.
De nouvelles données sur le Linceul de Turin contribueraient sûrement à renouveler l’apologétique, dont la force de conviction passe par la recherche de la vérité scientifique, bien que celle-ci soit parfois subtile, fragile… et heureusement remise en question.
À titre personnel, je fus baptisé récemment, en 2016. Le Linceul s’est inscrit dans mon parcours de conversion, conversion qui s’est accélérée lorsque je me suis rendu compte que la « science » et les vérités proclamées par la religion catholique n’étaient pas en conflit, mais se renforçaient.
Avec cette découverte sur l’invalide radiodatation de 1988, je suis heureux de pouvoir montrer pourquoi les chrétiens ne doivent pas avoir peur de la science. Nous devons rechercher la vérité, quelle qu’elle soit. L’étude du Linceul de Turin peut s’inscrire dans un mouvement apologétique qui a contribué à changer profondément tant de vies – et ma propre vie – mais qui reste encore trop méconnu. Cette découverte nous offre un exemple concret en faveur d’une apologétique renouvelée et décomplexée. Pourquoi aurions-nous peur de découvrir la vérité, et de la dire au monde ?
1 Diverses parties de cet article ont été publiées le 9 juillet 2019 sur le blogue deL’Homme Nouveau/Religion et dans Les Nouvelles de l’Association Jean Carmignac, n°83, septembre 2019, p. 1-3.
associationjeancarmignac@hotmail.com
2 Chercheur indépendant, diplômé en histoire moderne, en droit public et en analyse économique du droit. Travaille au sein d’une agence de la Collectivité de Corse.
3 Raymond N. ROGERS, « Studies on the Radiocarbon Sample from the Shroud of Turin », Thermochimica Acta 425:1-2 (2005), p. 189-94.
4 Marco RIANI et al., « Regression analysis with partially labelled regressors : Carbon dating of the Shroud of Turin », Statistics and Computing 23 :4 (2013), p. 551-61.
5 En utilisant le Freedom of Information Act qui, dans les pays anglo-saxons, oblige toute institution recevant des fonds publics à ouvrir ses archives aux chercheurs au terme de 30 ans.
6 T. CASABIANCA, E. MARINELLI, G. PERNAGALLO & B. TORRISI, « Radiocarbon dating of the Turin Shroud : new evidence from raw data », Archæometry, Oxford, 2019. https://onlinelibrarv.wilev.eom/doi/10.1111/arcm. 12467
7 Ndlr. Une traduction française de cet article d’Archæometry doit paraître dans le n° 61 (décembre 2019) des Cahiers MNTV (revue de l’association Montre Nous Ton Visage). Peutêtre demandé à la Procure MNTV, 212, rue de Vaugirard, 75 015 Paris.
8 BARCACCIA, G., GALLA, G., ACHILLI, A., OLIVIERI, A. & TORRONI, A., 2015. « Uncovering the sources of DNA found on the Turin Shroud ». Scientific reports, 5, p.14484.